Le grand jour est enfin arrivé.

Sujet: Le grand jour est enfin arrivé. Jeu 18 Jan 2024 - 17:19#

Le grand jour est enfin arrivé.
ft @Luna Norwood

Le soleil se lève à peine, traversant timidement les rideaux de ma fenêtre qui virevoltent élégamment sous l’effet d’une brise rafraîchissante et la bienvenue en cette matinée étouffante. Un soleil inquiétant pour la saison se hisse dans le ciel et nous apporte une température plus que clémente, pour cet hiver bien tumultueux.
Et je suis à l’image de cette journée: hésitant, complexe et tourmenté.
Comme lors de tous mes réveils, je suis seul. Je ne prends plus la peine de tourner mon regard endormi vers le second oreiller, installé comme le veut la convenance, à gauche du mien. Il est déserté depuis si longtemps que j'oublie parfois qu'il a été quotidiennement occupé, autrefois. Je me contente de frotter mes paupières qui restent closes malgré tous mes efforts, de repousser d’une main fébrile la couette composée de plumes d’oie de l’autre côté du lit et pose un pied à terre.
Incertain à l’idée qu’ajouter l’autre serait une bonne décision à prendre.
Une idée fugace me traverse, qui ne me ressemble pas: et si je restais au lit, pour changer? Et si je poursuivais cette nuit de sommeil que j’ai une nouvelle fois trouver trop courte, si je décidais de m’endormir pour tenter d’oublier l’horreur qui caractérise mon quotidien, désormais?
Mais j’ai des responsabilités, j’en suis bien conscient. Je n’ai d’autres choix que de me diriger vers ma salle de bain, attenante à mon dressing, me faufiler sous ma douche afin de laisser l’eau froide me sortir de ma torpeur et de mon engourdissement qui n’est certainement pas apprécié. J'ai des obligations... et je ne peux pas me défiler. Que pourraient penser mes patients si je finissais par abandonner le combat…?
Tandis que j’enfile une chemise propre et impeccablement repassée, je remarque une notification sur mon smartphone dernier cri, une dépense à priori nécessaire, selon ma secrétaire. Elle m’a poussé à débourser une somme folle pour ce rectangle regorgeant de dynamisme et de prouesse technologique… Qui s’avère en effet très utile. Surtout quand je découvre qu’un numéro inconnu vient de me contacter. Sans succès.
Mais certaines discussions ne peuvent être ignorées.
Tant pis pour mon programme bien organisé pour la matinée, là, il s’agit d’une urgence. Je le sens, mon instinct me hurle que cet appel manqué n’est pas anodin. Un frisson parcourt ma colonne vertébrale, m’intimant que ce détail est tout sauf rationnel. Fronçant des sourcils, j’attrape de mes doigts agiles le fameux téléphone portable, déverrouille rapidement l’écran et contacte à mon tour le fameux inconnu.
Sans me douter une seule seconde de l’information que le Docteur s’apprête à me révéler.

Quelques minutes plus tard, je raccroche enfin. Interloqué, je croise mon regard dans le miroir. Y voit le visage d’un homme dont la femme vient de se réveiller après un long coma de plusieurs années.
Oui, Nyls, absorbe cette vérité: Sylvia Norwood vient d’ouvrir les yeux.

Ma poitrine se contracte, je peine à respirer, je manque de tourner de l'œil. En réalité, je suis submergé par cette information que j’ai attendu pendant longtemps. Sans doute trop. Et bien que mes premières pensées s’envolent vers ma femme qui revient d’entre les morts, je ne peux m’empêcher d’également considérer Luna dans l’équation de ce véritable tremblement de terre. Ma fille tant adorée, avec qui les choses ne sont clairement pas évidentes, depuis cette fameuse nuit, depuis… l’accident. Depuis ce revirement de situation qui nous a marqué à tout jamais.
Je n’ai pas à la prévenir du réveil de sa mère, le Docteur m’a informé qu’il s’en était déjà chargé. Pincement au cœur de ne plus être suffisamment proche d’elle pour lui apporter ce soulagement. Tiraillé, j’hésite longuement. La réaction classique et justifiée d’un mari aimant serait de courir au chevet de sa femme. Mais… Quelque chose m’empêche de prendre cette décision de manière aussi radicale. Je tourne en rond, dans ma chambre, durant presque une demi-heure. Avant de retrouver la raison.
Ma place est auprès de Sylvia. Et par extension, de Luna, ma… notre fille.

