a life, a story - « Comment vous vous sentez ?
- J’sais pas. Ça fait des années que j’me suis pas retrouvé devant une caméra, comme ça, d’façon officielle. »

Et pour cause, c’est la première fois depuis pratiquement vingt ans que je suis sous les feux des projecteurs, que je sens leurs lumières s’écraser sur mon visage fraîchement maquillé par une professionnelle. Un sentiment agréable que j’avais oublié avec le temps. Je souris, je suis heureux d’être là. Enfin, certains semblent s’intéresser à mon histoire, à ce que j’ai vécu, à comment je suis passé de l’enfant star que tous les producteurs d’Hollywood s’arrachaient à l’exemple quasi-parfait des dérives du monde du cinéma. Avec ce documentaire, j’espère à une réhabilitation. J’me moque pas mal des excuses des médias et de ceux au-dessus. J’ai appris à ne plus rien attendre d’eux. Toutefois, j’espère, j’aspire à une renaissance au grand comme au petit écran. Je veux que tout le monde voit que je ne suis plus ce déchet humain, bon qu’à tituber après s’être torché la tronche dans un bar miteux de Los Angeles ou de Monterey. Après tout, si Lindsay Lohan a eu le droit à une seconde chance, pourquoi pas moi ?

Six mois plus tard, vers mai, aux alentours de 14h.

« Comment ça vous pouvez rien faire ? J’paye une blinde rien que ce rendez-vous !
- C’est la vérité, Mr. Lawson. Je ne peux rien faire. Netflix est dans son droit. Ils ont tout fait dans les règles. J’ai conscience que ce documentaire ne vous a pas mis à votre avantage mais légalement, ils n’ont rien fait de mal. »

Encore une fois, je suis humilié. Comme trop souvent, parce qu’il m’arrive d’être crédule, d’être un peu naïf sur les bords, on m’a pris pour un imbécile, on s’est servi d’moi, j’ai laissé faire et je ne peux plus rien faire. Éternel coincé dans la peau du raté de service, celui qui a mal joué, qui s’est brûlé les ailes à vouloir s’approcher trop près du soleil. Celui qui avait tout pour réussir. Qui avait une carrière prometteuse, merci papa, merci maman pour la pression que vous avez foutu sur l’dos d’un gosse. Un môme qui n’a pas réalisé l'ampleur de ses bêtises, qui ne se rendait pas compte qu’il était accro à des saloperies qui l’ont rendu malade, au fur et à mesure. Alcool, drogue, jeux d’argent, jeux de hasard. Un jour, ce gamin arrogant, stupide, riche et aveuglé par les strass et les pailettes hollywoodiennes, provoque un accident de voiture. Ce p’tit con sort miraculé mais a bien failli gâcher la vie d’une jeune étudiante et de sa mère.

« Je suis plus ce sale type. Je suis plus ce connard imbuvable qui pensait avoir le monde à ses pieds, j’vous jure. J’veux juste m’en sortir… »

Et sur ces mots, j’m’affale sur le luxueux canapé de mon avocate. Je me pose un instant, le regard figé dans le vide, ne fixant rien en particulier, pas même le tapis laid de la professionnelle. Non, je suis pensif. Bordel, qu’est-ce que je vais faire ? Moi qui ai bien l’habitude de me sentir con, cette fois-ci, les records ont été battus, à pain couture (ndlr : plate couture). Même la grande LL n’a pas été traité d’la sorte et pourtant, personne ne l’a épargné, la pauvre.

« Il y a six mois, tout allait bien. J’étais en couple avec une femme incroyable qui allait bientôt accoucher de mon fils et que j’allais la demander en mariage. Je pensais que j’aurais le droit à une nouvelle chance avec ce documentaire. J’m’étais remis de mes addictions, je revoyais mon psy, j’allais aux réunions des alcooliques et des narcotiques anonymes. J’avais même commencé à contacter des agents. Et maintenant, j’suis père célibataire. Un père pourri. J’ai recommencé à jouer en ligne, j’perds beaucoup d’argent. J’ai littéralement un sachet de coke et une ordonnance pour de l'oxycodone dans mon portefeuille. J’ai un document sur Netflix qui rappelle à quel point j’ai rendu une femme parésique et à quel point j’suis un putain d’addict, illitré et arrogant. Et ma petite-amie s’est barrée, comme ça, du jour au lendemain, avec une lettre disant qu’elle subissait trop de charge mentale et qu’elle avait un blue lagoon (ndlr : baby blues). Et putain, le documentaire s’appelle Eugene, quoi ! »

C’est bien la première fois que je me dévoile de la sorte à quiconque. Littéralement sans filtre, j’ai dit tout ce que j’ai sur le cœur comme on me l’a tant conseillé pendant ces longues heures de thérapie et de réunions chez les groupes anonymes. Je prends un grand souffle. Je passe mes mains sur mon visage, je me frotte violemment les yeux. Une façon pour moi de me remettre de toutes les émotions qui m’ont submergés pendant mon speech.

