Quand il est question d'amour, il y a toujours des tas de choses à raconter !

Plus tôt dans la semaine, j’ai envoyé un message à Nyls pour qu’on puisse se voir. Il faut dire qu’avec nos emplois du temps très chargés, nous n’avons pas eu l’occasion de nous voir ces dernières semaines. En plus, j’étais en dehors de Monterey, pour un tournage d’un épisode pilote d’une nouvelle série qui pourrait trouver preneur dans les semaines à venir. A condition que ledit pilote soit approuvé. Du coup, j’suis rentré de Los Angeles un peu plus tard que prévu et je n’ai malheureusement pas pu passer les fêtes de fin d’années avec ma famille. Nyls ne m’en a pas tenu rigueur. Mais depuis que j’ai appris ma paternité il y a quelques mois, je suis surtout très très déçu de ne pas avoir été présent pour le premier Noël de ma fille, Carla. Tout ce que je peux faire à présent, c’est rattraper le temps perdu, du mieux que je peux.

Comme aujourd’hui, par exemple, où je me suis transformé en papa super cool quand j'ai demandé à la mère de Carla si je pouvais la garder quelques heures. Elle n'a pas été contre, la jeune maman pourrait ainsi dormir un peu. Carla est née le mois dernier et j'imagine qu'elle doit manquer cruellement de sommeil. J’ai donc emmené le sac de couches, les biberons, le carrosse de ma princesse… Et évidemment, on n’oublie pas le plus important ; le nourrisson!!! En détachant Carla de son siège auto, je la cale au creux de mes bras, récupère le sac à dos contenant toutes ses affaires et me dirige devant la grande bâtisse qui se trouve juste devant moi. L’imposante demeure de mon cher cousin m’a toujours un peu déstabilisée tandis que je vis dans un petit loft bien tranquille et sûrement pas tape à l'œil. J’pourrais, avec mon salaire, me faire plaisir mais c’est pas dans mes gênes. Des fois, j’me dis que Nyls cherche surtout à prouver quelque chose, ou simplement montrer qu’il s’en ait juste bien tiré malgré la vie merdique qu’on a eu… Et à juste titre, je dirais.

Je frappe et entre immédiatement. Je m’annonce, cependant :

Nyls ? Tu es là ? C’est Ezio… J’arriv…

J'interromps ma phrase lorsque je le vois débouler dans l’entrée. Tout sourire, je rétorque :

Ouais, j’suis venu accompagné, ça t'embête pas ? Une jolie fille pareille, ça ne se laisse pas à la maison, tu approuves ?

Blague à part, évidemment. Sa mère prend du repos, pendant que moi, jeune père, pouponne. Nyls est père lui aussi, et je commence à comprendre ce que ça fait, d’avoir une personne qu’on aime plus que soi dans la vie.

Codage par Libella sur Graphiorum

Quand il est question d'amour, il y a toujours des tas de choses à raconter !