Une fois que mon esprit a retrouvé sa mécanique habituelle, je peux m’activer. Quitter ma maison, prendre le volant, direction l’hôpital. Je sens mon âme se dissocier de mon corps, je ne contrôle plus mes gestes mais les réalisent de manière si spontanée. C’est que je me suis rendu à cet hôpital des centaines, voire des milliers de fois… Je n’ai pas à réfléchir, je me gare à ma place habituelle, m’engouffre dans le gigantesque hall, me faufile jusqu’à une cage d’ascenseur, déjà occupée par une jeune femme vers qui je relève le regard…

Et soudain, je la vois.
Dans un flash aveuglant, je suis propulsé dans LE plus beau souvenir de mon existence: le jour de sa naissance. La seconde où ma vie a basculé vers la plus belle direction que je n’aurais jamais espéré. Le jour où je suis tombée amoureux pour toujours et à jamais.
Des mois que je ne l’avais pas revu. Je suis sous le choc, éberlué et sens mes genoux trembler sans aucune volonté de me contrôler.
Elle est là. Debout, à me regarder, à quelques centimètres de ma carcasse translucide.
Nous sommes de nouveau réunis. Le père et sa fille, autrefois si complices.
Le passé et l’avenir enfin entremêlés, le présent à notre portée.
D’une voix dure, je prononce quelques mots incohérents, grande première dans mon cas:

Luna… Tu… Tu es venue…

Nyls, tu fais preuve ici d’un manque évident de tact, ton entrée en matière est pitoyable, ta voix regorge d’une politesse loin d’être sincère.
Mais que pourrais-je lui dire?
À quel point elle m’a manqué? Que son visage est un soulagement que je n’espérais plus possible…?
Cette conversation, je l’ai tant rêvé. Il s’agirait de ne pas détruire les chances qu’elle se déroule à merveille…

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Sujet: Re: Le grand jour est enfin arrivé. Jeu 25 Jan 2024 - 20:38#

le grand jour est enfin arrivé
@Nyls Norwood

Maman,
Tout s’est arrêté trop tôt. Du jour au lendemain, j’ai cru te perdre. Alors bien sûr, tu es toujours là, en train de « dormir » comme on dit. Mais tu n’es pas vraiment là. Parfois, je viens pour te regarder, en attendant que tu te réveilles. Mais ça fait maintenant 5 ans que je viens pour te raconter ce qui se passe dans ma vie. Il y a eu une période, au tout début, où je ne suis pas venue souvent.
Si jamais tu lis cette lettre un jour, sache que ce n’était pas de ta faute. Mais j’avais tout cette rage en moi à cause de cette situation. J’ai donc décidé de m’envoler loin de tout ce monde néfaste pour aller visiter le monde. Et le monde n’est pas si moche qu’on le prétend. J’ai rencontré des personnes formidables et j’ai vécu des expériences incroyables. Parfois, quand je vis des choses comme ça, j’ai envie de les partager avec toi. Alors, comme je ne peux pas vraiment te les raconter, je te les écris.
Tu sais, j’aimerai partager tout ça avec papa mais depuis que tu n’es plus là, je ne m’entends plus avec lui. Plus rien ne va. Chaque fois que je le vois, j’ai l’impression d’être constamment en colère contre lui. Je lui reproche ton accident. En grandissant, bien sûr, j’ai compris que ce n’était pas de sa faute. Mais nous nous sommes disputés tellement de fois et je suis encore tellement en colère contre lui que je n’y arrive pas. Mais tu sais, des fois, j’aimerai tout effacer, juste pour le prendre dans mes bras et tout oublier …

