L'une de tes amies va emménager dans un nouvel appartement. C'est une grande amoureuse de vases anciens, tu as fait de petites recherches pour trouver une boutique d'antiquités sur Monterey. Tu as repéré les adresses. Cela tombe bien, ce midi tu dois rejoindre quelques membres de la troupe pour manger. Une petite sortie agréable, qui va te sortir le nez des révisions. Les partiels se rapprochent de plus en plus, cela se compte en jour. Tes journées semblent se ressembler dernièrement, malgré tous les changements dans ta vie. Le retour de ton père suite à sa sortir de prison, ta relation avec Jeremy depuis un mois, les cours de théâtre que tu donnes à un petit groupe une fois par semaine, ton futur déménagement.
Tu as rangé un peu chez toi, avant de te changer pour aller manger. Ils ont choisi une bonne adresse, alors tu as fait un effort vestimentaire. L'une des amies de la troupe est venue te chercher chez toi. Vous atteignez assez rapidement le restaurant, d'ailleurs sur la route, tu aperçois l'enseigne de la première boutique d'antiquités que tu as repéré.
Le déjeuner s'est bien déroulé. Vous êtes déjà en train de parler de la prochaine pièce. Victime de votre succès, on vous demande déjà les dates de la future pièce. Date que vous n'avez pas, script que vous n'avez pas encore, mais tu sais qu'avec les multiples idées que vous avez eu à midi, il va vite fleurir. Un bon dessert aux fruits engloutis, un café corsé bu, tu es prête à aller chiner. Tu salues une dernière fois tes amis, avant d'aller d'aventurer dans les rues de Monterey.
La première boutique où tu vas semble fermée. Le grand rideau est fermé, le panneau lumineux est éteint. Tu vas devoir continuer ta route. Quelques mètres plus loin, tu remarques sur Maps l'autre boutique. Tu suis ce que ton GPS t'indique.
Tes yeux rivés sur l'enseigne, c'est la bonne boutique. Celle-ci est ouverte. Tu pousses la porte, laissant un "cling-cling" retentir. Tu remarques plusieurs anciens meubles, des étagères avec des bijoux, mais aussi des vases. Tu vas sans aucun doute trouver ton bonheur ici. Tu regardes un peu partout autour de toi, ne touchant à rien. Tu ne veux rien casser. Tu te connais, tu peux être un peu, beaucoup, maladroite.
Tu entends les pas de quelqu'un, sans doute la vendeuse. Tu as ton petit sourire joyeux sur les lèvres. Et tu l'aperçois. Ton corps se crispe soudainement. Oh putain ! Dans tout Monterey, tu es entrée dans la boutique où elle semble travailler. Tu vas peut-être profiter de ce moment pour t'excuser de ton mensonge.
- Oh... Euh salut ! Bordel "salut" quoi ! Tu te pinces les lèvres l'une contre l'autre avant de reprendre la parole. Valéria. Oui, oui c'est bien elle, sauf si elle a une jumelle. Azara, oui pas Lucia... Tu ries nerveusement. La comédienne du théâtre... Je ne sais pas ce qui m'a pris de dire que je m'appelais Lucia. Voilà, ça c'est fait, c'est dit. Enfin, tu devrais peut-être lui dire ce que tu fais là ? Qu'elle ne pense pas que c'est toi qui la suit maintenant. Je cherche un vase ancien pour une amie.

Putain, qu’est ce que je m’ennuie.
Affalée sur mon haut tabouret, les coudes posées sur le comptoir, je soupire lourdement, ce qui me semble être pour la millième fois depuis que j’ai ouvert la boutique, aux alentours de huit heures du matin. La journée est interminable, la matinée a été ponctuée de la visite de trois clients seulement et j’ai pu aisément fermer boutique une petite heure le temps de prendre ma pause déjeuner. Oh, rien de fou pour ce midi: une part de quiche aux légumes et à la sauce pesto rosso, une salade de fraises avec une pointe de crème fraîche et du sucre. Ainsi qu’un litre de coca cola que je sirote d’un air distrait. Une nouvelle fois, ma tante Sandra m’a confié la reponsabilité de la boutique pour l’intégralité de la journée et, ne souhaitant pas être à l’origine d’un conflit avec celle que je considère comme ma propre mère, je n’ai pipé mot et j’ai attrapé le trousseau de clés qu’elle m’a tendu sans répliquer quoi que ce soit.
Mais maintenant que j’observais l’horloge murale qui me faisait face, je réalisais à quel point l’heure de la fermeture était éloignée. J’allais devoir serrer les dents, on dirait.
Mais enfin, ô miracle, le tintement de la clochette installée en haut de la porte crève le silence ambiant. Je me redresse, affiche un sourire sincère… qui s’évapore à l’instant même où je réalise que ma visiteuse est en réalité Miss Azara la menteuse, la petite amie de Jeremy. Un peu gauche, la mâchoire serrée, je la salue d’un simple mot, loin d’être courtoise comme je le serais avec une de mes clientes habituelles:
Bonjour.
Ma voix est un peu faible, cela fait de longues minutes que je n'ai pas ouvert la bouche pour parler. Je dois paraître froide, inaccessible et je m’en veux d’être aussi… peu moi-même. C’est vrai quoi, pourquoi être têtue à ce point, n’est ce pas? Alors, tentant un petit sourire discret, j’ajoute:
Bah c’est un joli prénom, Lucia. Azara aussi, remarque.
Mmm. Me voici… assez… gentille? Pauvre de moi! Je tente simplement d’être correct envers la… petite amie de mon meilleur ami. Je sens surtout que si je faute une nouvelle fois, Jeremy risque de ne pas me pardonner. J’ai eu de la chance la première fois, je ne tenterais pas le Diable une seconde.
Sautant de mon tabouret, je fais claquer un chewing-gum entre mes dents et hoche la tête, comprenant qu’elle a une idée en tête. Oui, Val’, elle n’est certainement pas juste passer te dire bonjour, enfin!
J’apprends donc qu’Azara cherche un objet précis, un vase, à offrir à une de ses amies. Lentement, je m’approche du rayon concernant la décoration et la questionne, tentant d’être la plus professionnelle possible:
Elle a une couleur favorite, ta copine?
Bon… je dois avouer que je manque un peu d’entrain dans ma tâche. Mais… au moins, je ne suis pas aussi froide qu’à notre précédent échange. Voyons donc le verre à moitié plein, n’est ce pas!

Un vase, voilà ce que tu recherches. Voilà comment tu as fini dans cette boutique, parce que la première où tu souhaitais te rendre était fermée pour la journée. Cette deuxième adresse n'était qu'à quelques rues, quelques pas. Tu ne pensais pas tomber sur elle, sur Valeria. Te suit-elle ? Non, là c'est toi qui est tombée sur elle, involontairement. Tu as le souffle qui se coupe quand tu découvres son visage qui s'approche. Cela te remémore ce mauvais moment passé en sa compagnie. Moment flippant, moment où tu avais soudainement envie de disparaître dans le théâtre. Impossible, tu avais dû répondre à l'interrogatoire poussé de la jeune femme.
Tu lâches quelques mots, un peu de politesse tout de même ! Tu finis par lui lâcher ton prénom, même si elle savait déjà très bien qu'il s'agit d'Azara et non de Lucia. Tu es pathétique. Tu as tout de même ce petit sourire, lorsqu'elle te dit qu'Azara c'est aussi un joli prénom.
Tu l'informes de ta recherche : le vase. Tu es venue pour ça normalement. Même si tu as l'impression de passer une sorte "d'entretien d'embauche". Une voix te dit dans ta tête, que tu ne dois faire aucun faux-pas, que tu dois paraître "bien". Parce qu'elle a le rôle principal : meilleure amie de Jeremy. Tu as compris qu'elle pouvait être protectrice envers lui.
- Orange... Tu as cette grimace involontaire qui se forme, parce que toi, tu détestes la couleur orange.
Tu la suis dans le rayon, commençant à jeter quelques regards sur les vases. tu te cales sur la pointe de tes pieds pour regarder un vase qui est sur l'une des étagères au-dessus de toi. Vase orange fluo en forme de jar, avec un décor floral verdâtre. Cela pourrait convenir. D'ailleurs, il faudra que tu te stoppes chez le fleuriste pour prendre un bouquet, histoire de faire un cadeau complet. Tu pointes le vase du doigt.
- Celui-ci, il pourrait être parfait pour elle ! Typiquement le vase que tu voudrais casser involontairement, car tu le trouves affreux. L'art c'est abstrait, mais un gobelet en bambou serait plus joli pour accueillir un bouquet de fleurs. Tu lâches un ricanement. Mais, elle va être heureuse, c'est le principal !

