Destroy your fears.

Joanne Prescott &  @Billie Reyes    

Bon, ma petite Joanne, c’est bien beau mais il s’agirait surtout de te reprendre en main, ma grande.

Voilà ce que je n’arrête pas de me répéter en boucle, en observant, la mine déconfite, ma silhouette dans le miroir mural, tandis que j’enfile ma brassière de sport, résolue à me diriger vers la salle de boxe, cet après-midi. Il était grand temps de retrouver une routine sportive raisonnable, j’avais depuis bien trop longtemps délaissé cet aspect de mon quotidien. Il était déjà fort rempli, à vrai dire: mon travail à la clinique Mom&Me, que j’adorais mais qui représentait mine de rien un sacré défi, ma pré adolescente de fille, Alba, avec qui il fallait marcher sur des oeufs ces derniers temps, ma staffy Baya qui était une vraie boule de poils énergique, ma passion pour la moto et les romans policiers…
Oui, cela faisait beaucoup. Trop, selon certains. Mais il me manquait quelque chose. De fondamental. Le sport.
Mais plus encore, j’avais cette furieuse envie qui grandissait dans ma poitrine: celle d’enfiler de nouveau mes gants de boxe afin de me défouler, d’évacuer toutes les pensées négatives qui me nourrissaient, ces derniers temps. Je me connaissais, sinon, j’allais finir par tout envoyer balader. Et je ne pouvais pas me permettre une telle attitude. J’étais une maman célibataire adulte et responsable, je devais tout mettre en oeuvre afin de retrouver mon équilibre propre, tout faire pour contrôler d’une main de maître ma vie. Même si elle paraissait sage et cadrée seulement au premier abord.

Sortant enfin de ma chambre, je dévale les escaliers, dépose un baiser sur la truffe humide de ma chienne et me dirige vers mon véhicule, direction la salle “Ring my Bell”. En moins d’un quart d’heure, je suis en place, soulagée que mon pass fonctionne toujours. Après tout, le prélèvement automatique est toujours en vigueur, sur mon compte en banque, je fais donc toujours parti des membres.
Et je suis bien décidée à ne plus être un simple fantôme, dans ces lieux.
Après un rapide passage dans les vestiaires, je suis définitivement prête. J’ai le trac, inutile de le nier, j’ai si peur d’être rouillée. Je vais sûrement être ridicule mais… Je suis décidée, je ne ferais pas machine arrière.
Pour au moins la prochaine heure à venir, je compte bien donner le meilleur de moi-même.
J’ai tant de colère à affronter, une confiance à retrouver.
Je fais quelques pas en direction de la zone d’entraînement, d’une démarche quelque peu gauche. Je tente d’attacher ma longue chevelure capricieuse, en vain. Je tremble presque… Et voilà que mon écouteur dégringole de mon oreille et roule jusqu’aux pieds d’une très belle brune, qui était justement en train de se défouler sur le sac de frappe.
Gênée, je m’approche d’elle, m'accroupis et marmonne:

Oh, mince, désolée… Je ne voulais pas vous déranger…

Oui, je sens son regard sur ma nuque. Je sens que dans ma poitrine, tout se contracte. Je ne sais pas l’origine de ce trouble mais il me pousse à rester au sol, quelques secondes de plus.
La tête me tourne, la nausée me gagne…
Est-ce possible que je retrouve cette vieille amie, la peur… Et que je ne sois pas sauvée, cette fois-ci, face à ses cruelles griffes?...

BY PHANTASMAGORIA

 

Destroy your fears.

Joanne Prescott &  @Billie Reyes    

Je suis tourmentée, décidée à prendre mes jambes à mon cou à tout moment. Je regrette ma décision mais pour autant, je ne peux plus faire machine arrière. Cette séance me fera le plus grand bien, je dois affronter mes peurs et ne pas me défiler. Plus jamais je ne laisserais mes frayeurs dicter ma vie, je m’en suis fais la promesse, depuis… cette fameuse nuit. Depuis cette agression, à Seattle, qui a métamorphosé ma vie. J’ai fait des choix, je me dois de les assumer pleinement. Tandis que l’inconnue me demande comment je vais, j’expire longuement et finit par murmurer:

Je… Vous voulez la vérité ou un odieux mensonge?