Les pleurs de Freya réveillèrent Luna de sa torpeur. Elle relisait une des lettres écrites à sa mère, quelques temps plus tôt. Le soleil se levait à peine mais Luna était debout depuis longtemps déjà. Elle n’arrivait pas à dormir ce matin, comme si son instinct lui criait que quelque chose allait arriver. Alors forcément, Luna s’attendait au pire. Elle attendait que les minutes passent, elle s’occupait. S’occupait de la maison. Des affaires de Freya. Elle rangeait tout ce qui trainait et quand plus rien ne trainait, elle s’était mise à trier ce qui n’était pas bien rangé dans les placards. C’est ainsi qu’elle était retombée sur cette lettre.
« Maman ! » Freya se plaignait encore, alors que le téléphone s’était mis à vibrer dans sa poche arrière. La jeune femme attrapa sa fille dans ses bras et s’empara de son téléphone pour décrocher. À l’appareil, le docteur qui s’était occupé de sa mère. Luna s’attendait à ce qu’il lui dise que sa mère avait un problème qui s’ajoutait à son coma. Ou qu’il fallait prendre une décision car elle n’avait pas beaucoup de chances de se réveiller. Après tout, Luna avait espéré pendant de trop nombreuses années avant d’abandonner. Elle avait cessé d’espérer sans pour autant cesser d’aller la voir.

Sauf qu’elle se sentit fébrile quand on lui annonça que sa mère avait ouvert les yeux. Évidemment, n’y croyant pas, elle avait demandé des détails. Si elle avait ouvert les yeux mais que sa tête n’était pas là, ce n’était peut-être pas nécessaire de prendre la peine de venir la voir. Mais le médecin insista pour qu’elle vienne. Et il avait prévu son père, évidemment.
Luna raccrocha mais n’entendait plus la voix de sa fille qui se plaignait. Elle resta en état de choc pendant un long moment, s’occupant de sa fille, s’occupant très grossièrement d’elle et laissant sa fille à son colocataire : elle ne pourrait pas emmener sa fille à l’hôpital. Elle ne croyait pas à ce qu’il venait de se passer. Elle n’arrivait pas à réaliser que sa mère avait ouvert les yeux. Tout semblait si fou. Si impossible.
Il fallait pourtant qu’elle s’y rende. Pour le voir de ses propres yeux.

Plus rien n’avait de sens ou de saveur. Tout n’était que mécanique, elle se garait comme un robot, sans réfléchir à où ni comment. Elle se laissait emporter par le flux de la vie. Son cerveau essayer d’assimiler des informations, de faire avancer son corps, de le pousser à entrer dans cet hôpital visité des milliers de fois. Elle connaissait la chambre, n’avait qu’à prendre l’ascenseur jusqu’à l’étage associé.
Ce qui la sortit de sa torpeur, c’est le visage de son père qui s’afficha dans son champ de vision. Pendant un instant, elle crut que c’était une hallucination dû à son état de choc mais quand il lâcha quelques mots, elle se rendit compte qu’il était bien là. Et pendant un instant, elle voulut laisser ses émotions la submerger, pleurer, parler de ce qu’elle ressentait, le prendre dans ses bras.
Mais elle se renferma. Acquiesça de la tête.

— Bonjour, papa. Tu ne croyais tout de même pas que j’allais continuer ma vie normalement alors qu’on m’a annoncé que ma mère s’était réveillé ?

Elle ne se rendit pas compte de son ton agressif. Elle ne s’était jamais remise de toutes ces disputes avec son père. Elle l’aimait mais la colère était telle qu’elle ne pouvait s’empêcher de la faire ressentir dans la moindre de ses paroles. Elle croisa ses bras sur la poitrine. Les portes de l’ascenseur se fermèrent sur eux et elle espéra pendant un instant qu’une personne arrive dans l’ascenseur pour les empêcher de vivre un voyage gênant, sans aucune parole.

Le grand jour est enfin arrivé.
ft @Luna Norwood

Ma fille. Le centre de mon Univers. Comment avons-nous pu arriver au stade où nous nous retrouvons tels deux étrangers qui ne savent plus comment s’apprivoiser…?
Morose et blessé, je tente pourtant de donner le change, face à Luna. Je reste son père, je n’ai pas envie qu’elle s'aperçoive de mes failles. Piqué dans mon égo, je rétorque face à ces mots, la voix brisée:

Non, bien sûr que non, je ne pensais pas à une chose pareille…

Mon regard ne peut la dévorer plus longtemps, je finis par baisser les yeux sur le sol crasseux de la cabine d'ascenseur. Par chance, ou grâce au ciel, nous nous sommes seuls. En tête à tête. Pas d’autres patients ou membres de famille n’étaient venu nous rejoindre, nous n’avions que quelques secondes avant d’arriver dans ce couloir que nous ne connaissions que trop bien. Me sentant poussé par une main invisible, j’ose enfin prendre les devants et ouvre la bouche, une nouvelle fois, afin de poursuivre une conversation banale à souhait:

Luna… Comment vas-tu…? Cela fait des mois que nous ne nous sommes pas vus…

Avec le recul, souligner un fait aussi triste n’est sans doute pas la meilleure des idées, surtout vu le contexte qui nous réunit. Mais face à ma fille, je suis déstabilisé, je ne sais plus comment l’aborder sans la vexer. D’un regard en coin, je peux m’apercevoir que son visage tremble sous la fureur. Et puis, je réalise qu’elle aussi doit être complètement bouleversée par la nouvelle qui nous a été apprise ce matin. Certes, Sylvia est ma femme mais elle également sa mère. Notre famille brutalement disloquée il y a maintenant cinq ans est aujourd’hui complète, l’heureuse trinité que nous composons autrefois est remise au goût du jour.
À nous de faire le meilleur usage d’un miracle aussi beau et salvateur…

Bien trop tôt à mon goût, les portes de l'ascenseur s'ouvrent. Dépité, je fais quelques pas afin de quitter la cabine, ayant la sensation que j’ai manqué une occasion en or de retrouver ma fille. Mais rapidement, je repère le médecin qui s’occupe de Sylvia depuis toutes ces années. Venant à notre rencontre, le visage illuminé, il nous explique, d’une voix aiguë et enjouée, à quel point le fait qui concerne Sylvia Norwood est unique en son genre. De ce que je comprends, tentant de me concentrer un maximum, elle a tout simplement… ouvert les yeux. Comme ça, aux premières heures de la journée, la bouche pâteuse, réclamant de toute urgence un verre d’eau. Mais elle est en parfaite santé, aucun dégât n'est à constater. Toujours en surveillance rapprochée, nous allons pouvoir constater ce miracle de nos propres yeux d’ici une belle demi heure. En attendant, le médecin nous informe qu’il s’apprête à préparer une quantité faramineuse de documents administratifs qu'il faudra signer pour sa prochaine sortie, qui n'aurait pas lieu avant quelques jours. Prenant enfin congé, sautillant tel un enfant le matin de Noël, nous nous retrouvons de nouveau seuls, avec Luna. Certes, des dizaines de membres du personnel médical se pressent autour de nous, pris par l’effervesence d’un évènement sans précédent.
Mais tout ce que je vois, le seul et unique point de vue qui compte est que j’ai ma fille sous les yeux. Et que je dois en profiter pour tenter de recoller les morceaux de notre relation dysfonctionnelle.
Après m’être raclé la gorge, je m’approche de Luna, tente de poser ma main sur son épaule et lui demande, le plus naturellement du monde:

Alors, Luna… Tu... Tu veux en parler? Tu dois être sous le choc, ma chérie, je… J’aimerais t’aider et te…

Et te prendre dans les bras? Ce n’est certainement pas l’envie qui me manque, à cet instant. J’ai besoin de ce rapprochement physique, moi qui vis une journée qui marquera mon existence à tout jamais. Je ne me suis jamais senti aussi seul que maintenant.
Luna, ma fille… Cesse de me voir comme ton ennemi, je t’en prie…
Dans cette bataille, nous méritons de nous retrouver côte à côte. Et certainement pas l’un en face de l’autre, cela n’a plus aucun sens…

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Sujet: Re: Le grand jour est enfin arrivé. Sam 9 Mar 2024 - 13:01#