Je tente d’oublier la gêne qui s’insinue entre nous. La blonde et la brune, une sorte de duel semble s’imposer malgré l’aspect professionnel de notre échange. Je me sens si… oh, je ne trouve pas les mots, en réalité, je préfèrerais prendre mes jambes à mon cou et fuir cette discussion gênante à souhait. Mais j’ai des obligations, c’est à mon tour de bosser à la boutique d’antiquités, je le dois à ma Tante Sandra qui m’a offert ce boulot alors que j’étais au plus mal. Au fond du trou, après mon accident, perdue à cause de mon rêve brisé et de mon cœur qui se transformait lentement en pierre tant j’avais souffert en amour, Sandra m’a tendu la main, me proposant un poste, un foyer, une vie de famille. Je prétendais être équilibrée mais c’était faux: en réalité, je suis une femme ravagée, un peu bancale et qui aime inconditionnellement son meilleur ami. Peut être… trop? Sans doute, il m’est si difficile d’accorder ma confiance envers un homme, surtout depuis que celui dont je suis tombée amoureuse m’a piétiné le peu de confiance en moi que j’accordais à ma pauvre petite personne.
Je suis pathétique. De part mon comportement envers Azara mais aussi face au reste du monde.
Je me cherche, continuellement, je fais connerie sur connerie et le pire dans tout ça? C’est que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, je cultive mon pauvre malheur.
Tout en emballant soigneusement le vase que m’a pointé du doigt la jolie brune, je me contente de hocher la tête, marmonnant de vagues “mmmmh”, histoire de répondre. En réalité, je cherche à démarrer une toute autre discussion… Bien moins banal. Une fois la paquet terminé, je le tends à Azara et lui demande, brusquement:
Tu l’aimes?
Inutile de citer son prénom, elle sait très bien de qui je veux parler, au juste. Inspirant profondément, j’ajoute, presque dans un murmure:
Je… je tiens à lui. Plus que tu ne l’imagines. Alors…
Je me sens légitime à poser cette question, je ne suis pas le moins du monde offusquée par mon attitude.
J’attends patiemment sa réponse, ne lâchant pas un seul sourire ou signe de gentillesse.
Mode Meilleure Amie Protectrice activé.

La vase qui est face à tes yeux semble  te convenir. Ce n'est pas ce que tu mettrais chez toi, mais tu sais que ton amie sera aux anges quand elle ouvrira le paquet cadeau. Tu informes Valeria de ton choix, la laissant l'attraper pour commencer l'emballage. Tu pars sur un léger monologue, sur l'art abstrait, tes goûts, enfin tu veux surtout combler ce blanc, ce vide qui t'angoisse. Et notons, que Valeria a aussi tendance à t'angoisser. Tu ne sais pas vraiment comment agir, te tenir, te conduire quand tu es face à elle. Et si elle analysait le moindre de tes gestes, et si tu faisais un faux-pas, et si elle allait dire des conneries à Jeremy. Ok, tu paniques un peu. Tu te concentres sur ses mains, qui déposent du scotch sur le papier cadeau.
Elle a terminé, elle te tend le vase. Vase que tu as failli échapper lorsqu'elle te demande si tu l'aimes. Ton esprit a aussitôt compris le sens de sa phrase. Elle parle de Jeremy. Tu poses le vase sur le comptoir. A vrai dire, tu ne pensais pas encore devoir passer un interrogatoire. Elle enchaîne, te disant qu'elle tient à lui. Oui, toi aussi ! Elle a son visage de marbre, celui qui t'avait mis mal à l'aise la première fois. Mais, tu ne vas pas te démonter cette fois. Tu n'as pas pour habitude de te laisser facilement impressionner.
- Oui, je l'aime. Dis-tu sur un ton assez ferme. Tu n'as pas envie de t'étaler sur les sentiments que tu as pour Jeremy.
Tu soupires, tout en sortant ta carte bancaire de ton portefeuille pour payer le vase.
- Si tu as peur que je lui fasse du mal, rassure-toi, je ne souhaite pas lui en faire. Jeremy est devenu nécessaire à ton quotidien, alors à aucun moment, tu voudrais devenir affreuse avec lui. Franchement, même si lui te faisait du mal, tu ne sais même pas si tu te sentirais de lui en faire.  
Tu composes ton code pour valider le paiement, rangeant ta carte soigneusement pour éviter de la retrouver enfouie au fond de ton sac avec d'anciens tickets de caisse.
- Certes si on se penche sur mon passé sentimental, ce n'est pas rassurant ! Dis-tu avec ton léger ricanement, essayant de paraître à l'aise. Beaucoup de relations, toutes coulées rapidement, j'étais la nouille de service qu'on prend et qu'on jette. Heureusement, je ne m'attachais pas à cette période. Cela a évité des dégâts !

Ma méfiance envers Azara est justifiée, en tout cas, j’y crois dur comme fer, à cette affirmation. Et puis, vu mon caractère, hors de question pour moi de bouger d’un iota mon fusil sur mon épaule. Enfin, c’est une expression, bien entendu… Je n’ai pas réellement l’intention de lui braquer une arme sur la tempe, je suis civilisée, tout de même. Car plus le temps passe, plus je l’observe et surtout, je l’écoute me parler de Jeremy, moins j’ai de ressentiments à son égard. Et puis, très franchement, qu’est ce qu’il me prend de me montrer aussi agressive? Je ne la connais pas, je ne devrais pas juger aussi rapidement.
Mais ce qui m’agace le plus, sans doute, entre Jeremy et elle, c’est que tout semble aller très vite. Pourtant, elle ne faiblit pas en me répondant qu’elle l’aime, qu’elle n’a que des bonnes intentions envers lui. Hochant la tête, je tique quand elle me raconte rapidement son passé amoureux. Haussant les sourcils, je la laisse terminer et souligne, d’un ton sarcastique:
Toi, au moins, tu as eu l’intelligence de ne pas t’attacher.
Soupirant, je lutte pour ne pas penser à ces affreux souvenirs sentimentaux, en vain. Tout comme elle, j’ai été si sotte, dans mes histoires d’amour, très naïves, au point où on m’a violemment brisé le cœur. Alors, détournant le regard, je finis par me mettre (un peu) à nu et avoue:
Tu sais, moi, dans mon cas, j’ai beaucoup souffert en amour. Et celui qui a été là pour m’aider à remonter la pente, c’est Jeremy. Voilà pourquoi je suis… très protectrice, envers lui.
Ce n’est qu’une bribe d’explication mais j’espère qu’elle pourra comprendre mon attitude déplorable, désormais. Je souris, finit par retrouver ma bonne humeur légendaire et ajoute:
T’as pas l’air si nouille que ça. La preuve, t’es une bonne amie, t’offres un vase que t’as pas l’air de beaucoup aimer rien que pour faire plaisir.
J’ajoute cette phrase tout en pointant du doigt le paquet cadeau que je viens de terminer. Je la laisse payer, sans un mot… cherchant quoi ajouter de plus. Et puis, portée par une bienveillance qui n’est pas naturelle mais dont je sais qu’elle est essentielle dans mes rapports avec Azara, je lui propose, avec spontanéité:
On devrait aller boire un verre, un de ces quatre. Pour apprendre… à se connaître. Et on ferait ça dans les règles, pas genre se trouver une excuse pour aller surveiller l’autre. Ça te dit?
Je fais un effort, un gigantesque pas vers elle. Au nom de Jeremy, bien entendu, de notre formidable amitié. Mais aussi parce que je réalise parfaitement qu’Azara fait désormais partie du quotidien de mon meilleur ami. Autant tenter d’apaiser les tensions…

Pas besoin de tiquer plusieurs secondes pour dire que tu aimes Jeremy. Les mots que tu prononces sortes aisément de ta bouche. Tu ne ressens même pas le besoin de t'étaler sur le pourquoi du comment tu l'aimes. Jeremy est une évidence. Tu tiens à cet homme et tu ne souhaites pas le perdre. Les autres histoires futiles de ton passé t'ont pourtant fait vivre assez de remous, sur lesquels tu ne t'attardais pas forcément. Le coeur qui était bloqué jusqu'à présent, aimer était un mot sur lequel tu ne parvenais pas à mettre le doigt dessus. Loin d'être une enfant de coeur, un ange tombé du ciel ou une sainte, tu as pourtant laissé défiler plus d'un homme dans ta vie, même si tu n'as que le vingtaine, tu as laissé le chiffre des découvertes sentimentales s'élever au fur-et-à-mesure des années. Peut-être que ce chiffre va enfin rester bloqué et que Jeremy semble être enfin celui que tu attendais, celui qui te comble.
Un léger froncement de sourcils, lorsqu'elle te dit que tu as eu l'intelligence de ne pas t'attacher. Hum... Cela dépend ! Au moins, tu aurais pu t'endurcir des gamelles amoureuses, les ruptures ne t'ont jamais fait de mal. Et tu l'avoues, c'est angoissant de pouvoir découvrir ce que cela peut faire. Tu es effrayée que Jeremy te largue subitement et apeurée de toutes les émotions que tu pourrais ressentir, sans réussir à les maîtriser. Tu es novice en vraie relation amoureuse.
- Je pense qu'avec nous deux dans sa vie, Jeremy sera hyper protégé !
Tu tentes d'avoir ton petit sourire, essayant d'instaurer un climat plus serein entre vous deux. Cette ambiance piquante qui s'est produite entre vous deux au début, elle ne peut pas continuer. Tu hausses les épaules avec une petite grimace quand tu regardes le paquet du vase. En effet, tu n'aimes pas ce vase, mais tu l'achètes pour faire plaisir à une amie.
Tu payes le vase avant de ranger ta carte. Tu t'apprêtes à attraper le vase, mais tes mains se bloquent et tu as failli avaler ta salive de travers. Boire un verre ? Dans quel but ? Foutre un laxatif dans ton verre ou pire un poison mortel avant de se débarrasser de ton corps dans une broyeuse ? Heureusement, tu as toujours eu le goût du risque. Puis, elle n'a pas tord, apprendre à se connaître pourrait être une bonne chose. D'ailleurs, cela pourrait faire plaisir à Jeremy !
- Oui ! Si ma vie n'est pas en danger oui. Lâches-tu avec un petit rire. On pourrait se faire une activité avant de boire ce verre, un tour de bouée tractée ça te dirait ?
En petite pile électrique que tu es, tu te dis que faire une activité toutes les deux, cela pourrait être intéressant juste avant d'aller boire un verre. En plus, tu sais que le camping où tu résides actuellement, a plusieurs jeux aquatiques comme les bouées tractées, les trampolines sur l'eau et des jets ski. Autant en profiter !

