☆ Tell the truth

North Monterey. CA

Fin mars 2024.

Annoncer une bonne nouvelle à sa famille, c’est toujours un moment unique et merveilleux. Surtout quand on annonce qu’il va y avoir un autre bébé dans nos vies. Quand j’ai annoncé à mes sœurs qu’elles allaient être tata une seconde fois, je n’oublierais jamais ce moment rempli d’amour où  j’ai fini dans leurs bras, à pleurer toutes les larmes de mon corps. Mais je pleurais de joie. Tout comme elles. Accueillir un nouveau membre chez les Fitzgerald c’est comme accueillir une reine de plus. Ou un roi, c’est tout à fait possible. Mais ma mère est douée depuis toujours, elle n’annonce que des filles pour nous. Un peu comme une malédiction mais je ne le conçois pas de cette façon. Pour moi, que ce soit une fille ou un garçon, ce n’est pas ce qui compte le plus. C’est d’avoir un enfant en bonne santé. Ce que j’ai eu. Madeleine est parfaite. Elle évolue normalement et elle est très intelligente pour son âge. Elle marche comme une pro, et sait dire quelques mots. Maman et papa tournent en boucle mais tata a rejoint son vocabulaire depuis quelque temps déjà, au grand bonheur de Niamh, Oonagh et Missy. Elles sont raides dingues de cette petite fille, mais pas autant que moi, je crois ! Mais je ne peux parler en toute objectivité, j’suis amoureuse de cette gosse, depuis qu’elle est venue au monde. Après tout, je suis sa mère, je n’ai pas à être objective, j’ai tout simplement raison.

Madeleine est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis toutes ces années, alors qu’on essayait en vain, d’avoir un bébé. Et puis, mon amour pour Caleb s’est transformé et nous nous sommes mariés. Quand nous avons découvert cette grossesse surprise, quelques heures avant de s’unir l’un à l’autre, j’ai pris cela pour un signe. Loin de se douter que ça allait… mal tourner. On a accueilli la nouvelle aussi bien qu’on pouvait l’espérer. Je veux dire, ce bébé, il n’était pas du tout prévu, on n’avait d'ailleurs pas encore évoqué le sujet des enfants avec Caleb. Je ne pensais pas que je pourrais tomber enceinte même si au fond, on n’a jamais utilisé un quelconque contraceptif. Le médecin qui m’a auscultée aux urgences a souligné le fait que le risque zéro n'existait pas, et que chaque chose arrivait pour une bonne raison. Je n’ai pas compris celle-ci, cependant! Pourquoi nous donner de faux espoirs, si c’est pour en souffrir ensuite ? Pourquoi nous mettre à l’épreuve de cette manière si cruelle ? J’ai beau me creuser la tête, je n’ai pas de réponse à ces questions. Je sais juste que ça me fait mal et ça me rend d’autant plus incapable de le rendre heureu, lui. Mon mari. Je lui donne pour reprendre. Comme on m’a donné pour me reprendre, à moi. Je n’arrive pas à comprendre…

À l’époque, quand c’est arrivé, je n’ai rien dit à personne. Par contre, mes sœurs ont toujours vécu chaque événement dans ma vie. Mes joies, mes peines… Les bonnes nouvelles comme les mauvaises. Je n’ai jamais rien caché. Comme quand j’ai su que j’étais enceinte, je n’ai pas pu garder le silence, le jour de mon mariage. Je les ai mises dans la confidence, comme je l’ai toujours fait. Peut-être que je n’aurais pas dû, finalement ? Aujourd’hui, je m’apprête à dire à ma sœur aînée qu’elle ne sera pas une tata extra pour l’enfant qui s’est envolé, voilà plusieurs jours. Annoncer mon échec à ma sœur me fait honte mais je ne peux pas le lui cacher, elle qui se faisait une joie de… Je sors Maddie de la voiture et la pose par terre. Depuis qu’elle sait marcher, elle déteste être dans les bras, alors je lui tiens la main et avance dans l’allée centrale de la maison de Nini.

— T’es prête pour l’attaque de bisous par tata Nini, mon trésor ?