le grand jour est enfin arrivé
@Nyls Norwood

Son père avait été tout ce qu’il lui restait pendant un temps mais il avait fallu qu’elle rejette la faute sur quelqu’un. Ne pouvant en vouloir à sa mère, Luna avait repoussé la faute sur son père, les éloignant alors soudainement. Cette expérience commune aurait dû les rapprocher mais Luna avait préféré fuir la situation, se mettant dans une quête sans queue ni tête quand elle avait décidé de partir en voyage pendant presque quatre ans avant de revenir à Monterey. Là-bas, Luna avait vécu de magnifiques choses, des histoires sublimes, un heureux évènement, qu’elle avait ramené quelques mois à Monterey pour accoucher et s’occuper de sa fille avant de repartir sur les routes, trop amoureuse de ce mode de vie. Freya avait connu de nombreux pays du haut de ses 4 ans et c’était ce qui faisait la fierté de Luna. Elle avait tenté de réfléchir à la culpabilité qu’elle posait sur les épaules de son père, à la colère qu’elle éprouvait envers lui. Elle savait, de toute évidence, qu’elle aurait besoin d’une discussion avec lui mais aussi de laisser couler l’eau sous les ponts. Il fallait qu’elle pardonne, qu’elle cesse de rejeter la faute sur lui. C’était ce qu’elle tentait de faire aujourd’hui, mais la colère sourde avait repris le dessus dans cet ascenseur.

Les mots de Nyls étaient comme des poignards ; Luna n’était pas heureuse, malgré tout. Elle était triste d’avoir sa mère dans le coma, même si elle avait appris à faire avec. Elle était en colère que son père n’ait pas tenté de faire davantage pour rattraper sa fille, qu’il n’ait pas tenté de lui montrer plus fort et plus puissamment qu’il l’aimait. Elle lui en voulait qu’il subisse la colère de sa fille sans se réveiller, sans s’indigner.

« Comment tu crois que je vais ? Ma mère est dans le coma debut cinq ans. Et tu n’es même pas venu chercher de mes nouvelles ! »

La colère prenait le dessus, elle préféra détourner le regard. Le petit animal blessé fronça les sourcils et retint des larmes de détresse.
Les portes de l’ascenseur s’ouvre, lui permettant de s’échapper de cette prison émotionnelle, de cette discussion qui était en train de lui faire perdre les pédales. En aucun cas elle n’avait envie de montrer aux autres qu’elle était déstabilisée, qu’elle avait des émotions. Elle se referma sur elle-même et retint ses larmes dignement avant de relever la tête. Heureusement, son père n’essaya pas de la faire parler davantage et ils se retrouvèrent face à un médecin un peu trop enjoué à son goût. Luna était certes, heureuse, mais elle savait que ce sentiment pouvait être de courte durée. Elle savait que tout pourrait lui être repris d’un seul coup. Elle découvrit avec effarement que sa mère avait tout simplement ouvert les yeux comme si elle s’était réveillée d’un long sommeil, digne de la belle au bois dormant. Luna ne comprend pas ce qu’il se passe. Le monde se presse autour de nous tandis que le docteur s’éloigne. Elle a encore dû mal à réaliser que sa mère est en vie, réveillée, après cinq ans d’absence et des soirées à veiller sa mère. Il y a trop. Trop de monde, trop d’émotions, trop de stimulations, son cerveau va exploser, son cœur implose, les milliers de stimulus deviennent trop nombreux, elle déchante, elle tremble, elle va tomber et Nyls est la goutte d’eau. Une main sur l’épaule, des paroles qu’elle n’entend pas, elle crie. « Lâchez-moi ! » Puis elle court, elle court jusqu’au bout du couloir, tourne, trouve un coin et se mets à pleurer, lâchant toutes les larmes de son corps, suppliant au fond d’elle son père de devenir la chercher, la dorloter, comme l’enfant qu’elle était, comme le bébé dont il s’est occupé tant d’années. Elle voulait qu’il vienne la rassurer, l’aimer, la prendre dans ses bras. Parce qu’elle craquait.

Le grand jour est enfin arrivé.
ft @Luna Norwood

C’est une journée triomphale que nous sommes en train de vivre. Un véritable événement médical, miraculeux même, selon les dires des médecins qui s’agitent autour de nous. Ils semblent aux anges de pouvoir assister à un fait aussi rarissime, gesticulent dans tous les sens, s’échangent des données et des résultats avec un enthousiasme sans égal.
Mais ils oublient sans doute qu’avant toute chose, nous sommes une famille.
Disloquée, certes. Ne tenant debout que grâce aux branches brisées d’une coalition qui n’a plus lieu d’être. Nous flottons dans cet univers que nous avons pourtant côtoyé durant de longues années, tout en restant perpétuellement en retrait. Pour ma part, je n’ai jamais désiré tisser de liens avec les infirmières ou le médecin chargé de Sylvia. C’est la fréquence de mes visites qui a créé l’habitude, ce n’est que la résultante de semaines et de semaines programmées toutes de la même manière. Je reste un étranger en ces lieux, le mari de celle qui a désormais enfin ouvert les yeux. Je suis un père pour une jeune femme qui ne sait comment gérer cette annonce brutale.
Et nous restons surtout une famille perdue et abîmée.

