tw : jurons, coeur brisé, entre autres.



À quelques minutes de passer à l’an 2024…

Et putain de merde, j’ai oublié mon rouge à lèvres. Fait chier.

Je ferme les yeux, inspire longuement, laissant tomber ma tête en arrière avant de lâcher un ou deux jurons de plus, histoire de bien enfoncer le clou. Putain, j’suis vraiment qu’une conne, parfois.
‘Fin, très souvent, plutôt. Mais vivre dans le déni me conforte depuis si longtemps, c’est comme une seconde nature. Une bulle réconfortante qui m’enveloppe et qui fait de moi une intouchable, une nana fière d’être devenue insensible. Malheureusement, seulement en apparence.
C'est beau de se mentir à soi-même. Si seulement cette mascarade pouvait convaincre mon entourage.

J’croise mon regard dans le miroir de cette salle de bain dégueulasse, où est installée une baignoire bien crade et un siège de toilette qui méritait une désinfection au karcher. Franchement, je me demande encore ce que je fous là… dans ce genre d’appartement minable, à passer une soirée étrange et épuisante moralement parlant. Mais c’est l’histoire de ma vie: Valeria Myers, invitée à une énième fête, à picoler un énième verre, à se poser une énième question sur l’intérêt de la vie et sa profondeur parfois perturbante. J’prends l’alcool comme un échappatoire, les rires gras et les danses suggestives comme un filet de sécurité. Mais en réalité, j’ai sauté sans parachute, et ce depuis des années. Mon existence n’est qu’une longue chute qui me coupe le souffle et j’attends la fin. L’atterrissage. Il risque d’être douloureux mais j’sais pas, j’suis comme anesthésiée. Plus rien ne peut me faire souffrir, j'ai déjà connu le pire...

Cette fête, en l’honneur du Nouvel An, devrait me réjouir. Elle annonce de nouvelles opportunités, j’croise beaucoup de personnes que je ne connais pas très bien, ce qui me laisse l’occasion d’enchaîner les verres, de parler un peu trop vite, de rire un peu trop fort, sans que je sois cataloguée, personne ne me connaît ici, ou presque.
C’est l’avantage de n’être qu’une ombre dans la vie des gens. Et j’peux dire que j’connais ça, d’être une nana qu’on oublie facilement…
Et tandis que je me passe un peu d’eau sur le visage, glacée mais revigorante, je reprends enfin mes esprits.
Allez, Val’, n’oublie pas pourquoi tu as accepté cette invitation. Oublier. Arrêter de te souvenir. Ne plus ressasser.
T’es forte, Myers. Ne laisse pas quelques mots écrits par un connard sans nom, dans un message que tu connais par coeur, te laisser éprouver le moindre doute.

Je sors enfin de ma cachette improvisée, claque la porte tout en soupirant mais je me redresse, récupère un courage que je pensais derrière moi, reprends un verre, une clope, une façade de nana bien dans ses baskets, alors qu’intérieurement, j’suis comme éteinte. Je me faufile à travers un groupe de nanas déguisées en infirmières sexys, pour me retrouver près d’un mec à qui j’avais déjà tapé la discut, plus tôt dans la soirée. Doucement, je souris à nouveau, je me plonge dans l’ambiance, j’reprends mes marques. J’écoute mon interlocuteur avec attention, fronçant des sourcils, vieille habitude que j’ai lorsque je tente de me concentrer. J’pars dans un de ces fous rires, c’est dingue, il est vraiment trop con, ce Brad. Un cousin d’un ami d’une connaissance, le genre de gars que j’aurais jamais eu l’occasion de rencontrer dans d’autres circonstances. Il arrive à faire un bruit bizarre avec sa bouche et moi, à cause de l’alcool, je m’esclaffe comme une pintade, sans même tenter de me restreindre.
À quoi bon… J’aurais tout oublié le lendemain.
Mon verre est vide, alors, j’lui lance, tout en me trémoussant au son de la musique qui passe et en balançant mon gobelet de gauche à droite, penaude:

Ah, j’suis à sec. J’reviens, bouge pas mon chou.

