Death Becomes Her ; w/Sylvia

Death Becomes Her

Clinique de convalescence ◘ ft. @Sylvia Norwood
tw :: accident de voiture, décès d'un enfant, deuil.

Mon âme ne connaît aucun repos. Mon cœur vit à l’agonie depuis six ans déjà. Six longues et interminables années, que l’on m’a arraché une partie de moi ; la prunelle de ma vie, la chair de ma chair, ma tendre Samara. Quand j’essaie de comprendre l’impossible, je me retrouve face à une injustice la plus totale ; cette petite fille de quatorze ans, qui entrait à peine dans l’adolescence, qui avait tant de choses à découvrir, tant d’aventure à vivre, a perdu la vie, comme ça, en un claquement de doigts alors que femme responsable de sa disparition s’est retrouvée plongée dans un coma, pendant presque six ans. Elle était ivre et n’a pas hésité à prendre le volant. Alors j’aimerais qu’on m’explique en quoi sa vie avait-elle plus d’importance que celle de ma fille ? Samara avait oublié de mettre sa ceinture de sécurité, s’est retrouvée projetée en dehors du véhicule tant le choc de la collision fût assez violent. Je cherche désespérément des réponses, que je n'obtiendrai jamais, de toute évidence. Ma fille a fait l’erreur de ne pas s’attacher. Cette simple petite erreur qui lui a coûté la vie. Sylvia a fait bien pire et pourtant, on dirait qu’elle est récompensée.

Elle est sortie de son coma, elle a une seconde chance. Cette chance que Samara n’aura jamais et je la hais pour cela. Je hais Sylvia Norwood pour m’avoir privée de mon bébé à tout jamais et tout ce que j’espère à présent, c’est qu’elle puisse vivre avec ça, ou pas, plutôt. Je veux qu’elle souffre autant que je souffre moi aussi. Mon âme ne connaitra jamais le repos tant que cette femme vivra, jamais je ne lui accorderais mon pardon, même si c’est la première chose qu’on nous apprend, à ces réunions sur le deuil. Se pardonner soi-même mais aussi pardonner à la personne qui est responsable de notre deuil. Pour avancer, c’est la meilleure des choses à faire, qu’on nous dit, mais dans mon cas, je ne tournerai jamais la page, il n’en est pas question. Alors si je dois souffrir le restant de mes jours, Sylvia Norwood souffrira elle aussi. Je ne lui accorderait aucun repos, que Dieu m’en soit témoin !!

Quand elle était dans le coma, je n’ai jamais réussi à affronter cette femme endormie. Pour moi, elle c’est comme si elle n’était plus là, de toute façon, alors je l’ai mise dans un coin de ma tête, j’ai tenté de reprendre ma vie en main, sans grand succès il faut bien le reconnaître. Les mois s’emboitaient les uns sur les autres, se ressemblaient tellement. Je n’avais plus aucune volonté de vivre, pourtant, quand j’ai commencé à sentir la vie en moi, je me disais en moi-même que je n’avais pas le droit d’abandonner. Ni pour Ben, ni pour cet enfant à venir. J’ai tenu bon avec l’esprit ailleurs. J’étais une sorte d’incubateur pour mon bébé et quelque part, il y aura toujours cet aspect en moi, je ne serais plus jamais la même… Un peu à l’image d’une enveloppe vide, j’ignore si j’arriverai à y glisser du contenu un jour… Et quand Nyls est apparu dans ma vie, pour me venir en aide, il est devenu la lumière dans mes ténèbres. J’ai vraiment cru en lui. Pourtant, il m’a menti. Il m’a vraiment brisé le cœur d’une manière que je ne pensais pas possible. J’ai eu beaucoup de mal à mettre un adjectif sur mes sentiments pour lui, parce que je ne pouvais pas ressentir de telles choses à son égard, tandis que la ligne entre patient et médecin avait été franchie…

Amoureuse.
Le voilà, l’adjectif que je n’ai pas voulu prononcer. Que je n’ai pas voulu admettre, pourtant, c’est bien celui-là, n’est-ce pas ? C’est pour cette raison que tout part en vrille dans ma vie. C’est pour cette raison que je souffre davantage. La mort de ma fille me laissera la plus longue et douloureuse blessure au cœur, ajouter celle de Nyls est un peu comme perdre une aiguille dans une botte de foin, mais elle ne me rend pas moins malheureuse pour autant. J’ai sincèrement cru en lui et en ses capacités… Hélas, je n’ai pas fini d’être déçue dans ma vie, et Nyls ne sera pas le dernier à me faire du mal, j’en ai bien conscience. Il suffit de penser à sa femme pour savoir qu’elle continuera à me broyer les entrailles avec un acharnement telle, que je pourrais en crever, là, tout de suite. Seulement, avant qu’elle ne m’ôte le peu de vie qu’il me reste, je dois l’affronter, une bonne fois pour toute. Je l’ai ainsi suffisamment évitée pour ne plus faire marche arrière.