La colère de Luna est sans égale. La brutalité de ses propos me choquent mais je reste avant tout son père, je dois être un modèle pour elle, quel que soit son âge. Je ne dois certainement pas céder à la panique, ni même laisser mes émotions profondes guider une impulsivité qui serait bien mal perçue.
Luna mérite mieux que la version déplorable que je lui ai présentée ces derniers temps. Je dois reprendre les choses en main, me montrer digne et maîtrisé.
Délicatement, je prononce ce prénom, celui que j’ai tant choyé depuis sa venue au monde:

Luna…

Que dire de plus? Que rétorquer? Sa réaction est compréhensible, tout à fait logique. Moi-même, tout au fond de mon âme, je suis en proie à des foudres, à une tempête que je canalise dans ma poitrine. Ses cris déchirent l’atmosphère ambiante, pourraient être mal perçus par l’équipe médicale.
Sauf pour moi. Moi, je la comprends. Moi, je sais ce qui l’anime, à cet instant précis.
Interdit, j’observe Luna se débattre, hurler, courir et fondre en larmes, à l’autre bout du couloir. Après une courte hésitation, je finis par la rejoindre, grâce à de grandes enjambées. Un tel effort physique augmente mon rythme cardiaque déjà endiablé, je manque de souffle, pourtant, je réussis à déglutir:

Luna… Luna, je t’en supplie, ne me repousse pas… Luna, laisse moi t’aider, laisse moi être là…

Je m’accroupis, pour être à sa hauteur. Lentement, j’approche mes doigts de ses cheveux, attrapant une mèche que je place derrière son oreille. L’observer dans un pareil état me foudroie le coeur, je n’ai jamais supporté l’entendre ou la voir pleurer et ce depuis son plus jeune âge. Contrôlant tout de même mes actes, je finis par employer une voix plus décidée en lui disant:

Luna, écoute moi. Cette épreuve, nous aurions dû la vivre ensemble. Mais il n’est pas trop tard, il n’est jamais trop tard. Nous allons descendre, prendre un café, souffler un petit peu avant d’aller retrouver ta mère.

Ce n’est ni une question, encore moins une proposition courtoise.
Chacun a son rôle à jouer, et j’ai été durant une trop longue période absent de mes obligations.
C’est donc la main d’un père que je tends à Luna, espérant qu’elle la saisisse, refusant de jeter l’éponge.
Il est tout bonnement impossible de rattraper le temps perdu. Sylvia le sait mieux que quiconque et les deux membres les plus proches de son cœur ont dû subir les lances de l’impitoyable destin.
Tout ce qui est pris n’est plus à prendre.
Et ce que je décide d’attraper, à cet instant précis, ce sont les larmes qui roulent sur les joues de ma fille chérie.
Luna, n’ai pas peur, Papa est là… Il a toujours été présent et le sera jusqu’à la fin des temps.
Attrape ma main, enfuyons-nous, le temps d’une petite heure. Reprenons nos esprits.
Nous avons mérité cette trêve, je hisse le drapeau blanc…

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le grand jour est enfin arrivé
@Nyls Norwood

Elle aurait dû être heureuse. Se sentir bien. Sa mère était en vie, sa mère s’était réveillée de son coma. Tout allait redevenir comme avant. Mais Luna savait : rien ne serait plus jamais comme avant. L’idylle qu’elle avait encore quelques années plus tôt quand elle venait voir sa mère pour parler en monologue avec elle, cette idylle que tout était beau, tout était rose, s’était évanouie. Elle le savait, mais elle se faisait encore des illusions, espérant peut-être que tout rentrerait dans l’ordre. Elle avait le cœur et la raison, se battant pour prendre le dessus et les émotions livrant un combat sanglant, cherchant à faire gagner l’un des deux camps. Tout ce qu’elle ressentait était si vif que Luna n’arrivait pas à contenir ce qui lui arrivait. Elle avait envie d’exploser, elle avait envie de fuir cette situation pour ne plus ressentir autant. Elle voulait se rouler en boule dans un coin et devenir invisible pour que plus rien n’ait d’importance.

