What Christmas Means to Me
ft  @Arabella Keller ; @Léo Keller ;  @Joséphine Keller      

Putain, ta gueule, Maria, ta gueule.

Voilà donc ce qui s’échappe de mes lèvres en entendant s’élever dans l'habitacle du véhicule la voix de la fameuse diva de Noël, j’ai nommé Queen Carrey. Je m'empresse de baisser le niveau à son minimum, tout en me renfrognant, tel un gamin. C’est plus fort que moi, je suis bougon aujourd’hui et je sais pertinemment que tout gros mot est proscrit, au sein de notre famille. De notre cocon. Et pourtant, il semble si fragile, ces derniers temps. Je ne respecte plus aucune règle que nous nous sommes fixés, en tant que parents, et c'est tout juste si je passe du temps auprès de ceux qui devraient compter plus que tout au monde.
Je suis à fleur de peau. Mais à cause de quoi, au juste…
Mes dettes?
Gigi?
La disparition de ma mère qui retentit toujours comme un effrayant cri du cœur, de l’âme?
Sans doute un peu de trois réunis. Je n’ai jamais apprécié Noël car loin de considérer cette fête comme une célébration, c’est surtout l’occasion pour moi d’ajouter une année de plus où je m’enterre dans un profond dépit. Où je réalise l’étendue du gâchis qu’est devenue ma vie personnelle, au profit d’une carrière qui n’a plus tout à fait la même saveur, tandis que l’argent commence à devenir une source intarissable de soucis.
Et tandis que j’observe dans le rétroviseur mes deux garçons, sages comme des images et confortablement installés à l'arrière et que je tourne le regard vers ma femme, assise sur le siège passager, je réalise à quel point je ne suis qu’un foutu gosse sur un château de sable.
En ayant marre d’être heureux, impatient de tout détruire.
Fort heureusement, nous arrivons rapidement à destination, c'est-à-dire chez le patriarche Keller. Je suis nerveux, c’est indéniable, mais je tente de masquer mes terreurs, tant bien que mal. Je réalise que nous sommes les premiers mais… Je sais que le reste de la fratrie ne tardera pas. Personne n’aime arriver en retard, chez les Keller. Heureusement que je peux compter sur le soutien infaillible de mes frères et surtout celui de Bella. Ma petite sœur adorée. Rien qu’à l’idée de retrouver son visage, son sourire, son éternelle bienveillance, je me sens revigoré.
Mais pour l’instant, Ezra, il s’agirait surtout d’assumer, de serrer les dents. De montrer à quel point tu es heureux.

Allez, show time.

Je ne lance même pas un regard vers mon épouse tandis que je décharge le coffre, installant les différents sacs sur la gigantesque table, qui trône dans la salle à manger. Je préfère me jeter dans les bras de mon père et aussitôt lancer une conversation passionnée au sujet du dernier match de football américain et finit par lancer à Josy, tandis qu’elle passe dans mon dos:

Il n’y a que ça, pour le repas…?

Bon, euh… Je crois que j’ai abusé, on dirait.
Qui remportera la palme du pire mari de l’année? Que dis-je, de la décennie…?
C’est bien moi, on dirait.
Allez, Ezra. Assume tes conneries, affronte le regard assassin de Josy et…
Occupe toi de fermer ta gueule, pour changer.

What Christmas Means to Me
ft  @Arabella Keller ; @Ezra Keller ; @Léo Keller ;  @Joséphine Keller      

Je n’aime pas Noël. Enfin, il fut un moment où j’aimais Noël, où j’adorais Noël. Ce moment familial où nous étions tous réunis autour d’un bon repas, où la maison sentait le pain d’épices, où nous étions tous impatients de découvrir les cadeaux sous le sapin. Mais depuis quelques années, c’est difficile. C’est difficile parce qu’il manque un pilier à cette famille, le pilier qui justement rendait les fêtes plus joyeuses, qui les préparait de bon cœur et qui nous a transmis cet amour pour les traditions. Donc passer Noël sans elle est extrêmement délicat. Avec les années, certains ont pensé que nous avions fini par nous y habituer, mais je crois qu’au fond, on ne s’habitue jamais vraiment à ce genre d’absence, ni à ce manque. Ce Noël est encore plus particulier pour moi, car c’est le premier depuis une dizaine d’années que je vais passer sans mon épouse, sans celle qui partageait ma vie jusqu'à présent.

Je soupire en fixant mon plafond, toujours affalé sur mon canapé. Je suis déjà en retard, dans quelques minutes, je recevrais sûrement un message d’Ezra me demandant où je suis et à part lui sortir une fausse excuse à laquelle il ne croirait pas, je n’avais pas d’autres choix que de me pointer au repas familiale. Je n'ai vraiment aucune imagination pour mentir et je n’ai aucune envie qu’ils se doutent tous de quelque chose ou qu’ils débarquent pour comprendre ce qui ne va pas. Voilà comment je me retrouve à prendre une douche en cinq minutes, à enfiler un pull, un jean, passer un coup de brosse dans les cheveux et me voilà prêt à déguerpir.

Je ne mets pas longtemps à arriver à la maison familiale, chez mon père. Je sais d’ores et déjà que je suis le dernier à débarquer vu l’heure et je me rends compte que finalement, c’était peut-être une mauvaise stratégie car faire mon entrée tout seul va encore plus me faire remarquer. Tant pis. Je soupire et décide de porter un masque d’indifférence couplé à celui de l’impassibilité pour essayer de passer une bonne soirée. Un fin sourire étire mes lèvres lorsque la porte s’ouvre enfin. J’espère que ça suffira à masquer mes cernes qui descendent jusqu’au cou.

‘B’soir à tous.’ Les saluais-je alors d’un signe de la tête. Sans plus attendre, je pose une boîte blanche sur la table et me dirige sous le sapin pour y placer les cadeaux. Il est sacrément bien décoré cette année dis donc. ‘Tout le monde est là ?’ Tout le monde, sauf maman. Les contractions douloureuses de mon cœur me rappellent à l’ordre, je ne dois pas attrister tout le monde avec ce manque. Comme le dit souvent mon père, elle est et elle sera toujours avec nous. ‘Désolé, j’arrive un peu tard. Il reste des choses à préparer ?’ Je leur demande alors, histoire de donner un coup de main, toussa toussa et de m’occuper les mains et l’esprit. Je n’ai pas envie de leur demander comment ils vont car ils pourraient me retourner la question et ce cercle de famille proche est composé des seuls personnes à qui je suis incapable de mentir, même si je le voudrais. ‘J’ai apporté le dessert au fait.’ Je dis en désignant la boîte blanche posée sur la table.