Le temps d’une poignée de secondes, je cherche du regard le bar, finit par le trouver, du coin de l’oeil. C’est bien ma veine, il est de l’autre côté de la salle. Putain, quand est-ce que ma vie cessera d’être un puits sans fond d’exaspération? Pourtant, je n’abandonne pas mon objectif: j’ai besoin de me bourrer la gueule. Sans doute que j’sais plus rien faire d’autre, sans doute que j’aime m’enfoncer dans une solitude protectrice et un comportement qui ne me ressemble pas tant que ça. Les faux semblants sont rassurants, ils m’empêchent de révéler ma vraie nature au reste du monde. Je me faufile, telle une anguille, jusqu’à la longue table et hésite avant de me servir une généreuse vodka orange. C’est pas le meilleur mélange au monde, mais ça a l’avantage d’être efficace, comme cocktail afin de tout oublier.

J’entends le fameux Brad me demander de répliquer, par mon Derby Name, qui plus est. Quelle bonne idée j’ai eu de me pointer avec mon tee-shirt de joueuse de roller derby, franchement… Mais j’avais pas envie de me déguiser en nana désirable. J’avais déjà la flemme de me pointer à cette fête, alors, m’apprêter pour… Je n’en avais plus l’énergie.
Me retournant, mes cheveux virevoltant contre mon dos, j’pensais retrouver le visage rond et boutonneux du fameux Brad.
Au lieu de cela, je croise le regard de celui qui a réussi l’impossible.
Me briser le cœur.
Ce dernier loupe un battement. Trop effrayé à l’idée de se briser à nouveau. Il se recroqueville dans ma poitrine, me supplie de le protéger. De ne pas connaître le même triste sort que la dernière fois. Il pleure, à chaudes larmes. Implore ma pitié.
L’objet de sa peur la plus ultime vient de se matérialiser.
Un fantôme que j’aurais préféré oublié.
Ne jamais rencontré.
Croisé sa route a été la plus belle torture, la plus délicieuse détestation de toute mon existence.

Je me revois, lors de ce foutu concert qui a changé ma vie. Dans la foule, je trépignais d’impatience de me ruer contre son torse, de faufiler mes doigts contre sa nuque, de presser mes lèvres contre les siennes.
Foutue mémoire.
Tu voulais pas faire une exception, ce coup-ci…?
Interdite, n’étant même pas certaine qu’il puisse m’entendre, ayant pourtant l’impression d’hurler ce prénom qui est le pire cauchemar que je n’ai jamais entretenu:

Co… Collin?

Et derrière nous, j’entends l’assemblée, hilare, beuglant ce putain de compte à rebours, nous menant tout droit vers une nouvelle année, riche en promesses, en bonnes résolutions et en magnifiques projets qui se concrétiseront, tôt ou tard.
Et toi, Miss Meteore, ne souhaiterais-tu pas tourner la page, oublier ton passé et te tourner vers un avenir radieux et inspirant?
N’est ce donc pas ce que tu as toujours désiré? Ne te bas-tu pas pour cela, depuis de nombreux mois…?
Bah, c’est raté, on dirait…
Tu reprends une partie que tu pensais avoir laissée de côté depuis des années.

tw : machisme, crise d'angoisse.



À quelques minutes de passer à l’an 2024…

Ce que ça signifie ? Que nous sommes sur le point de débuter une toute nouvelle année. Est-ce que les choses changeront pour autant ? Ce serait mentir de dire que je tiens à changer mes mauvaises habitudes, disons-le ainsi. Ce serait d'avouer que j'suis imparfait alors que, on sait très bien la forte vision que j'ai de moi-même. J'suis pas sur le point de changer ni pour moi, parce que je me conviens très bien comme je suis, ni même pour personne d'autre.

La fille d'la veille, celle que je viens de quitter n'arrête pas de me téléphoner. Elle apprendra bien assez rapidement que l'égoïste flamboyant que je suis n'en a rien à faire de rester en contact avec elle. Pourtant la meuf, Rachel... euh non, Kate ? Ouais.. bah Je l'ai traité comme un connard de première. Avec l'impression que moins j'la traitait bien, plus elle était attirée. Quand j'l'ai amené au resto, je me suis jeté sur la banquette moelleuse alors que j'lui ai laissé la chaise inconfortable. Durant la soirée, j'ai rempli mon verre un nombre incalculable de fois, tout en négligeant de remplir le sien. Et pour couronner le tout, hors de question que j'lui paye le repas. C'est elle qui réclame mon attention après tout,  bah qu'elle paye sa part non ?! Les femmes ont réclamé pendant de trop nombreuses années l'égalité des sexes, alors j'peux bien m'en servir comme excuse. Et puis, sans oublier que j'ai fait de l'œil à la p'tite blonde d'à côté pendant tout le repas. Mais ce n'est même pas le pire dont j'ai été capable cette soirée-là. Évidemment que j'lai ramené chez elle et une chose en entrainant une autre, nous voilà au pire moment de la soirée. Alors que j'prenais littéralement mon pied avec elle, j'me suis mis à lui souffler des phrases bien crues. L'être narcissique que je suis ne faisait que s'admirer dans le miroir pendant qu'on passait à l'acte. C'est bien pour ça que j'comprends pas du tout pourquoi c'est son numéro qui s'allume sur l'écran d'mon portable alors que j'suis en train de me rendre à une fête.