Pendant cinq ans, Luna avait décidé d’apprendre à construire sa vie seule. Elle avait fait ce qu’elle pouvait : elle avait beaucoup voyagé, elle avait rencontré un gentil garçon, elle avait eu une petite fille de lui mais il n’y avait plus rien avec ce garçon. Elle avait fini par prendre une coloc à Monterey avec un autre garçon. Elle était devenue ambulancière. Pour sauver des vies. Elle se battait tous les jours entre cette envie d’être jeune, de profiter de la vie et cet rappel à la réalité lui indiquant qu’elle était mère, ambulancière et qu’elle était surtout dans la vie active. Plus tôt que les autres. Une jeunesse bafouée, elle avait voyagé. Elle avait décidé de garder le bébé qui se formait dans son ventre, elle avait fait de nombreux choix qu’elle ne pourrait jamais regretter. Et pourtant, elle voulait à la fois profiter et être responsable. Comment fait-on ? Comment fait-on pour ne pas craquer dans ce genre de situations ? Luna n’en a aucune idée, c’est pourquoi elle se laisse envahir par ses émotions.

Elle a un besoin d’amour menaçant, elle a besoin de se sentir aimée, soutenue. Elle a envie de plus faire la guerre à son père, elle sait qu’il fait de son mieux mais elle n’y peut rien, la rancune est trop forte. Pourtant aujourd’hui, elle n’a qu’une envie : le voir arriver près d’elle pour qu’il la prenne dans ses bras et que toutes ses douleurs s’envolent soudainement, comme avant. Comme quand elle n’était qu’une petite gamine sans défense. Même si elle a grandi, elle a toujours besoin de l’amour de son père. Elle entendait sa voix venir à lui, la seule voix dont elle avait besoin. La seule voix pour la retenir de ce gouffre béant qui s’ouvre devant elle. Ses mots sont comme une délivrance, ses gestes sont salvateurs, Luna se détend. Elle lit dans son regard qu’elle n’est pas la seule en proie à ses démons, à des émotions intenses. Mais contrairement à elle, son père parvient à se maîtriser de la plus belle des manières. Il garde la tête haute malgré les évènements particulièrement déroutant. Alors qu’il essuya les larmes sur les joues de sa fille, Luna renifla et attrapa sa main pour se relever. Elle fondit en larmes dans ses bras, s’approchant à lui puissamment, cherchant tout le réconfort possible le temps de quelques instants. Finalement, les sanglots se firent moins prononcés. Elle commençait à reprendre son souffle, à revenir à elle-même. Elle lui pardonnait tout, à cet instant, parce qu’elle n’avait plus la force de lui en vouloir. Elle essuya les nouvelles larmes qui étaient arrivées entre temps sur son visage et prit une profonde inspiration, se remettant de ses émotions.

« Allons-y. »

Elle se détacha de son père et le suivit calmement. En descendant, elle sentait les regards sur elle. Elle se doutait qu’elle devait avoir les yeux bouffis, le visage tout rouge mais elle n’en avait que faire. Elle suivait son père de près comme une jeune enfant, silencieuse, à moitié dans sa tête. À la machine, elle décida de s’asseoir et attendit que son père prenne place près de lui. Son café en main, elle éleva finalement la voix.

« Je suis désolée, papa … Je n’ai pas été très agréable, ces dernières années, avec toi. Je crois que … je crois que je mettais toute ma colère, toute cette injustice que je ressentais sur toi. Parce qu’il me fallait bien un coupable. Mais je sais que tu n’y es pour rien. Que la vie est ainsi. Qu’il faut l’accepter. Je suis sincèrement désolée … »

Le grand jour est enfin arrivé.
ft @Luna Norwood

Des années que je parcours ce couloir, cet étage, cet hôpital.
Comme un second chez moi dont je n’ai jamais voulu. Au sein duquel je ne me suis jamais senti à l’aise.
Il a été le témoin d’une certaine déchéance, demeure informelle pour celle que j’ai choisi d’épouser, il y a de cela des années lumières. En me rendant ici, ne faillant pas dans ma promesse d’être présent pour le meilleur et surtout pour le pire, j’ai eu la sensation de me plonger dans un deuil impossible, d’entretenir le souvenir d’une douleur qui jamais ne pourrait se tarir.
Mais aujourd’hui, tout est différent. Notre famille qui a explosé en plein vol il y a de cela des années se reforme, non sans difficulté. Observer la chaire de ma chaire dans un état de désolation aussi évident me foudroie mais j’y vois surtout une occasion en or: lui prouver que mon amour à son égard ne disparaîtra jamais. Alors, je lui tends la main, je patiente…. Jusqu’à ce qu’elle l’accepte. Enfin.