Plus les minutes passent et plus je réalise à quel point j’ai mal jugé Azara. Mais m’excuser d’un tel comportement n’est pas vraiment mon genre: jamais je ne regretterais de vouloir à ce point protéger Jeremy et de ce fait surveiller ses conquêtes. Même si pour le coup, je suis convaincue que la jolie petite brune est bien plus que ça: elle est différente. Et quand je réussis enfin à l’observer sous un jour nouveau, je réalise pourquoi elle a tant tapé dans l’oeil de mon meilleur ami.
Quand Azara nous évoque comme une sorte de duo de femmes cruciales dans la vie de Jeremy, je souris et réponds, d’une voix quelque peu raide:
Ouais, t’as raison. Deux folles furieuses qui l’aiment suffisamment pour apposer un panneau “chasse gardée” devant sa gueule.
Bon, l’image est un peu brute de décoffrage mais j’espère qu’elle a compris où je voulais en venir. Sentant l’atmosphère continuer de se détendre progressivement, je n’hésite pas avant de lui proposer de boire un verre en ma compagnie mais je déchante rapidement en tiquant sur la réponse que m’offre Azara. Ça valait le coup d'être aussi gentille, tiens! Haussant un sourcil, perdant quelque peu mon sourire encourageant, je souffle, faisant éclater la bulle de mon chewing gum que je ne cessais de mâcher depuis tout ce temps:
T’en fais pas, j’ai épuisé tout mon stock de balles pour mon Glock.
Bon, de nouveau, je présente ici un humour un peu trop second degré pour la petite brune. Mais un sourire en coin revient faire son apparition quand elle me propose une activité… délurée. Interdite, je répète:
De… de la bouée tractée…?
Quelques secondes d’hésitation, avant d’attraper mon sac à main, les clés de la boutique et de lui répondre, les yeux pétillant d’excitation:
Putain, trop bonne idée! Viens, on y va tout de suite, je préviendrais ma Tante que je suis souffrante.
C’est pas comme si Sandra n’avait pas l’habitude de mes sauts d’humeur à répétition…
Mais très franchement, il m’est tout bonnement impossible de louper une si belle occasion.
On va bien s’amuser!
 

Tu ries aux éclats quand tu imagines un panneau avec noté "chasse gardée" devant Jeremy. Finalement, tu auras peut-être trouvé une acolyte pour être sûre qu'aucune idiote tente de se frotter de trop près à Jeremy. Elle est pas si méchante ? Elle t'a même fait rire, c'est un bon signe tout ça ? Tu voudrais que cela se passe bien entre elle et toi, quelque chose de plus apaisé. Parce que tu imagines que cela pourrait faire plaisir à Jeremy que tu t'entendes bien avec elle.
D'ailleurs, tu restes étonnée de son invitation. Tu tentes la petite blague improvisée pour lui demander si ta vie n'est pas en danger. Une chose est certaine, elle a de la répartie et te le fait savoir. Elle reste impressionnante cette femme. Un monde où Jeremy n'aurait pas existé, cela ne t'aurait pas étonné d'être amie avec elle. Parce qu'elle est loin d'être une princesse superficielle et tu aimes ça. Tu as envie de rendre les choses plus fun, d'apprendre à vous connaître dans la folie. Un tour de bouée tractée ? Tu lui proposes, attendant sa réaction. Son sourire s'étire, minute de battement et bam elle attrape son sac, les clés et est enjouée de ton idée. Wooh, tu ne t'attendais pas à cette réaction, mais c'est une bonne chose. Enfin, là tout de suite, maintenant ? Oui, oui pourquoi pas.
- Allons-y, c'est parti ! Dis-tu en tapotant dans tes mains tout excitée de cette activité soudaine.
Tu lui demandes pour laisser le vase à la boutique et de revenir plus tard. Parce qu'avec ta maladresse légendaire, il ne fera pas long feu si tu l'emmènes jusqu'à la plage.

[...]

Vous voilà à la plage, autant dire que tu n'as pas la tenue la plus adéquat, perchée sur tes talons, dans un tailleur. Le gars qui vous encaisse pour votre tour de bouée te regarde étrangement. Peu importe, tu te déshabilles pour te retrouver en sous-vêtements, heureusement tu as prévu un ensemble soft et noir. Tu te mares en regardant la bouée tractée parce qu'elle a plusieurs imprimés dessus : Némo, Dori, Squiz, Gargouille.
- Dis-moi tu penses que Jeremy va nous croire ? Si on lui dit qu'on a fait une activité nautique ensemble ?
On vous demande de vous installer toutes les deux sur la bouée. Tu t'installes, attrapant déjà les poignets. Tu sais d'avance que tu ne t'accroches pas suffisamment, tu vas voler comme une brindille.

Franchement, je n’aurais pas parié sur l’issue de cette discussion. Je pensais que je n’arriverais pas à être autre chose qu’une pure connasse, aux côtés d’Azara. Mais force est de constater que je deviens adulte, mature et que je réussis, péniblement, à contrôler mes sauts d’humeur. Et puis… très franchement, inutile de rester sur mes positions, ça n’avancera pas les choses. Nous aimons toutes les deux Jeremy, pas de la même manière… sans doute. Mais inutile de poursuivre cette guerre froide ridicule.  
Nous avons mieux à faire… du genre, de la bouée tractée, par exemple.
Le regard pétillant d’Azara me plaît, m’intrigue même. Opinant du chef quand elle me propose de laisser le vase en sécurité sur le comptoir de la boutique, je ferme la porte à clé, sans avoir oublié de retourner le panneau prévenant de la fermeture des lieux. Et une vingtaine de minutes plus tard, nous voilà à la plage. Dans mon sac fourre tout, je réussis à dégoter un maillot de bain, ce qui n’est pas le cas de ma comparse de l’après-midi. Fronçant des sourcils quand je constate que le vendeur dévisage Azara, je ne peux m'empêcher de me racler la gorge et je lui lance, d’une voix mauvaise:
Euh, ça va, je te dérange pas? Regarde ailleurs si j’y suis. Non mais je te jure…
Levant les yeux au ciel, ma mauvaise humeur se dissipe à la seconde même où je réalise qu’Azara se débarrasse de son tailleur afin de terminer en sous-vêtements, qui feront office de maillot de bain. Les deux mains sur les hanches, je finis par souligner, épatée:
Bah dis donc… Je t’avais vraiment mal jugé, ma grande! T’es pleine de ressources, on dirait.
Clin d'œil complice que je lui lance et qui, au fond, en veut dire beaucoup: c’est que je commence à l’estimer. Je dirais même… à l’apprécier. Quand elle me pose une question concernant Jeremy, je me contente de hausser des épaules tout en approchant de la bouée, sentant l’excitation me gagner:
Bah… En soit, on est pas obligés de lui dire. On lui envoie une photo souvenir, après notre tour de bouée?
Je ris de ma propre proposition tandis que le moniteur nous explique le déroulé des évènements. Jetant un regard de travers à Azara, je finis par lui murmurer:
Bon… Je pensais jamais dire ça un jour mais… Accroche toi bien à moi. Si jamais tu te sens partir… Je t’accompagne! Je te laisserais pas dans la merde.
Bon Dieu, qu’est ce qu’il m’arrive, à la fin?! Moi qui avait tant prévu de la détester.
Mais il ne faut jamais dire jamais… Apprécier la petite amie de Jeremy est un fait que je dois accepter. Et puis, il n’y a que les connes qui ne changent pas d’avis, paraît-il…
Et nous voilà partis! La sensation de vitesse, couplée à la peur de chuter… J’adore l’expérience et contre toute attente, je suis la première à tomber dans l’eau, au bout de cinq minutes à peine.
Sans avoir oublier d’emporter ma nouvelle copine avec moi dans ma chute!
…
Azara, ma copine.
Franchement, on aura tout vu!