Il est temps que je rencontre Sylvia Norwood.
Il est temps que cette femme rencontre Shelby Clarke.
C’est aussi simple que ça. Je crois !?

Quand j’ai appelé au service des admissions —il y a quelques jours, pour connaître le numéro de chambre de Sylvia, j’ai appris qu’elle avait quitté l'hôpital depuis un moment et qu’elle séjournait dans une maison de repos, le temps de sa convalescence. C'est que six ans de coma, ça laisse un bon paquet de séquelles physiques… tu parles ! Et puisque ce n’est pas un secret pour personne, l’infirmière m’a donné les renseignements nécessaires pour rendre visite à ma tortionnaire. J’obtiens l’adresse, ainsi que son numéro de chambre lorsque j’appelle ladite maison de repos. En moins de vingt minutes, je me retrouve sur le parking et il me faut encore une bonne heure avant de décrocher de mon volant de conduire. Je l’ai tellement serré de mes dix doigts que mes mains peinent à s’ouvrir tant elles sont crispées et me sont douloureuses aux articulations. Mon cœur bat la chamade quand je sors de l’habitacle. Je conduis, depuis quelques semaines. Je ne pensais jamais y arriver mais je le fais pour toi, Samara. Je ne peux pas continuellement avoir peur d’être au volant d’une voiture en imaginant que tu es à côté de moi et que je pourrais te perdre de nouveau. Tu n’es plus là… de toute façon…

Mon cœur continue à cogner de façon irrégulière dans ma poitrine, j’ai des sueurs froides et j’ai chaud. Mes mains tremblent, je crois que je panique. Je crois même que je suis sur le point de revenir sur mes pas mais ta voix dans ma tête, Samara, elle m’ordonne d’avancer. Elle me supplie de tenir bon… Peut-être qu’au fond, tu as raison, ma chérie.

Devant la porte de sa chambre, j’inspire profondément, frappe trois coups pour signaler une présente. Je prends la peine d’attendre le son de sa voix pour pouvoir y entrer, le cœur lourd, forcément. J’inspire un grand coup, avale difficilement ma salive, timidement, je fais quelques pas. Pas plus, je n’en suis pas capable. J’en fais juste assez pour découvrir une femme que je n’avais jamais vue. Une femme… banale comme on en rencontre souvent dans toute une vie. Les traits de son visage sont tirés, sans doute un signe de son repos que j’aurais voulu éternel à la place de celui de mon bébé… Affronter son regard me fait horriblement souffrir. Je me sens si… démunie mais aussi tellement en colère. Faire face, après tout ce temps, à la femme qui m’a prise la chose la plus précieuse de mon monde, me fait terriblement mal. C’est comme si on m’arrachait de nouveau un bout de mon cœur, un bout de mon âme…

— Je suis Shelby Clarke… Savez-vous qui je suis ?

Ces quelques tremblements dans ma voix trahissent forcément mon hésitation, ma nervosité ou encore mon incompréhension.

Je suis tout de même face à la plus humaine des faucheuses qu’il m'est été donné d’affronter de toute mon existence…

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Nous sommes en 2024, nous sommes en 2024…
Assise dans un autre lit d’hôpital j’ai relevé mon drap contre ma poitrine. Très haut. Pour me protéger de l’extérieur ou de moi-même ? Qui sait mais mes poings serrés, collés à mon menton, ont fermement agrippé le tissu rêche. Le regard vide, je fixe un point fictif, une chimère. Je me balance doucement, mais obstinément, d’avant en arrière et d’arrière en avant. Je répète inlassablement ce bercement comme cette simple phrase, ces quelques mots irréels et dérisoires. Nous sommes en 2024…
Je n’arrive pas à y croire. Je cherche pourtant de toutes mes forces. De m’ancrer dans le présent, d’être là à part entière. Mais je ne suis qu’un corps insignifiant, dont l’âme s’est perdue trop longtemps.
Ma vie s’est arrêté en 2018.
Car j’étais morte.
Ou presque…
J’entends encore les sirènes, les ambulanciers et autres brancardiers. Me transporter. M’emmener vers l’hôpital le plus proche pensais-je. Accrochez-vous répétaient-ils à l’unisson, comme une chanson. Pour moi c’était un requiem.

