nul vainqueur ne croit au hasard
ft. @Arabella Keller

Qui aurait cru qu'un déménagement serait aussi galère ? Je n'ai pris que le strict nécessaire et pourtant les cartons fusent sans cesse du camion. Je regarde le foutoir qui s'installe dans le salon, tout un tas de cartons que je vais devoir ouvrir, ranger… Rien que d'y penser, je décourage totalement. Quelques amis de Collin viennent en renfort. Quant à moi, il n'y a pas l'ombre de quiconque. A ma famille, je n'ai rien dit… à propos de rien. Ils ne savent absolument rien. Ils vivent dans l'ignorance la plus totale. Ils ne savent même pas que j'emménage. L'idée de leur dire est présente, bien travaillée dans mon esprit. Payer deux loyers va devenir compliqué et cher. Sauf que je préfère procéder de la sorte plutôt que de passer la dure épreuve de la rencontre avec les Hobbs. L'horrible sentiment que Collin n'est tout bonnement pas prêt à rencontrer mes sœurs et frères. Je le sais, je le sens, ils ne vont en faire qu'une bouchée. Alors, pour cette raison-là, la quasi-totalité des cartons ne sont que ceux de mon compagnon. Attends… C'est plus que ça ! C'est mon fiancé, putain. Il faut vraiment que je me mette dans un coin de ma tête. Eh, oui… une autre chose que je n'ai pas dit à mes proches. Puis, honnêtement, même si je leur dis, je ne suis pas sûre qu'ils me croient. A leurs yeux, je suis Caroline, la nana trop reloue pour qu'un être-humain, en dehors de la fratrie Hobbs, puisse me supporter. Et franchement, ils n'ont pas tort. Je suis insupportable, un brin colérique, têtue, parfois égoïste et ma mauvaise foi est sans précédent. Je mets à l'amende n'importe qui à ce sujet-là. Et c'pas franchement quelque chose pour lequel je dois me vanter mais il faut bien reconnaître ses défauts, non ?

Mon stress est à son paroxysme aujourd'hui. Je suis loin de la demeure Hobbs. Toutefois, j'ai cette peur inexplicable de tomber sur quelqu'un. Allez savoir pourquoi, il n'y a aucune raison que l'un d'eux traine dans le coin, pile au même moment où je sors. Le hasard serait sans pitié si c'était le cas. Mais j'y peux, je suis flippée. Alors, ma relation, sa nature et sa profondeur seraient révélées au grand jour. De ce fait, je suis à cran. Ma patience, qui n’est qu’une vaste légende urbaine, est mise à rude épreuve. Je le fais sentir à chaque être qui peut m’entourer à l’instant T. Collin n’est nullement une exception à la règle. Au contraire, il prend TARIF. Je suis insupportable. Mes réflexions vont de bon train. Mes plaintes ne s’arrêtent plus depuis deux longues heures. J’appuie sur ses nerfs durement. Je le sens, je le vois tenter de garder son calme, du mieux qu’il peut. Sauf que bien que j’ai conscience de comment je suis, je ne peux me stopper. L’angoisse relève le pire de ma personnalité. Alors qu’il me tend un carton, celui de mes affaires de plongée, j’ai le malheur de voir que le scotch s’est légèrement retiré sur les côtés. Rien de plus pour me rendre rouge de colère, à ce moment précis.

« Purée, fais attention ! T’as niqué mon carton ! J’espère qu'il ne me manque rien, sinon, c’est toi qui paye ! »

A cela, il m’envoie chier, tout simplement. Comme je m’y attendais, il me fait remarquer à quel point j’ai été insupportable depuis ce matin, qu’il ne peut plus me voir en peinture pour un bon p’tit bout de temps et il se barre. Fière et têtue que je suis, je rétorque par un : « Va te faire mettre ! ». Rien de mieux pour aggraver une situation, n’est-ce pas ? Me voilà l’experte, bien sûr.