 

C'est parti pour la plage et la bouée tractée. Tu ne sais pas comment l'idée t'est subitement venue. A vrai dire, tu as l'esprit vif, tu as souvent une idée qui sort à la minute et parfois tu balances même des mots sans avoir réfléchi. D'ailleurs, lorsque tu réfléchis à ça, à ton cerveau qui va si vite, tu demandes s'il ne t'arrive pas de dire beaucoup de bêtises ? Ouai, le genre de mots qui peuvent blesser les gens. M'enfin, ce n'est pas la question, là vous êtes prêtes à vivre un moment de sensation dans l'eau. Tu n'as absolument pas la tenue la plus adaptée pour aller à la plage : un tailleur et des talons. A vrai dire ce n'était pas prévu, sinon tu aurais opté pour quelque chose de plus décontracté et soft.
D'ailleurs le vendeur qui vous encaisse, il te dévisage. Tu ne sais pas réellement pourquoi, salade entre les dents ? Ta tenue inadaptée ? Ta jolie frimousse ? Pas le temps de faire ton regard noir qui fait fuir, Valeria utilise sa voix imposante et il détourne le regard. Pas une minute à perdre, l'activité va débuter. Alors tu retires très vite tes vêtements que tu fourres au fond de ton sac. Tu souris à la remarque de Valeria.
- Parce que tu pensais que j'étais une petite princesse fragile ?! Je peux t'assurer que non, je hais les princesses.
Tu avais peut-être cette allure là quand elle était venue te voir au théâtre ? L'air d'une princesse avec un sourire sûre d'elle qui a peur de se casser un ongle ? Oh non ! C'est terriblement pas toi ça. Toi, tu préfères te péter les genoux en faisant du skate, tu préfères jouer avec le feu qu'avec des paillettes. C'est souvent ça au lycée que les autres de ton âge te reprochaient, que les populaires avaient tendance à te pousser dans les couloirs. Parce que tu n'étais pas la diva de la soirée qui sortait sa meilleure robe ou celle qui arrivait dans une cabriolet pour se sentir exister. Non, tu n'allais pas au soirée du lycée, tu arrivais comme une dingue sur un skate et dans ton casier tu n'avais pas la photo d'un mec en pleine puberté.
L'idée d'envoyer une photo de vous deux après le tour à Jeremy : très bonne idée ! Peut-être qu'il regardera la photo deux fois et examinera si ce n'est pas un photomontage avant de vous croire.
- Bonne idée !
Tu écoutes le moniteur, mais tu es surtout pressée de monter sur la bouée. Tu n'en reviens pas... Elle a vraiment dit, accroche-toi à moi ? D'accord, c'est certain, tu viens de tomber dans un monde parallèle.
- Ouai... Enfin oui, oui je m'accroche bien à toi et on tombe ensemble.
Tu as ton sourire en coin. Finalement peut-être que cela va s'arranger entre vous ?
Allez c'est parti ! Vous deux sur la bouée, la vitesse, l'eau qui ne cesse de vous éclabousser le visage. La chute inévitable, tu te fais emporter par Valeria. Tu rigoles, parce que ce moment est vraiment délirant ! D'ailleurs un second tour est à tenter pour rester le plus longtemps possible sur cette bouée tractée. Allez c'est reparti ! Tu adores la sensation que ça te procure, c'est complètement dingue et apaisant à la fois grâce à la poussée d'adrénaline. Malgré l'une de tes mains qui agrippent la poignet, alors que ton autre main tient celle de Valeria, tu finis par chuter dans l'eau, l'entraînant avec toi. Plouf !
- Putain c'est génial ! Je nous mets 10 sur 10 pour nos chutes mémorables.

Après notre première chute quelque peu brutale, je suis un peu sonnée. Mais hors de question de ne pas tenter une nouvelle fois! Je suis hargneuse et très têtue, surtout quand il s’agit d’activités physiques. Et Azara semble être de la même trempe. Nous nous amusons comme des folles et malgré quelques nouvelles chutes, nous pouvons être fières de nous, nous tenons le coup, provoquant même un sifflement de fierté du conducteur du bateau.
Non mais il nous prend pour qui, hein? On est des guerrières. Et on le prouve.
Mais toute bonne chose à une fin. Après une belle vingtaine de minutes, le tour s’achève, nous revenons vers la plage qui est bondée.
Nous sortons de l’eau, épuisés par l’effort. C’est que la bouée tractée, c’est drôlement physique! Je tente de reprendre mon souffle, les deux mains plantées sur mes hanches. Pour une sportive qui se veut professionnelle, je fais peine à voir. Mais un sourire ne quitte pas mes lèvres, je suis comblée d’avoir tenté l’aventure, surtout en si bonne compagnie. Nous retrouvons nos casiers, où nous pouvons récupérer nos affaires. Du coin de l’oeil, je repère une boutique ambulante de fringues et propose à ma nouvelle copine Azara:
Tu veux pas une robe de plage, histoire d’être plus à l’aise? Allez, je te l’offre.
Mais quelle mouche me pique à la fin, bordel?! Être aussi gentille et généreuse n’est pas dans mes attributions de naissance. Mais je crois que j’ai enfin franchi le cap de la jalousie stupide et maladive. Grâce à cette activité, j’ai pu découvrir que la petite amie de Jeremy était une belle personne. Une nana assez fun, sans prise de tête. Si je l'oserais, je pourrais même avouer que nous nous ressemblons. Quand je repense à la manière dont elle a parlé au vendeur de billets! Elle a du chien et ça me plaît. Beaucoup, même. Dans un sourire, sentant que je n’ai pas réellement envie de rompre cet après midi, je tends la main vers une paillote de plage et soumet une idée qui, j’en suis certaine, sera appréciée:
Un cocktail bien frais pour trinquer à notre performance? Ils font un mojito à se damner, je t’assure.
Je m’approche naturellement du comptoir, passe commande sans même demander à Azara si mon choix lui convient. Une fois servies, nous pouvons nous installer sur deux larges fauteuils, dirigés vers l’océan et tandis que je lève mon verre en direction du sien, je prononce ces paroles, d’une voix faussement grave:
Allez, trinquons à notre belle amitié! Faut bien que je me fasse à l’idée que t’es la bonne, hein…
J’avale une longue gorgée, revigorée par l’alcool et la menthe. Claquant ma langue contre mon palais, ravie, je demande, d’un ton un peu trop brutal, changeant de cap:
Az’... Je peux t’appeler Az? Tu peux m’appeler Val, ça sera plus simple… C’est… Alors, c’est sérieux, avec Jeremy?
La réponse m’effraie tout autant que j’ai besoin de l’entendre.
La vérité, faut l’affronter de face. C’est une des certitudes qui régit ma vie depuis des années…

 

Tu passes un bon moment. Tu es presque à deux doigts de te pincer, pour vérifier si tu es dans la réalité. Valeria et toi, vous rigolez, vous vous amusez à ce jeu de bouée tractée, cela relève de l'impossible. Il y a quelques mois, c'était impensable. Les gens finissent par changer d'opinion, se faire une nouvelle idée sur l'autre personne. Peut-être que Jeremy a plaidé en ta faveur ? Enfin, la question n'est plus à l'ordre du jour. Tu profites de ce moment et il est temps de retourner sur la terre ferme, de poser vos pieds nus dans le sable.
Tu remets ta chevelure trempée en place, comme tu le peux à l'aide d'un élastique accrochée à ton poignet. Tu reprends aussi ton souffle, parce que même si tu es une boule d'énergie intuable, tu reconnais l'aspect physique de cette activité nautique. Toi qui pensais que la bouée était un jeu d'enfants, où il suffisait de se tenir, tu t'es bien trompée.
Tu récupères ton sac avec tes affaires à l'intérieur. Tu n'as à peine le temps de dire "ouf", qu'elle est en train de te soumettre l'achat d'une robe de plage et d'ailleurs elle te l'offre. Wooh ! Demain, il neige ! Peut-être qu'elle t'apprécie vraiment alors ? Que ce n'est pas qu'un énième test pour voir si tu es fiable ?
- Merci c'est gentil ! Dis-tu en enfilant la robe de plage colorée.
Au moins, cette tenue est plus appropriée, surtout qu'elle lance l'idée de boire un verre. Traîner dans le sable fin avec ton tailleur et tes talons, cela n'aurait pas été joyeux à voir et à subir.
- Okay, deux mojitos. Ton doigt pointe le serveur. Et attention, pas un mojito d'enfant où on ne sent pas le rhum.
Les mojitos servis, ton verre dans l'une de tes mains, vous vous dirigez vers deux fauteuils, trinquant à cette nouvelle... Amitié. Tu restes presque muette, te contentant d'un sourire, avant de baisser la tête pour choper la paille et aspirer une longue gorgée fraîche. Tu t'apprêtes presque à recracher quand tu entends la suite. Tes lèvres lâchent la paille, tu poses ton verre avant de la regarder.
- Oui bien-sûr appelle-moi Az ! Tu dois continuer de parler, sauf que tu as peur de lâcher des mots, peur de la froisser, peur de dire quelque chose qu'il ne faut pas. Sauf que tu as été élevée par une femme qui n'a cessé de te répéter d'être toi-même et authentique avec les autres.
- Je crois bien qu'on est au stade sérieux ! Dis-tu en faisant un petit mouvement de tête pour affirmer ce que tu dis. Je ne sais pas si je dois le dire ainsi, mais je suis très amoureuse de lui, où je n'arrive plus à imaginer mon monde sans lui. Tu n'abuses même pas, parce que c'est le cas. T'imaginer sans lui t'angoisse. Et pour faire cul-cul, je suis certaine que c'est le bon. Je n'ai jamais aimé quelqu'un comme je l'aime. Alors, tu peux être rassurée, je ne lui ferais jamais de mal.