Nyls Norwood, seul dans son immense et clinquante maison, ne sait pas quoi faire ni même à qui s’adresser pour soulager sa peine. L’ennui le guette, la solitude rôde autour de sa pauvre carcasse. Il est… piégé.
Voilà donc l’affligeant constat que je fais en cette charmante matinée, tout en sirotant distraitement une tasse d’expresso bien serré, assis sur l’un des tabourets hauts du bar de ma spacieuse cuisine.
Pourtant, je sais qu’il ne reste qu’une poignée de minutes avant que je ne sois rejoint par Ezio, ce membre de ma famille que je considère comme l’homme le plus important de ma vie. Bien trop de temps s’est écoulé depuis notre dernier tête à tête et je dois avouer que je suis plus qu’impatient de le retrouver. Évidemment, nous avons entretenu le lien grâce aux merveilles modernes, les réseaux sociaux, la technologie. Mais rien ne vaut le plaisir de pouvoir le serrer dans mes bras, de croiser son regard si pétillant et déterminé. Je possède bien trop de fierté pour le reconnaître, mais j’ai besoin de lui. De son soutien, de sa lucidité, de sa prise de recul sur ma situation, qui, en résumé, est pitoyable et angoissante à souhait.
Ma femme Sylvia, plongée dans le coma depuis des années après un accident dramatique où elle a causé la mort d’une adolescente, s’est réveillée, il y a quelques semaines. Comme ça, en un claquement de doigt. Prisonnière d’un monde en suspens entre celui des vivants et celui des morts, elle a fini par retrouver cet élan de vie, cette force surhumaine pour nous rejoindre, nous, les êtres humains peuplant avidement la planète. Et elle retrouve en quelque sorte sa place naturelle, elle reste ma femme et… la mère de Luna, notre fille chérie.
Penser à la seconde femme de ma vie me tord le ventre, encore plus intensément, si seulement cela est davantage possible. Je ne peux résister plus longtemps, mes paupières se ferment et une larme roule le long de ma joue pour terminer sa course sur un de mes poings serrés. Mon statut de père m’a toujours profondément caractérisé, voilà donc pourquoi je suis autant touché d’être aussi distant avec elle désormais. Luna, ma fille unique et adorée, est devenue le centre de mon univers à la seconde où elle est venue au monde. Et jamais, ô grand jamais, je n’aurais imaginé que nous allions en arriver à cette piètre relation…
Je sursaute quand j’entends un coup contre la porte, suivi d’une entrée rapide de mon cousin, dans la maison. Je ne suis pas surpris, il sait très bien qu’il peut y circuler comme bon lui semble, il est chez lui, ici. Bondissant de mon siège, je fais quelques pas élégants dans sa direction, remerciant le ciel de ne pas avoir été surpris en plein moment de faiblesse et me racle la gorge afin de le saluer comme il se doit:

Ez… Ezio, dis donc, mais quelle merveilleuse surprise.

Mon ton pompeux ne réussit pas à cacher l’émotion grandissante qui me gagne. Plongé dans des souvenirs anxiogènes, je suis bouleversé en constatant la présence de ce petit être vivant, niché dans ses bras. Lorsque je pose le regard sur ce nourrisson, son arrivée sur Terre ne datant que d'une poignée de semaines, je ne me retiens pas longtemps et je finis par sourire, attendri par cette vision pleine de promesses.
Un enfant, c’est la vie, l’avenir, l’espoir et l’amour à l’état pur.
Posant une main rassurante sur l’épaule d’Ezio et lui offrant un sourire spontané, je hoche la tête et lui confirme, très assuré:

Tu as très bien fait, au contraire. Cela fait bien longtemps que je ne me suis pas occupé d’un bébé mais après tout, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas, n’est ce pas?

Nouvelle contraction dans ma poitrine quand je pense, évidemment, à Luna. Qu’il est loin le temps où elle n’était qu’un bambin, où nous composions, avec sa mère, une famille heureuse, épanouie et sereine…
Sylvia.
L’autre prénom de celle qui hante mon esprit depuis des semaines. Je suis partagé entre le soulagement que cette situation connaisse enfin un tournant et frustré de ce qu’il engendre.
Mais aujourd’hui, je dois évacuer ces tensions et me concentrer sur l’essentiel: mon cousin, que je considère comme un frère, et sur son adorable petite fille qui n’a pas réclamé un oncle aussi ronchon.
Et puis, sans prévenir, le bruit familier de ma sonnerie de téléphone vient interrompre les gazouillis réconfortants de ce bébé atrocement mignon. Extrêmement contrarié de ce dérangement, j’attrape brutalement mon smartphone, pour y voir apparaître le numéro de la chambre d’hôpital de ma femme, que je connais par coeur à cause de ses (trop) nombreux coups de fil. Sans hésiter une seule seconde, je rejette l’appel et m’accorde même le luxe de poser mon smartphone sur le guéridon le plus éloigné du salon, là où nous nous sommes installés confortablement.
Nyls, tu as beau tout faire pour tenter de contrôler la situation, tu perds pied, tout simplement.
Levant les yeux vers Ezio, je finis par lâcher, faisant preuve d’un impressionnant self contrôle:

Bon… Un café, peut-être? Et ensuite, on… on pourrait juste… parler…?

Le comble pour un psychologue, n’est ce pas?
Ne plus savoir par quel bout prendre un problème insoluble et croyant dur comme fer qu’il finira par disparaître en se contentant de l’ignorer…

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Quand il est question d'amour, il y a toujours des tas de choses à raconter !