Les festivités battent leur plein.
C'est c'que je pensais. Mais dès que j'ai mis un pied dans la place, j'vous jure que j'ai senti une toute nouvelle ambiance prendre place. Avant que je fasse l'honneur de ma présence, ce fiasco était tout sauf intéressant  ; morose, d'un ennui à s'en ouvrir les veines, manquant de saveur quoi. Manquant terriblement du grand Collin Fraser. Parce que quand j'pénètre dans un endroit, inévitablement, tous les regards se retournent sur ma personne. Je sais tous ce qu'ils se disent ; Enfin, la soirée peut maintenant commencer ! Ça ne prend que ma présence pour apporter une touche huppé à cet endroit plus que crado. Une chance que j'ai l'gout du luxe assez prononcé et l'argent qui vient avec, parce que j'vous jure que c'est pas n'importe laquelle p'tite piquette que j'suis en train de me caler. Nan. C'que j'ai apporté, c'est de la vraie. Rien de moins qu'un champagne à trois cent balles. Faut bien fêter comme il se doit quand on est une vedette tel que j'le suis. Ma musique commençait a avoir un franc succès un peu partout depuis que j'ai signé un contrat avec le label le plus en vogue de Monterey. Ce soir, c'est c'que j'venais célébrer avec mes nouveaux potes. L'annonce de mon nouvel album ! Alors, probablement que mes chansons joueraient toute la soirée. Fallait bien me rendre cet honneur.

Le monde de la fête, c'est mon monde à moi. J'aime pas vraiment partager le spotlight avec qui que ce soit et encore moins devoir m'effacer alors que j'brille de mille feu. Surtout ce soir, j'me sens sur mon X, prêt à livrer mon plein potentiel. J'suis en feu, et tout ceux autour de moi sont là pour me célébrer ! Les bouteilles de champagnes popes de tous les côtés, ne manquant pas d'arroser à profusion la moitié du troupeau de personnes rassemblés autour de moi.
Alors que j'suis entouré par quelques visages que j'ai déjà aperçu, j'me recule pour essayer de respirer un peu dans tout ce vacarme. Y a des tonnes de visages pourtant que j'aurais aimé croiser, à commencer par Caroline ou même Gigi. Même celui de Jer à ce stade, ou celui de Val aurait pu me faire du bien. J'ai l'impression que mon ascension au top c'est fait seul. Et que j'me retrouve bien seul. J'ai besoin de m'éloigner, parce que j'sens une légère crise de panique monter. Ça me prend parfois depuis mon overdose de stupéfiants. Surtout lorsque la majorité des gens qui m'entourent sont des inconnus. On dirait que je ne contrôle plus rien. Mon rythme cardiaque se met à accélérer, suivi d'une grosse douleur qui me prend à la poitrine. J'ai l'impression que j'étouffe, que j'étrangle. J'me détache peu à peu de mon corps. Mes mains deviennent moites, j'suis sur le bord de faire un malaise. Y a juste cette peur qui m'envahit. Celle de perdre le contrôle, perdre la raison, de mourir... J'voudrais pas que mon cœur explose, sorte de ma poitrine alors que j'étais le centre de l'attention il n'y a que quelques minutes à peine. On remarquerait bien trop rapidement ma disparition.  Et comme si j'étais pas déjà en train de dérailler complètement, fallait bien que je tombe sur elle. Valeria Myers. La femme qui berce mes rêves, mais surtout, qui borde mes cauchemars. Pourquoi elle est là ? Qu'est-ce qu'elle fou dans la même fête que moi ? Qui connait-elle ici ? Comme si ce n'était pas assez de mon cœur, maintenant, c'est mon cerveau qui déraille complètement. Même ma vision s'embrouille.
Après toutes ces années sans croiser ce regard. Avant, j'pouvais y lire de l'amour dans ses yeux. Maintenant, j'ai droit qu'à la froideur.
Je sais déjà qu'elle voudra parler. Qu'elle me demandera des explications et qu'elle voudra savoir. Et ce n'est vraiment pas le moment qu'elle me voit comme ça. À mon plus bas.

