it's okay, not to be okay.
clinique de convalescence ◘ ft. @Astrée Ziegler
tw :: accident de voiture, décès, coma, dépression. 

Je compte les jours. Je compte les heures. J’apprivoise le temps.
Le temps gâché, le temps qui fuit !
Celui que j’ai perdu, celui qu’il me reste avant de sortir d’ici, d’être assez forte pour reprendre le chemin sinueux de ma vie. En réalité de déguerpir très vite de cette chambre terne et noire. De cette boîte. Pour y arriver encore faudrait-il que je coopère afin d'allumer la petite étincelle qui m'arracherai de cette spirale. INFERNALE. Que je sorte du bois ou de ma tour d’ivoire. Que je collabore avec le "corps" médical et plus particulièrement avec le psychiatre que l'on m'a assigné. Désigné. Personnellement attribué…
Quelle chance !!!
J’ai déjà eu quelques séances avec lui. Évidemment je suis restée muette. Comme une carpe. Ou une tombe ! Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec lui… et mon mari. Je ne peux m’empêcher de tous les ranger dans la même catégorie. Des fouilleurs d’âmes égarées. Des fouineurs incompétents et mal habile qui vous tire les vers du nez. Que peut-il changer à cet état de fait ? J’ai tué !

Je compte les jours. Je compte les heures. J’apprivoise le temps.
Nous sommes le 28 février. Mercredi 28 février…
Tous les mercredis, je crois oui, il y a cette jeune femme qui vient distribuer des pâtisseries. Une bénévole qui doit avoir du temps à perdre. Ou une conscience à racheter ! Comment et volontairement peut-on s’égarer ici ? S’exposer à la misère humaine, aux malheureux, aux nécessiteux dont je fais définitivement partie ? Et sans rétribution ou aucune répartie. Contrepartie ? J’ai du mal à comprendre. À saisir. Ses motivations ultimes ?
Quoiqu’il en soit j’ai fait l’effort de me lever. De m’habiller. De me coiffer. Et j’attends l’unique visite de la journée. Car j’ai quelques fois l’impression que mes proches cherchent à m’éviter. Comme si on attendait plus à ce que je sois réveillé. Comme si on m’avait déjà enterré ! J’aimerais dire que je ne leurs en veux pas. Ce n’est pas le cas. La rancœur grandit en moi. Une boule de colère hostile se forme et se déforme au plus profond de mes entrailles anémiées. Je me tais. Tout en étant parfaitement consciente que je devrais mettre des mots sur mes sentiments et mes regrets. Mais si j’ouvre la bouche ce serait pour hurler !

Je compte les jours. Je compte les heures. J’apprivoise le temps.
Le temps seulement !
Toutes nouvelles personnes qui entrent dans ma sphère sont rejetées directement. Inlassablement. J’ai la nausée en pensant devoir mener une conversation banale. Insouciante et cordiale. Je hais les interactions sociales !
Et pourtant…
Quand la porte s’entrouvre doucement, je reste là. Incontestablement. Je ne bouge pas, ne la regarde même pas. Ce beau brin de fille et ses vingt ans…

- Merci, que je dis simplement en attrapant du bout des doigts la boisson chaude proposée. Penchée vers mon gobelet je vois ses propres mains emmêlées. Qui tournicotent sans but avéré. Une énigme de plus à déchiffrer ! Vous voulez vous asseoir… Astrée ?! Politesse ou simple curiosité ?

it's okay, not to be okay.
clinique de convalescence ◘ ft. @Astrée Ziegler  
tw :: accident de voiture, décès, coma, dépression, dépendance (alcool). 

La première gorgée me réchauffe le gosier. Mes yeux papillonnent vers mon invité. Elle est jolie Astrée. Elle ressemble à une poupée. Blonde. Les traits fins, parfaitement dessinés. Une vingtaine d’années…
En la regardant attentivement et de plus près je suis confrontée à ma propre jeunesse. Envolée. Qu’ai-je donc fait de ces tendres printemps réduit en cendres ? Brûlés ! Mon âge par rapport à cette jeune demoiselle est doublé. J’ai la quarantaine estropiée. Clouée dans ce fauteuil dont je ne peux à peine bouger. Je suis une grabataire avant l’heure sonnée !
Oui je suis sonnée, assommée par ce simple constat alors que tendre la main s’avère déjà compliqué. Chacun de mes muscles n’ont pas apprécié le repos forcé. Long. Prolongé. Cinq, presque six putains d’années. Le pire dans tout ça c’est que je regrette parfois… de m’être réveillée !

