a life, a story
Quelques notes au grès du vent...

(Only one) Je suis fille unique. Suite au départ de mon père, ma mère n'a jamais voulu avoir d'autres enfants par crainte de revivre cette souffrance. Si quelques hommes ont partagé sa vie par moment, aucun n'est resté longtemps et elle m'a élevée seule.
(Angel) Je possède ma bouille angélique depuis mon enfance. Je n’ai besoin d’aucun maquillage pour ressembler à un ange tombée du ciel. Si elle m’énerve par moment, m'obligeant à justifier ma majorité lors de certains achats, j’en suis extrêmement fière. Je rêve de la croire héritage de mon père, celui de ma mère étant plus rude. Dans mes rêves, il possède un visage tout aussi doux.
(French) Je parle couramment français. La faute à ma mère fan de littérature française. C’est elle qui me l’a apprise. Cet apprentissage a été le ciment de notre complicité. Nous avons passé des heures ensembles afin qu’elle me l’enseigne. Je l’ai apprise autant par curiosité que par envie de la remercier de son amour offert envers moi. Nous nous amusons régulièrement à parler dans la langue de Molière. Surtout devant ma grand-mère qui ne comprend pas grand-chose de nos échanges. Ce qui nous fait rire.
(Book) Mon livre préféré est Le Petit Prince. Je le relis au moins une fois par an bien que je le connaisse par cœur. Je rêve de visiter le musée consacré à cet œuvre et à son auteur à Hakone, proche de Tokyo. J’économisais en ce sens avant de réserver ma cagnotte pour financer mon séjour à Monterey. Ce projet a été mis de côté par la force des choses, mais je ne l’oublie pas.
(Morning) L’avenir appartient à celui qui se lève tôt. Je ne sors jamais de mon lit après 8h. Si je peux paraître matinale, la vérité est ailleurs. Dormir m’angoisse. Si dormir c’est plonger dans le merveilleux monde onirique, c’est également voyager dans les cauchemars et interrogations sur mon père. Être éveillée me fait moins penser. Puis il y a tant de choses faire à New York. Les journées sont déjà assez courtes pour les écourter.
(Sobriety) L’alcool et moi ne sommes pas amis. Outre le fait que je n’aime pas son goût, et ce peu importe l’alcool, je ne le supporte pas. Un verre d'alcool et mes pommettes rosissent déjà tandis que mon corps titube à chacun de mes pas. Je me contente de soft. Un diabolo fraise me ravira totalement. Puis en tant que danseuse, j’ai besoin d’un esprit sain dans un corps sain.
(Spiders) J’ai une peur bleue des araignées. La moindre petite bestiole à huit pattes entrant dans champ de vision me fait paniquer. Tant qu’elle est immobile, je resterai figée, pétrifiée comme si je venais de croiser le regard de Méduse, afin de ne pas signaler ma présence. Si elle se met à bouger, j’active mes cordes vocales et brise ma voix aigüe dans des cris assourdissants. Même si la petite bête ne mange pas la grosse comme on dit.
(Cooking) Je suis plutôt une bonne cuisinière. J’aime passer derrière les fourneaux et préparer de bons petits plats lors de repas à beaucoup. Ma spécialité est les lasagnes au saumon. Sinon, je me la reine des macarons, merci maman d'aimer la France. Surtout ceux au chocolat  Sauf pour le diabète. Ça va, je suis tranquille de ce côté-là. Puis je n’en abuse pas non plus. Je sais me raisonner.
(Direction) Mon sens de l’orientation est désastreux. Je remercie grandement l’inventeur du GPS. Sans lui, je serai encore en train de me perdre dans les rues de New York et désormais de Monterey. Avec mon précieux téléphone portable, je suis apte à me déplacer sans souci. Je crains le jour où je vais me lancer dans l’obtention de mon permis de conduire. Ce n’est pas demain la veille étant donné l’état de mes finances. Sans oublier que je suis angoissée en voiture.
(Dancing) La danse rythme ma vie. Je ne vis pas ma vie, je la danse. Cette passion m’anime depuis mes quatre ans. Et elle m’animera jusqu’à la fin de mon existence. Je ne peux imaginer une journée sans danser. Ce serait une journée de gâcher à mes yeux.