C’est pas parfait mais c’est peut-être pas plus mal comme ça. Il a fallu que je me comporte comme une peste envers Az’ et avec le recul, je le regrette… à moitié. Mon impulsivité est ce qui me caractérise le plus, je serais triste et désemparée si je n’en faisais plus preuve à chaque instant de ma vie. Mais je saisis également que je prends doucement mais sûrement le chemin de ma vie d’adulte et qu’un peu de gentillesse et de prévenance ne risquait pas de me tuer. Au contraire, je souris tout en apercevant la mine surprise d’Azara, me disant qu’au fond d’elle, elle doit se demander quelle mouche m’a piqué.
Simplement celle du bon sens, je dirais.
Tout s’enchaîne, mes propositions sont acceptées avec plaisir, ce qui me ravit. Je me sens plus légère, comme si un poids avait quitté mes épaules, comme par magie. Au fond, je n’aimais pas cette tension inutile qui régnait entre nous. Elle ne méritait pas que je me montre aussi virulente, je dois attendre de davantage la connaître pour me permettre un tel jugement. Déjà, elle marque un point quand elle fait remarquer au serveur qu’il a intérêt à mettre la dose de rhum dans son mojito, sinon, il aura à faire à elle. Éclatant de rire, je surenchéris, très emballée par cette angle d’attaque:
Ouais, fais gaffe, beau gosse, si tu te rates, tu nous offres le prochain.
Clin d'œil en direction du serveur qui semble avoir réceptionné notre message et nous nous installons confortablement, face à l’océan. Rien à faire, je me sens immédiatement apaisée. Sentir les rayons du soleil sur mon visage, le sable fin se faufiler entre mes orteils: des bonheurs simples que j’ai su apprécier, depuis mon accident. J’ai eu si peur de ne plus pouvoir jouir de cette liberté naturelle qui nous caractérise, les humains… qu’à présent, j’estime qu’il est de mon devoir de profiter de chaque instant. Nous trinquons, avec Az’, et j’en profite pour lui affubler ce surnom nouveau pour moi mais qui doit être assez commun dans sa vie. Tandis qu’elle manque de s’étouffer, je me redresse, lui tapote dans le dos tout en lui demandant, sincèrement inquiète:
Ça va? Doucement, ma belle, il l’a peut-être salement dosé, le rhum, finalement. Attends, je goûte ça…
Longue aspiration grâce à la paille en carton plantée dans le verre et j’écarquille les yeux, ravie. Ah bah c’est ce qu’on appelle un mojito, messieurs dames! Pas de doute, il y a de l'alcool là -dedans. Posant le verre sur la table d’appoint en bois qui est installée entre nos deux sièges, j’écoute avec attention ma toute nouvelle amie se livrer avec grande sincérité concernant sa relation avec mon meilleur ami. Finissant par hocher la tête, je réponds, brisant ainsi le silence gênant qui s’insinue entre nous:
Ouais… J’crois avoir compris. C’est sérieux quoi… Mais jusqu’à quand?
Loin de moi l’idée d’être condescendante, au contraire, j’dirais plutôt que l’intérêt de cet après midi partagé, c’est que tisser des liens, d’apprendre à se connaître. Et quoi de mieux que de lui livrer une information capitale sur mon passé? Allez, Val, prends ton courage à deux mains et ose te montrer franche, afin de définitivement enterrer la hache de guerre:
Tu sais, Az’... J’ai rencontré Jeremy grâce à mon ex, que je pensais être… l’homme de ma vie avant qu’il ne finisse par quitter la ville, du jour au lendemain, me laissant seule avec ma peine et mon immense déception. Il a été là… Il était présent. Je sais à quel point il est formidable et… Il semble vraiment amoureux de toi. Alors… Bah… On sera amené à se côtoyer longtemps, on dirait!
Je lui lance un clin d’oeil, tout en sirotant mon mojito et demandant à la belle:
Et le théâtre, alors, tu fais des étincelles? Faudrait vraiment que je vienne te voir… Hormis pour te faire flipper, haha! Encore désolée pour ma présence, la dernière fois, j’ai pas été correcte. Vraiment, je m’excuse.
Qui êtes-vous et qu’avez vous fait de Valeria Myers, hein?
Tout peut arriver dans la vie. Surtout les bons moments, quand on se décide à les accepter à bras ouverts…

 

Changement de comportement, virage de la situation. Valeria n'est peut-être plus finalement l'horrible peste de la première fois. Tu passes un agréable moment, peut-être même un meilleur moment qu'avec certaines personnes que tu côtoies. Elle est drôle et ça fait follement du bien pour l'esprit. Tu te sens plus légère, les tensions du début ça t'avait pas mal atteinte. Etre en froid avec la meilleure amie de Jeremy, ce n'est clairement pas l'idéal. Tu préfères l'harmonie, quand c'est serein. Enfin, non rectifions, habituellement tu n'en as rien à foutre de détester les gens que d'autres peuvent apprécier, mais là, on parle de Jeremy : l'histoire est différente.
Vous allez vous rafraîchir dignement : avec un mojito. Allons jusqu'au surnom, elle t'appelle Az, tu es surprise, véritablement surprise. Alors, ça évolue entre-vous ? On range les armes et on arrête de tirer dans tous les sens. Enfin, même si jusqu'à maintenant, il n'y a qu'elle qui aurait voulu te dégommer ou te faire éclater en plusieurs morceaux.
- Hum... Ouai ça va. Il est excellent ! Allez encore une aspiration dans la paille pour reprendre de l'alcool.
Tu réponds sincèrement à son questionnement. Jeremy et toi c'est sérieux, cette relation t'offre une stabilité que tu n'as jamais connu. Jeremy t'offre de nouvelles perspectives d'avenirs. Des perspectives auxquelles tu n'avais jamais réfléchi avant, bien trop centrée sur ta propre personne, sur le théâtre et ta carrière. Rien d'autre n'avait sa place avant. Briller sur scène c'est uniquement ce que tu souhaitais. Maintenant, tu souhaites surtout voir Jeremy avoir le regard qui pétille d'amour pour toi. La fin de phrase de la blonde te refroidit "jusqu'à quand ?" Cela trotte subitement en boucle dans ta tête avec cette boule à l'estomac qui se forme, dès que tu imagines Jeremy te quitter, mettre fin à votre amour. Tu forces ce sourire sur tes lèvres pour paraître de marbre. Tu ne veux clairement pas paraître pour la fille qui s'effondrerait, pour celle qui pourrait avoir une quelconque faiblesse. Alors, tu écoutes la suite.
- Si on se revoit pour des journées comme celle-ci, ça me va, surtout s'il y a des mojitos ou même du punch ! Tu fais un peu d'humour, cela te permet aussi de te détendre.
Tu aspires encore dans ta paille, ton esprit est aussitôt captivé dès que le mot "théâtre" sort de la bouche de ton interlocutrice.
- Non, non t'inquiètes ! Pour tout t'avouer, j'ai fait exactement la même chose que toi avec la possible copine de mon meilleur-ami. Tu ries de cette bêtise pitoyable, te remémorant à quel point tu t'étais rendue ridicule en essayant d'impressionner une fille qui n'a rien demandé. J'ai bien compris ce que ça fait, de voir une fille arriver subitement dans la vie de son meilleur ami. J'ai été terrifiée qu'il m'abandonne uniquement pour elle. Qu'il me vire de sa vie. Et heureusement Dante ne t'en a pas voulu. Et pour le théâtre, lors de la prochaine représentation, tu viendras avec Jeremy. Tu souris, avant d'enchaîner aussitôt. Et sinon, la boutique d'antiquité c'est la tienne ?

Imitant vivement Az’ qui sirote tranquillement son mojito, je me surprends à réellement savourer cet instant. J’ai l’habitude d’être entourée, surtout d’une dizaine de nanas, avec l’équipe des Furies de Monterey. Être seule n’est clairement plus au programme de mon quotidien mais je reste pourtant toujours très sélective en ce qui concerne mes fréquentations. Je ne supporte plus de côtoyer d’affreuses pestes ou de parfaits connards, j’ai suffisamment donné en la matière.
Sauf qu’on ne choisit pas réellement sa famille, n’est ce pas…?
Oui, Jeremy est à mes yeux comme un frère. Et même davantage… Mais mes sentiments parfois tortueux envers le jeune homme ne regardent que moi. Je n’ai clairement pas envie de jeter de l’huile sur le feu avec Az’ alors qu’entre nous, tout semble aller comme sur des roulettes. Nous prenons prudemment le chemin d’une relation saine, nous apprenons à nous connaître, à nous apprécier au lieu de nous tourner autour, en nous regardant en chien de fusil. Je ne peux plus supporter de la détester sans raison. Et ô surprise, il s’agirait surtout de finir par la trouver attachante, marrante et drôlement charismatique. Franchement, ce petit bout de femme finit par vraiment m’étonner. Et ses sentiments envers Jeremy se révélant profonds et sérieux, je me mords la langue et ne pipe mot.
Faut dire, c’est pas vraiment le contexte pour lui raconter dans les détails le genre de relation que j’ai entretenu avec son mec…
Et puis, l’ambiance est excellente, le sourire d’Az’ en dit long. Levant mon verre jusqu’au sien, je trinque une nouvelle fois et ajoute à sa proposition:
Ouais, moi aussi ça me va. On pourrait même s’organiser une soirée en boîte, on pourra se défouler, je sens qu’on est toutes les deux de véritables boules de nerfs!
Exactement, je suis si chamboulée que je finis cul sec mon verre et n’hésite pas un instant afin de recommander une nouvelle tournée, sans même vérifier que celui d’Az’ était vide. Boh, de toute manière, hors de question de mettre fin à ce tête à tête, il promet encore de nouveaux rebondissements. Et c’est le moins qu’on puisse dire quand elle m’avoue avoir adopter le même comportement que le mien, dans la même configuration! Riant à gorge déployée et lui lançant un clin d’oeil complice, je rétorque:
Ok, un partout alors. N’empêche, des excuses semblent être de circonstance. Vraiment, j’suis désolée, j’recommencerais plus, Az’.
Il est toujours plus aisé de détester sans comprendre, d’être dégoûtée sans raison. Mais désormais, je ne peux plus choisir la facilité. Az’ est adorable, prévente, elle le prouve en me questionnant sur mes activités. Soupirant longuement, je plonge mon regard vers l’infinité de l’océan et lui résume ma situation professionnelle, quelque peu désastreuse:
Non, encore heureux, ce n’est pas la mienne. C’est celle de ma tante Patricia. Je… je lui rends service, en quelque sorte. Je devais être championne olympique d’escalade mais ça… C’est dans une autre vie. Après une longue convalescence, suite à un accident grave, je suis désormais joueuse de roller derby. J’aimerais beaucoup passer pro’ mais bon… Une chose à la fois, n’est ce pas? Et toi aussi, tu pourras passer me voir. Avec Jeremy. Vous rejoindrez Chayanne, c’est mon plus fidèle supporter!
Bordel, voilà que tu te mets de parler de Cha’. Merde alors.
Rougissant comme une enfant, je me tortille sur ma chaise, espérant que ce foutu serveur débarque avec mon verre.
J’ai besoin d’une distraction, là, ça va trop vite pour moi, les copinages…
 

