a life, a story
UN. Rencontrés à la fac, mes parents sont rapidement devenus deux inséparables. Si leur histoire d’amour s’est écrite avec le temps, elle naît d’une amitié à l’épreuve de toutes les peines. Les hauts et les bas n’ont fait que renforcer ce lien particulier qu’ils entretenaient. La suite était finalement devenue une évidence, vivre ensemble, se marier, fonder une famille. C’est ce qu’ils ont fait et c’est ainsi que j’ai vu le jour, une après-midi de septembre dans la ville de Monterey. DEUX. Bercée depuis toujours par le doux son du violon avant même de voir le jour, les diverses mélodies que jouait ma mère m’ont toujours apaisées. La musique n’était pas son métier, mais quand elle faisait vibrer les cordes de son instrument, elle le faisait avec beaucoup d’aisance, de grâce et de passion. C’est donc de manière assez naturelle que je me suis intéressée à cet instrument qui me rappelait tant de souvenirs et dont le son m’apportait un sentiment de quiétude. TROIS. En une fraction de seconde, ce qui s’annonçait comme une vie paisible et remplit d’amour à basculer dans la pénombre. Je n’avais que cinq petites années quand mon père a perdu le contrôle de son véhicule. Attacher à l’arrière de la voiture, je revois encore certaines nuits la lumière des lampadaires qui défilent sous mes yeux. Dernières images que ma vision captera avant de longues années. Je ne me souviens de rien, si ce n’est de cette envie irrépréhensible de me frotter les yeux. J’ai perdu mon père ce soir-là, pourtant, je ne le réaliserai que plus tard. QUATRE. Éclats de verre dans les yeux, je n’ai qu’une envie, frotter encore et encore pour que s’arrête cette sensation désagréable de grains de sable glisser sous mes paupières. Je n’arrivais pas à ouvrir les yeux et en même temps, je me sentais bien trop faible pour le faire. Bien que sortir, presque indemne de l’accident, le choc brutal et inattendu à secouer mon corps d’enfant. Ils ont fait ce qu’ils ont pu. C’est ce qu’ils ont dit à ma mère avant qu’elle ne s’effondre. Nouvelles violentes qui s’abattaient les unes après les autres. Elle, ne reverrait plus son mari et sa fille, ne reverrait peut-être, plus le monde qui l’entourait. Quand on a cinq ans, on ne comprend pas toute l’étendue de ces mots. Plongée dans l’obscurité, ils avaient fait de leur mieux. Mais l’avenir était soudain incertain. Des jours, des mois, des années pouvait s’écouler avant que je ne retrouve la vue et peut-être, aussi ne reverrais-je jamais le doux visage de ma mère dont les larmes ne cessaient plus de couler. CINQ. Le violon ne jouera plus, la douce mélodie s’est arrêtée. Le poids sur les épaules de ma mère est trop important et ses jambes ne sont pas suffisamment stables pour la soutenir. Elle s’est écroulée. Cette femme forte, aimante et joyeuse n’est plus que l’ombre d’elle-même. Je ne le pouvais pas le voir, mais je le ressentais, à chaque seconde. Je devais m’accommoder seule à cette nouvelle vie, un sens en moins. Mes mains étaient mes guides, mais elles ne m’empêchaient pas de me prendre les pieds dans le tapis ou de me cogner le genou contre les meubles bas de la maison que je pensais pourtant connaître par cœur. Les bleus s’accumulaient, mais chacun d’eux m’apprenait à me repérer davantage. Mais mes efforts n’étaient pas suffisants. Ronger par la dépression et n’arrivant déjà plus à s’occuper d’elle, ma mère me délaissait. Les rendez-vous manqués et les bleus sur mon corps alertait et l’inévitable arrivait. SIX. Placée en famille d’accueil, pour respecter les droits de visite de ma mère. Je perdais tous mes repères. Les efforts que j’avais fournis pour m’en sortir seule volaient en éclats. Nouvel environnement, les gens n’étaient plus que des voix et des parfums. À six ans, on ne devrait pas savoir ce que ça fait de souffrir. Pourtant, c’est ce que