Val, c'est vraiment pas le bon moment...

Mais y en aura-t-il seulement un moment qui sera idéal pour ça ? Pour se vider le cœur ? Pour enfin se dire ce qu'on a réellement à se dire ?
J'sens que j'suis en train de faiblir. Un affreux vertige me submerge. Je peine à marcher, manquant de m'enfarger, je m'agrippe à son bras.
Mon regard crie, la supplie ; Sauve moi... amène moi ailleurs.
Mais pourquoi le ferait-elle au vu des derniers échanges corsés que nous avons partagés ?

tw : jurons, coeur brisé, entre autres.

C’est pas possible. Putain, c’est pas possible. Non, non, non. Non, non, non. Non. Merde, putain de bordel de merde, NON!
Il ne peut pas être là. Je le refuse, je le crains, je le désire mais je ne l’admet pas.
C’est impossible. Impossible, impossible, impossible. Je me répète ces mots, m’enveloppe de cette négativité qui peut me sauver, qui me permettra sans doute de me sortir de cette torpeur, de cette crispation, de cette torture. Mais c’est peine perdue. Inévitable. Douloureux. Incompréhensible. Une foutue vérité criante qui me coupe les cordes vocales.
La première pensée qui me vient à l’esprit, comme une évidence, est tout simplement que je suis en train de rêver. Ou de me laisser envelopper par une tendre et charmante illusion, sans doute provoquée par un fantasme bien trop récurrent, bien trop familier. Je ne compte plus les fois où rêver de lui a été la seule et unique manière de le retrouver. Au sein de ces songes infinis, je pouvais écrire la suite de notre histoire, celle qui comportait une fin heureuse, un futur partagé. J’aurais pu crever pour lui. J’aurais pu tout sacrifier, aller au bout du monde, dissimuler un cadavre, mentir, voler, tricher et être la fière ambassadrice de tous les péchés de l’Univers.
Je n’avais aucune limite, quand il s’agissait de lui. J’ai crû, j’ai donné. Je me suis livrée, et plus si affinités.

Quel monumental gâchis.

La gorge nouée, je déglutis difficilement, cherche une issue, mais je réalise que je suis piégée dans mes propres terreurs, dans une prison que je me suis forgée seule, en tombant sous son charme. En fondant en lui tous les espoirs qu’une jeune femme quelque peu naïve et follement amoureuse pouvaient ressentir.
Je la retrouve, cette version de moi-même, dans ses yeux. Elle était refoulée, depuis des mois, des années même. Elle survivait, haletante, amaigrie, cadavérique. Les cheveux sales, les joues creusées, les pieds nus et la démarche hésitante.
Elle me lance un regard, se demande si elle pourrait reprendre le dessus.
Hors de question.
Tu es morte, ancienne Valeria. Retourne d’où tu viens. Laisse-moi tenter de gérer ce cataclysme. Laisse moi une chance de te prouver à quel point cette nouvelle version de nous vaut la peine d’être la seule qui compte…

J’avais préparé, en quelques secondes à peine, une quantité de phrases cinglantes à lui balancer, tandis qu’il titube dans ma direction. Putain, il doit être bourré… Non? Il a pas perdu de temps pour se foutre une race, c’est lui tout craché. Mais rapidement, à la vitesse de l’éclair, je saisis que quelque chose ne tourne pas rond. Qu’un détail cloche, que son attitude n’est pas naturelle ni même contrôlée, voulue. Je secoue la tête, paniquée, juste un peu, étourdie, beaucoup.  
Tu te retrouves dans un sacré dilemme, ma chère Valeria. Deux options se présentent à toi:

1) Ignorer copieusement ce putain de traumatisme ambulant, lui tourner le dos, les talons, tout ce que tu veux et continuer ta soirée en te réfugiant dans l’alcool, la drogue et les bras de Brad, parce que, finalement, il est pas mal du tout, ce con.
2) Lui venir en aide car, de toute évidence, il subit une grande, profonde et terrifiante souffrance. Et que t’as un cœur, au sein duquel il avait trouvé une place de choix, et que tu ne peux clairement pas éviter une occasion de lui apporter un soutien qui est urgemment nécessaire.