Je ne sais pas ce qui m’a pris, de lui répondre de la sorte. Posant deux doigts sur mes lèvres, je regrette aussitôt mes paroles et ajoute, très intriguée, plissant des yeux:

Me… me connaître? Je… Je serais bien impolie si je vous répondais que… Votre visage ne me dit rien?

J’offre une terrible grimace en retour, jouant avec le fameux écouteur, signe évident que ma nervosité est terrible et prend toute la place. Ce tête à tête me déstabilise. D’ordinaire, j’ai une facilité évidente à aller vers de nouvelles personnes, à faire leur connaissance. Mais le contexte est difficile pour moi. Et faire semblant n’a jamais été mon fort. Au lieu de m’enfoncer dans un tel inconfort, je préfère retrouver ma bonne humeur naturelle, tend la main vers elle, ou plutôt le poing, depuis cette fameuse épidémie mondiale, il s’agit davantage de la coutume et me présente:

Joanne, enchantée. Vous… Enfin, tu… On peut se tutoyer, non? Tu viens souvent ici? Moi, c’est la première fois depuis… une éternité. Je pense que je suis rouillée… Mais… J’ai tellement besoin d’évacuer.

Mais Joanne, enfin, qu’est ce qu’il te prend, à la fin? Laisse la tranquille cette pauvre Billie, elle a sûrement autre chose à faire que de voir sa séance de sport perturbée par ton malaise grandissant. Mais je ne saurais dire pourquoi…
Je me sens parfaitement à l’aise, en sa présence. Je suis… comme apaisée. Plus forte et à la fois inspirée.
Quelle est donc l’origine d’un comportement si inhabituel, de ma part? Je me demande…
Ce qui flotte dans l’air, subitement. La confiance?
Si vite? Si spontanément? On dirait bien, oui… Mes émotions me surprendront toujours, tiens!

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Joanne Prescott &  @Billie Reyes    

Il y a des rencontres qui peuvent littéralement changer le cours d’une existence.
Et j’en sais quelque chose: j’ai été marqué à plusieurs reprises par des personnes qui ont tout bouleversé, dans ma vie. Bien entendu, je pense fortement à Eliott, l’homme de ma vie, le père d’Alba. Le coup de foudre entre nous a été immédiat, fracassant et irréversible. Malgré son départ précipité, il y a treize ans, et un silence entretenu de sa part, son absence continue de me hanter. Chaque matin, quand je me lève, mes premières tendres pensées lui reviennent et quand je me couche, j’espère secrètement rêver de lui, toute la nuit, là où nous pourrons enfin être réunis et heureux comme avant. C’est un fantasme que je nourris et qui ne connaît aucune fin mais qui, quelque part, me réconforte et réchauffe mon coeur.
Et puis, avec l’agression que j’ai subie à Seattle et qui a faillit me coûter la vie, je repense très fréquemment à mon sauveur. À cette personne qui n’a pas hésité à me venir en aide, au péril d’une violence qui aurait pu se retourner contre elle. Durant de longs mois, à l’hôpital, au cours de ma convalescence, j’ai remercié le ciel de m’avoir envoyé un ange qui a su me sortir d’un enfer contre lequel je ne pouvais pas lutter. J’espère, un jour, avoir la chance de pouvoir remercier en personne cet être qui a eu un courage infini ce soir-là.
Mais je retrouve les pieds sur Terre et me souviens de la raison de ma présence dans cette salle de sport. Malgré un fort coup reçu dans ma confiance personnelle, je ne compte pas abandonner. Je dois retrouver de solides appuis, des raisons de me battre, de conserver la tête haute. Et également, d’une certaine manière, d’accepter une aide qui pourra me permettre, tôt ou tard, de me débrouiller seule. Enfin.
D’assumer mes obligations, mes responsabilités qui composent mon quotidien depuis toujours… mais avec un peu plus de vigueur, d’entrain et de certitudes.
Après un discret hochement de tête, je réponds à Billie, avec un large sourire:

Je ne dis pas non à un coup de main. Merci mille fois.

