a life, a story -

"Je te le promet… Tout va bien se passer !"

La chambre rose, qui n’échappe pas aux clichés, est déposée de tous objets. Il n’y a plus le petit micro sur son pied, ni le lecteur cassette ou Sylvia écoute ses chansons préférées. Plus de posters qui habillent les murs de manière dépareillés, de peluche ou de poupées. Tout a été emballé. Mine boudeuse et bras croisés la petite fille toise sa mère d’un œil mauvais.

J’veux pas y’aller !

La maman tente de la rassurer. Elle lui ouvre ses bras, posture diamétralement contraire de la fillette chagrinée qui vient néanmoins s’y réfugier. Elle trouvera les mots pour la consoler. L’amadouer. A coup de promesses et de phrases toutes faites dont seuls les adultes ont le secret. Elle lui dit qu’elle apprendra rapidement à parler l’anglais. Que des amies elle va en retrouver. Qu’elle pourra toujours inviter celles dont elle va fatalement s’éloigner. Que c’est une chance de voyager. Cependant ce qu’elle tait sont ses ambitions démesurées. L’avenir doré que la gamine pourra à pleine bouche embrasser. Elle tait toutes les opportunités qui s’offriront à elle le moment souhaité et l’école austère au prix démesuré. Sa place y est déjà réservée !

Tu es le fruit de ma volonté !


"J’ai rencontré un mec que tu vas adorer !"

Les années ont passées. Il n’y a plus de micro ou de lecteur cassette dans la chambre de Sylvia. Plus de peluches de poupées ou de poster dépareillés. Ici règne l’ordre et la propreté. La jeune fille oublie un temps ses leçons et cahiers pour lever les yeux vers son frère aîné. En mâchouillant son crayon elle hausse les épaules.

"Fous moi la paix !"

C’est un joli brin de fille qui ne manque pas de propositions ni de cavaliers. D’ailleurs elle n’en peut plus de les repousser. Il manque toujours aux chevaliers un truc qu’elle ne sait pas identifier. Pas assez matures, sans grands intérêts. Elle rêve pourtant secrètement d’un grand amour qui la transcenderait, c’est au ciel qu’elle veut être épinglée. Elle croit cependant que ce n’est simplement pas le bon moment, que sa seule priorité sont les examens de fin d’année. Mais…

Un seul regard à tout changé !

Oublié les leçons, les révisions la demoiselle organisée. Les papillons l’ont d’un seul coup ravagé. Elle bat des paupières, cache la rosée sur ses joues empourprées, qui révèle ses émotions, le désir qu’elle découvre à l’aulne de ses perles bleutées. Timidement elle attend une invitation, un rendez-vous discret mais Nyls Norwood tarde à se déclarer. Toutes ses pensées sont irrémédiablement tournées vers celui qui semble l’ignorer, les sentiments refoulés lui font traverser un désert de cruauté. Tout se mélange, la tristesse, la colère, l’indignation. Jusqu’à la résignation. Il n’est pas intéressé !

"Tu n’sais pas ce que tu as raté !"

Bien sûr qu’il le sait, et le lui prouve dans une boîte enfumée quand il l’embrasse sous les néons allumés comme d’innombrables étoiles éclairées.


"J’explose la tronche du premier qui osera bouger !"

1998… Signé à Belfast le 10 avril 1998, l’accord du Vendredi saint a mis fin à 30 ans de guerre civile en Irlande. Ils n’étaient pas nés sur cette île déchirée, d’un côté le Sinn Fein, de l’autre les nationalistes et n’avaient pas vécu la majeure partie du conflit. C’était une journée parfaite, comme toutes celles que la douce et blanche colombe vit depuis qu’ils sont ensemble. Toi & Moi. Elle & lui. Elle eu cet après-midi la fabuleuse idée de le traîner dans un supermarché. Une supérette à dire vrai où ils choisissaient méthodiquement chaque victuaille et denrées qui les aideraient à tenir un siège long de quarante huit heures… Un week-end entier. Une certaine idée du bonheur pour la fleur, un petit goût de paradis…

Mais aucun paradis ne sera assez bien pour toi tant que tu n’auras pas connu l’enfer !

En l’occurrence l’enfer se présente aux portes du magasin armé. Un irréductible qui a décidé de libérer ses compatriotes enfermés. Si aucune balle n’atteint les civils agenouillés, apeurés, épleurés, elles sifflent néanmoins et en particulier aux oreilles de la jeune captive qui s’imagine sacrifiée. La mort avant elle n’y avait jamais pensé, elle qui n’est qu’à l’aube d’une existence si peu exploitée. Elle s’empêche de trembler. Ses dents de s’entrechoquer. Elle attrape la main de son compagnon pour la serrer. La belle craint la fatalité. À cet instant crucial et précis elle sait.

Que ma vie sans toi pour la partager serait une ignominie qui pourrait me dévaster…

"Sylvia, ce n’est pas sérieux, n’y songe même pas !"

Le ton est sec. Presque directif. À peine auréolé de son diplôme de fin d’année et la jeune femme annonce d’une voix faible mais déterminée, son intention de s’en aller. De les quitter. La famille Greward attablée la regardent tous avec incrédulités. Le scepticisme s’affiche sur les mines déconfites, voire affolées. Le doute est partagé sauf pour la maman, la taulière de la maison, qui ne tarde pas à sortir de ses gongs. Elle vocifère et hurle, pointe du doigt, tourne en rond. C’est non !