Le bruit de la porte qui s’ouvre ne change en rien mes prières. Je me fous de qui ça peut être et de ce qu’il compte faire. Un kiné qui viendra m’infliger une autre séance de torture. Un ou une infirmière qui me prendra ma tension ou quelques gouttes de mon sang. Un docteur qui regardera mon dossier d’un air penseur. Il soupirera peut-être en me montrant de manière indirecte que je dois sortir de cette torpeur qui m’est si chère. Ce qu’il ne sait pas et qui n’est écrit dans aucun manuel est que cette langueur doit être tout ce qu’il me reste.

***

Un soleil d’hiver, haut dans le ciel, inonde de ses pales rayons la chambre qui est dorénavant la mienne. Je fronce les paupières. Encore une journée en enfer !
L’aide-soignante qui a ouvert les rideaux, évidemment contre mon gré, à la primeur des sentiments que je refoule à longueur de journée. Dans une plainte, un grognement en réalité, je déverse ma colère, mon chagrin, ma peine. L’autre, qui ne doit pas être à son coup d’essai, continue sur sa lancée et récite son monologue "enchanté". Nimbé de bonnes paroles pour qui voudrait les écouter. De bonnes intentions à qui pourrait en éprouver. Alors que je ferme les yeux pour retrouver les ténèbres que je n’aurais jamais dû quitter, sa litanie continue à m’oppresser. Il faut vous lever Madame Norwood, vous habiller. C’est la journée des visites. Vous voulez que je regarde avec vous ce que vous pourriez porter ? J’avale ma salive. En repoussant le drap qui ne peut définitivement pas me protéger, en m’asseyant pour lui montrer ma "bonne volonté" je murmure : sortez !

Mon pied se pose timidement sur le sol glacé. Suivi du deuxième qui questionne ma témérité, je m’en vais, titubant vers la salle de bain carrelée. Je n’ouvre pas la lumière, j’ai peur de mon propre reflet. Difficilement je tente de me déshabiller. Pourquoi l’ai je renvoyé ? L’eau chaude n’arrive pas à me réveiller. À peine à me réchauffer. Combien de fois j’essaie de me résonner ? D’avancer. Mais tous ces gestes familiers, que le monde exécute sans s’en soucier sont devenus des fardeaux, des boulets. Me lever pour qui ? Me laver, me coiffer pourquoi ? Furieuse je sors de la douche et allume enfin le néon blafard. De mon avant-bras maigrelet je chasse du miroir la buée. Et j’entrevois de mes propres mirettes accusatrices la vérité. MEURTRIÈRE. C’est que t’es !

***

Ça y est. J’ai noué mes cheveux mouillés, enfilé un vieux jean. Un pull douillet. Aux couleurs délavées. Ces vêtements que j’ai achetés avant. Avant que je ne sombre dans le néant entraînant avec moi l’innocence et la fragilité. Une vie amputée. Pourquoi ai-je survécu et pas elle ?! SAMARA qu’elle s’appelle. Samara Fitzgerald. La fille de Shelby Clarke. C’est Nyls qui me l’a dit. Nyls qui devrait arriver alors que je n’ai pas envie de le voir et encore moins de lui parler. Qu’avons-nous encore à partager si ce n’est le constat affligeant d’un mariage voué à la chute, parti en fumée. Mais je n’ose toujours pas de lui dire au revoir, fermer le livre, tourner la page de toutes ces longues années passées à ses côtés. Dire à voix haute et intelligible nous nous sommes trompés !
Les trois coups, comme au théâtre, me font sursauter. De mon fauteuil je lève le visage vers la porte encore fermée. Entre que je fais…
Ce n’est pas Nyls. Non. Ce n’est pas mon époux, du moins sur le papier, qui fait son entrée. Une femme l’a remplacé !
D’emblée je sais qui elle est. Je l’attendais…
Depuis que Nyls m’a appris ce que j’avais fait. Prendre la vie de cette jeune fille, l’arracher à sa famille. Définitivement. À tout jamais. C’est moi qui aurais dû y rester. Moi et moi seule qui aurait dû crever. Chaque minute, chaque seconde depuis que je suis réveillée sont passées à faire et refaire cette journée. Du 20 janvier. Malgré mes efforts et mon envie de changer le passé, l’inéducable est arrivé !
Je me lève en m’appuyant sur les accoudoirs pour me donner un semblant de stabilité. Rassemble ce qui me reste de dignité. C’est à dire rien devant cette mère endeuillée.