Tu peux avoir parfois l'air d'une fille trop sûre d'elle, surtout lorsque l'on te rencontre sur ton lieu de travail : le théâtre. Tu peux aussi avoir l'air usante, chiante. Et puis, ton côté révoltée aussi, certaines personnes ne supportent pas. Tu aurais envie de refaire le monde, changer des choses. Tu as déjà participé à des manifestations, où avec ta grande gueule, tu as attiré l'attention, mais certains te l'ont reproché. Ta mauvaise gestion de tes émotions a éloigné des gens de toi. Tu peux devenir une vraie tempête, un ouragan, prête à tout dévaster si quelque chose de te contrarie, fonçant tête baissée. C'est notamment à cause de cette mauvaise gestion des émotions, que tu es partie subitement au Venezuela suite à une énorme dispute avec Jeremy. Oui, partir au bout du monde, légèrement excessif, mais c'est tout toi. Tu n'as pas que de mauvais côté, tu as des tonnes de qualité, sauf qu'il faut vraiment apprendre à te connaître pour que tu les laisses pleinement apparaître.
Est-elle vraiment en train de te proposer d'aller en boîte de nuit ? Tu es un peu sur le cul, alors tu aspires une longue gorgée de ton mojito. Oui, tu as bien entendu, elle t'a proposé ça.
- Oui, carrément, je ne suis pas la meilleure des danseuses, on dirait un asticot au bout d'un hameçon quand je danse, mais ça me va ! Oui, enfin ça c'est surtout quand tu as 3g dans le sang. Et pas 3g de sucre, 3g de tequila.
Tu es l'aise, l'alcool fait son effet et la blonde favorise un climat de confiance. Tu te confies, ayant fait la même chose qu'elle pour ton meilleur ami Dante. Oui, aller zieuter son éventuelle future petite-amie. Tu as tenté d'être impressionnante, ç a été un flop monumental.
- Maintenant tu me connais, alors si tu le refais, je t'accueillerais avec un mojito. Dis-tu en levant de nouveau ton verre. MAIS... Admettons si un jour ça se termine avec Jeremy, n'hésite pas à le refaire et à être encore plus effrayante.
Quoi, pas de cadeau ! Même si c'est toi qui serait capable d'aller effrayer cette possible fille. De toute façon, tu n'envisages pas que ta relation avec Jeremy se termine. Tu es bien trop amoureuse.
Tu questionnes Valeria, t'intéressant un peu à elle. Tu écoutes avec intérêt, surtout lorsqu'elle te dit qu'elle aurait dû être championne olympique d'escalade. Wahou ! Tu entends roller-derby, ça captive encore plus ton attention, parce que ta cousine t'a déjà parlé de cette discipline sportive.
- Oh crois en toi, en tes rêves, si tu as vraiment envie de ça faut foncer ! Tu souris, pleine d'entrain. C'est ce que tu fais au quotidien pour toi, tenter de croire en toutes tes capacités pour être performante au théâtre. Avec plaisir ! D'ailleurs je crois que ma cousine en fait aussi. Dis-tu en réfléchissant. Puis tu relances la parole, assez curieuse par rapport à ce cher Chayanne. Un fidèle supporter ?! Tu as même ton petit regard qui va avec ta curiosité verbale. D'ailleurs en faisant ça, tu te rends compte que tu deviens un peu trop "copine", mais est-ce grave ?

C’est dingue mais au fur et à mesure que je descends mon mojito, je retrouve un sourire naturel, le genre qui ne veut pas quitter mes lèvres, quand j’suis vraiment emballée par une discussion, un échange, une découverte. J’avais prévu de détester Azara, tout simplement parce qu’elle était celle que Jeremy avait choisi. Celle qu’il aimait plus que quiconque. Et puis, je m’étais rendue compte qu’elle n’avait rien d’abominable. Au contraire, elle et moi, on se ressemblait beaucoup. Sans doute… un peu trop? Non, je ne pouvais pas l’affirmer. Elle avait une sacrée force de caractère, un certain pet au casque qui me donnait envie de pouffer de rire rien qu’à croiser la malice qui se dégageait de son regard. Elle avait du chien, de l’audace, du cran et sans doute un wagon rempli d’autres merveilleuses qualités qu’il me tardait de découvrir. Et puis, sa réponse à ma proposition… C’est tout elle, on dirait! Ou tout moi. Ouais, Val’, la petite amie d’un des hommes de ta vie te ressemble et tu sembles ne plus pouvoir compter les points communs que vous partagez. Quelle nouvelle ravissante! N’est ce pas…?
Après un clin d’oeil complice et une moue affirmative, j’ajoute, plus que sérieuse:

T’en fais pas, j’connais une boîte, elle est spécialisée dans les soirées années 80’, une tuerie. Bon, après, le danger, c’est de se faire draguer par des queutards de cinquante ans mais bon… On veillera l’une sur l’autre, n’est ce pas?

L’idée même de protéger Azara pourrait me dégoûter, pourtant, je dois me faire une raison. Jeremy l’a choisi pour partager sa vie, et moi, j’ai choisi de faire partie du cercle de proches de Jeremy. Donc… par déduction, je n'ai pas le choix. Pourtant, je déteste qu’on m’impose des décisions. Si je finis par apprécier Azara, c’est que je l’ai décidé. Car c’est de ma propre volonté que je choisis de lui sourire, d’être complice avec elle et de sincèrement me dire qu’elle vaut la peine d’être connue.
Et puis, la discussion dérive sur mes propres problèmes, que je ne confie pourtant jamais. Très gênée, je fais mine de ne pas être touchée, d’aller bien. Une mascarade que je mène depuis trop longtemps. Soulagée, je vois débarquer Mister Mojito, notre sauveur des temps modernes. Ah, pas trop tôt, enfin notre nouvelle tournée! Je m'agrippe à mon verre, comme une enfant à son doudou. Faut dire que parler du roller derby me rassure autant que ça m’effraie. Cette nouvelle activité dans ma vie est une réelle renaissance, mais j’ai tellement peur de tout gâcher. Que ce nouveau rêve finisse par devenir un affreux cauchemar qui me hantera toute mon existence…
Quand elle évoque sa cousine, je me redresse et lui demande, d’une voix intéressée:

Mais nan, c’est qui?

Les coïncidences, Val’, elles ne finiront donc jamais de te surprendre! Pouffant de rire tout en remuant la tête de gauche à droite, tentant de trouver une porte de sortie à cette conversation bien trop intime à mon goût, je finis par lâcher, comme une gamine avouant le pire des secrets, la plus intense des confessions:

Ouais… Chayanne, c’est mon voisin. Du genre marié, futur papa. Mais… Il me plaît, Az’... Comme jamais personne ne m’a attiré. Pff… J’suis dans une de ces merdes…

Je soupire, ferme les yeux.
Au fond, ça me plaît de lui raconter mes problèmes. Je ne me sens jamais proche de mes comparses féminines, d’ordinaire et me confier à ce sujet à mes amis masculins…
C’est genre une putain de mauvaise idée.
Sans doute saura-t-elle m’éclairer sur la marche à suivre…?
 