En réalité, un troisième et dernier choix me saute aux yeux. Il est à mon image: imprévisible, sacrément culotté et surtout, d’une générosité sans nom, déguisée grâce à une mise en scène plus que bancale.
Allez Val’. Show Time. A pas peur, t’es capable, t’es une putain de battante. Surpasse ta peur, ta honte, ta colère, ta tristesse.
Agis. Change la donne. Modifie l’histoire…

Après avoir tenté de lui lancer le Feu de l’Enfer grâce à un simple échange de regard, je finis par hausser le ton, riant comme une pouffe et lui disant, suffisamment fort pour que tout le monde puisse saisir les détails de notre conversation mensongère:

Quoi, tu veux qu’on… Qu’on fasse ça? Qu'on couche ensemble? Maintenant? Bien sûr, comment te résister, mon chou!

Je lui attrape le bras, le force à se coller contre moi, adopte une démarche plutôt lascive, clignant de l'œil à Brad qui fronce des sourcils, en me voyant en pareille compagnie. Tant pis, mon coeur, ça ne sera pas pour ce soir, nous deux. Je réalise que je dois en faire trop, mais j’sais pas trop quoi faire d’autre. La supercherie est convaincante, je le sais. Je le sens.
Ici, personne ne nous connaît, nous et notre passé.
Tant mieux, c’est l’occasion de tout réécrire. De repartir de zéro.
De poser les briques de notre nouvelle relation sur des fondations branlantes, voire dangereusement pitoyables.
T’es sacrément mordue, Valeria Myers. Au point de demander à ton bourreau d’une nouvelle fois te briser, jusqu’à ce que le moindre morceau de ton âme soit dispersé dans tout l’Univers, là où tu ne pourras pas mettre la main dessus. T’es qu’une putain de conne, tu le sais, ça? Hého, Val’ c’est ta conscience qui te parle, t”écoute là…?

TA GUEULE.

J’ai repris les rennes, je suis lucide, presque trop autoritaire. Je prends la direction de la salle de bain, celle que j’ai quittée il y a quelques minutes, pièce qui est suffisamment éloignée du reste de la fête pour que certains cris poussés par notre houleuse et prochaine conversation ne soient pas entendus. J’ouvre la porte, difficilement, mon bras est coincé contre le torse de Collin, il pèse son poids, ce con. Je finis par me démerder, j’ouvre, referme aussitôt. Gauchement, je finis par le laisser s'asseoir contre le carrelage frais, sans doute tout aussi dégueulasse que le reste, mais franchement, ce genre de détails, on en a rien à foutre. J’inspire, plie les genoux afin de m’installer en tailleur, face à lui.
J’hésite. Putain, qu’est ce que j’hésite. Lui foutre ma main dans la gueule? Me jeter dans ses bras? L’embrasser fougueusement? Lui cracher en plein visage?
Il a toujours été question de l’infinité des possibles, avec Collin. Mais je ne pensais pas que l’éclipse allait être notre thème récurrent. Je n’imaginais pas une seule seconde qu’il allait passer de l’autre côté de la barrière érigée dans mon cœur. Je n’ai jamais voulu le détester. Jamais.
Il a choisi, pour nous. J’ai dû ronger mon frein, suivre ses décisions, me plier à ses volontés.
Et à présent, il paraît si vulnérable. Petite chose presque fragile, la pitié a changé de camp, je pourrais avoir le dessus. Je pourrais…
Mais je ne fais rien.
La grande Miss Meteore n’a jamais été aussi faible qu’en présence de sa némésis.
De son adoré détestable, de sa haine viscérale envers son amour de toujours.
Soupirant, haussant les épaules, ma poitrine qui se soulève, j’finis par dire, d’une voix d’outre tombe, provenant de l’ancienne Val’, celle que je pensais avoir enterré, comme notre relation:

Collin Fraser, j’pensais que t’étais qu’une ombre. Qu’est ce que tu fous là? Qu’est ce qu’il t’arrive?

Deux questions simples, des réponses qui arriveront sans doute, ou pas.
Val’, tu le connais… Il n’a jamais été capable de t’apporter la Franchise.
T’espère quoi? T’as pas eu ta dose?
A priori, non…

tw : machisme, crise d'angoisse.