- Oui je sais…

J’aimerais la prendre dans mes bras et lui crier à quel point je suis désolée. Je ne bouge pas. Je me hais.

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Clinique de convalescence ◘ ft. @Sylvia Norwood
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Je suis pieds et poings liés.
Je me sens prise au piège de ma propre existence.
Je ne suis pas prête à affronter cette faucheuse, et pourtant, je ne peux pas repousser ce moment indéfiniment en imaginant que tout va disparaître juste parce que je le souhaite. Ce n’est pas en fermant les yeux que ça va s’envoler. Ce n’est pas en me bouchant les oreilles que ça me préservera de la vérité. La vérité, je la connais et elle me pousse à vouloir des réponses. Je dois affronter cette femme, toute seule. Faire face aux démons qui me rongent depuis six ans déjà. Faire face, sans doute, à ses propres démons, je n’en sais rien… J'aurais tellement voulu que cet accident ne se produise jamais, qu’il ne détruise pas ma vie ni celle de mon enfant, ma tendre petite fille méritait tellement mieux et plus de la vie. Elle était si jeune. TROP jeune pour mourir. Cette femme a décidé pour elle, qu’elle le veuille ou non. Je ne sais pas comment je vais réagir en étant face à celle qui me l’a prise mais je sais que je dois y aller. C’est le moment. Derrière cette porte, je prends quelques secondes avant de frapper sur celle-ci. C’est le coeur battant à tout rompre que j’entre, pour me retrouver face à une femme qui n’a rien de spécial, rien de particulier.

Une femme ordinaire.

Il n’est pas écrit sur son front que c’est une meurtrière. C’est ce qu’elle représente à mes yeux, pourtant. C’est une meurtrière, sans l’ombre d’un doute, mais ça c’est parce que je le sais. ça ne se voit pas, ça ne se sent pas et ça ne murmure pas ces propos. Cette femme aux traits fatigués, qui se lève péniblement, prend appui devant elle, on pourrait lui donner le bon dieu sans confession, c’est évident. Mais je ne lui donnerai pas, je connais la vérité.

Je me présente, mais je sais qu’il n’était pas nécessaire de le faire. Elle sait quand même qui je suis. J’ai pu le lire dans ses yeux. Je n’avance pas d’un centimètre, je me sens en sécurité d’où je suis, c'est-à-dire, proche de la sortie au cas où j’aurais besoin de fuir. Fuir quoi ? Qui ? Shelby, tu as devant toi l’unique responsable de ton malheur, tu ne peux pas fuir devant elle… Tu dois l’affronter.

J’essaie. J’essaie vraiment mais c’est difficile. Difficile de croire qu’une femme aussi banale que vous et moi soit à l’origine de cette tragédie.

Et maintenant ?

Qu’est-ce qu’il se passe, maintenant ? Je n’en sais rien. J’ai eu envie de lui hurler toutes les horreurs du monde, la faire culpabiliser au possible. J’ai eu envie de lui hurler toute ma douleur, mais là… rien ne sort. Je ne me comprends pas. Je suis venue dans le but de lui exploser ma souffrance au visage, qu’elle se rende compte que ces mauvais choix ont impacté sur ma vie, sur mes relations, sur la vie de mes garçons. Ce frère de seize ans qui se rebelle sans cesse, qui crie à la souffrance de ne plus avoir sa sœur à ses côtés, et ce petit bonhomme de cinq ans qui cherche constamment à parler de Samara parce qu’il n’a même pas eu la chance de rencontrer. Elle est partie près d’un an avant sa naissance… y’a des choses que je ne suis pas capable de lui répondre comme : « Pourquoi elle n’est pas avec nous, maman ? » J’aimerais lui dire que c’est parce qu’une personne mal intentionnée a fait en sorte qu’elle ne puisse plus jamais vivre avec nous, mais ce serait lui mentir, je crois ? Parfois, j’aimerais juste déverser ma haine, qu’il puisse lui aussi la haïr autant que moi, mais je ne serais pas cette mauvaise mère pour mon fils…