On ne peut pas dire que tout soit facile ou évident en ce moment. J’ai appris, il y a quelques mois, que j’allais devenir père et que la femme qui portait l’enfant, et bien… je n’en suis pas du tout amoureux. Elle est adorable, c’est une femme vraiment intéressante mais… non, je n’ai aucun sentiment pour elle. De plus, elle s’est retrouvée enceinte à notre première rencontre alors c’est un peu difficile pour moi, d’apprendre à la connaître en si peu de temps. Vivant à l’autre bout de la ville, je m’efforce d’être présent, ces dernières semaines, depuis la naissance de Carla pour l’aider un maximum. Elle le sait, je ne vivrais pas avec elle ou inversément. Le test de paternité à bien révélé que j'étais le père biologique de cette magnifique petite fille et je ne suis pas du genre à ne pas assumer mes actes. Bien au contraire ; la vie que j’ai eu m’a poussé à toujours faire de mon mieux, que ce soit pour moi ou pour les autres. Le climat de terreur dans lequel j’ai vécu m’a créé de nombreuses angoisses toutes ces années mais je tiens à dissocier cette mauvaise vie avec la nouvelle que je débute, depuis que Carla est venue au monde.

Avec Charlie, nous n’avons pas vraiment abordé le sujet de cette nouvelle petite vie dans la mienne. On s’en tient aux échanges de bases mais sans plus. A vrai dire, je ne sais pas du tout comment l’aborder. Je ne sais pas si je dois lui forcer la main pour qu’elle me livre ses plus sombres pensées parce que tout ce que je sais,, vis-à-vis de mes propres ressentis, c’est que je suis déçu. Je suis déçu qu’elle n'ait pas été la première, celle qui fait de moi, un père. Aujourd’hui, j’en suis un et je suis le plus heureux des hommes. Mon rêve s’est réalisé, de manière impromptue, et si soudaine mais ça n’enlève en rien mon rôle ni mes responsabilités que je prends avec plaisir. Je me montre très disponible pour la mère de l’enfant, et tout ce dont elle a besoin la concernant et bien, je fais en sorte qu’elles ne manquent de rien. Pourtant, j’aurais toujours en moi, ce sentiment de ne pas avoir réussi, dans mon mariage. Un putain d’échec que j’ai toujours en travers de la gorge, même après deux ans. Il y a peu, je n’arrivais pas à voir mon avenir sans Charlie à mes côtés. Aujourd’hui, c’est différent. J’ai Carla et elle devient le centre de mon univers tout entier. Je suis certain d’accomplir de grandes choses, grâce à ma jolie petite fille.

Et je suppose assez vite qu’en arrivant chez Nyls, il ne s’imaginait pas une seule seconde que je débarquerais avec le bébé. Mais il est temps qu’il rencontre la chair de ma chair, hein ? J’suis tellement fier que je pourrais la présenter au monde entier tel Rafiki qui soulève le jeune lionceau, sur le rocher des lions. Ouais, j’connais mes classiques, vous savez ! Et dans quelques années, c’est ma fille qui les connaîtra !

Alors là, je ne sais pas. Je suis encore très gauche, je l’admets. Je sais jamais dans quel sens mettre la couche, mais ça viendra, hein ?

Je ris, mais dans mes yeux, Nyls peut y lire la panique. Pour dire vrai, c’est la première fois que sa mère me la laisse plusieurs heures. J’aie eu droit à quelques directives pour le bien du bébé et pour me faciliter la tâche étant donné mon manque d’expérience dans ce domaine mais mon cousin est là, pour m’épauler, c’est ce que je me dis. Son téléphone se met à sonner mais l’agacement se fait sentir immédiatement. Si je ne connaissais pas mon cousin comme un frère, je crois que je laisserais couler mais je sais dors et déjà que quelque chose ne va pas. Je sais qu’il vit pas mal de chamboulements, ces derniers temps. A nous deux, on fait la paire pour dire ! J’expire par le nez, tout en déposant les affaires du bébé dans le coin du canapé sur lequel nous nous sommes installés, Nyls et moi. Carla toujours dans le creux de mes bras, je décide de la caler confortablement sur la méridienne, entre quelques gros coussins. A son âge elle ne bouge pas beaucoup, alors je sais qu’elle ne risque rien, mais au cas où, je préfère être prudent. Je fais un signe de tête à Nyls :

— Je veux bien un thé vert, si tu en as.