Quelque peu ragaillardie par ce soutien inattendu, j’enfile mes gants avec attention tout en poursuivant la contemplation de ce visage qui réellement ne m’est pas inconnu. Durant de longues secondes silencieuses, j’hésite. Je pèse le pour et le contre. Mais la curiosité et l’envie d’en avoir le coeur net sont plus fortes que tout, alors, je finis par questionner Billie, avec une franchise sans égale:

Excuse-moi d’insister mais… On se connaît. J’en suis certaine. Mais je suis incapable de savoir où…

Plongée dans mes réflexions, je fronce des sourcils, opte pour une attitude plutôt soucieuse.
C’est dingue, la mémoire, quand on y pense. Si sélective et manquant à tous ses devoirs, surtout quand on en a besoin…
 

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Joanne Prescott &  @Billie Reyes    

Lutter contre la solitude.
Tel a sans doute été le plus éprouvant et gigantesque des combats que je n’ai jamais eu à mener. Depuis toute petite, j’ai toujours ressenti cette bulle autour de moi, la sensation que je vis constamment seule avec du monde autour. Sociable mais sans compter sur des dizaines d’amis, bienveillante et amicale sans me livrer avec trop de profondeur. Mon coeur, mon âme, mes pensées profondes et mes aspirations secrètes, je ne les livre jamais. Encore moins depuis que l’homme que j’espérais être le grand amour de ma vie a choisi de me quitter, il y a treize ans de cela. Depuis ce traumatisme, je me concentre sur l’essentiel, ma fille, ma famille. Quitte à me sacrifier, en tant que femme, en tant qu’individu à part entière. Je me préserve, tant bien que mal. Ce n’est pas toujours une franche réussite…
Et puis, il y a eu cette fameuse nuit. Durant laquelle tout a basculé. Le sentiment de sécurité qui ne me quittait jamais m’a fait défaut et l’intégralité de mon existence a été remise en question. Ce soir-là, j’ai cru mourir. Être souillée à tout jamais.
Mais grâce à une âme courageuse et déterminée, j’ai obtenu une seconde chance. Que j’ai mis à profit, faisant face à mes frayeurs les plus intenses, quittant ma ville natale, Seattle, pour parcourir de nouvelles opportunités, pour me confronter à un nouveau départ qui, avec le recul, a été plus que bénéfique. À Monterey, j’ai eu l’incroyable chance de me lier d’amitié avec de si belles personnes. Ruby, Siobhan, Ezeckiel… À l’aube d’une nouvelle existence, je savoure ce plaisir d’être en vie, d’oser, de tenter, de vivre, de rire, de respirer.
Mais quelque chose me manque. Un élément crucial, essentiel et vital.
Mais je n’arrive pas encore à mettre le doigt dessus.
Une histoire d’amour? Impossible, quand on sait que ma précédente relation était le centre névralgique de ma vie. Je n’ai pas réussi à en faire le deuil alors m’investir dans une nouvelle passion serait inenvisageable.
Non, c’est autre chose, un détail bien plus profond… Mais que je me force à mettre de côté, le temps de cette séance de sport. Si je me suis décidé à m’y remettre, c’est justement pour arrêter de penser. Agir, avant de réfléchir inutilement. Me triturer l’esprit ne me mène à rien, je suis bourrée de bonnes résolutions.
Et puis, Billie est adorable, prévenante et je me suis instinctivement tournée vers elle, engageant la conversation, sollicitant son aide, approuvant notre collaboration future.
Sans réaliser à quel point nous sommes déjà liées, toutes les deux.
Petit à petit, avec une lenteur appréciable, une douceur formidable, elle m’avoue que nous nous sommes déjà rencontrées. Il y a plus d’un an. À Seattle.
C’était elle. Ma sauveuse.
Sous le coup de l’émotion, je sens ma poitrine se contracter, les larmes grimpent, inévitablement. Je ne lutte pas pour les faire disparaître et comme une idiote, je pose ma main gantée sur son épaule et lui murmure, des trémolos dans la voix:

C’était… Toi…? Qui m’a…

Après une longue inspiration, je gémis et part dans une longue litanie, crise de larmes incontrôlable tandis que je tente vainement de me débarrasser de mes gants pour pouvoir la toucher. Que nos mains finissent par se rejoindre, comme durant cette terrible nuit. Je me souviens avoir tenu ses doigts, le temps que l’ambulance arrive.
J’aimerais désormais pouvoir recommencer, en femme libre, forte. En vie.
Mais je n’y arrive pas, je m’empêtre dans des gestes las, dans une démarche gauche, une maladresse qui me fait défaut. D’une voix grave, je me tourne vers elle et peste dans mes dents:

Je… Merde, je n’y arrive pas… Tu peux m’aider?

Une nouvelle fois, elle me sera d’un grand secours.
Je ne réalise toujours pas l’information, si grandiose, tellement retentissante.
Billie. La femme à qui je dois la vie…

 

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Joanne Prescott &  @Billie Reyes    

Il n’y a pas de hasard, que de magnifiques occasions de célébrer la vie. En choisissant de manière bien incongrue de m’installer à Monterey, fuyant ainsi ma ville natale, j’ai fait confiance au destin, en sa formidable capacité à m’offrir des occasions d’être heureuse. J’ai cherché à oublier mais il faut croire que c’est un espoir bien impossible à entretenir. Au lieu de celà, je cherche à quitter ma torpeur, j’agis, fébrilement mais j’ai le mérite de prendre une décision. Qui force une étonnante rencontre, qui puise dans les ressources incroyables des coïncidences. Oui, aujourd’hui, je pensais me dépenser grâce à une séance de sport… Mais je trouve une toute autre satisfaction, une forme d’accomplissement bien différente de ce que j’imaginais.
C’est elle. Elle, celle qui a tout changé, qui m’a tendu la main quand je pensais que tout était perdu. Qui a œuvré afin que je puisse sortir vivante d’un effroyable piège qui était sur le point de me broyer. Je n’étais clairement pas prête pour ce formidable retournement de situation… Je n’aurais jamais pensé obtenir cette information un jour, avoir la chance de retrouver mon ange gardien. Et pourtant, il ne faut jamais dire jamais, dans la vie… J’en reçois une nouvelle preuve, en arpentant cette salle de sport, pensant y trouver surtout une occasion de me défouler, physiquement parlant.
Et puis, la voilà. Billie. Son prénom, couplé à son visage et à la curieuse sensation que son regard me dit quelque chose, cette explosion de sentiments gangrène mon âme. Il faut dire que pouvoir croiser le regard de ma sauveuse m’emplit d’une émotion que je n’imaginais possible. Quand elle prononce ces quelques mots, “c’est moi”, mon cœur se serre, ma poitrine se contracte, je peine à retrouver mon souffle. Ça paraît impossible.
Et pourtant…
Quand j’apprend qu’elle m’a reconnu tout de suite, je m’offusque, ne peut m’empêcher de pousser un hoquet de surprise et enchaîne, d’une voix pressée:

Oh mais… Tu le savais?! Et tu ne m’as…

Mais le reste de ma phrase se perd dans les tréfonds de ma gorge, elle est broyée sous l’émotion. Tant de questions affluent dans mon esprit, elles cogitent, se bousculent, j’ai du mal à m’entendre penser. Tout ce que j’arrive à percevoir, c’est la proposition sincère de Billie. Je me sens tellement honorée qu’une inconnue fasse preuve d’autant de prévenance. Mais après tout, ce n’est plus vraiment le cas… Ce n’est pas une inconnue.
C’est la femme qui m’a sauvé la vie.
Toujours sous le choc et enfin débarrassée de mes gants de boxe grâce à sa précieuse aide, je soupire, ose même quelques éclats de rire nerveux avant de lui dire, tout en hochant la tête, le menton dirigé vers le sol:

Je crois que… Je n’ai plus tellement envie de me défouler. Frapper dans un sac, quelle idée… Je… Tu… Si cette proposition d’aller boire un verre est sérieuse, je l’accepte sans hésiter.

Comment pourrais-je refuser d’apprendre à connaître celle envers qui je serais redevable à tout jamais…? Ce serait un affront bien impoli, j’ai envie de saisir cette chance. De manière bien précipitée, je me penche afin de récupérer mon sac de sport, posé négligemment non loin de là et lui propose, d’un ton enjoué, ne pouvant m’empêcher de sourire:

Je… Je connais un excellent bar à bières, juste au coin de la rue… Laisse-moi donc t’offrir la première tournée. Je vais te demander une odieuse faveur: De m’accorder un peu de temps. J’ai tellement espéré pouvoir te retrouver…

De nouveau, je les sens. Ces larmes, qui perlent au coin de mes yeux.
Billie… Enfin, je peux mettre un prénom sur un visage flou, sur une forme presque fantomatique…
Enfin, je peux avancer vers l’avenir, en en apprenant davantage sur mon passé…


 

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Joanne Prescott &  @Billie Reyes    

Je n’oublie pas grâce à qui j’ai l’opportunité de me rendre dans cette salle de sport, aujourd’hui. Grâce à qui je me tiens sur mes deux jambes, malgré une longue et douloureuse convalescence. Grâce à qui je peux respirer et vivre, tout simplement. Durant ces semaines passées à l’hôpital, seule, en tête à tête avec mes pensées, j’ai tant espéré pouvoir rencontrer en chair et en os cette âme courageuse qui a su intervenir au bon moment. Qui, grâce au destin, a croisé mon chemin et m’a protégé d’un monstre qui ne me voulait que du mal. J’ai tant désiré que la vie m’offre cette formidable opportunité, cette chance supplémentaire. De pouvoir remercier, de vive voix, une personne qui a fait preuve d’un courage hors pair afin de m’épargner d’une effroyable fatalité.
Aujourd’hui est le symbole d’une véritable renaissance.
Je ne peux pas défaire mon regard du visage de Billie. Tout d’abord car cette femme est magnifique et dotée d’un charisme renversant mais aussi car je cherche dans ses yeux quelque chose dont j’étais certaine qu’elle avait en sa possession. Du cran mais aussi un passif douloureux. Une redoutable force mais également une douceur et une bienveillance bien rare, de nos jours, dans notre société parfois si égocentrée.
Je suis tombée sur une perle, lors de cette fameuse nuit. Et je me sens comme béni des Dieux de pouvoir serrer sa main dans la mienne, échanger avec elle et surtout, avoir l’opportunité d’apprendre à la connaître.