...composent la mélodie de ma vie.

La vie est une partition géante où chacun compose sa musique. L’harmonie des mélodies n’est pas toujours parfaite. Tout le monde n’a pas le rythme dans la peau. Pourtant, les gens font de leur mieux. Ils font avec leurs moyens pour continuer de jouer jusqu’à la note finale et la fin de leur existence.

Le 18 novembre 2002, à New York, marque mon entrée dans la ronde. Je chute dès mon premier pas. La faute à l’absence du second pilier parental : papa. Son absence pourrait être éphémère, causée par son travail ou autre. Il sera là rapidement pour soutenir sa fille fraîchement née et sa femme. La vérité est qu’il ne sera jamais là. Il est parti. Maman me relève de toute la force de son amour. Elle a en largement pour deux, pour des millions même. Elle me maintient à flot sur la piste de la vie. Elle sera mon unique cavalière pour me guider.

Je poursuis ma route. Je me déplace avec grâce sur ce chemin escarpé, en dansant depuis cinq ans. La danse rythme mes journées. Ma mère raconte que je dansais avant de savoir marcher. Je tiens peut-être ce gène de mon père ? Pas de Louise pour sûr. Avec tout le respect que je lui dois, je dois admettre que son déhanché est ridicule. Elle est aussi souple qu’une barre de fer. Les premières interrogations sont exprimées concernant mon père. Le sujet est évité, tabou. Il est parti sera ma seule réponse. Insuffisante à combler le vide de mon être. L’homme arrivant dans sa vie ne le fera pas davantage. Il n’y a pas cette fusion émotionnelle. Mon cœur ne pulse pas d’affections en dépit de ses attentions. Il n’a pas le pouvoir de me faire vibrer. Enfin si, un peu malgré tout. Les sons du saxophone de ce jazzman ne me laissent pas indifférente. Je m’amuse à donner vie à ses créations. Je remue sur ses notes, improvisant des chorégraphies. Parfois on inverse les rôles. Je danse et il compose en fonction de mes mouvements.

L’enfant grandit. Déjà dix ans que je danse sous la pluie lorsque l’orage arrive. La foudre me tombe dessus. Un agent d’une agence de pub. Un démon croisé à l’école de danse qui désire emmener l’ange que je suis. Trop naïve, il m’entraine dans son monde. Cet univers est si triste. Tout est figé et dicté d’avance. Il n’y a aucune place à l’improvisation. Je suis objet à obéir. On me maquille telle une poupée. Je suis un jouet humain. Je me sens liée, incapable de bouger. Ma mère a lu ma détresse dans mes yeux. Elle a dit stop. L’éclaircie est revenue. La danse peut reprendre. La météo est clémente. Tout est parfait hormis son éternel silence vis-à-vis de mon père et son refus de m’offrir une fratrie. Ce dernier nuage aura raison de son couple. Son conjoint meurt d’envie de fonder une famille. Envie non réalisable, lui aussi part. C’est à croire que ma mère est incapable de garder un homme auprès d’elle.

Notre avancée continue en duo, se muant de temps en temps en trio durant les rares aventures passagères de ma mère. A mes dix-sept ans, c’est à mon tour d’envisager d’apporter une nouvelle pièce dans nos vies. J’ai donné un rendez-vous à Amanda, une camarade de classe et mon crush du moment. Je l’ai invitée à boire un verre après les cours. Elle a accepté. Je suis toute guillerette en rentrant chez moi. Tellement que je n’ai pas regardé en traversant la route, que je n’ai pas vu cette voiture arriver. Par contre j’ai entendu les os de mes jambes se briser sous l’impact. J’ai entendu les cris horrifiés des passants. J’ai entendu les sirènes de l’ambulance et plus encore les pleurs de Louise. La vie vient de me rappeler brutalement qu’elle seule maitrise les éléments.