Je ne bois généralement pas de café, ailleurs que chez moi. Je n’en bois qu’une seule sorte qu’on ne trouve pas facilement, et je ne voudrais pas que mon cousin pense que je suis difficile. Bon, c’est peut-être le cas, mais je suis comme ça, que voulez-vous ? Je sens qu’il a besoin de parler et je suis là pour écouter. Les traits sur son visage ne mentent pas. Il est tourmenté. Tourmenté au point de sentir son éventuelle perte de contrôle. Et tandis qu’il a rejoint la cuisine, je viens me poser contre le chambranle de porte après m’être assuré que Carla ne risquait rien, au salon. Elle dort à point fermés.

Il s’agit de Sylvia, n’est-ce pas ?

Faisant référence à l'appel qu’il a rejeté quelques instants plus tôt, je peux lire en lui comme dans un livre ouvert. Sylva est sa femme depuis de nombreuses années et depuis le terrible accident qui a couté la vie d’une jeune adolescente, tout à changé. Et avec raison. ça change une vie, ce genre de tragédie. ça détruit des vies aussi, et Nyls… qu’en est-il de lui, dans tout ceci ?

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Quand il est question d'amour, il y a toujours des tas de choses à raconter !

La première chose qui me vient à l’esprit tandis que j’observe Ezio agir avec précaution envers sa progéniture, c’est qu’il ne réalise pas la chance qu’il a. Et surtout, à quel point le temps va filer à toute vitesse aux côtés de sa fille. Bien entendu, mon regard est attendri, je suis très ému de voir l’homme que je considère comme mon frère se comporter avec autant de tendresse. Je sais à quel point son rêve de devenir père était important, qu’il comptait bien se réaliser avec ce nouveau rôle. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il lui va comme un gant et qu’il promet d’être un père formidable. Il devait certainement s’imaginer avancer dans la vie aux côtés de Charlie, son ex-femme, et en faire la mère d’un bébé qu’ils auraient eu tous les deux. Mais je suis bien placé pour le savoir, parfois, rien ne se passe comme prévu. Moi qui ai toujours considéré comme acquis la fabuleuse relation que j’avais avec Luna, voilà que nous nous comportons désormais comme des étrangers. Et cela me brise le cœur, littéralement. Ce dernier était plus que mis à mal ces derniers temps, je commence à m'essouffler, à ne plus pouvoir entretenir l’espoir fou qu’un jour les choses s’arrangeront entre nous. Ce qui est encore plus affligeant, c’est de dévorer cette scène pleine de tendresse entre Ezio et sa jeune fille et de me rappeler que j’ai vécu cette faste époque. Mais à présent, elle n’existe plus.
Depuis cette fameuse nuit, tout a basculé, dans mon existence. Tout a été retourné, chamboulé, plus rien n’a de sens. Et malgré mon calme légendaire, ma formidable capacité à sans arrêt relativiser, mon regard se trouble et je n’arrive plus à avancer. J’en suis au point d’oublier à quel point Ezio est difficile avec les marques de café, c’est pour dire! Ma proposition n’était qu’un simple réflexe, je ne me vexe pas tandis qu’il me soumet un autre choix et tape dans mes mains, osant même lui lancer un clin d’oeil complice tout en ajoutant:

Va pour le thé vert, dans ce cas!

Je m’active afin de lui préparer la boisson chaude qu’il m’a demandé et cela me permet, honteusement, de me défiler. Une fois en cuisine, la bouilloire rempli et posé sur les feux de ma gazinière, je prends le temps de souffler, de mettre de l’ordre dans mes idées. Ce coup de fil que j’ai esquivé m’inspire un profond embarras ainsi qu’une inhabituelle panique. Que faire, à présent…? Rappeler le fameux numéro? Non, je préfère être seul et isolé pour cela. Et… Et tandis que les centaines de questions s’entrechoquent dans mon esprit, je sens la présence de mon cousin, non loin de là, et entend sa question, qui claque dans l’air, tel un coup de fouet. Comment ai-je pu penser une seule seconde que j’allais pouvoir tromper Ezio, l’homme qui me connaît le mieux dans ce monde triste et plus que cruel...? Au pied du mur et n’ayant aucune envie de lui mentir, j’opine du chef, déverse l’eau brûlante dans une tasse, attrape la boîte de thé vert en vrac tout en passant à table, littéralement et métaphoriquement parlant:

Oui, il s’agit de Sylvia. Elle… elle s’est réveillée, Ezio. Je sais, c’est parfaitement incroyable et complètement dingue de le dire à haute voix… Mais c’est la vérité. Ma réalité.