Elle baragouine quelque chose dans son langage de bébé, ce qui me fait sourire. Arrivée devant la porte, je sonne et entre. Oui, si la porte est ouverte, je m'autorise à entrer. Ce n'est pas une nouveauté. D’ailleurs faire irruption chez nous sans frapper, c’est une spécialité de Niamh Fitzgerald aussi ! Je murmure quelque mots à ma fille qui se met à crier :

— Tata, tata, tataaa.
— Nini ? C’est nous !

w; @Niamh Fitzgerald     

☆ Tell the truth

North Monterey. CA

Fin mars 2024.

A peine revenue de Cuba. Un doux bronzage sur la peau. La tête encore dans les nuages. Le retour à Monterey a été violent. Le retour à la réalité est cruel. Une vie de famille, une vie active que j’ai dû reprendre presque malgré moi. Le rôle de maman ne m’a jamais réellement quitté mais c’est brutalement que je suis rentrée chez moi, que j’ai vu le chaos ambiant et que j’ai dû, du mieux que je pouvais, rattraper tout ça. Il m’aura fallu plusieurs jours et quelques punitions mises à mes filles. Leurs téléphones sont précieusement stockés dans une armoir dont moi seule a la clef. Cruelle, sans cœur et pitié, elles auraient préférées que je reste à Cuba, si j’en crois leurs dires. La douce phrase du retour de la Méchante Maman dans toute sa splendeur. Je dois avouer que, quand je vois leurs réactions exagérées, la façon dont elles dramatisent la chose, j’ai la sensation de me revoir moi et mes frangines, y a des années et des années quand on subissait des sanctions par nos parents. D’une certaine façon, je suis devenue tout ce que je détestais mais avec le temps, j’ai appris qu’il n’y a que comme ça que je réussis à me faire entendre.

Faîtes des gosses !

En parlant de môme, depuis déjà pratiquement deux heures, je suis coincée dans la cuisine. Aucune aide, évidemment, elles me font toutes encore la tête, je suis livrée à moi-même pour le repas de ce midi. Rien de très prétentieux. Juste un plat que je sais faire par cœur et un petit gâteau pour le dessert. En ce moment, avec nos boulots, nos enfants, nos impératifs et nos vies personnelles, je n’ai que très peu l’ocassion de passer une après-midi avec mes sœurs. D’ailleurs, aujourd’hui, Oonagh manque à l’appel. Une sur deux, c’est déjà pas mal, non ? Disons que je vais devoir que contenter de ça. Je suis ravie d’accueillir Siobhan et seulement elle. Non pas que je n’aime pas Patrick mais un moment entre sœurs ne fait pas de mal. Et une chance que ma sœur vienne. Pour la première fois depuis que j’ai sévi, mes filles m’ont adressés un mot avant de s’enfuir comme des voleuses : « tu feras des bisous à tata Shiv’ et à Maddie pour nous ». Et sur ces mots, elles sont parties, je ne sais où, je ne sais comment.

Faîtes des gosses !

Quelques minutes après qu’elles se soient en allées, de l’entrée, j’entends des petites voix. Je lâche alors tout ce que je faisais pour foncer à la porte. Rapidement, je vois Shiv’ et Maddie. D’un pas assuré, et toute seule comme une grande, ma nièce court vers moi. Je me baisse, tends les bras, prête à lui faire un gros câlin. Ce que je fais lorsqu’elle est à ma hauteur. Après quoi, je la blinde de bisous. Des bisous partout. Les bébés, c’est si doux, ça sent si bon. C’est si agréable d’avoir ces petits-êtres, si aimants, si innoncents près de soi. Ça me rappelle de si bons souvenirs… Et entendre ces rires, ça me fait fondre. Cette petite bouille est si adorable. Comment resister ? Enfin, au bout d’une bonne minute, je lâche la petite qui fonce dans le salon dans lequel il reste encore quelques uns de ces jouets de la dernière fois qu’elle est restée une bonne semaine à la maison lors de la lune de miel de ses parents.