Son invitation à boire un verre ne semble pas être tombée dans l’oreille d’une sourde. Bien au contraire, je saisis l’opportunité et je réalise que nous n’avons, l’une comme l’autre, plus aucune envie de rester dans cette salle de sport. Nous avons désormais bien mieux à faire: prolonger cette rencontre. Je surenchéris en lui proposant un bar à bières que je connais plus que bien. Cette boisson alcoolisée a toujours été mon petit péché mignon et je me sentirais bien plus à l’aise dans un lieu que je connais. Je n’ai pas besoin de rajouter des éléments externes qui pourraient me déstabiliser. Je ramasse donc mon sac, ne me change pas pour retrouver une tenue civile, je n’ai pas envie de perdre du temps et nous quittons l’établissement afin de rapidement nous engouffrer dans un autre, dont l’ambiance est radicalement différente. En fond sonore, je reconnais une musique du groupe mythique Queen et nous sommes rapidement servi par une barmaid souriante et efficace. Attrapant ainsi nos deux pintes afin de nous installer à l’abri des regards, autour d’une table plutôt excentrée, je déglutis, hésite longuement et me jette finalement à l’eau, espérant que ma démarche ne paraisse pas trop larmoyante:

Billie, tu… Tout à l’heure, tu m’as dit que tu étais désolée mais sache que… Je ne t’en veux certainement pas. Au contraire, j’ai simplement envie de te dire… Merci…

L’émotion atteint son plus haut paroxysme. Bon Dieu, nous voilà installées depuis quelques minutes à peine et je suis déjà en train de fondre en larmes! Je me sens honteuse, je n’ai pas envie qu’elle pense que je suis… faible. Alors qu’elle, de toute évidence, est une femme incroyablement décidée et faisant preuve d’une audace presque déstabilisante. Buvant littéralement ses paroles, je hoche la tête, lève mon verre et décide avant toute chose de célébrer ce moment unique:

Billie, je tiens surtout à trinquer à ta santé. La mienne se porte bien et cela uniquement grâce à toi. Tu mérites ce toast, Billie. Merci, merci mille fois!

L’adage ne dit pas que le lever de coude peut être considéré comme un sport? Certes, nous avons conjointement abandonné l’idée de nous défouler grâce à une épuisante séance de boxe mais je suis bien plus satisfaite de ce revirement de situation. Le programme me sied davantage et après une longue gorgée avalée, qui s’avère être délicieuse et désaltérante

J’aimerais que… Que tu me racontes ce qu’il s’est passé. De ton point de vue. Car je t’avoue me souvenir mais tout est encore très flou…

Ce que je venais de lui dire n’était qu’une moitié de vérité. En réalité, je voulais surtout fuir les tréfonds de mon esprit qui me rappelaient sans cesse le traumatisme que j’avais vécu, cette nuit là. Je ne faisais que fuir…
Mais plus maintenant.
Désormais, je veux affronter. Tourner la page. Me tourner vers un avenir bien plus joyeux et inspirant.
Et Billie pourrait être de nouveau la pièce maîtresse dans ce difficile et épuisant combat.

 

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Joanne Prescott &  @Billie Reyes    

Sans doute que ma présence dans ce bar est suffisamment réconfortante pour que je retrouve le courage d’affronter mon passé.
Sans doute que c’est grâce au visage bienveillant de Billie que je retrouve l’espoir qui me manquait tant.
Sans doute que quelque part, dans les étoiles, notre rencontre ainsi que nos retrouvailles étaient écrites en avance.
Sans doute.

Mais je chasse ses pensées un peu trop philosophiques pour l’instant, je cherche surtout à vivre le moment présent, à savourer ce cadeau du destin, si inespéré. À la remarque de Billie, je ne peux m’empêcher de rétorquer, d’un ton assuré:

Tu as trouvé cela normal mais je reste persuadée que tout le monde n’aurait pas agit comme toi. Tu m’as sauvée, Billie. Merci.

Et j’ai la sensation que je n’aurais jamais assez de temps dans ma vie pour la remercier, encore et encore. Ce simple mot résonne en moi comme une évidence. Merci. Billie est de toute évidence une femme intelligente, rationnelle et à la fois emplie d’un courage auquel très peu de personnes peuvent prétendre. Elle sait que ce soir-là, elle n’a pas simplement agi normalement.
Elle a fait preuve d’un héroïsme hors norme, qui m’émeut et que j’estime être la plus belle chose qu’on ai pu m’accorder. Et je suis prête à passer des heures et des heures à tenter de lui exprimer ma profonde gratitude. Si j’ai ce temps, c’est grâce à elle, après tout.