Le mojito permet d'atténuer les questions que tu peux te poser intérieurement. Cela a permis aussi d'effacer cet effet étrange de copiner avec la blonde. Mais aucun doute ce n'est pas l'alcool qui la rend appréciable, non finalement, elle est sympa. Tu ne pourras pas dire le contraire, d'ailleurs tu ne vois même pas le temps qui passe. De toute façon, tu ne supportes pas les tensions, les ondes négatives. Pas que tu pratiques le yoga ou la sophrologie et qu'on t'a di d'éviter le négatif ; non c'est juste que ça t'emmerde. Tu as assez eu d'ombres sur le tableau de ta vie, un peu de soleil ne fait jamais de mal.
- Okay, ça me va, s'ils nous font chier je les balance à terre et je leur écrase le paquet.
Violente ! Tu parviens même à te projeter la scène et entendre le cri de ces hommes te supplier d'arrêter. Petite, mais intrépide. Petite, mais violente. Souvent tes parents étaient appelés, alors que tu étais haute comme trois pommes, parce que tu avais voulu faire avaler un Lego à un gamin idiot ou parce que tu lui avais écrasé son goûter au visage. Hormis ça, tu étais adorable. En tout cas, rien d'étrange dans ton comportement, tu n'as jamais décapité Barbie ou un ourson. Les têtes de certains enfants, ça t'a peut-être déjà traversé l'esprit plus jeune. Et encore maintenant, tu aimerais bien que la torture soit légalisée, au moins un petit peu. Certaines personnes passeraient à la casserole.
- Grace, brune, jolie, talentueuse. Oui, bien possible qu'elle la connaisse. Le monde est petit à Monterey.
Tu aspires en l'écoutant parler de Chayanne. Tu stoppes l'aspiration quand tu entends "marié, futur papa". Ta tête se relève en direction de Valeria, intriguée de la suite. Dans la merde... Ouai, sans doute ! Mais si elle ressent ça, c'est qu'il a dû laisser la "porte entre-ouverte" a un moment donné.
- Mmmh... Tu n'es pas cupidon, tu n'es pas experte amoureuse. Tu es toi, et tu restes une handicapée de l'amour, parce que tu n'y connais pas grand chose. Enfin, si, tu vis une relation sérieuse, mais ça ne fait pas de toi quelqu'un de douée. Est-ce que sa femme est quelqu'un de bien ? Parce que si c'est une morue, ce n'est pas grave ! Az pas de pitié. Et puis, faut pas te blâmer, si tu ressens un truc, c'est qu'il a dû aussi provoquer un peu ça. Aspiration d'un peu du cocktail, continuant de réfléchir.

Ce n'est clairement pas le genre d’après midi que j’avais prévu de passer mais je ne suis jamais fermée à des occasions de profiter de la vie. Et puis, faut bien que je me fasse une raison: Azara et Jeremy, c’est du sérieux. J’en avais le pressentiment depuis un petit bout de temps mais après ces longues minutes d’échanges, de conversations, de rires et de confidences, je le sais, je le sens. C’est LA bonne personne pour Jeremy… En tout cas, je le souhaite. Et là, je ne parle pas de mon meilleur ami mais plutôt d’Azara… Si jamais elle ose lui faire du mal, le tromper ou pire encore… Mais je calme mes ardeurs, je finis par me raisonner. J’arrive à dépasser mes à prioris pour découvrir la formidable jeune femme dynamique, amusante et surprenante qu’elle est. Y’a qu’à voir comment elle rétorque, son franc parler me fait rire et m’inspire même, mais ça, je suis bien trop fière pour lui avouer directement, je me contente d’un sourire timide mais très sincère. Et même si j’ai la tête dure, même si je suis une putain d’obstinée, je sais reconnaître quand j’ai tord. Là, je me suis plantée en beauté, c’est un fait. Nous évoquons donc des sujets bien plus agréables, comme mon équipe de roller derby, les Furies de Monterey. Ma fierté, le centre de mon univers. Elle me confie en connaître une personnellement et quand elle m’énonce le prénom de la fameuse coéquipière, j’éclate de rire, tape dans mes mains et sourit à pleines dents en lui répondant:

Putain, oui, Grace! Enfin, nous, on l’appelle Coco Chanel. Une sacrée celle-là, sans doute celle avec qui je me sens la plus proche dans l'équipe. Même si elles sont toutes formidables, cela ne fait aucun doute…

Mais mon sourire de façade ne trompe personne et le sujet qui fâche finit par être abordé. Inévitablement. Je finis donc par abdiquer, je me confie sur ma propre vie amoureuse, qui s’avère plus que chaotique.
L’amour, ça craint, putain.
Voilà donc la pensée qui m’envahit tandis que nous sirotons notre cocktail quasiment terminé, et que je n’ai qu’une envie: recommander un verre. Je n’avais clairement pas prévu de me bourrer la gueule de si bonne heure mais comme un fameux dicton doit sans doute le dire, la vie est remplie de surprises, et faut bien composer avec. La réaction d’Azara l’honore tout autant qu’elle me surprend, je hausse les sourcils en l’écoutant argumenter, me demander si la femme de Chayanne est quelqu’un de bien. Sans hésiter une seule seconde, je rétorque, crachant presque du venin entre mes lèvres chaudes:

C’est le genre de femme qui le trompe, si tu vois ce que je veux dire… Mais bon, c’est pas le sujet, nous deux c’est impossible, un point c’est tout…

Discuter de sujets aussi sérieux me rend bien distraite. Mon regard se veut fuyant, je cherche n’importe quelle occasion de me changer les idées, de me retirer ces préoccupations de l’esprit… Et quel n’est donc pas mon soulagement quand je tombe sur une pancarte, installée bien en évidence sur le comptoir, indiquant un concours du plus rapide buveur de bière, qui démarre dans… cinq minutes à peine, à en juger par l’heure affichée sur l’horloge installée derrière le comptoir.
Bah en voilà, une putain de bonne idée!
Le regard pétillant, je me penche vers Azara et lui suggère, l’air innocent mais connaissant presque d’avance la réponse qu’elle pourrait m’offrir:

Az’... Tu permets, je t’appelle Az’, tu m’appelles Val, on gagne du temps, comme ça… Y’a un concours là, il démarre d’ici peu et le premier prix est un trophée réalisé en capsules de bières, bon, ça, c’est un détail mais surtout, on peut remporter un dîner au resto’ des Patterson… T’es partante?

Je lui offre la paume de ma main, espérant qu’elle finisse par la taper, afin de me donner son accord.
Parce que putain, y’a pas à dire, deux folles réunies valent mieux qu’une, n’est ce pas…?
 

Oui, en effet, ta cousine connaît bien la meilleure amie de ton petit-ami. Finalement, Monterey n’est pas si grand. Elle a raison, quand elle dit que c’est une sacré. Ta cousine, tu tiens à elle comme une soeur. A tes yeux, elle est merveilleuse et inégalable. Grace, est un peu comme un modèle à suivre. C’est vrai, sublime de l'intérieur et de l’extérieur. Tu souris aux paroles de la blonde, avant d’écouter ses tracas amoureux. Tu t’amuses avec ta paille à écraser la menthe verte au fond du verre, te faisant la réflexion, qu’il n’existe pour personne sur Terre une vie amoureuse linéaire. C’est vrai ça, tout le monde finit par morfler, pleurer, se vider de milliers de larmes. Tragique ! Vous comprenez pourquoi Azara, elle n'avait pas envie de toucher à cette came-là avant, ça brûle, ça détruit, ça pique le coeur et le massacre. Finalement, le risque n’est pas trop mal à prendre ! Mais, malheureusement il faut passer par des étapes presques destructrices avant d’avoir le coeur apaisé et les yeux qui pétillent sur la durée.
Impossible… Tandis que Valéria semble fixer un point précis, tu réfléchis à ce qu’elle vient de dire. Sa femme est donc une grosse garce ! Elle devrait rejoindre les flammes de l’enfer ou se faire asperger d’acide. Oh pitié, pas les techniques de torture Azara, il n’est pas bon de sortir cette facette-là de toi si tôt aux gens.
Tu aspires la dernière goutte du Mojito, acquiesçant quand elle te demande si elle peut t’appeler Az’. Surnom que tu as bien souvent l’habitude d’avoir. Concours - Bière - Resto… Okay ! Tu poses ton verre et vient claquer dans sa main avec la tienne, étirant ton sourire jusqu’à tes oreilles.
- Carrément, on va tout déchirer. Attends !
Tu bondis de ton siège comme une sauterelle pour aller au bar. Tes yeux scrutent les bouteilles et les choix. Elle a bien dit de la bière ?! D’ailleurs, est-ce bien de reprendre à boire. Il faut dire que tu ne tiens pas forcément l’alcool et que le rhum commence déjà à agir sur ton cerveau. Tu interpelles le serveur.
- Jacqouille ! Passe moi la gourdasse, j'ai grand soif ! Wooh mais qu’est-ce que tu racontes, d’ailleurs il te regarde étrangement. Oui, finit son petit regard langoureux du début quand tu es arrivée. Une bouteille de bière. Dis-tu en tapotant dans tes mains comme une folle. Tu attrapes la bouteille et tu retournes vers Valeria.
- Que l’entraînement commence !  

J’sais pas ce qui m’arrive mais je me sens clairement en phase avec Azara. Moi qui était bourrée d’à prioris à son sujet, me voilà à présent à trouver des occupations afin de prolonger notre tête à tête. Elle est si… spontanée! Me fait rire et je lui voue à présent une confiance sans égale. Feignant de m’offusquer de ses propos à l’encontre de la femme de Chayanne, j’ajoute, d’une moue plutôt hautaine:

Putain, Az’, tu m’as ôté les mots de la bouche! Après, au fond, je pense que je la déteste parce qu’elle ne réalise pas la chance qu’elle a de vivre avec un homme pareil, si incroyable…

Putain, qu’est ce qu’il m’arrive? Je me montre si… vulnérable! Une vraie adolescente qui rougit en pensant à son amoureux. Mais au fond, Chayanne me met dans cet état et je ne devrais pas en avoir honte. C’est ce qu’on appelle l’amour, comme on dit…
Tentant d’afficher le visage d’une femme impassible, presque cruelle, je demande, après m’être raclé la gorge, l’air de rien, enfilant mes lunettes de soleil afin de masquer mon regard chargé de malice:

Et sinon, t’as d’autres idées de malade, comme ça? On m’a dit que les cochons, ça bouffait tout, non…?