Je termine ma tirade par une longue expiration. Et pour la première fois depuis des semaines, voir des mois, mes épaules s’affaissent. Gestuel qui m’échappe, voilà donc le signe que mon corps ne peut plus supporter bien longtemps ce revirement de situation. La nouvelle est bien trop intense pour être minimisée, je ne peux plus me contenir, je n’ai plus suffisamment de force. Alors, attrapant ma minuscule tasse dans laquelle je me suis préparé un expresso très serré, je baisse une nouvelle fois le regard, déboussolé et j’ajoute, la mort dans l’âme:

Et je ne sais pas quoi faire, Ezio. Elle ne se souvient pas, on dirait… Je dois lui annoncer que… que…

Non, Nyls, c’est trop. Même pour toi. Alors, enfin, au bout de cinq longues années de contenance, je finis par craquer. J’éclate en longs mais silencieux sanglots, n’oubliant pas qu’un nouveau né cherche le sommeil, sur le canapé, dans l’autre pièce.
J’ai eu beau chercher, durant ces centaines de nuit, je n’ai jamais réussi à trouver le repos… Et ma déchéance ne fait que s’accentuer.
Mon frère, tu es le seul avec qui je peux me comporter ainsi. Pardonne moi mais je n’arrive pas à entretenir cette mascarade une seconde de plus, le rideau s’abaisse et je ne connais plus ma réplique, je me retrouve plongé dans le noir, désépéré, acculé…
Tu peux enfin me voir tel que je suis. Pardon, Ezio…

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Quand il est question d'amour, il y a toujours des tas de choses à raconter !

Nyls n’a pas à faire semblant avec moi. Il n’a pas à me mentir ni à me cacher la vérité. Je peux lire en lui comme dans un livre ouvert et l’appel qu’il a rejeté quelques instants plus tôt me fait comprendre qu’il s’agit de Sylvia. Qui d’autre que sa femme pour le perturber ainsi ? C’est comme ça depuis des années et rien… rien n’a changé. Ou si, peut-être mais je ne mesure pas encore l’étendue de la situation. Je le rejoins, à l’entrée de sa cuisine, tandis qu’il fait bouillir l’eau pour le thé que je lui ai gentiment demandé. Un rapide coup d'œil en direction du salon pour m’assurer que Carla ne risque rien, entourée de coussins, tel un fort pour la protéger.

Sylvia. Il y aurait tellement de choses à dire à son sujet. Avant tout c’est la femme de mon cousin et ce, depuis de très nombreuses années. Ils ont vécu des hauts et des bas, mais c’est ça le mariage. Nos sentiments sont mis à rudes épreuves et j’en sais quelque chose. Avec Charlie, c’est un bordel sans nom, il faut bien l’avouer. On a été marié quelques années, on a eu de bons moments c’est vrai mais il y avait quelque chose qui manquait à l’époque. Peut-être que nos sentiments n’étaient pas totalement en phase ? Il faut dire qu’on a surtout fait plaisir à nos familles respectives, en nous unissant. Il m’a fallu un moment, avant de me rendre compte que je tombais amoureux d’elle. Sans doute que ce n’était pas réciproque, parce que les enfants ont été surtout l’excuse pour mettre un terme à notre relation. Notre mariage n’est maintenant plus que de l’histoire ancienne et parfois, je me surprends à y repenser. A me demander ce qu’il se serait passé, si j’avais agi différemment avec elle ? Est-ce qu’on serait encore marié, tous les deux ? Enfin… nos récents tête-à-têtes me laissent un peu dans le trouble, je l’admets. J’ai bien envie d’en parler avec Nyls, mais visiblement, il est tout aussi chamboulé que moi alors on va plutôt éviter et se concentrer sur une chose à la fois. Et là, il s’agit de mon cousin. Et de cette surprenante nouvelle qui m’en bouche un coin. Bouche-bée, je l’écoute me raconter sa drôle de réalité. Après presque six ans dans le coma, sa femme se réveille et ça change tout. Je pense à mon cousin et son mariage puis cette femme qu’il a rencontrée… Je pense à sa fille qui doit rattraper le temps perdu avec sa mère… Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant pour elle ? Va-t-elle devoir répondre de ses actes ? La justice n’est jamais loin et j’avoue que là-dessus, je ne sais quoi penser… Une mère a perdu son enfant et Sylvia en paie le prix. Y’a rien d'autre à dire.