La bière me gonfle d’un courage que j’espère être à la hauteur de celui de Billie. En effet, j’ose enfoncer le couteau dans la plaie en lui réclamant des détails de mon agression. Mes souvenirs au sujet de cette nuit sont flous et j’ai la sensation de ne pas pouvoir avancer si je ne finis pas par obtenir les réponses aux questions qui me hantent. J'en ai besoin, c'est une urgence plus que vitale.
L’hésitation de Billie est plus que légitime, son ton est hésitant et le lien invisible qui nous lie désormais trouve enfin sa pleine puissance. Buvant une nouvelle gorgée de bière fraîche, qui me donne, pour être honnête, une sacrée contenance, je finis par répondre, posant mes doigts tremblants sur l’avant bras de Billie:

Oui, je suis sûre. Sûre et certaine. Je n’arrive pas à avancer, Billie, j’ai besoin de savoir. S’il te plaît.

Je suis convaincue de ne pas avoir à la supplier, sans même nous connaître, nous en savons tellement l’une de l’autre. Incapable de quitter sa main, je la serre davantage quand elle commence le récit de cette nuit décisive dans mon existence. À travers la voix de Billie, je peux sentir l’horreur qui l’a gagné, de son point de vue. Alors que du mien, c’est le noir total… Ou presque. Bien sûr, je me souviens de la terreur, de la violence de chaque coup porté. Mais l’entendre de vive voix donne à ce traumatisme une toute autre dimension. Déglutissant, je finis par lui répondre, les yeux baissés vers la table:

Merci, Billie, merci… Pour ton courage et plus encore. Tu… Tu sais, je suis restée des mois à l’hôpital. J’étais salement amochée, ma famille avait interdit l’accès de la chambre à ma fille Alba… Elle était si jeune, si perdue. Je vis seule avec elle depuis toujours, alors…

Cette confidence n’est pas celle de trop mais a le mérite de me désarçonner. Détournant le regard, fuyant en direction de ma bière, je m’accorde un court répit, avant de reprendre, si bien lancée dans mes naturelles confidences:

Je suis sortie plusieurs mois après… l’attaque. J’étais vivante, certes, mais traumatisée. Et surtout, je ne pouvais pas rester à Seattle. Alors, une nuit, je me suis extirpée hors de mon lit, j’ai pris une carte et j’ai laissé mon doigt choisir une ville au hasard. Quelle fabuleuse coïncidence que mon choix s’est porté à Monterey… Là où je te retrouve aujourd’hui.

J’offre un sourire éclatant à Billie, tout simplement car c’est une sensation de bien être qui me gagne en compagnie de cette femme formidable. Désireuse d’apprendre à la connaître, je termine ma bière, en recommande une d’un rapide échange de regards avec le barman et demande, le regard pétillant:

Et toi, Billie, parle moi de toi, j’ai tant envie d’en découvrir plus à ton sujet. Raconte-moi ce que tu voudras bien me confier.

Et ensuite, je pourrais te rendre l’appareil, t’offrir mes secrets, mon passé et mes aspirations. Toi qui compte tellement, toi qui est devenu la pierre angulaire de ma renaissance forcée…
Billie, la vie m'offre une amitié surprise, je me sens si chanceuse...

 

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Joanne Prescott &  @Billie Reyes    

Aujourd’hui, nous faisons la paix avec notre passé commun.