Je dois faire face à la faucheuse. Toute seule…

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Deux femmes qui s’affrontent en silence. Deux mères déposées. Opposées. Voilà ce que nous sommes. L’une en face de l’autre. L’une à raison, l’autre à tort. Malheureusement la faute me revient entièrement… J’ai les mains couvertes de sang !
Mes doigts que j’entrelace maladroitement. Comme pour cacher mon péché, mon délit, mon crime, mon méfait. Incontestablement. Mais je suis transparente pour elle qui connaît le plus lourd de mes secrets. Mon passé. Je déglutis péniblement et regarde mes godasses inlassablement. J’essaye de me tenir droite, de garder la pause le plus longtemps. Ne pas faire de bruit, inspirer plus lentement. C’est le docteur Miller qui m’a appris à respirer au carré, en plus de me sauver, de me fleurir, de m’écouter. Cette fois pourtant je n’aurais pas de berger. Aucun filet.
Rien qu’elle, moi et ce drame qui nous relie… pour l’éternité !

Alors j’attends…
J’attends des larmes, j’attends des cris. J’attends le torrent de haine. J’attends que le fleuve de sa peine sorte de son lit. Qu’il se déverse tel un tsunami. Parce que je la comprends. Moi aussi je suis maman…
Une maman défaillante, une maman trop longtemps absente. Mais néanmoins et toujours mère comme elle l’a été pour cet enfant !
Et je sais…
Qu’une maman est formatée. Qu’une maman est programmée. Pour s’assurer qu’il n’arrive rien à leurs bébés. Peu importe le nombre d’années passées à s’émerveiller de leurs progrès, les mamans contemplent toujours leurs angelots avec le même regard tendre et ému que le tout premier. L’amour à l’état pur, brut, voilà ce qu’il y a dans le cœur d’une mère aimante et dévouée !
Aucun doute sur le fait qu’elle l’ait été. Shelby Clarke. Attentionnée. Et son cœur à elle je l’ai brisé. En mille morceaux, dispersés. Quoique je fasse ou quoique je dise. Je ne pourrais jamais réparer.

Et les griefs étouffés restent muets. Comme si elle s’étonnait d’avoir devant elle une femme ordinaire. Comme si je n’étais pas celle qu’elle attendait. Pourtant ce n’est que moi. Sylvia Norwood. La femme qui a tué…

20 janvier 2018.

J’ai bu plus qu’il ne le fallait. J’ai attendu plus que je ne l’aurais dû. Qu’il me fasse un signe, qu’il m’explique. Pourquoi il s’en est allé sans aucune explication ni précision. La terreur d’une femme seule qui m’assaille, face à elle-même et ses addictions. Je crains qu’il ne me rattrape et cherche des justifications. À cette bouteille que j’ai laissée, à ces responsabilités que j’ai délaissées. Je suis fatiguée. De cette destinée qui n’est pas celle que j’avais espérée. Le moteur qui rugit dans l’allée, les essuie-glaces qui balaient. Je n’entends que ma souffrance. Incomprise. Ignorée. Il me poursuit. Lui aussi a démarré son véhicule et me chasse comme une la bête traquée. Juste derrière moi sa voiture vrombit. Alors j’accélère. Mon pied appuie sur la mauvaise pédale. Le feu qui cramoisi. Mais j’ai le temps, j’me dis. De choisir une autre vie…

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Et maintenant ?
Oui, que faisons nous, à présent ?
Je me tiens droite tel un « I », à plusieurs mètres de cette femme qui n’aura certainement jamais ma sympathie. J’ai mis beaucoup de temps avant de l’affronter. J’ai même mis beaucoup trop de temps à faire ce premier pas, mais je l’ai fait. Pendant des semaines, j’ai imaginé cette confrontation. Pendant des semaines, je me suis demandée comment j’allais réagir face à cette personne qui m’a pris mon enfant. Qui a décidé qu’elle serait son juge et son exécuteur. Elle l’a tuée. C’est tout ce qu’il faut retenir. Peu importe comment et pourquoi, la conséquence reste la même. Elle a privé une jeune fille de quatorze ans, de grandir et de connaître toutes les joies mais aussi toutes les peines qu’elle aurait dû vivre comme nous tous. Une sorte de rite de passage, à chaque étape de la vie. J’ai eu le cœur brisé, quand j’étais jeune, pour plusieurs raisons. Souvent, c’est la faute d’un ou de plusieurs garçons.

