a life, a story - Plus que l’on est jeune, plus notre cerveau s’apparente à une éponge. Il absorbe les informations, les stocks et les conserves à merveille -malgré l’inconscience de la jeunesse-. C’est sous les ordres de leur père que ses enfants s’activent à parfaire leur anglais. Si aux bancs de l’école ils y sont introduits, leur paternel monte de deux crans l’assiduité suite à l’annonce de leur déménagement imminent. Une nouvelle dont son jumeau rejette illico.
Freya, au détour d’un coin de couloir, observe son frère fondre devant cette situation imposée. Son cœur se tord, ses yeux s’abaissent au sol. Ses propres espoirs s’envolent à chaque argument avancé par Timaël et ainsi balayé d’un revers de la main. Sa combativité s’effondre dès qu’une voix ferme s’élève.
Cette même voix qui cloue sur place Freya qui cheminait vers son jumeau afin de s’allier à lui. Un son franchit le seuil de ses lèvres, mais dont leur géniteur la rappelle à l’ordre tout comme il venait de faire avec l’aîné. Ses phalanges blanchissent et ses talons se tournent. Sa silhouette disparaît.
Un compte à rebours joue contre eux et la jumelle s’empresse à amasser les contacts MSN de tous ses amis. Si des milliers de kilomètres les séparent, cette plateforme de discussion leur permet de rester connecter. À s’échanger des souvenirs de plus en plus lointains via Skype avant de se migrer vers Discord de nos jours. Un moyen pour Freya d’alimenter sa langue maternelle -même si leur mère s’efforçait de communiquer avec ses enfants par cette langue scandinave-.

Les années en Amérique, elle s’y fait. Difficilement.
Elle ne fait pas attention à ce qui se passe. Mais la gifle fit tourner sa tête en une fraction de seconde. Les cartes en main, immobile. La partie d’Uno avec sa jeune sœur n’a jamais pu jouir d’une fin. Ce fut aussi la toute dernière à jamais.

Freya se forge une carapace. Elle tente de se protéger contre cette famille qui ne tient qu’à un fils.  Une corde raide qui menace de céder à la moindre interaction. Elle s’efforce de garder son frère hors de sa coquille qu’il feint d’être vide. Elle sait comment le piquer. Comment aller dénicher son attention. Son jumeau conservera toujours cette première place au combat direct, sans détour. Néanmoins, Freya use de différents stratagèmes pour transformer la vie de leur géniteur un enfer depuis qu’il a remis les pieds dans leur cocon familial. En aucun cas elle se gêne de jeter de l’huile sur le feu. Des petits tours qui passent inaperçus aux yeux de tous, mais qui rend fou le paternel -pour qui ne rien comprendre et dont le contrôle lui échappe totalement est synonyme d’une torture sans nom-. Il n’est d’un secret pour personne que le père de famille recourt à des châtiments physiques pour intimer son autorité. Si Timaël possède la témérité de le confronter sans sourciller, sa jumelle se voit mal d’encaisser ces remontrances.
Puis, Timaël le sait et le saura ad vitam aeternam; jamais Freya ne le laissera tomber. Elle est une alliée de taille qui détourne simplement les règles. Et malgré toutes les querelles de fratrie, ils se connaissent par cœur. Un lien indestructible!

N’est-ce pas?
Elle y croyait dur comme fer. Prêchait par ce fil d'Ariane.

Jusqu'au jour où elle revenait de sa soirée entre filles. Un cœur léger qui vole en éclat dès que ses pralines azurées contemplent les restes de la demeure Sörensen.
Aucune délicatesse n’aura été suffisante pour qu’un membre des forces de l’ordre puisse lui annoncer la nouvelle -ou bien les faits- en douceur. Les mots traversaient ses oreilles, mais son cerveau appuyait inlassablement sur la touche supprimée.
Loin l’idée de s’imaginer cette marque indélébile qui s’imprégnait telle une date qu’on surligne dans un calendrier.
Ils n’étaient plus. Leurs cendres reposaient à travers ceux de cette maison consumée -son existence n’y fait guère exception-. 

