Je n’ai aucune putain de raison d’être ici. Sérieusement. Le cul sagement posé sur la caisse d’un mec que je n’ai pas revu depuis mes quinze ans, je siffle une bière, le regard dans le vide. Les fêtes approchent de plus en plus, et leur venue prochaine me rappelle cruellement l’absence de Sam. D’apparence, je tiens le cap. Au fond, je lutte constamment pour ne pas lâcher prise. Je ne le fais même pas pour moi. Mon orgueil me file l’excuse toute trouvée. Si je craque, les autres aussi. Chacun d’entre nous se débat. Aucun de nous ne va bien. Museler mes idées noires me permet de vivre une vie la plus normale possible. Sauf qu’à force de prétendre, plus rien ne semble avoir de sens.

- Cricket, t’es sur la prochaine. Le susnommé confirme sa présence d’un hochement de tête. - Je te remplace. Son regard en coin, posé sur mes épaules, constitue la plus belle raison de continuer. Non ? Moi, je crois que si. Même si son pote l’interroge des yeux, attendant visiblement une confirmation. Rongé par l’impuissance, depuis des semaines, ma volonté se fissure. Je siffle l’air entre mes lèvres. - Je te remplace, je les défonce et après, je te laisse savourer ta victoire. Deal ? Il a tout à y gagner, non ? Prise de risque minimum contre un bénéfice immédiat. Cricket donne son approbation d’un rire plein, profond. Le genre à faire trembler les murs si on se trouvait à l' intérieur. - Quand tu vas te rétamer, faudra pas venir couiner. - Qui va se rétamer ? Je réponds du tac au tac, non sans une certaine hargne sous-jacente. Je ne suis pas un perdant. Même si, dans l’immédiat, le frisson de l’adrénaline compte bien plus que celui de la victoire.

Tout en sifflant sa bière, Cricket se fait un devoir de m’expliquer par le menu le trajet déterminé. Il en profite pour brosser un tableau flamboyant de la petite troupe rassemblée ici. Un mince sourire sur mes lèvres, je me satisfais de lui dissimuler à quel point je m’en tamponne les couilles de ces histoires. D’habitude, j’aurais pu me montrer curieux. Pas ce soir. Mes muscles grésillent de tensions accumulées. J’ai besoin d’évacuer afin d’éviter l’explosion. D’ailleurs, j’ai l’impression de ne pas pouvoir encaisser plus de bouleversements. Autour de moi, l’air est saturé de gaz. Il suffirait de craquer une allumette pour assister à un feu d’artifice ravageur.

Assis sur ma moto, je me nourris bien plus des moqueries que des encouragements. Ma bécane est solide, large tout en restant maniable. Elle n’en reste pas moins inadaptée, peu retouchée. Dans l’assemblée, aucun ne miserait un radis sur ma personne ! Je vais me faire un plaisir de leur faire ravaler leurs convictions. Rien n’arrête un Harlow. Rien. Qu’ils continuent d’encourager l’autre type, là. Savage ? D’ailleurs, c’est quoi ce surnom ? Je ne peux pas m’empêcher d’y voir un besoin de se créer une réputation. Souvent, ça cache du vide. Le type arrive sans jeter un regard à qui que ce soit. Fondu dans son rôle, il avance tandis que je le scrute derrière ma visière rabaissée. Putain d’enculé ! Quelque chose dans sa démarche m’avait déjà mis la puce à l’oreille. Là, je n’ai plus aucun doute ! Creed enfonce sa sale tronche de lâcheur dans son casque. Une colère immense m’enflamme les nerfs. Je fais vrombir le moteur sans m’en rendre compte. Je vais l’éclater ! Lui et les relents d’abandon qu’il fait remonter chez moi.

J’illustre à la perfection l’expression : voir rouge. Mes pensées ne vont pas plus loin que l’avancée de cette course. Je démarre en trombe, lui passant devant sans trop de difficulté. Je me fais même le plaisir de me rabattre sur sa gueule, juste pour le plaisir de lui renvoyer un peu de la rage qu’il m’inspire. Une sorte de retour à l’envoyeur. Puis, ça se corse, on file dans des ruelles beaucoup trop étroites jusqu’à nous retrouver à proximité du pont. Celui-là même qui s’est effondré en octobre. En dessous, un chemin étroit borde l’eau. Il est habituellement destiné aux passants, mais depuis l’incident, de larges bandes de papiers colorées sont supposées en barrer l’accès. Elles se déchirent si facilement sur notre passage que c’en est grotesque.

Voir Creed reprendre de l’avance me met hors de moi. Je ne pense plus à rien. Je n'en ai plus rien à foutre de cette course. Je fonce, bille en tête sur sa bécane, dans l’idée de déclencher une collision, aussi stupide que dangereuse. Mais qu’est-ce qu’on s’en fout ?

[ @Creed Conlone avec mes plus plates excuses pour ce retard prodigieux ]

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All that glitters is not gold.

You can fool all of the people some of the time, and some of the people all of the time, but you can't fool all of the people all of the time.

KoalaVolant

À aucun moment, je ne regrette mon acte. Non ! Certainement pas quand je frôle sa bécane à la con. Au contraire même, le crissement métallique alimente ma rage. Pas non plus quand je sens mon train arrière chasser comme pas permis. Je persiste à estimer que tout ceci en valait définitivement la peine. Et, toujours pas quand je tape mon plus beau vol plané. L’eau glaciale s’infiltre par le dessus de mes bottes sans me canaliser le moins du monde. Mon épaule a pris cher. Ma moto est avachie sur le flanc, une roue dans l’eau. Une pierre a déchiré mon jean, au niveau de ma cuisse. Pourtant ? Rien. À. Foutre. Je me relève, déterminé à en découdre.

Creed gueule de tout son soûl. Ma démarche s’imprègne de toute cette rage. Il me chope par le col, sans se soucier de mes presque dix centimètres de plus. Mes poings se serrent une seconde. J'ai tellement envie de lui en foutre une. Je m’extirpe de mon casque et le balance sans ménagement. J’affiche une morgue fière alors qu’il finit par lâcher prise. - Mais vas-y, je t’en prie, te gêne pas ! Par contre, je te conseille de ne pas me rater parce qu'il n'y a un monde où je ne riposterais pas ! Connard de putain de lâcheur de merde. Mes quinze ans sont bien loin, derrière. Le gamin serviable et volontaire, rêvant de suivre les traces de son pompier de père, a laissé sa place à un homme beaucoup moins naïf. S’il me cogne, j’encaisserai. Mieux, ça me fournira un prétexte pour me défouler sur sa tronche. Autant que mes compétences sur un ring me servent à quelque chose, non ?

- C’est à ça que tu t’éclates, alors, depuis dix ans ? Le jugement perce dans ma voix. Enfin, pour être honnête, il aurait pu reprendre n’importe quelle activité, ça n’aurait rien changé. J’ai la haine ! J’avais besoin de lui et il n’était pas là ! Pourquoi, putain ? Pourquoi il nous a tous laissé tomber ? J’avance encore vers lui.  - C’est sûr que c’est un poil plus excitant que de prendre des nouvelles de ma famille, hein ? J’attrape ses épaules pour le bousculer. Le provoquer. On a un compte à régler. - Tu veux me faire la leçon ? M’expliquer la vie ? De quel droit ? Pour qui est-ce qu’il se prend ? - T’as pas l’impression d’avoir quelques années de retard pour le faire ?

@Creed Conlone