Elle est donc jolie Astrée. Et semble terriblement gênée… À mon invitation de s’asseoir, alors que soit dit en passant je ne l’ai absolument pas conviée, elle et son café, elle demeure paralysée. Pétrifiée. Et je me demande ce que j’ai pour provoquer une telle réaction spontanée. Moi je ne le suis pas, ou plus, impulsive et naturelle, je sais où cela m’a menée. Dans cette chambre d’hôpital qui a les allures d’une cage. C’est ça, je suis en cage, et on me visite comme un animal apeuré ! Mais il ne faut surtout pas s’y tromper. La venue d’Astrée ne me dérange pas outre mesure. Non. C’est l’image que je renvoie qui m’effraie…

Elle est aussi coincée Astrée. Obligée de faire la conversation à une inconnue sur le papier. D’une maladresse à une autre, d’une hésitation à une banalité, elle remplit son rôle Astrée. Et me demande si le café me plaît !
Elle a aujourd’hui devant elle une rescapée. Elle ne connaît donc pas l’ancienne alcoolique, celle qui a été sevré par le grand sommeil, la miraculée ! Mon corps n’a plus besoin d’éthanol, mais mon âme se tourne toujours vers sa dose. Je ris malgré moi. Un ricanement plutôt alors qu’un rictus déforme mes lippes entrouvertes, telle une grimace désabusée. L’âpreté du café n’est rien à côté d’un gin parfumé !
Deuxième gorgée, comme pour vérifier mes pensées. J’hausse les épaules, découragée. Décidément rien ne remplacera jamais la douceur du poison dont je me suis abreuvée. Mais je mens. J’ai l’habitude de mentir, pas vrai ?!

- Un peu froid, que je fais, pour me dédouaner, alors qu’elle a l’idée, saugrenue, d’ouvrir les rideaux et de laisser la lumière nous inonder. Si elle ne connaît pas mon passé de dépendante invétérée, elle devrait savoir que j’ai longtemps marché dans la vallée de l’ombre. Que l’on ne revient pas indemne quand on n’a longtemps été qu’un fantôme. Racontez-moi plutôt pourquoi une charmante demoiselle comme vous l’êtes… se perd dans les couloirs d’une clinique privée ? Encore une fois, simple curiosité !

it's okay, not to be okay.
clinique de convalescence ◘ ft. @Astrée Ziegler  
tw :: accident de voiture, décès, coma, dépression, dépendance (alcool). 

Que peuvent avoir deux inconnus à se raconter ? Quelles sont leurs chances de se conter, sans fard ni peintures, de se narrer ? Je ne suis pas bavarde, je ne l’ai jamais été ! Je ne suis pas extravertie, mais au contraire réservée, silencieuse et renfermée. Le coma n’a sans doute rien arrangé à cet état de fait. J’ai vécu toutes ces dernières années, enfermée dans mon propre bocal. Bancal. Dans mes souvenirs. Floutés. Je ne me tourne donc pas vers les autres, je les dispense d’écouter mes bobos, mes soucis, mon passé. Mais y’en a un ici qui gagne sa vie sur mon dos et ma logorrhée. Mon mari, psychologue renommé, en paye un autre pour m’entendre parler. Moi j’suis toujours face à un étranger. Un peu comme Astrée…

Je ne suis donc pas loquace mais observatrice hors pair. Et je sais que la demoiselle fait toujours son premier arrêt dans la chambre à côté. C’est mon voisin Glenn qui, à chaque visite, à la primeur de son charmant sourire. C’est à lui qu’on sert le café, chaud, souvent accompagné d’une douceur, elle-même invariablement emballée dans le sempiternel et identique sac en papier. Le logo dessus je ne l’ai pas reconnu, rien d’étonnant quand on est resté cloîtré aussi longtemps que je l’ai été… J’me suis dit qu’elle devait y travailler ou vivre dans le quartier de c'café. Parce que j’ai cherché ! Depuis qu’on m’a collé un smartphone et une connexion wifi je passe mon temps à apprendre qui sont les personnes qui m’entourent sans avoir à les accoster.  C’est dingue ce qu’on peut faire aujourd’hui avec un si petit objet. Les informations qu’on peut récolter. Récupérer. Un jour j’y ai même entré mon propre nom dans la barre de recherche, comme si j’avais besoin d’un regard extérieur pour savoir qui j’étais ! Ce que j’ai vu m’a littéralement horrifié. Je suis purement et simplement un fait divers, de société, une paria dont l’histoire tumultueuse s’étale encore à la une et noircie les pages de surnoms plus ou moins imaginés !

La miraculée est celui dont je suis le plus souvent affublée !

Quand ce "titre honorifique" passe les lèvres de la douce bécasse assise à mes côtés je manque de m’étrangler avec son putain d'café. Déjà que j’me force à l’avaler, et dire que je le suis faite violence pour préserver un "tissu de liens sociaux" au milieu de ma solitude forcée. Je me demande comment elle a osé. Me jeter en pleine gueule ma triste "renommée". Je tente de toutes mes forces de me canaliser. De ne pas exploser. J’ai pourtant envie et besoin d’hurler. De la dégager. Mais si j’veux pas qu’on associe miraculée à folle à lier, j’ferais mieux de m’calmer. Je n’écoute plus ce qu’elle me dit, si elle chante, danse, rit en plus de se foutre de ma poire. J’veux juste la voir s’en aller…
Doucement je pose le gobelet.
J’étire un sourire mauvais.

- Excusez-moi Astrée… je suis fatiguée !