Ce jour où les adieux pleuvent -du moins, pour le peu de visite qui circule autour des pierres tombales-. Une petite partie de la famille a daigné se présenter à l’enterrement. Une tante a tenté de convaincre Freya de revenir, mais le refus sort plus rapidement de ce qu’elle aurait cru. Timaël… Elle ne pouvait se résoudre à l’abandonner. Elle ne pouvait pas lui tourner le dos.
Pourtant, elle a beau le chercher de son regard humide, il brille par son absence.
Ce feu ardent qui s’estompe, étouffe, plus les minutes s'égraine dans le sablier. Jusqu’à ce qu’elle tourne la tête et que la silhouette qu’elle connaît que trop bien se perche à plusieurs mètres. Le temps se fige. L’envie de se jeter dans ses bras, de s’y réfugier. Ce sentiment qui renforce ses fondations. Pourtant, ses jambes s’enracinent. Un noyau se forme au fond de sa gorge qui empêche le moindre son de franchir le seuil de ses lèvres entrouvertes.
Le seul acte qu’elle parvient à intimer est de soutenir son regard qui fait écho au sien. Jusqu’à ce qu’il dévie.

Si elle avait su que leurs chemins ne se croiseraient plus…

Une famille d'accueil l’attendait dès le lendemain. Sans qu’elle puisse y retrouver son frère. Un autre néant qui se creuse au fond de sa poitrine et qui gagne de l’expansion à chaque Nouvel An qui marque une énième chandelle à souffler sans cette compagnie qui l’a si longtemps accompagnée. Et si au fil des grains de sable qui tombent dans le réceptacle inférieur, la jeunesse l’empêchait de retracer son jumeau, lorsque la majorité arrive, elle ignore ce qui la terrasse le plus; ne pas avoir eu le courage de faire le premier pas durant l’enterrement de leur famille ou le fait qu’il n’ait pas non plus chercher à la recontacter depuis. Une réponse qui restera perpétuellement en suspens.
Elle fait ses études tout en ayant enchaîné les petits boulots à droite et à gauche. Elle prenait tout, le premier employeur qui voulait d’une adolescente étrangement motivée. Motivée à ne pas dépendre de sa famille d'accueil. Elle s’y refuse et dès que la majorité frappe à sa porte, elle s’envole de ses propres ailes, écorchées par ce que la vie lui a offert.

Elle continue de rendre visite à cette partie de la famille qui est venue partager sa souffrance lors de ses quatorze ans. La Suède. Ce pays qui l’a bercé ses premières années d’existence. Cette douce illusion d’une tangibilité provisoire. Elle se voile les yeux, car elle poursuit de vivre sous le drapeau américain. Refuse d’y effacer les derniers souvenirs familiaux. Mais elle est esseulée. Son chat, Pixel -dont la spécialité est de venir vous réclamer des caresses et de chasser les araignées qui terrorisent sa maîtresse-, en est bien la preuve qu’elle tente de briser cette solitude qui s'accroche à ses chevilles. Néanmoins, elle erre comme seule compagnie son ombre qui ne cesse de lui rappeler son frère jumeau dont elle donnerait tout pour qu’il apparaisse. Qu’il se dresse dès qu’elle jette un œil par-dessus son épaule.
Elle ne lui en veut pas. Si au moment de l’enterrement, elle ne pouvait cacher une portion de sa peur tournoi à l’incompréhension et la frustration que tout l’inconnu lui apportait, cette tempête intérieure s’est estompée depuis les années. Elle désire que des réponses. Mais comment les exiger lorsqu’on s’adresse à un fantôme du passé?

Enseignante à la maternelle. Voici la vocation dont elle s’engouffre sans compter les heures de préparation afin que ses élèves puissent expérimenter ce nouveau chapitre qui se dessine à eux à l’horizon. Un long sentier dont ils devront arpenter et qui s'échelonne sur de nombreuses années. Elle y investit toute son énergie. Elle souhaite y faire une réelle différence. Qu’elle puisse faire germer en eux le désir de poursuivre leurs rêves, malgré leur jeune âge -bien qu’elle sait que l'inconscient juvénile fera son petit bout de chemin-. 
Elle emmène souvent sa classe à la bibliothèque au minimum une fois par mois. Si l’occasion se présente, elle double leur fréquentation. Elle se réfugie dans cette même bibliothèque de la ville pour y dénicher quelques trésors pour ses élèves à raconter lors d’une heure de cours. Se frayer un chemin dans l’imaginaire -même si ce n’est que quelques minutes éphémère-.

Si elle consacre sa vie à sa carrière et espère illuminer les visages de ses petits bouts de choux 7h par jour, la Suédoise ne se gêne pas non plus pour s’amuser et sortir avec ses amis. Sans non plus oublier de profiter d’une bonne compagnie le temps d’une nuit. Elle n’a jamais su perdurer dans une relation. Elle y a tenté plusieurs fois, mais cette peur de se retrouver du jour au lendemain sans plus personne à nouveau ne la pousse à s’autosaboter. De vieilles blessures qui n’ont su trouver une pleine guérison.