Ok, Val’, t’en fais sans doute un peu trop, là. Souhaiter la mort de quelqu’un est mal, tu gagnerais tout droit ta place en Enfer. Remarque, j’suis pas trop mauvaise sur ce coup. Je pense sincèrement que je pourrais obtenir la place d’honneur, un trône même, si cela est possible… Qu’est ce que j’en ai à foutre, sérieux. Et là, je n’ai qu’une envie, me détendre en buvant, après tout, c’est ce que je sais faire de mieux. Et au passage, rafler le premier prix de ce concours. Ma proposition ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde, Az’ est partante et se rue sur le barman comme la misère sur le bas clergé. Éberluée, j’éclate de rire et passe commande auprès du serveur après qu’il se soit occupé de décapsuler une bière pour ma nouvelle copine. En un simple coup d'œil, je remarque que l’alcool commence à faire son effet et elle se lâche encore plus, ses joues se colorent davantage. Elle parle d’entraînement, j’éclate d’un rire sourd tout en demandant davantage de renseignements au sujet de ce fameux concours auprès du gars derrière le comptoir qui n’est franchement pas dégoûtant. Je fronce les sourcils, je deviens plus sérieuse, davantage concentrée. C’est que je n’ai jamais plaisanté avec la compétition et quand il m’annonce qu’il faut avaler le plus de shoots possible en une minute et trente secondes, j’opine du chef, commence à m’étirer, exagérant mes gestes, tout en expliquant à Az’ le déroulé et ajoutant, sur un ton dramatique:

Ma petite chérie, je compte sur toi pour être une parfaite supportrice, hein! Genre pom pom girl et tout… Oh putain, je crois que ça commence, viens!

J’attrape sa main et je me rue vers un coin du bar où a été aménagée une rangée de tabourets avec un plateau déjà prêt sur chaque table haute. M’installant à celle qui m’a été assignée, j’ai précisé mon Derby Name à savoir Miss Meteore, je salue avec un peu trop de chaleur mes adversaires, une belle brochette de cinq mecs, musclés, au visage assez fermé, sans doute un poil trop macho.
Bah alors, les Nanas de Monterey qui picolent, elles ont déserté ou quoi…?


 

Finalement, c’est toute une après-midi que tu sembles passer avec Valeria. Assez inattendu. Tu devais rentrer tôt chez toi et au final tu traînes au bord de la plage, à siroter des mojitos et à copiner avec la blonde. Est-ce grave ? Non ! Tu t’amuses, ça te fait un bien fou. Toi, qui a surtout vécu uniquement pour les répétitions avec la troupe de théâtre, tes cours, tu oublies sans doute trop, de te relâcher, t’autoriser des moments comme celui-ci. Tu devrais peut-être renouveler l’expérience, plus souvent.
Valeria continue de se confier au sujet de Chayanne. Toi, tu te contentes de répondre ce qui te vient à l’esprit, notamment le fait qu’il doit avoir une garce pour femme. Vraiment pourquoi ne la laisse t-il pas tomber pour se mettre avec Valeria ? Tout simplement ! Les gens semblent se compliquer la vie.
Tu ne peux t’empêcher de rire à gorge déployée quand elle parle des cochons qui peuvent manger les cadavres. Exact ! Tu as déjà joué un personnage qui torturait les gens ; pièce de théâtre assez sombre, mais qui avait réussi à susciter un intérêt inexplicable. Cela change des pièces dédiées à l’amour et à l’eau de rose. Tu aimes bien, quand le décor est sombre, quand l’ambiance est parfois pesante, que la musique semble emporter le public dans un autre monde.
- J’ai un manuel sur les différentes tortures du Moyen-Age, on peut les tester une à une ! Tu as une voix sérieuse, on pourrait presque croire que tu es habituée à torturer les gens. Heureusement tu sais te poser des limites et tu ne veux pas avoir à te justifier de ton comportement auprès d’un inspecteur de police.
Tu te prêtes vite au jeu. Boire de l’alcool n’est pas forcément une bonne idée pour toi, tu ne tiens pas l’alcool. Ton comportement devient dingue, tu ries pour tout et rien, tu racontes n’importe quoi et surtout tu sais que demain tu seras dans un mauvais état. Le genre à te faire glisser du canapé pour tenter d’aller attraper un verre d’eau, en pleurant et promettant de ne plus jamais recommencer.
- Oh pitié pas ce mot, pompom girl, ça résonne comme : fille qui a besoin d’exister aux yeux des mecs en chaleur !
Mauvaise passade du lycée, tu ne supportais pas les pom-pom girls, celles qui aimaient se moquer des autres. S’amuser à faire des selfies ringards en mettant leurs lèvres en forme de cul de poule, en abusant du gloss. A vomir ! Pas étonnant que tu as déjà tenté de mettre la tête d’une de ses filles au fond des toilettes parce que chaque jour, elle se moquait de toi.
Rapidement, elle attrape ta main pour t’attirer au coin du bar. Le concours de shooters semble surtout avoir attiré les matchos. Tes yeux roulent en direction du ciel quand tu remarques que l’un d’eux s’amuse à faire des clins d’oeil. Aussi pitoyable qu’une pom-pom girl.
- Il faut les dégommer !

Enfin, je suis dans mon élément. C’est vrai, du soleil, un peu d’alcool, une copine qui n’a pas sa langue dans sa poche et paf: me voilà au top de ma forme. Capable des pires folies, du genre qu’on ne peut oublier, du genre qui scellent les fondements d’une amitié éternelle. Je souris, oublie d’être bougonne, même si certains sujets me trottent toujours en tête.
Chayanne était mon ami, autrefois. En tout cas, je l’ai toujours considéré tel quel. Bien sûr, je suis rapidement tombé sous son charme, il n’avait rien à voir avec les autres garçons que j’avais approché, durant ma carrière de dragueuse en série. Il est différent et c’est ce que j’aime tant chez lui. Courtois, timide mais profond et passionné, il est ma rencontre inattendue, celle qui pourrait tout bouleverser dans mon existence.
Au même titre que Azara. Sur le papier, je devais la détester, et pourtant. Grâce à nos diverses activités de l'après-midi, j’apprends à la connaître, à savourer les instants partagés. Et putain, ce concours de shots, c’est vraiment le pompon sur le cupcake!
M’installant et me préparant telle la championne hargneuse que je suis, je réponds à ma coéquipière, les doigts sur les lèvres:

Ouais, t’as raison. Tu seras ma groupie, alors. Ma Azarie, ha, ha, ha, ha!

Quelle rire de sorcière que je possède, putain de merde. Je suis déjà alcoolisée plus qu’il ne faut et maintenant, je vais m’enfoncer bien plus loin dans la connerie. Mais c’est quoi ce surnom à chier, hein? J'pouvais pas trouver mieux, putain?! Mais je dois me concentrer, me canaliser. Autour de moi, les autres participants me jettent des regards noirs, ces machos se contentent de bander leurs muscles. Technique évidente d’intimidation. Mais je ne faiblis pas, bien au contraire. Je regarde droit devant moi, j’attends le signal. Et dès qu’il est lancé, j’avale l’un après l’autre les verres, sans réfléchir, conservant un rythme qui me permet d’atteindre la victoire sans l’ombre d’un doute. Faisant claquer le dernier verre contre le bois de ma table individuelle, je finis par hurler, me mettant debout sur mon tabouret, clamant sans aucune retenue:

Ah, ah, ah! À NOUS LE TROPHÉE EN CAPSULES DE BIÈRE! VAS-Y, FAIT PÉTER COUSIN!

Je me rue en direction du barman, qui semble bien effrayé de voir débarquer dans sa direction une folle furieuse telle que moi. Mais je suis une Furie, putain de merde! J’ai toujours affirmé mon caractère déluré, le pet au casque que j’ai toujours mis en avant dans mes relations sociales. Ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer, hein! Surexcitée, j’attrape Azara par l’épaule, et lui dit, d’une voix enjouée:

Allez, viens là, Az’, pour la photo souvenir!

Je prends ma plus belle pause, j’affiche mon plus extravagant sourire et tend mon smartphone afin de prendre un selfie, ou deux, ou dix. Je suis épanouie, bon, certes, la tête commence à me tourner, mais sérieusement, je suis aux anges.
Je suis tout bonnement incapable de lui avouer mais je me sens soulagée que le courant passe aussi bien avec Azara. J’ai eu beaucoup d’aprioris à son sujet dans le passé mais au fond, je n’aurais pas supporté entretenir une espèce de guerre froide avec la petite amie de mon meilleur ami. Jeremy compte bien trop à mes yeux pour que je me contente de tout gâcher, il ne le mérite pas. Haussant le point en direction des autres participants qui tirent une tronche de quinze mètres de long, je propose à Az’, ayant récupérer mon second gain:

Bon, j’ai une faim de loup. Et on a un repas gratuit qui nous attend… On se met en route, beauté?

Bien entendu, aucune de nous n’est capable de prendre le volant. Je pianote sur mon smartphone afin de nous commander un Uber, mais mes gestes imprécis provoquent la chute inévitable de mon téléphone. Paf, directement sur le goudron. Je peux entendre l’écran se fissurer, d’ailleurs.
Et putain de merde, manquait plus que ça…