a life, a story -
Tu étais l’enfant d’une autre, un bébé adopté à la naissance par une famille qui en comptait déjà quatre dans une ville au bord de la mer en Californie, Carmel-by-the-Sea. Pourquoi est-ce qu’ils avaient eu besoin d’un gamin de plus ? C’était la question que tu t’étais beaucoup posée en voyant à quel point tu étais ignoré par tes parents adoptifs. Est-ce que c’était parce que tu étais petit et chétif ? Parce que tu avais mis du temps à savoir parler ou à marcher ? Tu étais persuadé qu’ils te détestaient. Quant à  tes deux frères et sœurs, ils passaient leur temps à se moquer de toi, criant que c’était pour cette raison que tes parents t’avaient abandonnés. A l’école ce n’était pas mieux. A cause de ton physique qui n'avait rien à voir avec ta chère famille on t’avait pris comme bouc émissaire et chaque ballon que tu recevais dans le visage était forcément volontaire. Au final, tu n’avais plus voulu y aller et passait ta journée enfermé à apprendre tout seul.
Tu passais tes nuits à pleurer en silence sous ta couette la nuit pendant que les autres dormaient tranquillement. Paisible sommeil que tu n’arrivais pas à atteindre. Au fil du temps tu t’étais persuadé que personne ne voulait de toi.

L’adolescence, la période la plus difficile. Surtout pour toi. Tu avais vu les autres enfants grandir, être gâtés par leurs parents. Mais jamais aucun ne t’avais traité avec gentillesse, les cadeaux que tu recevais était aussi immatures que leur parole. Le jour de ton anniversaire, tes frères et sœurs t'avaient emmené dans le garage en te tendant un carton. Naïf, tu l'avais ouvert sans se douter un seul instant du plan diabolique des autres. Un chien en était sorti, te mordant pour se défendre alors que tu n'y étais pour rien. Tu entendais les autres rires, alors que toi tu étais parti t'enfermer dans ta chambre les larmes aux yeux.

Tes frères et sœurs t'avaient moins embêté depuis l’accident. Leur mère les avait sévèrement punis en apprenant que c’était de leur faute si tu avais été mordu au bras, un passage à l'hôpital obligatoire aussi pour s'assurer que tu n'avais pas eu d'infection. Toi aussi d’ailleurs, tu t’étais pris une soufflante. Cette femme qui te détestais, qui regrettais de t’avoir adopté, tu doutais sérieusement qu'elle s'était inquiété à ton sujet

A 18 ans, tu quittais enfin cet enfer avec tes économies. L'argent de poche que tu t'étais fait en allant tondre la pelouse du voisin ou garder des enfants. La première chose que tu avais faite, c'était de te rendre chez le coiffeur pour te faire couper les cheveux. Les tiens ne ressemblaient plus à rien depuis longtemps. Tu avais un peu honte de mettre les pieds ici et c’était avec timidité que tu avais laissé la coiffeuse faire le travail. Ta nouvelle coupe faisait ressortir ton joli visage, toujours maigrichon, mais tu ressemblais enfin à un être humain. La prochaine étape était de faire du sport. Dans la rue, tu entendais les villageoises glousser sur ton passage, faisant dessiner sur ton visage un léger sourire. Avec l'argent qu'il te restait tu avais quitté Carmel-by-the-Sea pour la ville de San José. Un nouvel endroit, un nouveau départ. Ton monde parfait venait de commencer. Là-bas tu trouvas un boulot de serveur facilement. Ton joli minois aidant. Tu louais une chambre en attendant de trouver mieux. Ce n'était pas le rêve américain, mais ne plus avoir à supporter ta famille c'était déjà bien.

Confiant, du haut de tes 20 ans, tu entrais dans le bureau de l’agence de mannequin. Tu avais eu cette opportunité lorsqu’un homme t’avait approché alors que tu buvais un milkshake tranquillement sur un banc. Tu te savais beau, intelligent, pas besoin qu’on te l’affirme.  Il y avait suffisamment de femme qui venait te draguer pour ça. Ce n’était pas pour autant que tu étais un mec facile. Tu les laissais simplement te payer un repas avant de leur dire adieu. Se faire nourrir gratuitement ça n’avait pas de prix.