Sentir Luna contre mon torse, avoir l’occasion de lui caresser les cheveux, de la rassurer. Rien n’était aussi apaisant que ce contact, celui que je n’avais pas eu depuis bien trop longtemps à mon goût. Ma proposition de partager un café étant acceptée, nous quittons ce couloir, nous trouvons un coin tranquille. J’entends, d’une oreille affutée, mon enfant pleurer, extérioriser cette peine incommensurable, que j’aurais aimé apaiser depuis si longtemps déjà.
Mais personne ne peut revenir dans le passé. Personne.
Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est avancer, main dans la main.

Les excuses de Luna me provoquent un soulagement dont elle ne se doute pas. Me plaçant contre le dossier de mon siège, après lui avoir apporté son gobelet fumant, retenant avec émotion les larmes qui grimpent, qui menacent de couler sur mes joues, je prends quelques instants afin de poursuivre notre échange, remettant de l’ordre dans des pensées bien diverses.
Je repense aux premiers pas de Luna, à ses premiers mots, ses premiers sourires, ses premiers bobos, ses premiers chagrins…
Ma fille, tu as tellement grandi. Tu as vécu tant de choses impossibles, tu as dû affronter tant de combats qui n’auraient jamais dû être les tiens… L’injustice d’un tel destin me détonne le cœur, détruit tout bouclier que je tente pourtant depuis toujours de dresser devant toi.
Cette époque est révolue. Nous ne sommes pas des ennemis, nous n’aurions jamais dû le devenir, d’ailleurs. Et désormais, le dialogue doit être de mise, entretenu comme il se doit et ne plus jamais disparaître, je ne le supporterais pas.
Alors, prenant mon courage à deux mains, j’ose me livrer, à pas de loup, n’osant pas pour autant planter mon regard dans celui de ma fille, de peur de faillir à mon tour:

Luna, tu n’as pas à m’offrir des excuses. Ce serait plutôt à moi de t’en présenter… J’ai été un père lamentable, ces derniers temps. J’ai… Je pense que je n’ai tout simplement pas digéré l’horreur qui est arrivé à ta mère, à notre famille. Je me sens fautif, bien entendu… J’aurais dû réagir avant, cacher les clés de sa voiture… Si seulement…

Mais avec des si, on referait le monde et s’il existe bien un homme dans ce monde qui compose avec la réalité, c’est bien moi. En choisissant d’entendre, jour après jour, de sombres inconnus me confier leurs ressentiments sur des deuils impossibles, j’ai accepté d’entretenir un lien étroit avec une composante évidente de la vie: la mort. Ces débats philosophiques ne pouvant être contenus plus longtemps, j’ajoute, d’une voix grave:

Les erreurs sont le lot de tout être humain, ainsi que le pardon. J’espère pouvoir en produire avec ta mère… Et surtout, surtout, surtout, Luna, j’implore le tien. Tout ce que je demande, c’est que tout redevienne comme avant, entre nous…

… Mais c’est un fait impossible, Nyls, et tu le sais très bien. Un grain de sable a enrayé la machine de notre trinité si stable, et à présent, que reste-t-il, à part une occasion de plus de sangloter sur notre funeste statut?

Sans doute repartir de zéro. Tout reconstruire.
Ensemble. Main dans la main.

Rebondir sur un sujet plus joyeux, tenter d’obtenir des occasions de sourire, quoi qu’il en coûte. Alors, sans réfléchir, j’ajoute, d’un ton léger:

Luna, tu sais que c’est dans cet hôpital que tu es née?

Information qui tombe comme un cheveu sur la soupe, qui n’a aucun intérêt.
Ou plutôt, qui veut tout dire…

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"Shame on you for thinking that you're an exception"

Dead Star