Celui qui n’aurait jamais dû être partagé, mais qui sommes-nous pour contrecarrer les plans de l’univers? Personne. J’aurais même pû me transformer en un simple souvenir dans la mémoire de mes proches, ayant disparu dans des conditions bien misérables, sans l’intervention de Billie. Celle que je considère comme ma Sauveuse, sans exagération possible, est bien en face de moi. Elle est réelle, si belle, forte et déterminée. Lui raconter mon parcours est un honneur qu’elle mérite amplement et apprendre à la connaître est une faveur dont je ne réalise pas l’extrême importance. Je lui explique avec précision la phase d’après, celle qui m’a semblé durer une éternité. Mais je suis revenue saine et sauve des Enfers et désormais, je savoure cette chance d’être vivante et de pouvoir avancer en direction d’un avenir toujours plus radieux.

Je suis donc informée qu’elle est une maman célibataire, telle que moi. Un pincement au cœur s’insurge dans ma poitrine mais étrangement, je suis également… soulagée. Ravie que nous partagions ce point commun, et pas des moindres, je me contente de sourire, tout en ajoutant, jouant avec mon verre vide, attendant que le suivant soit apporté par un serveur prévenant et plutôt discret qui ne tarde pas à répondre à ma demande:

Oh, tu es aussi maman? Elle est si petite, encore! Charlie est un prénom adorable, au passage. Alba a treize ans…

Mentionner l’âge de ma fille me plonge, sans réellement le contrôler, dans un désarroi presque dépressif. Grâce à cet échange, je réalise la prise du temps qui passe, inexorablement, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Je suis assaillie de flashs lumineux, de merveilleux souvenirs que je partage en compagnie de celle qui est devenue le centre de mon univers. Alba, ma lumière dans l’obscurité. La grossesse compliquée mais dont j’ai savouré chaque seconde, l’accouchement douloureux mais qui est passé en un éclair, le premier contact physique, le premier échange de regards d’une longue liste. Ses premiers pas, ses premiers mots…
Je ne pourrais plus jamais revenir en arrière. Telle est la machine de la vie, ne s’arrêtant sous aucun prétexte, ses batteries étant toujours rechargées et son rythme de croisière ne se stoppant pas, aucun grain ne venant enrayer son moteur perpétuel.
Mais tout ceci, je l’ai vécu seule, bien malgré moi. Encore un point commun que je viens de découvrir, écoutant attentivement chaque mot sortir de la bouche de Billie. J’hésite, silencieusement, à lui poser une nouvelle question, allant toujours plus loin dans la découverte de nos vies. Elle est personnelle, sans doute même un peu trop indiscrète. Pourtant, tandis que j’avale ce nectar adoré qui m’apporte un courage sans précédent, je me sens pousser des ailes et ose lui demander:

Billie, dis moi… Tu es célibataire depuis longtemps? Dans mon cas, oui, si ça peut t’encourager à te confier. Je suis seule depuis ma grossesse, enfin, plus ou moins, quelques mois avant l’arrivée d’Alba en ce monde, en tout cas. Et toi… Que s’est-il passé?

Oui, malgré cette force sans précédent qui se dégage de Billie, je peux désormais y lire une faille, dans ses prunelles déterminées. Elle n’est certainement pas perceptible au premier coup d'œil mais quand on s’y attarde, elle est visible. Lointaine, certes, et quelque peu endormie. Mais elle existe. Elle doit être ancienne, digérée depuis un long moment, mais elle ne peut être ignorée.
Ma curiosité déplacée me pousse à savoir ce qui peut composer l’histoire de cette femme formidable mais avant tout, je réalise à quel point nous nous ressemblons.
Pas de doute, nous étions destinés à nous rencontrer. Les conditions étaient loin d’être idéales, je me surprends à rêver d’un contexte différent, concernant Billie et moi-même.
Mais nous ne pouvons pas revenir en arrière. Telle est la thématique de ce tête à tête: faire la paix avec son passé, découvrir un monde étrange mais qui nous réserve encore tant de belles surprises.
Billie, à ton tour de te confier… Si tu le désires, bien entendu.
Si tu m’estimes être digne de ta confiance pour accueillir tes confidences…

 

BY PHANTASMAGORIA