|	mojito fraise ; Valeria & Cheng Swee

— Un grand festif, un grand spécialiste de l’évènementiel qui connaît des déconvenues, ça fait beaucoup et ça peine le petit cœur. Cheng Swee se trouve un nouveau métier, une nouvelle profession, comme s’il avait fait des études longues et chiantes, ou passionnantes pour certains. Il est vrai qu’il s’est formé sur le tas. À Singapour, y’a plein de chouettes endroits qu’il ne retrouvera nulle part en Amérique. Y’a plein de choses qui sont pas les mêmes et il ne sait pas ce qu’il préfère (Singapour) parce qu’il a choisi l’endroit où il vit, qu’il n’est pas l’heure de se plaindre. Ici, il ressent une légèreté de l’âme, un poids qui s’enlève de sa poitrine et il respire un peu mieux.

Mais quand même. C’est frustrant.

Il organisait plusieurs fois par semaine des sorties dans des lieux insolites, des sorties qui tournent autour de la nourriture. Ici, la bouffe c’est pas pareil. Y’a plus de touristes pour s’émerveiller devant la devanture d’un restaurant vieux de dizaines d’années avec des gérants du même âge. Ici, il ne connaît rien, qui voudrait écouter ses contes, ses légendes ?

Ils ont tous annulé. Les uns après les autres. Et le sourire s’est effrité dans l’esprit car il demeurait sur le visage pour éviter de dévoiler la déception. Ils ont tant de choses à se dire ! Tant de potins à croquer ! Ils semblent déçus, Cheng Swee l’est encore plus. Il les salue d’un signe de la main, part le premier parce qu’il lui faut du temps d’arriver à l’arrêt de bus. Rentrer ? Hors de question. La planche du jour, il arrive pas à la terminer. C’est un cauchemar, il n’a pas la tête à ça. Il prend un bus direction le pays des enfants pas sages, il s’arrête quand il voit du monde, le chauffeur est compatissant, il voit que l’homme à du mal, on l’aide même pour sortir et c’est comme un coup de poignard. Personne à l’extérieur, il pousse la porte du bar, une odeur lui monte au nez, il sait pas s’il aime, s’il aime pas, mais ça penche plutôt pour la seconde proposition. Y’a peu d’âmes, le serveur le salue, et il répond d’un signe de tête car son regard accroche un autre, trois fois accroché auparavant, des souvenirs pas forcément jolis qui lui reviennent en tête.

Une soirée théâtre, comme aujourd’hui. Un after, pas comme aujourd’hui, et une invitée qu’on leur a vite présentée, il a pas retenu son prénom mais elle parlait avec Azara alors il a fermé sa gueule et ouvert sa bouche plus loin, loin de leurs oreilles. Il a rien dit sur la fille, mais il l’a regardée, un peu. Monsieur Chan était curieux, mais ne pas déranger. Se prendre un vent, une remarque acerbe, ça aurait achevé sa mauvaise humeur, à peine embellie par les âmes de la troupe. Y’a des jours sans, et il était en plein dedans.

Humeur pas meilleure, mais il ne peut l’ignorer éternellement. Elle semble seule, lui aussi, personne avec qui parler, ou alors elle attend quelqu’un et il se sera la douche froide. Pas la première fois. Il avance, le visage il affiche un sourire, mais bien moins ensoleillé que les autres jours. On y trouve même une touche de timidité, comme s’il ne savait pas s’il avait pris la bonne décision. « Salut, heu… ah. » Grimace qui en dit long sur la connerie qu’il regrette, parce qu’il la connaît sans la connaître, il a reconnu son visage mais son nom demeure mystère. « Je sais que Azara t’a présentée, mais je devais avoir des bouchons dans les oreilles parce que… je m’en souviens pas. » Et le rouge monte un peu aux joues, mais l’obscurité cache bien. Quel idiot ! « Pour me faire pardonner, je te paie un truc. Choisis. Les cocktails sont bons ? J’en veux un à la fraise ! ».

@Valeria Myers