- Bonjour Monsieur Wilder

- Appelez-moi Cain

Bien que tu portes encore le nom de Wilder, tu le haïssais. Tu l’avais gardé simplement pour montrer à ton passé que tu n’étais pas un rebus, que c’était les autres. Aussi laids que leur cœur.
Un silence gêné s’était installé suite à ton intervention avant de reprendre le cours normal de l’entretien. Un contrat venait se glisser sous tes yeux, dont tu parcourais les lignes soigneusement. Un instant tu pensais que cet homme en face de toi se moquait radicalement de ta personne. Tu laissais tomber la feuille sur le bureau, fixant ton vis-à-vis .

- Je veux une augmentation de 50% du salaire inscrit sur cette merde, un pourcentage sur les ventes des magazines et bien évidemment, un appartement tout confort

- Je ne pense pas que vous…

- Je suis la personne que votre agence recherche, et si j’accepte d’aller voir l’un de vos concurrents, croyez moi que vous vous en mordrez les doigts

Tu le défiais du regard. Le temps passé seul, à faire des petits boulots pour payer le loyer d’une pièce miteuse t’avais endurci et tu n’avais pas l’intention de te laisser faire. C’était comme se retrouver à nouveau sur devant cette forêt et s’y perdre..

Te voilà parti pour la Corée du Sud. Pays où tu n’avais jamais mis les pieds malgré le fait que tu y étais né. Tu n’en avais aucun souvenir. Un nouveau royaume s’était ouvert à toi, pleins de richesses et de promesses. Tu te glissais dans les conversations, faisant semblant de rire à leurs blagues. Tu suivais les pas aussi bien des femmes que des hommes pour profiter de leur literie de luxe sans jamais en salir les draps. Tu adorais frustrer les autres. Tu avais une mauvaise réputation, les rumeurs circulant à ton sujet que tu étais impuissant, gay, psychopathe. Qu’est-ce que ça te faisait ? Pas grand-chose. Que cela soit en bien ou en mal, on parlait de toi. C’était le principal. Tu n’étais pas non plus tendre avec le personnel lors des shootings. Tu avais forcé une fois un styliste à s’agenouiller devant toi car il t’avait mal regardé. On te craignait dans le milieu, mais en même temps, tu avais des milliers de fans. Les magazines dans lesquels tu apparaissais étaient rapidement en rupture de stocks, les séries coréennes où tu acceptais de jouer un second rôle avaient un fort taux d’audience.  

Tu avais été contacté pour jouer dans un film américain et tu avais accepté, le synopsis et le rôle te convenaient. Il n'était pas au premier plan mais tu en avais que faire. Tu voulais changer d'air, essayer autre chose. Tu avais donc prit un avion en direction de la Californie, à Monterey. Tu te rappelais de cette ville qui ne se trouvait pas si loin de celle où tu avais grandi. Là-bas, tu étais plus tranquille qu’à Séoul. Ton visage passait presque inaperçu, ce qui aurait pu te vexer mais c’était tout le contraire. Tu pouvais enfin respirer. Après le tournage du film, tu avais décidé de rester dans cette ville et acheté une maison pour y poser tes bagages. Profiter du calme ne pouvait que te faire du bien. Tu avais tout de même dû faire des concessions et accepter de te rendre parfois jusqu’à San José pour continuer de poser pour des magazines voir tourner dans des séries américaines lorsqu'ils cherchaient un asiatique.

Malgré cette vie de rêve, tu n’étais pas heureux. Il te manquait quelque chose d’important. Tu ressentais cette solitude parfois lorsque tu te retrouvais seul dans ton appartement. Pourtant tu n’avais aucune envie de trouver quelqu’un. Une personne qui t’aimerait pour ce que tu étais réellement, ça n’existait pas.