« Excusez-moi. J’pensais pas que je refoulais autant de choses. Ma sœur m’a conseillé d’en parler à quelqu’un, j’pense pas qu’elle parlait d’mon avocate. »

Et voilà, comme à chaque fois que je suis exposée à ma sensibilité, à mes problèmes, à mes erreurs, j’entasse tout ça et fait une place de choix à l’humour. J’finis ma phrase et j’me sens faire, naturellement, sans réfléchir, ce « sourire de star ». Celui qui irrite tout le monde. Celui que j’fais sans même m’en rendre compte tant qu’il a fini par faire partie intégrante de ma personnalité… personnalité, si seulement j’en ai une.

« J’ai vu le documentaire. J’ai pris des notes, au cas où et sans vouloir sortir de mes fonctions, peut-être que vous devriez en parler à vos parents, non ? Je pense que ça résoudrait pas mal de choses… psychologiquement. »

Une bienveillance innocente et pure, qui m’est rare. Mis à part ma petite-sœur, personne ne s’est jamais montré aussi généreux envers moi. Je m’enfonce dans le canapé, gêné, un rire se fait entendre. Un rire confus. Je joue nerveusement avec mes doigts.

« J’ai bien essayé. A seize ans, quand j’ai viré mon père en tant qu’agent, il a commencé à avoir des problèmes de santé. Il est mort moins d’un an après. Ma mère, elle a fait le strict minimum pour ma sœur et moi. Ma frangine avait à peine douze ans, je devais m’occuper d’elle, lui faire à manger, lui faire faire ses devoirs alors que j’y comprenais que dalle. Quand j’ai provoqué cet accident, j’l’ai appelé, elle s’est même pas pointée à l’hôpital. Dernièrement, j’lui ai envoyé un mail pour lui annoncer qu’elle était grand-mère : aucune réponse. Si ça se trouve, elle a refait sa vie, a une nouvelle famille, j’en sais rien. Et franchement, j’m’en tape.
- Au moins, vous avez un bon contact avec votre petite-sœur. Vous avez de la famille.
- J’pense qu’elle préfèrerait que j’sois pas dans ses pattes, vous savez. J’vois bien que j’suis un poids pour elle. Avec mon fils, on est là, on lui prend tout son temps, on lui pompe son énergie, sa force, son temps. J’suis un incappable. J’sais pas comment j’ferais sans elle, au quotidien, depuis tout ce temps. C’est elle qui m’a emmené à toutes mes cures de désintoxication. C’est elle qui m’a ramené chez moi, à chaque fois, aussi. Toutes mes conneries, c’est elle qui a essayé de les réparer. Elle a même voulu tout gérer pour cette histoire avec Netflix. Et j’avoue, j’allais la laisser faire. Sauf qu’il y a pas longtemps, j’l’ai entendu chialer dans la salle de bain. Pourtant, elle a tout fait pour pas que j’l’entende, elle a mis l’eau de la douche à fond et j’suis pratiquement sûr qu’elle a mis une serviette devant sa bouche pour abaisser ses pleurs. J’pouvais pas lui rajouter encore plus de pression sur les épaules. »

Inutile de préciser à quel point je peux être reconnaissant de la naissance de cette incroyable femme. La seule chose de bien que mes parents aient faite. L’une des rares choses qu’ils n’ont pas complètement détruit par leur incompétence. La seule personne au monde qui a jamais cherché à m’aider sans mauvaise intention. Un être parfait et pur que je ne peux me résoudre à détruire, moi, tout seul, parce que je suis aussi indigne d’elle que l’étaient mes parents.

« Qu’est-ce que je fais, Maître ? J’dois écrire un bouquin ? Raconter ma vérité, prouver A + B que ce documentaire est un tissu de conneries ? Attendre que le livre fasse un flop comme le restant de mon existence ? Attendre de crever pour que les gens le lisent et réalisent que j’suis pas un mauvais gars ? C’est quand vous êtes mort que les gens vous écoutent, pas vrai ? »

Je me tais. Un grand silence s’installe. Je n’ose pas lever le regard vers mon avocate, un brin honteux de mes dernières paroles désespérées.

« Je vais vous aider, Eugene. C’est bon, vous m’avez convaincu.
- Q – quoi ?
- On va les attaquer, ces enfoirés ! »

D’abord surpris que de tels mots sortent d’une femme aussi classe et distinguée, je reprends mes esprits en réalisant que j’avais une chance d’être réabilité, ne serait-ce que juridiquement parlant. D’un coup, d’un seul, je me relève du canapé. Joyeux, un peu soulagé. Je ne peux que me confondre en remerciement. Une bonne dizaine ont suivi immédiatement. Instinctivement, je vais pour une accolade, qu’elle rejette aussitôt. Rien de plus normal, sachant que tout cela n’est que purement professionnel, qu’il ne s’agit en aucun cas de mon amie. Je reprends mes esprits doucement mais sûrement. Mon premier réflexe ? Envoyer un message à ma petite-sœur, la prévenir de la bonne nouvelle.

« Merci, Maître. »

Je me dirige vers la porte, quitter ce bureau finement décoré, dans lequel, j’ai le sentiment de faire tâche.