Sylvia baisse la tête pour cacher les larmes qui coulent sur ses joues. Dans l’fond elle aussi a du mal à croire que dans cette salle à manger elle n’y remettra plus les pieds. Qu’elle oubliera peu à peu l’agencement exact de la cuisine, la marche qui grince en haut de l’escalier, qu’elle ne dormira plus dans son petit lit, à l’abri. Elle ne dit pas Sylvia, la peine qui étreint son palpitant divisé, la tourmente de son esprit morcelé à la simple idée qu’un océan va désormais les séparer. Mais les dés sont jetés. Joués. Nyls a décidé. Et sans lui à mes côtés je ne suis qu’une coquille vide d’intérêt…

Une simple valise, deux trois effets. Une note manuscrite avec un cœur enfantin pour la signer.
Sylvia s’en va sur la pointe des pieds…

"Tu vas être papa !"

Toute la journée Sylvia a réfléchi comment le lui annoncer. Elle opte néanmoins pour la simplicité. Un constat cru, sans fioritures ni joie démesurée. Ce matin même, devant les deux bandes bleues la future maman s’était s’était sentie vaciller. Son corps frêle avait longé, centimètres par centimètre la faïence aussi blanche que son teint délavé. Si quelques secondes avant elle était désœuvrée, c’est la panique tout entière qui vient la faucher. En arrivant la belle avait prévu de s’inscrire, comme Nyls, à l’université. Elle ne l’a pas fait, prétextant qu’il fallait ouvrir les cartons, s’installer. La vérité est que Sylvia a de plus en plus de mal à se lever. Qu’une multitude d’images et de souvenirs intrusifs gâchent ses journées. Que sa famille lui manque à en crever. Elle s’applique Sylvia la déracinée, à ne rien laisser paraître aux yeux de l’être aimé, et ses efforts sont essentiellement consacrés à être un peu plus légère une fois qu’il est rentré. Pourtant l’oubli du contraceptif est encore une manifestation du syndrome post traumatique qui fane petit à petit la rose flétrie !

Luna née le 15 novembre, sous un ciel blafard en début de matinée. La "délivrance" laisse une Sylvia sur le carreau, affaiblie, anéantie… va-t-elle se relever ?!

"JE. TE. HAIS. "

Les années ont passées. Malgré la difficulté à apprivoiser la maternité Sylvia s’est appliquée à devenir une maman concernée. Une parfaite femme au foyer. Jamais rien ne dépasse dans la jolie maison qu’ils ont réussi à acheter, une bâtisse dans l’Ouest de la ville, son havre de paix.
La paix pour Sylvia est un concept de plus en plus éloigné.
Aigrie de ne s’accomplir qu’aux travers de tâches ménagères, elle est intransigeante désormais inflexible. Rigide. Même quand elle a appris le décès de sa sœur cadette et n’a pas voulu recueillir sa nièce. Hope. Qu’elle ironie de s’appeler ainsi alors qu’on perd si jeune les deux piliers de sa vie !
Elle ne veut plus souffrir Sylvia, inviter l’imprévu au sein même de son refuge, son abri et a argué devant son mari que c’était exposer leur fille à des risques inutiles… ce à quoi il a acquiescé pragmatique. Nyls a largement abandonné, et ce depuis de nombreuses années, les tracas et autres aléas quotidiens, délégué à son épouse le soin de s’en occuper pour ne se concentrer qu’à son métier. Bien sûr il est toujours ravi de rentrer chez lui. De retrouver les deux femmes de sa vie. Tout coule toujours de source, le moindre détail de la vie domestique est considéré avec minutie. Une minutie qui rime de plus en plus avec la folie…
Calfeutrée dans son salon douillet Sylvia joue nerveusement avec son alliance, le regard perdu dans le vide. De temps en temps elle tourne la tête vers l’horloge fixée au mur. Elle attend l’heure sacrée où elle pourra boire son premier verre de gin. D’habitude c’est en début de soirée qu’elle se sert son élixir mais aujourd’hui la tacite promesse qu’elle s’est faite oscille. Son précaire équilibre titube, chancelle, hésite. Combien de temps tiendra-t-elle encore sa barque à flot ? Combien de temps encore restera-t-il ? Luna a grandi, elle vieilli, sans compter qu’il doit rencontrer fréquemment de nouvelles tentatrices, plus jeunes, plus belles, plus intelligentes et surtout plus intéressantes ! Qu’à t’elle a lui raconter à part "qu’est-ce que tu veux manger" ou "Luna à un match de football, tu pourras y assister ?"
Quand Nyls passe finalement le seuil, tard, ce soir-là, la bouteille est déjà bien entamée. Elle l’accuse ouvertement de la tromper, implicitement de la délaisser. Son calme apparent, une négation qu’elle n’arrive plus à supporter, lui ordonne de claquer la porte, de se sauver !

FUIR cette vie à tout jamais…

À peine éclaboussée par l’orage qui gronde Sylvia ouvre furieusement sa portière, met le contact plein gaz et fait marche arrière. Les pneus crissent sur la chaussée. La pluie diluvienne qui s’abat impitoyablement sur son pare-brise, ses larmes qui brouillent un peu plus son champ de vision, la colère enfin exprimée !

Le néant pour toute liberté…

Je ne sais pas que j’ai dormis cinq longues années. Je ne sais pas ce qu’a engendré ma propre décision de prendre le volant en état d’ébriété. Jute que je suis à l’hôpital et que mes membres refusent de bouger…