Et alors que je me plaignais de l’état dans lequel était mon carton, je me retrouve à le jeter aussi loin que je le peux d’un simple coup de pied. Je m’apprêtais à fermer la porte de l’appartement quand quelqu’un pointe le bout de son nez. J’imagine l’image que Collin et moi donnons. A peine arrivés, déjà en train de s’engueuler dans les couloirs.

« Merci, c’est gentil mais on vient de vider le camion, à l’instant. C’était nos derniers cartons. »

Je regarde un instant la demoiselle en face de moi. Tirée à quatre épingles. Elle est belle comme tout. Putain, j’dois vraiment ressembler à un sac face à elle. Machinalement, je tire sur mon tee-shirt, trop grand pour moi, et je passe une main furtive dans mes cheveux, sur mon vieux chignon fait à la va-vite.

« Caroline. Et comme tu peux le voir, avec mon copain, on reste très nature-peinture, on s’engueule dès notre premier jour d’emménagement. Ça promet, hein ? »

Sur ces dires, je prends un carton, le sien… comme par hasard. Putain, c’est qu’il est lourd, en plus. Aussi lourd que son humour, tiens. Je devine que ce sont que des fringues et pas ses disques auxquels il tient tant alors que je me permets de leur réserver le même sort qu’à mon carton, je le balance loin avec un coup de pied bien énervé et mérité.

« Tu veux boire quelque chose ? On a tout pour faire du café, faut juste fouiller dans les cartons. »

nul vainqueur ne croit au hasard
ft. @Arabella Keller

Être le centre de l’attention. Une véritable hantise. Beaucoup plus à l’aise quand personne ne me remarque. Toutefois, je savais qu'avec mon sale caractère et celui de Collin qui a ses limites, forcément, lors du déménagement, ça allait exploser. Je ne pensais pas juste aussitôt. D’ailleurs, c'est avec effroi et énormément de honte que je constate qu’une des voisines est spectatrice de ce massacre. J'essaye de la jouer fine, de faire croire que tout roule comme sur des roulettes sauf que je veux hurler. Je veux crier sur le monde entier.

Malheureusement, je me dois de garder la tête froide et de faire bonne impression, histoire que les habitants de l’immeuble ne pense pas que je suis une espèce de folle furieuse. Arabella, la première. Déjà qu’elle ait le droit à ce spectacle n’est pas franchement flatteur. Ni pour moi, ni pour Collin. La différence ? Collin s’en sortira avec un de ses sourires ravageurs. Moi, je suis largement moins avantagée dans une telle situation…

« Du roller derby ? C’est un sport qui se pratique en club ? J’pensais que c’était juste dans Bliss. »

Bien loin de faire preuve d’arrogance. Je m’intéresse à énormément de sports. Plutôt de nature sportive, et heureusement, quand on sait que je suis maître nageuse. D’autant plus que, même si la seule référence que j’ai n’est autre qu’un film vieux de quinze ans, il est intriguant. Il faut dire que dès qu’il y a de la bousculade quelque part, je trouve la chose toute suite plus intéressant.

A sa proposition, j’y réponds par un grand sourire avant de rentrer dans l’appartement. Encore vide. Seul le canapé et la télévision emmitouflée de plastique ont pris réellement place. Je me dirige vers les vestige de la cuisine. Rapidement, je trouve le carton de la machine à café. Je la sors, la branche, mets de l’eau dans le réservoir et chope les capsules, foutues au fond du carton et les petites tasses, protégées dans un autre carton. Les bruits de tronçonneuse commencent aussitôt que j’ai appuyé sur le bouton. La première fois que je fais du café chez moi. Dans mon appartement. Appartement dont tout le monde ignore l’existence, dans ma famille.

« Ça fait longtemps que tu es ici ? »

Au même moment que je pose la question, je lui sers la boisson chaude. Je lui tends les cuillères et… merde ! Est-ce que j’ai du sucre ? Je me mets à fouiller dans deux, trois cartons et bingo ! Trouvé ! Je mets à côté le paquet de sucre. Je fais de même pour moi. C’est dingue comment une petite pause fait du bien !