Et il semblerait que Sylvia ne se souvienne de rien. Je retrouve un Nyls désemparé. Un Nyls qui souffre comme le jour de l’accident. J’ai ramassé mon cousin à la petite cuillère quand il a compris l’ampleur de la situation. Quand sa femme a décidé de faire le pire mauvais choix de toute sa vie. Malheureusement, ce n'est pas qu'une seule famille qui en subit les conséquences et le voir s’effondrer de nouveau, à quelques années d’intervalle, m’interpelle. Je ne réfléchis pas, je m’approche de lui, passe mes mains dans son dos et l’attire contre moi.

Allez mon vieux, vide ton sac. J’suis là pour toi.

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Dans une autre vie, j’aurais reçu mon cousin, que je considère comme mon frère, aux côtés de Sylvia. J’aurais réussi à lui faire renoncer à l’alcool, elle aurait pris le temps de se soigner afin de sourire à la vie, comme avant. Luna serait dans le jardin, occupée à jouer avec Freya, son adorable fille. Et les rires, les sourires, la joie auraient empli l’atmosphère, la rendant étouffante de bienveillance et d’amour.

Dans une autre vie, tout aurait été tellement plus simple.
Mais cette vie n’est pas la mienne. Plus maintenant.
Et je dois faire face à la cruelle vérité qui s’impose dans mon quotidien.

Je ne suis pas aussi seul que je le prétend.
J’oublie, à tort, qu’Ezio sera toujours présent pour moi. Il a toujours été question de soutien, entre lui et moi. Malgré l’horreur de notre enfance commune, des drames avec lesquels nous devions composer, par la force des choses, notre lien n’a jamais connu la moindre fêlure. Et ce n’est pas aujourd’hui que je dois me mettre à douter de notre relation.
Le contact de sa main contre mon dos, l’écoute de ses paroles m’invitant à me confier. Tout cela est trop pour moi, je n’en peux plus. Ne supportant plus cette pression que je n’ai jamais réclamé, je finis par m’écrouler sur un des sièges hauts de la cuisine et je me mets à parler, sans m’arrêter, puisant dans mes confidences une sorte de salut:

Sylvia est réveillée, Ezio, tu te rends compte…? Et ne se souvient de rien. Je vais devoir lui annoncer, lors de ma prochaine visite, l’horreur des conséquences de ses actes, ce soir-là. Et puis, il y a Luna, qui se montre aussi distante que possible. Et pour ajouter une autre femme à la trinité de mes tracas, Shelby, ma patiente, est la mère de l’adolescente tuée lors de l’accident.

Résumer tout cela à voix haute est effrayant. Mon récit ressemble dangereusement à un scénario de film dramatique, du genre que mon cousin aurait pu produire, grâce à son choix original de métier. À cette pensée futile, je ris, bruyamment, avant de me raviser en me souvenant qu’un petit être pur tente de trouver le sommeil, de l’autre côté de la pièce.
Suis-je en train de devenir fou? La raison quitterait-elle mon corps?
Rien n’est moins sûr.
Mais mes confidences ne s’arrêtant pas là, je poursuis avec la plus tragique de toutes:

Et le pire, Ezio, le pire… C’est que Shelby a été ma patiente, durant toutes ces années. Un membre du groupe de parole que j’ai fondé, et au fur et à mesure du temps… Je suis tombé amoureux d’elle. Éperdument.

La teneur de mes sentiments envers Shelby est encore plus forte, tandis que mon regard divague sur un point imaginaire, en direction du mur opposé de la cuisine. Je termine mon café, fini par me lever afin de laver immédiatement ma tasse. D’un naturel maniaque, j’astique, je fais mousser, je rince, je sèche grâce au torchon glissé autour de la poignée du four et je range.
Je mène mon quotidien d’une main de fer. Mais le gant de velours n’est jamais loin.