Après quoi, je me tourne vers ma sœur. Je me lève difficilement – et je jure avoir entendu mes genoux craquer – mais heureuse de retrouver Shiv’. Immédiatement, je la prends dans les bras. Elle m’a manqué. Ça m’a vraiment manqué de passer un instant avec elle. Ça fait du bien de retrouver les siens, même si ce n’est que pour quelques heures. D’autant plus que j’ai pas mal de choses à lui raconter. Cuba, c’était quand même quelque chose… avec quelqu’un de spécial. Encore dans mes bras, j’ai l’impression que Shiv’ ne va pas arrêter l’étreinte, comme si elle s’accrochait à moi, fermement. Je reconnais ce genre de câlins… quelque chose ne va pas. Collée à elle, je sens son cœur battre vite, je sens son corps légèrement tremblé. Je reconnais cet état. Rien de bon n’est à présager. Je perds le sourire que j’affichais jusqu’ici, dorénavant terriblement inquiète pour ma petite-sœur. Je crois savoir ce qui se passe. Je crois comprendre qu’est-ce qui pourrait la mettre dans un tel état, elle qui était pourtant la plus heureuse des femmes. Il n’y a qu’une chose qui peut autant détruire une femme.

« Je suis là. », dis-je simplement, d’un ton réconfortant.

w; @Siobhan Adelson

☆ Tell the truth

North Monterey. CA

Fin mars 2024.

Madeleine n’éprouve aucune difficulté à rejoindre sa tante Niamh, qui la couvre de câlins et de baisers, comme je m’en doutais. Je profite de cet instant pour déposer le sac de ma fille, ainsi que mes clés de voiture sur la console de l’entrée. J’affiche un sourire, faussement ravi. Faire semblant, c’est devenu ma façon d’agir depuis la tragédie. Je ne veux inquiéter personne mais je sais que je vais devoir dire à ma sœur ce qui nous est arrivé. Je n’ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie, mais même sans ça, je ne pourrais pas le lui cacher. J’ai vraiment l’impression que tout l’univers est contre moi. Contre nous. Depuis cette nuit-là, j’essaie de comprendre pourquoi c’est arrivé ? Encore une fois, j’étais à deux doigts d’un bonheur immense. Encore une fois, je dois faire le deuil d’une vie que j’ai tant désirée dans ma vie. Même s’il n’a pas été avec nous bien longtemps, il l’a suffisamment été pour que j’envisage l’avenir avec ce bébé, à nos côtés. Je me voyais grossir de jour en jour, sentir ses petits coups, m’émerveiller devant l’écran pendant l’échographie. Découvrir le sexe de notre bébé. Décorer sa chambre en fonction. Me chamailler avec Caleb pour le choix du prénom. Le mettre au monde, l’accueillir dans notre famille, dans notre vie. Oui, j'envisageai déjà l’avenir à nous quatre. Mais cet espoir s’est envolé aussi vite qu’il est venu réchauffer nos cœurs. Maintenant, quand je pose ma main sur mon ventre, je réalise qu’il ne sert strictement à rien. Il a pris la vie plus qu’il ne l’a donnée. Madeleine est en quelque sorte ma rescapée. Mon miracle. La seule, probablement.

Mais comment faire semblant quand Niamh m’accueille dans ses bras. Le confort de son être me fait du bien. Je n’ai pas envie que l’étreinte se termine. J’ai besoin d’elle, si seulement elle savait à quel point elle m’est indispensable. J’ai la sensation de mourir tant la douleur me brûle les entrailles. J’suis qu’une bonne à rien, bordel ! S’il te plait, Niamh, ne me lâche pas. Je t’en conjure, garde moi, contre toi, encore un petit peu. J’inspire profondément, retiens mes sanglots, mais non mes larmes, qui roulent sur mes joues sans mon consentement. J’enfouis même ma tête au creux de son cou, je souffle. Quand elle me serre davantage contre elle, me réconfortant de ses quelques mots, je souffle, renifle ensuite. Elle a compris. Je n’ai pas eu besoin de lui dire pour qu’elle comprenne ce qui m’arrive. Elle sait. Je crois que j’ai toujours été comme un livre ouvert pour Niamh. Mais je ne veux pas craquer, ni devant elle, ni devant Maddie, même si elle est au salon et ne nous calcule même plus. Elle doit connaître les lieux par cœur à présent. Après tout, elle est restée avec sa tante et ses cousines pendant notre voyage au Mexique. Elles ont dû bien profiter toutes les sept durant cette semaine-là ! Toujours ma tête cachée, je murmure, voix tremblante :