je ressentais, de la souffrance. Pas parce que le monde était différent à présent, mais parce qu’elle n’était plus là. Celle qui avait passé tant de temps à jouer de douces mélodies pour me réconforter. Elle était bien venue, au début et j’avais essayé d’attirer son attention comme le faisaient les enfants. Grossissant parfois un peu mes progrès dans l’espoir de capter un peu d’attention de sa part. En vain. C’est dans cette démarche que j’ai commencé à réellement apprendre le violon. Dans l’unique but d’attirer l’attention et de rendre fière ma mère. J’y ai accordé du temps, fais preuve de persévérance. C’est tellement difficile d’apprendre à jouer quand personne ne peut vous montrer et que les partitions vous sont inaccessibles. Alors j’ai redoublé d’efforts, apprenant également à lire le braille pour m’aider. Jouer me procurait un étrange sentiment, un mélange de mélancolie et de sérénité que je ne comprenais pas encore. Puis, elle a fini par ne plus venir et je me sentais plus seule que jamais au milieu de l'obscurité. SEPT. À force de persévérance, c’est chez ma tante que je finissais par être placée. Un point de chute qui ne changerait plus. Environnement stable, j’ai rejoint la seule famille que j’avais à Austin, au Texas. C’est là-bas que j’ai pu me reconstruire. Accompagnée par mes proches, j’ai appris à vivre avec le handicap. Refusant de mettre de côté le violon, j’ai continué à redoubler d’efforts pour me perfectionner. Plus le temps passait et plus j’en étais certaine, je voulais continuer de jouer. Égoïstement, peut-être. Au fond, je crois que j’aspirais toujours à rendre ma mère fière. Cette douce mélancolie que je ressentais me redonnait peu à peu le sourire, comme bercée par les souvenirs d’une vie qui m’avait été arrachée. J’y ai grandi, entourée de personne qui s’occupait de moi et qui mettais les moyens nécessaires pour m’aider du mieux qu’ils le pouvaient. Je me sentais enfin à nouveau épanouie. Le temps passait, et les interventions s’enchaînaient sur plusieurs années. Espérance de revoir un jour, le monde et ses couleurs. Vainement. Pourtant, ça ne m’arrêtait pas, déterminée à m’en sortir, je me construisais pas à pas, marche après marche, aspirant à présent à devenir quelqu’un de stable, d’épanouie que rien ni personne ne pourrait arrêter. Rêvant de jours prochains où le violon deviendrait plus qu’une passion, une vie ou la lumière atteindrait à nouveau mon regard. HUIT. J’avais vingt-trois ans, lorsque les notes posées sur les touches de son piano venaient faire vibrer mon âme. Douce mélodie, évoquant un sentiment nouveau, j’aimais encore plus l’entendre seule qu’au milieu des autres. Pour moi, je ne pouvais pas le voir et pourtant, j’aurais pu le reconnaître entre mille. Avant même d’entendre sa voix, je pouvais reconnaître son parfum, Elijah m’apportait un sentiment de plénitude qui me poussait à rêver plus grand, plus fort. Malgré nos différences, on s’aimait et la confiance s’était installée, naturellement. Je ressentais quelque chose de si pure que je n’avais pas souvenir d’avoir ressenti un jour. On partageait vaguement nos passées respectifs, au milieu d’un tas d’autres conversations où l’on refaisait le monde. Mais je ne posais pas de question sur le sien de passé. Je n’avais pas besoin d’en savoir davantage ou peut-être qu’une partie de moi craignait simplement de voir une nouvelle fois l’étincelle d’espoir s’éteindre. Pourtant, c’est moi qui ai fini par l’éteindre cette petite lueur naissante. NEUF. L’opportunité rêvée m’ouvrait ses portes. Partir à l’international en tant que violoniste de l’orchestre. Une nouvelle qui me réchauffait le cœur, toutes ces heures de travail acharné enfin récompensées. Pourtant, une partie de moi semblait réticente à cette idée. J’ai accepté. Je bouclais ma valise en quatrième vitesse, tandis que ma