Ezio, je t’en supplie, dis quelque chose. Donne moi ton avis, mon frère, sur cette situation atroce.
Ezio, je t’en supplie, dis moi que tout cela va s’arranger.
Et que je ne suis pas plongé dans le plus atroce des cauchemars…

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Nyls est littéralement parlant, piégé dans une gigantesque toile d'araignée. Mille possibilités, mille tracas. Mille solutions, sans doute mais au centre de cette soie méticuleusement tissée, réside la plus effroyable des arachnides de tous les temps. Elle observe, attend patiemment que sa proie s’entremêle. Elle attend patiemment de pouvoir déverser son paralysant, pour mieux la contrôler. Et quand Nyls sera imcappable de bouger, elle sera là pour le dévorer.

Tout ce que je ne veux pas, alors qu’il est assailli par la peur, l’incompréhension, la peur aussi. Nyls, mon cousin, mon frère tant aimé, je suis là pour toi, sache le.  Je ne t’abandonne pas au pire moment de ta vie. Je ne le pourrais jamais. Nous avons tant vécu tous les deux, des bons moments, mais souvent les pires. Et c’est dans les pires moments de notre enfance que nous avons su comment se soutenir l’un et l’autre et à comment devenir plus forts, ensemble.

Et aujourd’hui, nous serons fort à deux. Mes tracas semblent tellement minimes à côté des siens. Je suis confus dans mes sentiments pour Charlie, après ce restant de nuit, que nous avons passé tous les deux. Je réfléchis encore à comment aborder le sujet avec elle, tandis que mon cœur se serre dans ma poitrine face aux tourments de mon cousin. Et pour pouvoir me démêler sa toile, je résume comme je peux, dans ma tête : Sa femme s’est réveillée après un long coma, sa fille est aux abonnés absents. Il est tombé amoureux d’une patiente, sans oublier que celle-ci est la mère de l’enfant que sa femme a tué, le soir de l’accident.

J’inspire profondément. C’est un choc, bien évidemment. Malgré l’horreur de la situation, je retiens qu’il y a toujours l’espoir qui vit en lui. Alors certes, je ne veux pas paraître insensible mais trouver la force d’aimer quelqu’un alors qu’on vit véritablement l’horreur depuis des années, c’est quand même encourageant ? Je ne dis pas que c’est sain, mais je crois que tout n’est pas perdu. Sans mot dire, je le regarde faire ces gestes anodins du quotidien. Nyls a toujours eu l’esprit vif, maniaque et chaque chose était toujours parfaitement à sa place. Encore aujourd’hui. Tout est impeccablement rangé, rien qui sorte de l’ordinaire, rien qui dépasse. Tout est clean, chez lui. Mais j'ai aussi connu le laisser aller chez mon cousin. Quand sa femme buvait mais aussi après qu’elle ait eu cet accident… tout était presque à l’abandon. Il était acculé, en plein déclin. Et puis un jour, il s’est levé et il a repris le contrôle. Aujourd’hui, je remarque qu’il ne retourne pas dans ses travers. Il pourrait, vu le contexte, on ne pourrait pas le lui reprocher. Certainement pas moi mais non, tout est à l’ordre, comme d’habitude.

Tu trouveras les mots qu’il faut, j’en suis sûr.

Je décide de m’approcher de lui, alors qu’il essuie ses mains à l’aide du torchon à vaisselle. Je le lui prends des mains tout en prenant appui contre le comptoir de sa cuisine. Il faut que je lui demande. Je me racle la gorge et pose le torchon sur le plan de travail avant de me lancer ;

Est-ce que tu es réellement amoureux d’elle ou c’est simplement parce que te sens coupable de ce que ta femme a fait ?

Nyls a le cœur sur la main. Il peut paraître très hautain, aux premiers abords mais c’est une personne extrêmement généreuse qui ferait tout, qui donnerait tout, pour venir en aide à quelqu’un. Il suffit qu’on lui demande un coup de main et il est le premier à dire oui ! Et ça ne m’étonnerait pas du tout, qu’il se sente responsable des choix de son épouse. sans doute qu’il se dit qu’il aurait pu l’arrêter ce soir-là et que sans tout ceci, l’enfant de cette femme serait sûrement toujours de ce monde. on ne peut pas le savoir, en fait. Les circonstances auraient probablement été différentes mais peut-être pas la finalité ? Si ça n’avait pas été Sylvia, ça aurait été quelqu’un d’autre ? Je connais Nyls mieux que quiconque et je suis certain qu’il cherche une forme de pardon, auprès de cette femme. Shelby. Ce n’est pas du tout la même chose. Est-ce qu’il peut me garantir à cent pour cent que ses sentiments sont sincères ?