— Je n’ai rien pu faire pour empêcher ça… Niv’…

Je n’ai peut-être pas suffisamment pris du repos. Je me sens fautive. Tellement fautive. Ce n’est pourtant pas la première fois que cela m’arrive. Je l’ai vécu à plusieurs reprises mais celle-ci, est celle de trop. Je ne sais même pas si je vais m’en remettre réellement. Cela me semble si insurmontable. J’ai mal, terriblement mal. Je n’ai plus de douleurs physiques mais psychologiquement, c’est encore plus douloureux, que je l’imaginais. C’est même horrible. Je ne pensais pas qu’il était possible d’avoir le cœur brisé, une nouvelle fois. Pas après cette vague d’amour. J’ai préparé mon mariage pendant des mois, avec beaucoup de stresse oui mais c’était merveilleux. Ce jour-là était tout aussi merveilleux, à l’image de notre couple. Nous avons passé une lune de miel plus qu’extraordinaire où on s’est vu parents, malgré nos craintes. Je le voulais tellement ce bébé. Je voulais l’aimer de tout mon être. Non, en fait, je l’aimais déjà si fort, que maintenant, c’est d’autant plus difficile à accepter ce qu’il s’est passé. Je sais que c’est de ma faute. Je n’ai pas pris soin de lui comme j’aurais dû le faire. Et quand j’ai compris ce qu’il m’arrivait, je n’ai rien su faire…

Je me suis sentie impuissante…
Mais aussi, coupable.
Encore une fois.

— … qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?  

w; @Niamh Fitzgerald 

☆ Tell the truth

North Monterey. CA

Fin mars 2024.

Qu'est-ce que je suis censée faire ? D’habitude, j’ai toujours une solution pour tout. Absolument tout. J’ai tout le temps réussi à sortir mes proches des galères dans lesquelles ils pouvaient se mettre. Ce n'est certainement pas Siobhan qui fait exception à cette règle. Je sais toujours quoi dire, quoi faire, tout le temps. Sauf là. Est-ce qu’il y a réellement quelque chose à dire ? Les mots magiques existent-ils dans une telle situation ? Je vois sa détresse. Je vois sa tristesse. Je vois sa désillusion. Et je suis impuissante. La seule chose que je peux faire, en espérant que ça l’aide, c’est l’écouter, être là pour elle, comme je l’ai toujours été. J’essaye de rester solide. De rester sur mes appuis. Je veux qu’elle puisse déposer toute sa peine sur moi. Qu’est-ce que je peux faire à part ça ? C’est la moindre des choses… Pour une fois, Shiv’ ose m’en parler. Allez savoir, peut-être l’instinct maternel ou peut-être tout simplement que je la connais trop bien, ma petite-sœur, mais j’ai toujours su pour ces fausses-couches. Je ne disais rien. Je faisais comme si de rien n’était parce qu’elle est assez grande pour gérer les événements qui la touchent comme bon lui semble. Une telle épreuve doit être affrontée de la manière dont on le souhaite, du moins, je crois ? En tout cas, si d’habitude, j’ai toujours mon mot à dire sur absolument tout, lorsqu’il était question de ses fausses-couches, je me suis toujours tu. Pourtant, ça me bouffait de l’intérieur de ne pas réconforter ma sœur, de la voir tenir tête, toute seule, sans rien partager avec personne, pas même moi, sa grande-sœur. A chaque fois, je me disais que je saurais quoi faire, quoi dire. Obligée de constater que je me suis plantée en beauté ! Me voilà devant le fait accompli, bouche scellée.

