Elle a jeté sa bouteille à la mer et quelqu'un l'a récupérée. Une petite annonce, un job de serveuse. Elle l'a déjà fait au black, plus jeune, cherchant à retourner dans la légalité. Elle a bien aimé l'ambiance, les va-et-vient incessant entre le comptoir et les clients. C'est la seule chose qu'elle a envie de faire à nouveau, depuis qu'elle est sortie de prison. Son conseiller pour sa réinsertion l'y a poussé. Elle a pu être accompagnée sur la rédaction de son CV alors elle est prête. Elle s'est garée y'a bien une heure avec son van sur le parking, n'ayant rien de mieux à faire que d'explorer le coin et la voilà qui pousse les portes à 17h, comme demandé par son potentiel employeur. Elle porte une chemisier vert, une pantalon noir et des bottines à talons. Maquillée de manière discrète, boucles brunes lâchées autour de son visage déterminée à reprendre le contrôle de cette nouvelle liberté. Elle va vers le bar, trouvant quelqu'un. « Je suis Teresa Vidal, je viens pour un entretien d'embauche. » Elle dit d'une voix un peu morne, restant bien droite, son CV dans les mains. Pas de chance, quand elle est nerveuse elle est encore plus froide. Elle espère que ça ne jouera pas contre elle cette fois.

On dirait qu'elle est bien tombée. Le gars à qui elle s'adresse lui dit qu'il l'attendait. C'est bien lui qu'elle a eu au téléphone et les iris couleur encre détaillent un peu plus en détail le visage fort et la stature imposante. Elle prend sa main et vient la serrer, ajoutant sobrement. « Enchantée. » Il lui demande d'aller un peu plus loin, sur une table au calme alors que les employés sont en train de remettre la salle en ordre. C'est grand, vintage mais l'endroit dégage quelque chose qui plaît à Tessa. Un je ne sais quoi qui lui indique qu'elle est tombée au bon endroit. «  A boire ? » Dit-elle en comprenant qu'il veut lui commander quelque chose. Mince. Elle n'a pas eu l'occasion de boire depuis si longtemps… La tentation est folle mais elle sait qu'elle ne doit pas retomber dans ses travers. Elle pense vodka orange mais sa bouche dit plutôt.  «  Un jus d'orange merci. »

Il n'y a pas là spécialement une volonté de se faire bien voir. Si ? Teresa se lance dans sa nouvelle vie, ses nouvelles habitudes. Ce qu'elle consomme doit être à l'image de tout ça. Elle a une idée en tête très simple mais qui l'aide à tenir le choc : elle ne deviendra jamais comme sa mère. Addicte dépravée qui a pourri toute son existence. Voilà qu'il indique ne pas s'occuper des entretiens d'ordinaires et elle acquiesce, comprenant qu'il ne soit pas à l'aise dans l'exercice. Elle tend la feuille qu'elle a gardé en main. Il y a un trou béant sur les dernières années, avec simplement marqué le diplôme qu'elle a repassé et obtenu. Le petit job qu'elle a pu faire en tant que cantinière… Car même en prison, on peut contribuer au bon fonctionnement de sa communauté. Ça l'aidait à faire passer le temps plus vite surtout. Il parcourt ce vide et les quelques phrases que tu as rassemblé numériquement grâce au gars de la réinsertion qui s'occupe de toi. Puis sa question tombe et elle comprend que ça va être à son tour de parler.

Instinctivement, elle se tient droite, les poings sur les cuisses, cherchant ses mots en détournant le regard vers ceux qui installent la scène. Le va-et-vient des gens occupés l'aide à se calmer. « Drôle de question. » Dit-elle avec une petite moue. Ni méprisante, ni déçue. Juste, elle est prise de court. « Je ne suis pas douée pour parler de moi, mais autant mettre les pieds dans le plat et je comprendrais que vous me reconduisiez à la porte. » Elle ne passe pas par quatre chemins. C'est ces mots-là qui ont hanté tout son trajet jusqu'ici. Elle sait que les chances sont maigres mais elle se voit mal cacher la vérité. Aussi terrible soit-elle. « Je sors de cinq ans de prison, m'sieur. Ce boulot, ce serait un moyen de retrouver une vie normale. Serveuse, je l'ai déjà fait et j'ai bien aimé. Le temps passe vite, on vient alléger le quotidien de ceux qui viennent consommer. C'est un endroit plein de vie, de rencontres aussi qui m'a laissé un bon souvenir.  » Elle le regarde dans les yeux un instant, avant de fuir à nouveau ce qu'il pourrait bien penser d'elle.

« J'suis toujours ponctuelle et je ne rechigne pas à faire des heures supplémentaires au besoin du moment que je peux avoir une paie décente pour vivre, ce serait un bon début déjà. » Terre à terre, elle ne veut pas jouer sur la pitié ou quoi que ce soit. Elle énonce les faits et garde la tête haute. « Je ne sais pas ce que vous voulez savoir d'autre. » Enfin, parmi les tâches de rousseurs, un début de sourire se dessine sur les lèvres pulpeuses. Un brin d'espoir. Aussitôt évanoui. « Il ne me manque plus que de croiser quelqu'un d'assez fou pour m'embaucher sur ce maigre discours. »