tante repassait derrière moi pour faire le tri. Dans l’excitation, je ne prenais même pas le temps de réfléchir à ce que j’aurais ou non besoin. C’était étrange, j’avais l’impression d’accomplir quelque chose d’énorme et en même temps, le programme avait un arrière-goût de pause bien mérité. Toujours était-il que je me sentais plus épanouie que jamais. C’est comme ça que je l’ai éteinte, cette petite flamme naissante entre Elijah et moi. Peut-être que dans l’euphorie du moment, j’avais agi sans réfléchir. Mais ce n’est qu’installer dans l’avion que mon cœur se serrait et que la tristesse m’envahissait malgré le bonheur que me procurait cette opportunité. À nouveau, deux sentiments si différents s’entremêlaient en moi à m’en tordre l’estomac. Puis, les voyages et les concerts se sont enchaînés, laissant petit à petit s’apaiser ce sentiment de vide dans le cœur. N’oubliant pas cette gamine au fond de moi qui n’aspirait encore et toujours qu’à une seule chose, la fierté de sa mère. DIX. Retour à Austin, trois années se sont écoulées traînant ici et là dans le monde chez des locaux rencontré dans le cadre des concerts donner un peu partout dans le monde. J’ai pris mon temps, j’ai découvert, à ma façon du pays. Créant du lien et quelques amourettes de passage autour d’un verre. Mais aucune relation ne semblait me convenir pleinement. En même temps, difficile de s’attacher plus que de raison quand on ne fait que passer. Souvenirs dont je me créais les images, mon retour au Texas me remplit de joie. Retrouvés, les miens étaient appréciables. Si mon enfance m’avait appris à m’adapter rapidement au changement d’environnement, retrouver mes repères avait quelque chose de vivifiant. N’ayant jamais réellement oublié Elijah, j’espérais intimement le retrouver également, mais cet espoir s’envolait rapidement en me rendant dans les différents endroits où nous avions l’habitude de passer du temps ensemble. J’ai attendu, de longues heures, de longues journées. Un appel d’Elijah, mais pas que. Un signe de ma mère, des nouvelles, une étincelle d’attention, là aussi vainement. ONZE. Énième opération, espoir de revoir le monde qui me colle à la peau, découvrir les visages de ces gens qui gravitent autour de moi et m’accompagnent depuis tant d’années. Sans certitude, encore, toujours. Les convalescences sont longues, les cicatrisations de chacune d’elles prennent du temps. Mais cette fois, après une année d’attente, la petite étincelle devient lueur. Je peux voir. Un filet de lumière qui me donne mal à la tête, mais mon regard capte enfin quelque chose de différent qui balaye l’obscurité d’un revers de la main. Ça prendra du temps et ça ne sera sûrement jamais une vision claire. Mais ce goût de renouveau me faisait un bien fou. Comme si, à nouveau, après de longues années, j’atteignais un rêve qui semblait perdu pour beaucoup. DOUZE. Le monde est flou, mais à ma portée. Ce flou, qui dérangeait la plupart des gens, m’apportait un nouveau souffle. Parfois, c’était compliqué, les migraines, les lunettes à gros verres qui ne semblaient pas éclaircir davantage les images. Mais ce n’était rien à côté de toutes ces années d’obscurité. Poussée par ce nouveau départ, j’ai fini par quitté le Texas pour retrouver ma Californie natale. À présent, ça fait deux ans que je me suis installée à Monterey. D’abord seule, puis à la suite d’une rencontre imprévue dans un fast-food du coin, avec mon petit ami Jey. Nouvel environnement, encore. L’amour ? J’ai l’impression qu’il me faut du temps pour le ressentir réellement. Mais en neuf mois, je n’ai jamais eu l’impression de me sentir mal avec Jey. Mais j’ai toujours cette sensation étrange de blocage. Comme si mon cœur était retenu ailleurs, alors je laisse le temps faire son œuvre, espérant qu’un jour, je puisse lui rendre l’affection qu’il semble me porter.