À quelques minutes de passer à l’an 2024…

Les seules fois où je me suis permis de rejoindre Valeria sont celles où je me suis imaginé des centaines de fois pouvoir la toucher, la prendre dans mes bras, l’embrasser tendrement... où j’ai laissé mon imagination si fertile s’étalée à des kilomètres de ce qui était bel et bien possible. En choisissant la distance, j’ai fait preuve de lacheté. J’ai choisi de renoncer à toutes ces petites choses que nous aurions pu vivre, ensemble, au quotidien. J’ai choisi de renoncer à notre amour.
Ce que je regrette amèrement aujourd’hui, lorsque je la retrouve devant moi. Ses yeux si perçants qui me font face, qui pénètrent jusqu’à l’intérieur de mon âme, me déchire complètement jusqu’à mes entrailles. Elle ne me regarde certainement plus comme elle avait l’habitude de le faire. Non. Maintenant, je n’y perçois que la profonde haine qu’elle nourrit depuis bien trop longtemps. Sentiment profondément ancré en elle à mon égard. Maintenant, lorsqu’elle apercevra Collin Fraser, ma pâle personne, elle me lancera toujours ce regard. Celui qui me déroute, qui me fait complètement perdre tous mes moyens. Celui que je crois bien mériter même après toutes ces années.
Ce que j’ai osé lui faire est horrible, je dois bien le reconnaitre. J’étais jeune, stupide, influençable... mais surtout, j’étais amoureux. Je le serai probablement toujours. Mais, après ce que j’ai fait, je ne peux plus prétendre. Je ne peux plus prétendre à ce titre, je ne peux plus être celui à ses côtés. Je ne peux plus être son pilier, celui sur lequel elle peut se reposer. Je ne peux plus être ce que j’ai été.

J’crois que la soirée vient de prendre un tout autre tournant, totalement inattendu. Val, elle est là pour en changer tout le script. J’suis l’seul qui n’est pas au courant de tout ce cirque ? Bordel, mais y a une putain de caméra cachée ?! Mais c’est quoi tout ce spectacle, toute cette mise en scène qu’elle nous sort là ?! C’est une blague ou quoi ?! Je n’étais certainement pas venu à cette fête pour faire une putain de crise d’angoisse devant mon ex. Mais la voir se démerder autant de cette façon pour me filer un coup de main, franchement, je sais pas quoi dire. Mes pupilles accrochés aux siennes, la suppliant de m’aider, je m’attendais à tout, sauf à ça. Faut croire que Valeria Myers a encore l’art de me surprendre.

Mais bon, vous savez quoi ? J’la laisse faire. J’ai pas du tout l’envie ni même la force de me battre contre elle en ce moment. Et puis, même si elle le fait maladroitement, j’vois bien qu’elle veut seulement m’aider, c’que j’ai beaucoup de difficulté à comprendre. Mais j’me tais, parce que j’apprécie l’effort qu’elle fait là à l’instant, pour ma tronche de connard. J’la laisse me conduire jusqu’à la salle de bain, m’appuyant assez lourdement sur son épaule. On dirait que j’suis défoncé tellement que j’ai de la misère à marcher droit. Je n’sais pas du tout ce qui m’arrive. J’me sens comme la fameuse fois où je me suis écroulé en plein milieu de mon match. J’entendais encore tous les cris autour de moi. Tout comme ce soir, j’entends encore tout ce qui se passe autour de moi, mais cette fois-ci, j’ai la putain d’chance d’être conscient.

A-t-elle vraiment l’intention qu’on couche ensemble ici, dans cette salle de bain ? Parce que... j’suis carrément partant ! Mais bon, à voir les regards qu’elle me jette depuis tout à l’heure, j’serais prêt à parier que ce n’était qu’une mise en scène. Dommage. C’est que, son corps me manque. Mais pas seulement. Tout d’elle me manque, mais ça, je l’avouerai jamais. Même pas sous la torture. Même pas sous celle qu’elle m’inflige à l’instant. Ce regard qu’elle m’offre, j’ai jamais voulu qu’elle le pose sur moi. C’est jamais ce que j’ai souhaité pour nous. Tout ce que je sais faire maintenant, c’est de repousser les gens. J’laisse personne m’approcher, surtout, je ne m’ouvre plus du tout. Pas depuis que j’ai été aussi blessé. Parce que même si j’suis celui qui est parti, ce serait complètement mensongé de penser que, ne serait-ce qu’une seule seconde, j’ai arrêté de penser à elle, Val. Tous les jours de ma vie, j’ai empoigné mon téléphone pour essayer de la joindre. Mais jamais j’y suis arrivé. J’sais pas pourquoi. Probablement les remords ? Oh ça oui, j’en ai eu ! Des tonnes même.