Je vois des larmes couler le long de son visage, d’un simple coup de main, j’attrape le paquet de mouchoirs planté sur la table fourre-tout derrière nous. Je prends le mouchoir et j’essuie les perles coulées. Ce ne sont que les premières d’une longue lignée, je le sais mais je m’en fous. Si je dois passer chaque seconde de mon existence à faire ça, je le ferai. C’est mon job en tant que frangine. En tenant la main de Shiv’, je nous dirige vers le salon pour nous installer plus confortablement dans le salon. Assise sur le canapé, je ne lâche pas mon regard du sien. Ma main reste collée à la sienne, lui rapportant un peu de chaleur et de réconfort comme il se doit. Je caresse doucement la paume de celle-ci. La situation est particulière, inédite, terrible, douloureuse, j’apprends comment apaiser ses maux et ses peines. Après tout, dès notre plus jeune âge, c’est ce que je faisais. Je dois simplement être plus douce, moins rentre-dedans. Il faut aussi que j’évite de montrer que j’ai mal. J’ai mal pour ma petite-sœur… La vie a été si cruelle avec elle et elle continue son périple injuste. D’un coup, je sens un sentiment de culpabilité. Moi qui, avant qu’elle débarque, étais en train de me plaindre de mes filles… en attendant, je ne serais pas sûre de survivre si quelque chose leur arrivait. Je me sens comme la pire des ingrate. J’ai eu la chance d’avoir facilement – voire même trop facilement – mes filles. Aucune grossesse difficile. Tout s’est passé tranquillement, doucement et agréablement. Je tuerais pour donner cela à Shiv’. Cette tranquillité d’esprit que j’avais, persuadée, à juste titre, que tout se passerait bien pour mes enfants.

« Pourquoi tu penses que quelque chose cloche avec toi, Shiv’ ? C’est pas de ta faute… », dis-je.

Malheureusement, plus facile à dire qu’à croire. J’imagine qu’elle se sent coupable, fautive, responsable de la perte de ce petit-être. Je pense que même si je répète toute ma vie que ce n’est pas de sa faute, elle ne me croira jamais, elle mettra ça sur le dos de “la grande-sœur qui veut absolument la protéger de tout, tout le temps”. Ce qui n’est pas faux. Si je pouvais, je la sauverais de toute cette tristesse. Je l’épargnerai de cette misère. Je la protégerais de tout ce mal-être dorénavant profondément ancré. Sauf que je n’en ai pas du tout la possibilité. Au lieu de ça, je tente de retenir mes propres larmes. J’ai toujours su rester forte pour mes sœurs, ne montrer aucun signe de faiblesse quand elles avaient besoin de moi en pleine possession de mes moyens… sauf que là, j’ai envie de chialer. La peine, la douleur que je ressens en voyant ma sœur dans cet état-là. Quand je vois la lumière qu’elle avait dans les yeux lors du mariage, quand elle nous a confié pour sa grossesse, et là, cet espoir qui n’est devenu que désolation et désespoir. J’avale ma salive, souffle légèrement, essayant de ne lâcher aucune larme. Je me dois de contrôler mes émotions et sentiments.

« Est-ce que tu as pris le temps de te reposer depuis ? Tu veux que j’m’occupe de Maddie..? Que je fasse le ménage chez toi ? Que j’m’occupe de ta paperasse ? Je peux te réserver une semaine dans le meilleur hôtel-spa de la ville, tu seras tranquille et on te bichonnera à souhait. Mais il faut que tu prennes soin de ton corps et de ton esprit. »

Merde ! Je voudrais prendre tout son malheur… Pourquoi ce n’est pas possible ?! Je voudrais tellement voir ce beau visage illuminé, exactement de la même façon qu’il était lors de son mariage. Je n’ai pas assez profité de ma petite-sœur épanouie et heureuse.

w; @Siobhan Adelson

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North Monterey. CA

Fin mars 2024.

Niamh a toujours su comment me réconforter, comment essuyer ces vilaines larmes sur mon visage et elle a toujours su trouver les mots qu’il fallait, pour m’apaiser, guérir mon cœur en souffrance. Er elle a toujours été cette formidable grande sœur, que je n’échangerais pour rien au monde. Niamh s’est toujours montrée disponible malgré son mariage, malgré ses propres enfants. Malgré son train de vie bien rempli. JAMAIS au grand jamais, elle ne m’a fait faux bond et c’est sans doute pour cette raison que je me réfugie chez elle maintenant, alors que j’ai le plus besoin d’elle. Je n’ai pas besoin de parler pour qu’elle comprenne l’étendue de cette foutue malédiction qui me poursuit depuis tellement d’années. Je ne les compte même plus, c’est pour dire.