Samara n’aura jamais eu l’occasion d'expérimenter cela.

Je suis tombée amoureuse de son père, Logan, nous nous sommes mariés et ce fût le plus beau jour de ma vie malgré mon jeune âge. Tout le monde nous disait que ce mariage ne tiendrait pas six mois. Pourtant, il a duré dix-huit ans, et de cette union sont nés trois beaux enfants.

Samara ne connaîtra jamais ce bonheur d’aimer si fort une personne et de se faire aimer en retour de la même façon.

Quand je l’attendais, j’étais terrifiée à l’idée de l’accueillir dans ma vie. J’avais peur de ne pas être à la hauteur et qu’elle manque de soin, de besoin. J’ai eu l’aide inestimable de mes parents, de ma famille mais aussi de la famille de Logan. Nous étions si bien entouré, que je n’ai jamais manqué de conseils. J’ai souvent écouté tout ce qu’on me suggérait et je ne m’en suis pas si mal sortie. Quand elle a poussé son premier cri, j’ai su qu’elle serait l’amour de ma vie et que je serais toujours à ses côtés. J’ai découvert ce que ça faisait d’aimer quelqu’un, sans condition.

Samara ne connaîtra jamais la maternité. Et tout ce que cela apporte.

Non, Samara ne pourra jamais tomber amoureuse, se marier, ou avoir des enfants… Samara ne pourra jamais réussir ou faire face aux échecs de la vie… Sylvia Norwood lui a privé d’une vie extraordinaire. Et aujourd’hui, je me tiens enfin devant elle.

Je ne peux pas lui exiger réparation pour le préjudice. Rien ne pourrait me rendre mon enfant. Rien ne pourrait apaiser mon cœur brisé. Je vis avec son absence depuis six ans déjà, et je vais devoir vivre sans, pour le restant de mes jours.

C’est ma punition. À vie.

Je passe par de nombreuses émotions, en quelques secondes. Le chagrin ne me quitte jamais, il fait partie de moi, à présent. Un peu comme une symbiose, nous ne pouvons « vivre » séparément. Il est moi, autant que je suis lui. Je suis en colère. Terriblement en colère contre cette femme silencieuse qui se tien, face à moi. Je me vois… je m’imagine lui sauter à la gorge, lui faire mal, autant que je souffre de l’intérieur, et en même temps, je n’ai jamais été aussi calme de toute ma vie. Lui sauter dessus ? Mais ça ne me ressemble pas. Qu’est-ce que ça ferait de moi, au juste ? Je veux lui faire mal, à la hauteur de ma douleur, mais parfois, les mots sont bien plus dévastateurs que les coups…

J’ai imaginé ce moment tellement de fois. Je me suis imaginée de nombreuses façons de vous faire souffrir autant que je souffre depuis le jour où vous avez décidé de prendre la vie d’une jeune fille mais…

Ma voix est tremblante, mes yeux se remplissent d’eau sans que je ne cherche à le dissimuler. Que cette femme puisse voir le chagrin qui me porte depuis toutes ces années est le cadet de mes soucis. En fait, qu’elle le voit, seulement ! Qu’elle voit ce qu’elle a fait de moi.

Quand je la regarde, je vois nettement la même prison que la mienne dans ses yeux.

… Je me rends compte que… le temps s’est arrêté pour vous aussi.

Je n’ai aucune compassion pour la faucheuse. Elle a pris la vie de ma fille, qu’elle vive avec ça, pour le restant de ses jours ! Je vais devoir vivre avec moi aussi, alors que je n’avais rien demandé. Samara n’avait rien demandé à son tour. Elle voulait vivre. Je crois me souvenir qu’elle est une mère aussi… Et si je lui demandais ? Si je lui avais pris la vie de son propre enfant… aurait-elle de la compassion pour sa meurtrière ? Je ne crois pas.

Tant mieux. J’espère que vous vivrez avec ça sur la conscience pour le restant de vos jours. Et qu’elle vous empêche de trouver le repos… Tout comme moi !

C’est sa punition. À vie.

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