J’me laisse crouler sur le sol alors que Val me lâche. J’ai l’impression que tout mon corps se redurci. Le contact entre nous a été coupé. La réalité est ben et bien de retour et me rattape de pleins fouets. Mais j’fais quoi à me rappeler le passé alors que j’suis supposé de la détester ? Ouais, je la déteste en vrai. Pour ce qu’elle m’a fait. Elle m’a brisé le coeur et elle a couché avec mon meilleur ami. Je reprends mes esprits alors qu’elle se pose devant moi. C’est mon regard qui devient noir à l’instant. Je me rappelle de tout. Tout ce qu’elle m’a fait endurer dans les dernières années. C’est à cause d’elle que j’suis devenu ce connard. Celui qui n’est plus capable d’aimer, de s’ouvrir à d’autres. Elle m’a brisé Val. À jamais. Je n’ai plus jamais été le même, je ne serai plus jamais le même... J’suis devenue simplement une personne puérile et en recherche constante d’attention. Et c’est là que j’explose, que j’en peux plus qu’elle agisse de la sorte, alors j’la confronte directement.

Joue pas à la Sainte Val avec moi, ton p’tit jeu de «tu me détestes», j’en ai vu bien d’autres m’le faire avant toi. Tu veux berner qui Val ? Même avec une coupe mulet j’serais toujours celui que tu voudrais.

Wow bravo Collin, clairement pas imbu de ta propre personne.

tw : jurons, coeur brisé, entre autres.

L’histoire qui se répète. Comme un putain de mauvais film, un gulty pleasure qu’on apprécie regarder avec un mélange de nostalgie et de culpabilité.
Des soirées comme celles-ci, nous en avons vécues beaucoup, avec Collin. Des fêtes auxquelles nous étions invités, tel le Roi et la Reine du bal. Des entrées triomphantes, des sourires en coin, des déhanchements conjoints au rythme d’une chanson que NOUS avions choisi. Des verres offerts, des joints fumés. Des discussions durant lesquelles nous étions séparés, mais pas pour très longtemps. Jamais l’un sans l’autre, nos retrouvailles étaient à la hauteur de la passion qui animait notre couple. Sulfureuses, intenses, presque brutales. Nous brulions la vie par les deux bouts, sachant que quelque part, dans nos coeurs, notre temps était compté. Certes, rien ni personne ne pouvait nous séparer, nous étions invincibles. Certains de nos choix, persuadés que cette faste période ne connaîtrait aucune fin.
Puis, il y a eu cette fameuse soirée.
Ce concert a changé ma vie. J’ai embarqué dans le wagon d’un manège qui m’a apporté tant de sensations fortes. J’ai connu l’attente, l’impatience même. Et puis, quand j’ai retrouvé Collin, au milieu de cette foule en délire, je me suis sentie complète, transportée. Dans ses bras, j’ai été la femme la plus heureuse de l'univers. Notre échange physique qui s’en est suivi était si chaud, si intense. Il m’a emmené au sommet du monde… et j’ai fini par dégringoler la pente, trébuchant en réalisant, le lendemain matin, qu’il était parti.
C’était aussi simple que ça. J’ai fermé les yeux, plongé dans un sommeil réconfortant, dans ses bras. Et quelques heures plus tard, j’ai posé un regard inquiet et chargé d’incompréhension sur une place qu’il n’occuperait plus jamais.
Je n’ai pas eu la chance de poser mes yeux sur son visage en sachant que c’était la dernière occasion que j’avais de le détailler. Mais ce soir, à la veille d’une nouvelle année, je peux saisir cette chance. Mon regard est enfin planté sur Collin Fraser.
J’espère sincèrement qu’il remarque la tempête qui fait rage, dans mes pupilles. Les yeux sont le miroir de l’âme, comme dit l’adage.
Peux-tu seulement remarquer les fissures que tu as provoquées…?

J’dois sans doute être une putain de sado masochiste pour le secourir. C’est vrai, merde à la fin, Valeria, tu peux pas tourner les talons, t’enfiler un autre verre cul sec et danser avec le premier mec mignon qui te passera sous la main? Bah nan, ma grande, t’en es fichtrement incapable. Parce que tu sais quoi, ma chérie? Ouais, c’est ta conscience qui te parle là, fais pas l'innocente, ne fuis pas, ne tourne pas la tête et ne cherche pas une distraction dans cette tâche, sur la moquette. ÉCOUTE MOI, BORDEL, NE FAIS PAS L’AUTRUCHE!
T’es toujours sous emprise, Valeria. Quoi qu’il arrive, t’as toujours ton putain de premier amour dans la tête, dans le corps, dans le coeur.
T’y peux rien, c’est comme ça.
Et je l’aide, le soutient, de manière aussi littérale que possible. C’est qu’il est lourd, ce con! Mais grâce au roller derby, aux entraînements intensifs et à ma pratique clandestine de la boxe, je tiens le choc, j’ai préparé mon corps aux pires tourments. À aller au bout de ses capacités, et plus encore.
À obtenir un véritable cœur de pierre, ce que je prétends pourtant, le clamant haut et fort dès que cela est possible, j’ai appris à mon organisme à tenir le choc.
Si seulement je pouvais appliquer cette discipline à cet organe qui subit tant de souffrance…