Dans ses bras, j’y trouve une forme d’apaisement, tandis que mon âme hurle la douceur de cette perte incommensurable. Encore une fois, j’ai touché le bonheur du bout des doigts. Je n’ai même pas eu le temps de savourer cette douceur venue de nulle part. Je n’ai pas eu le temps d’être une femme heureuse avec Caleb que déjà, le malheur nous ronge de l’intérieur. Y’a pas pire pour commencer une nouvelle vie à deux, je vous le dis !!! Dans un mariage, il y a des fondations à construire, une confiance aveugle à offrir. On n’en est qu’au début de ce périple merveilleux. Malheureusement, pas suffisamment renforcé pour que cela tienne le coup, de mon humble avis. Je n’arrive pas à me confier à mon mari, ça commence mal. Je ne peux pas le regarder droit dans les yeux sans me dire que j’ai merdé. Que j’ai fait quelque chose de mal pour que cela arrive. Ce n’est pas la première fois qu’il souffre, qu’il a du chagrin. Qu’il éprouve de la colère, même ! Et tout cela, je le sais, parce qu’à chaque fois, je suis responsable de son malheur.

Je sais que quelque chose cloche chez moi, ce n’est pas nouveau. Je ne sais pas pourquoi l’univers continue de s’acharner sur ma propre personne. Comme si je n’avais pas assez souffert, hein ? J’y ai laissé un mariage, un bordel sans nom. Plusieurs fausses couches, et des échecs d’insémination à n’en plus finir. Si je devais calculer le nombre de piqûres que je me suis plantée dans le ventre, j’aurais des centaines de seringues sur la table, à l’heure d’aujourd’hui. Sans doute, faudrait-il mieux pour nous qu’on pense à une contraception ? Qu’on ne puisse plus revivre une telle horreur. Je suis certaine de ne pas m’en remettre si cela devait arriver encore. Plutôt mourir, je préfère. Mais je ne devrais pas dire ce genre de chose, parce que Madeleine n’est encore qu’un bébé, et qu’elle a besoin de ses parents pour grandir. Il est hors de question que je laisse tomber ma précieuse fille. Elle représente tellement, à mes yeux. Et bien au-delà de tout ce que j’imagine, d’ailleurs. J’aimerais tant croire Niamh quand elle me dit que ce n’est pas de ma faute. Je ne relève pas. Elle connaît déjà ma réponse, je l’entends dans le ton qu’elle emploie. Je me sens coupable et ça s’arrête là. Elle aura beau tenter de me convaincre du contraire, je continuerai à me dire que oui, si cela est arrivé c’est parce que c’est de ma faute. Parce que ce corps ne vaut rien, n’apporte rien de bon. Parfois, je me dis que si j’ai eu la chance d’avoir Maddie, c’est parce que je n’en ai pas eu connaissance dès le début. Ce qui a été différent, pour celui-ci.

Je fais non de la tête. Prendre soin de moi ? Je ne sais même plus ce que cela signifie, j’en ai bien peur. Alors peut-être que ça me ferait du bien, mais je ne voudrais pas abuser de la générosité de ma grande sœur. Elle s’est tellement occupée de Madeleine. Ce qui me donne l’impression de pas assurer avec ma propre fille, je devrais être disponible pour elle, à cent pour cent, ne pas faiblir. Pourtant… pourtant, je ne fais pas d’efforts. Avec Caleb, on essaie vraiment de reprendre une vie normale, on s’accroche à ce que l’on peut et chaque sourire de notre fille nous rappelle qu’il y a toujours de la beauté dans ce monde, même si pour l’instant, le ciel est gris. Un jour, nous verrons de nouveau le ciel bleu et entendrons les oiseaux chanter. Je l’espère sincèrement. Je regarde ma soeur, en essuyant mes yeux :

— Je ne voudrais pas abuser de ta générosité. Tu t’occupes tellement de Maddie ces derniers temps. Je te promets d’y réfléchir, d’accord ?

Oui, je vais prendre toutes ses suggestions en compte et réfléchir à ce qui pourrait me faire du bien parce que ma sœur a raison ;  je dois prendre soin de moi, de mon corps, de mon esprit. Sans cela, je ne sortirai jamais la tête de l’eau et j’aurais toujours l’impression de me noyer, tout le temps. J’ajoute :

— Raconte-moi quelque chose de joyeux.

 

w; @Niamh Fitzgerald