L’hôpital est devenu ma nouvelle maison. La danse est un lointain souvenir. Allongée sur mon lit, je me demande si je remarcherai un jour. La kiné me dit que ça sera difficile. Le médecin se terre dans un silence et préfère ne pas se prononcer. Ma mère croit en moi. J’ai déjà connu la chute à ma naissance. Je me suis relevée une fois, je peux le refaire. La douleur est affreuse. La vicieuse essaye de me faire abandonner. Je rejette ce mot. Je l’ai déjà connu lui aussi. Je refuse d’imiter mon père. Je ne suis pas aussi lâche. Je vais me battre. La lutte est intense. Lorsque je gagne une bataille, j’en perds deux par la suite. La vie est tenace, mais trop faible face à ma volonté. Je finis par l’avoir à l’usure. Un an a été nécessaire pour mettre fin à cette guerre. Je remarche. Et plus important encore, je peux de nouveau danser.

Cette année m’a fait cogiter. J’ai pris conscience qu’on n’agit pas toujours par choix. Et si mon père avait été obligé de partir à son insu ? S’il l’avait fait pour mon bonheur ? Toutes ses questions me rendent malade. Je veux avoir des réponses. Quitte à recevoir des coups. Un soir, au moment du diner, je me jette à l’eau. Je prends ma mère à partie. J’insiste sur le besoin de le connaître. Jamais je ne me suis montrée aussi vulnérable, les yeux embués de larmes. Plus que l’humidité, elle peut y apercevoir ma détermination. Elle cède enfin sous le poids de l’émotion. Elle me raconte son histoire, leur histoire, leur belle histoire, jusqu’à leur rupture violente. Pas autant que sa manière de m’avoir cachée la vérité. Il n’est pas parti, il ne sait pas que j’existe. Une pointe de reproches rythmera nos danses pendant quelques semaines avant que l’apaisement nommé amour ne vienne réunir nos pas en harmonie.

Nous le cherchons sur internet. La toile nous propose rapidement des photos. Son regard me frappe de plein fouet. Je sais maintenant de qui je tiens mes yeux. Il semble toujours vivre à Monterey. Un endroit qui me parle. Ma cousine Lola y vit depuis toujours. Drôle de coïncidence. Phénoménal coup de chance. Merci la vie pour cette bonne surprise. Je lui passe un coup de téléphone. Nous nous sommes toujours bien entendues. La distance et nos vies respectives ne nous permettent pas de nous voir autant qu’on le voudrait. Je lui explique ma démarche. Elle me montre très vite sa compréhension. Je lui demande timidement si elle peut m’héberger quelques temps. Je n’ai pas les moyens de me payer l’hôtel. Et encore moins de réaliser des allers-retours réguliers au prix des billets d’avion. Je lui propose de lui donner des cours de danse pour régler une part de son loyer. Rires éclatants dans le combiné, elle ne souhaite rien en retour. Je ferai tout de même en sorte de participer à la vie là-bas. La vie coûte chère. Et je n’ai pas reçu l’éducation d’une princesse à entretenir.

Billets d’avion en main, il est temps de me lancer. Moment où le doute s’installe. Remuer ce passé est-il une bonne idée ? Bonne ou mauvaise, j’ai besoin de savoir qui je suis vraiment pour me libérer de ce poids étouffant. Mon départ est acté en cet fin d’hiver. Je ne peux plus reculer. Je ne veux pas reculer. Assise sur mon siège, mon stress est palpable. Pourtant, il me tarde de décoller. Les consignes énoncées, je m’envole. Un coup d’œil par le hublot, je salue mes repères. Au revoir la Grosse Pomme et bonjour la Californie. Je démarre une nouvelle danse. Celle qui me mènera enfin à mes origines paternelles. J’espère que l’accueil sera chaleureux. J’ai tant de vide à combler. Au pire, je ne lui demande qu’une danse, qu’un instant de complicité père/fille. J’aimerais tant valser en sa compagnie. Et peut-être lui murmurer ces deux syllabes qui lui sont propres qui n’ont jusqu’ici jamais franchies la barrière de mes lèvres : papa.