Enfin, nous nous retrouvons seuls. En tête à tête. Malgré la colère qui m’envahit, je ne peux m’empêcher de le trouver attirant. Mignon, sexy, un brin provocateur. Bref, tout ce que j’aime, tout ce qui pourrait me faire flancher, sans le moindre problème. Mais contrairement à cette époque où un simple battement de cils de sa part pouvait me faire fondre, je reste stoïque et concentrée. Je le connais par coeur, le Fraser, je sais que quelque chose cloche chez lui. Et je suis déterminée à mener une enquête fructueuse à son sujet. Bien entendu, j’aimerais résoudre un autre mystère, le plus insoluble de tous: la raison qu’il l’a poussé à disparaître, à l’époque, d’un simple claquement de doigts. Mais je dois me montrer prudente, y aller pas à pas, faire preuve de patience.
Une putain de mission impossible, me concernant.
Ses propos claquent dans l’air, comme un fouet. Pétrifiée, sous le choc, je cesse presque de respirer, réussissant pourtant à lui rétorquer, bouillonnante:

Sainte Val’...? Putain, mais à quelle heure j’ai prétendu à ce titre? Toi, par contre, t’as gagné celui du Super Connard en puissance et on dirait que t’en redemande.

Ok, Val’, ça y est, il semblerait que les hostilités soient officiellement lancées, entre vous. Après tout, ce n’est qu’un simple 1 versus 1. Un combat de boxe contre lequel, au fond, tu t’es entraîné depuis toujours. Tu as toujours voulu obtenir le dernier mot durant un affrontement verbal et c’est ce dont t’as privé ton premier amour. Mais ce soir, tu as de très bonnes cartes entre les mains. Tu as le pouvoir d’obtenir enfin ce qui t’as toujours manqué: des réponses.
Reniflant avec dédain, je finis par me lever, croisant toujours fermement les bras sur ma poitrine, quelques secondes seulement avant de me mouvoir et je me mets à jouer avec un fil dépassant de la couture de ma robe avant de lui demander, sans détour et sans prendre des pincettes:

Bon, Fraser, maintenant que le ton est donné, tu vas m’expliquer? Qu’est ce qu’il t’arrive, à la fin? Tu as le visage blanc, on dirait un fantôme. T’as bu un verre de trop, c’est ça…? À l’époque, t’étais vachement plus résistant…

Val’, évoquer le passé, c’est une putain de mauvaise idée. T’aimes ça souffrir, on dirait, n’est ce pas?
Oui, je suis au bord du ravin et il semblerait que je n’ai qu’une seule envie: qu’on me donne une légère impulsion afin que je saute la tête la première dedans. J’ai mal, putain, mais au fond de moi, je me sens bien. Rassurée, presque. Sans doute le fait que je me sente supérieure à lui…? Peut-être. Mais ça, c’est une autre histoire. Je lui tourne le dos, croise mon miroir dans le reflet. Putain, moi aussi, j’ai une tête affreuse. Mais je ne démonte pas, rejoint Collin, m’assois à ses côtés. Ne pas affronter son regard m’aidera à m’adoucir, je le pense sincèrement. Ultime réplique que je lui jette, sans ménagement, dévoilant ainsi une piètre facette de mon âme brisée par sa faute:

Collin, tu sais que tu peux tout me dire. Et je ne quitterais pas cette pièce avant de le savoir. Tu dois me parler. Je t’en prie.

J’aurais presque pu ajouter: Je t’en supplie. Mais je n’en suis pas encore rendue à ce stade. Implorer sa pitié? Pour quoi faire?
Pour, une fois de plus, me sentir comme celle qui court après un amour qu’il ne souhaite plus m’offrir?
Valeria, tu te fourvoies.
N’oublie pas que d’ici quelques heures, tu vas quitter une année riche en émotions pour en démarrer une nouvelle au destin encore inconnu. Tu n’aimerais pas que les premières minutes de 2024 te chamboulent au point de ne plus regarder vers l’avenir mais plutôt de te réfugier dans un passé agressif et te rongeant de l’intérieur.
N’est ce pas…?