« En fait, vous pouvez m’appeler Eric, s’il vous plaît ?
- On se voit dans une petite semaine, Mr. Lawson.
- C’est encore pire… J’aurais dû me taire. Mais merci, encore, Maître. »

Et je quitte le building. Pour la première fois depuis des mois, je me sens léger. J’ai comme la sensation qu’un poids s’est retiré de mes épaules, comme par magie. Enfin !

Il y a quelques jours, 9h30.

A mon avantage comme je l’ai rarement été. Prêt, déterminé. Même pour une audition, je ne me suis jamais senti aussi décidé. Je rentre dans l’établissement de Mom&Me sans la moindre préoccupation. Discours répété et appris par cœur, je sais exactement quoi dire pour qu’ils tombent amoureux de moi. D’autant plus que j’ai pris les devants, si on en croit Internet, les employeurs apprécient ça. Je mets toutes les chances de mon côté. J’ai bien conscience de n’être véritablement un choix évident. Les cordes à mon arc sont particulièrement limitées dans un domaine mais j’ai appris à être polyvalent et foncièrement confiant. Sans oublier mon speech digne d’un grand film hollywoodien. Est-ce que je me mise trop dessus ? C’est fort possible… Tant pis ! Ils vont m’adorer ! Rapidement accueilli, je rentre dans une large pièce, grande table au centre, où tous les employés sont présents. Une petite pression vient aussi vite qu’elle ne part. Peut-être un peu trop confiant mais les auditions, ça me connaît. Bon, là, à proprement parlé, c’est un entretien mais c’est la même chose à quelques détails, non ? Une fois que tous sont installés sur les sièges que je devine être en cuir, je leur donne à chacun une copie de mon CV. A peine posé sur la table, je vois les premiers regards confus des professionnels. Pas de panique, c’est normal !

Devant eux, debout, confiant à presque en paraître arrogant, je ferme le bouton de mon élégante veste de costume bleue foncée. De là, je vends comme j’en ai eu si souvent l’habitude. Bien qu’il ne s’agisse que d’un poste comme réceptionniste, qu’en rien, après ça, je risque de finir dans la liste des finalistes pour un oscar, il faut que je me montre convaincant. Je sors le grand jeu. Mon speech raconté dans sa globalité, sans aucun trou de mémoire alors que j’ai dû rajouter des mots compliqués, sous les conseils de ma sœur, comme “maïeuticien”, pour mon désir d’évoluer dans l’entreprise et de devenir docteur qui fait venir au monde des bébés (ajoutant que Dr. Lawson sonne terriblement bien !). Ou encore “scolariser” pour jouer carte sur table, leur avouer que je n’ai jamais suivi de cours à cause de ma carrière d’acteur mais que la volonté ne manquait pas et que depuis déjà deux mois, j’en suivais, enfin ! Parce qu’il n’y a pas d’âge pour se lancer. J’ai même eu le droit à quelques rires. Et enfin, la touche finale !

« J’ai aussi rapporté ça, j’me suis dit que ça serait bien de l’ajouter à la place de tous ces cadres avec des papiers couleur jaunisse…
- Il parle de nos diplômes, là ?, demande un des employés.
- Tadam ! »

Fier, de mon sac à dos, je sors un de mes Golden Globes. Large sourire qui ne quitte plus mon visage, je termine en disant :

« J’en ai un autre, vous pouvez le garder.
- Ecoutez, on va vous rappeler, d’accord ? »

Raccompagné vers l’ascenseur par celui que j’ai entendu être appelé Sexy Doc, Dr. Pérez, pour forger plus de contact avec l’équipe et peut-être marquer quelques points, je lui fais la conversation.

« Vous savez que vous avez une belle dentition ? Vraiment, si j’avais jamais rencontré Tom Cruise, je pourrais dire que vous avez le sourire le plus blanc du monde. Vous feriez un super mannequin dentaire, pensez-y. Priver le monde d’un si beau sourire, ça devrait être illégal. »

Sur ces mots sages, je rentre dans la boîte de fer pour rejoindre le parking. Avant que les portes ne se ferment, je rajoute à mon (peut-être) futur collègue :

« Vous portez bien votre surnom de Sexy Doc. »

Les portes se ferment sur ces paroles. Et malgré que je sois tout seul, je ne peux m’empêcher de sourire. Je ressens un sentiment de fierté immense. Avoir osé quelque chose d’un peu fou, connaissant mon passé. Avoir osé passer un entretien pour un métier qui n’a rien à voir avec l’acting, l’avoir fait simplement parce que j’aspire à, un jour, devenir “maïeuticien”. Après cette audition… Cet entretien, je me sens léger, foncièrement confiant, peut-être aveuglément confiant. J’aspire à un appel au plus tôt ! L’espoir fait vivre, après tout, non ? Main dans ma poche, je sens ma petite pièce, celle des deux mois sans aucune drogue et/ou alcool. Pour une fois, je me sens profondément rassuré par l’avenir. En espérant qu’un tel sentiment persiste.