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On ne choisit pas sa famille.

Ou plutôt, on décide de l’importance qu’elle aura dans notre vie. Je n’ai pas été gâté de ce côté, j’aurais pu me contenter de la relation désolante que j’ai eu obtenu avec mes parents, qui aurait pu me détruire à tout jamais. Pas de sœur, pas de frère… Enfin, sauf quand Ezio est apparu dans ma vie. Je ne lui ai sans doute jamais avoué, éternel pudique dans l’âme, mais je lui dois tellement. Mes plus beaux souvenirs d’enfance, je les ai grâce à lui, notre évidente complicité qui est née lorsque nous n’étions encore que des enfants a été le socle sur lequel j’ai pu me reposer et grâce auquel j’ai pu m’épanouir. Je ne jouissais pas d’une solide confiance en moi-même, mais Ezio, oui. Je n’avais aucune aspiration, mais Ezio, oui. Et quand j’ai eu le courage nécessaire afin de prendre mon envol, loin de Monterey, je n’ai entretenu qu’un seul regret: laisser mon cousin, mon frère, derrière moi.
Mais je savais qu’il s’en sortirait. Qu’il finirait par comprendre mon choix, bien avant de l’accepter. Qu’une seule âme dans ce monde pouvait m’épauler dans ce choix crucial, celui que j’avais choisi d’aimer, bien au-delà des conventions familiales. Il était un cousin, aurait pu rester un simple lien lambda mais ensemble, nous avons décidé de devenir quelque chose de bien plus grand, bien plus beau, bien plus durable.

Oui, il me connaît, sans doute mieux que personne. Voilà pourquoi lorsque la fatidique question fouette dans l’air, je ne produis pas la moindre réaction de surprise. Je ne m’offusque pas pour autant, cligne simplement des yeux et prend mon temps pour lui apporter une réponse que j’ai préparé il y a de cela plusieurs semaines. Une problématique qui m’a longtemps miné le moral, qui a eu raison de ma patience, de mon esprit calculateur et méthodique. Un dilemme étrangement rassurant, qui me conforte dans l’idée que je n’ai pas perdu toute volonté d'analyse. Tout en arrêtant ma vaisselle, observant Ezio sécher les tasses, j’entrouvre les lèvres et réponds, très prudent:

C’est une question que je n’ai eu de cesse de me poser, tu sais…

Oh, non, il ne sait rien. N’a aucune idée du nombre de nuits sans sommeil que j’ai passé, laissant les tourments me tenir compagnie, me priver de ce besoin fondamental. Une réponse? Je n’en ai aucune à lui fournir, je ne suis pas encore prêt à accepter le statut qui me colle désormais à la peau: amoureux de la dernière femme au monde avec qui un avenir est possible. Ne cherchant pas pour autant à me défiler, je finis par avouer, les mains agrippant le comptoir en marbre de la cuisine, le menton penché vers le sol impeccable:

J’ai décidé de lui écrire une lettre, tu sais… Moi qui ne suis pas doué avec les mots, quand il s’agit de ma propre personne. Tu en penses quoi?

L’avis d’Ezio compte, pourrait tout changer, d’ailleurs. Même si ma missive est déjà prête depuis plusieurs jours, je n’ai pas encore trouvé le courage nécessaire afin de la déposer dans la boîte aux lettres de Shelby. Je cherche encore l’impulsion afin d’agir mais je reste à l’écoute, Ezio sera d’excellent conseil, j’en suis certain. Tendant l’oreille afin de m’assurer que son bébé est toujours en plein sommeil, j’ajoute, tapant son épaule contre la mienne, dans une démarche très complice:

Mais bon, tout ne doit pas tourner autour de ma personne. Ezio, et si tu me parlais un peu de toi? Ton nouveau rôle de père te va à ravir, tu sais. Je suis si heureux, toi qui attendait ce changement majeur dans ta vie depuis si longtemps… Mais ce n’était pas possible avec Charlie, n’est ce pas?

On dit que derrière chaque grand homme se cache une femme.
Cette vérité serait-elle toujours d’actualité chez Ezio? Rien n’est moins sûr…

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