C’est un jour sans. J’ai passé ma soirée à visionner de vieilles photos de mon fils, pourtant rangées dans un carton au grenier de ma maison. Pourquoi ? Parce qu’un de mes patients, âgé de dix ans, m’y a fait penser. Il reprochait à son père de l’avoir oublié, alors que ce dernier avait simplement perdu la mémoire suite à un accident tragique. Si l’enfant savait qu’il n’y était pour rien, j’avais fait une transposition à ma propre situation. Ca faisait quatre ans que mon fils était décédé, et si mes souvenirs étaient encore ancrés dans ma mémoire, se pouvait-il que je finisse par oublier le moindre détail de notre vie partagée ? C’était impensable, je m’y refusais. Voilà pourquoi j’avais sorti ces photos, et devant chacune d’elle, mes larmes se répandaient comme un ruisseau dont la source ne se tarira jamais. Sur chacune d’elle, il sourit. D’une expression vivante, comme s’il était avec moi, et je me frotte les yeux face à tant d’injustice. J’aurais tant voulu qu’il soit là à mes côtés. Mais il m’était impossible de revenir en arrière. J’avais failli. Et peut-être même que je continuais de faillir aujourd’hui en empêchant Ella de vivre certaines expériences, parce que j’avais peur de la perdre. J’avais tant de choses à dire à mon fils, et j’aurais tout donné pour le voir une dernière fois. Ma vie était un chemin de pénitence qu’il me fallait emprunter à tout jamais. J’en venais à remettre en question mon travail, à me dire qu’au fond, puisque j’avais besoin de consulter un psy parce que je ne me remettais pas de la mort de mon enfant, je n’étais pas apte à venir en aide à ceux qui en avaient le besoin. Je réalisais aussi que j’avais déjà perdu de nombreuses personnes dans ma vie. D’abord ma sœur, qui avait décidé de se sacrifier pour que j’aie une vie heureuse ; puis mon premier amour que l’on m’a empêché d’aimer, et enfin mon fils arraché par un chauffard alors qu’il ne demandait qu’à vivre. Tout cela ajouté me tracasse au point de réaliser que je suis l’ombre de moi-même. Il faut que j’y fasse quelque chose. Puis-je me laisser aller au point d’errer dans les limbes et de ne jamais trouver le repos ? Mon fils ne le tolèrerait pas. Et si la clé, c’était de renier mes émotions ? Devenir quelqu’un d’autre ? Faire table rase du passé ? Je n’avais pas la solution et j’en avais gros sur le cœur, et dernièrement, ma seule échappatoire, c’était de me confier à Hera. La bonne action que j’avais effectuée lors de notre rencontre m’avait sur le moment changé les idées, et par la suite permis de créer une relation sincère et durable, une véritable amitié. Je n’étais pas certain qu’elle soit disponible, et pourtant, seulement quelques minutes après l’envoi, elle me répond et nous devons nous retrouver dans le même bar, celui de nos habitudes, où elle m’écoute pendant des heures interminables sans jamais s’en plaindre. Ca surpassait mon geste. Y trouvait-elle son compte ? Au fond, peut-être que c’était à sens unique, et ce malgré du bon temps pris en froissant les draps. Frustré par ma prise de tête constante, je décidais d’aller prendre une douche qui me permettrait de me remettre les idées en place. L’eau ruisselant, je tentais de faire le vide dans mes pensées, en vain. Jake revenait dans mon esprit comme une vieille rengaine. Soupirant, je me vêtis d’un chino et d’un t-shirt et je prends la route pour le bar. Quand je pousse la porte du lieu d’interminables soirées, je remarque qu’Hera est déjà là. Ca m’arrache un sourire parce que cela signifie qu’elle n’a pas pris ma demande à la légère. Elle sait que ça compte pour moi, et je suis rassuré de voir que je peux compter sur elle. Alors que je la rejoins, je salue au passage le barman qui nous a déjà vus un nombre conséquent de fois ici. La jeune femme se lève, une fois que je suis à sa hauteur et dépose un baiser sur ma joue fatiguée. Ce geste si simple, est étrangement apaisant. « On fait aller, merci beaucoup d’être venue si vite. Comment tu vas toi ? » C’est le plus important à mes yeux. Car si elle va bien, alors je sais que je parviendrais à me changer les idées et cesser de broyer du noir. Ravi qu’elle ait déjà passé commande, je m’installe et la remercie pour le verre de vin blanc français que j’apprécie tant. « Le prochain verre, c’est moi qui offre. » Cela signifie que je  n’en resterait pas là, et pourtant, je n’ai jamais sombré dans l’alcoolisme malgré mon chagrin. « J’espère que je n’ai pas bouleversé certains de tes plans. » J’avais beaucoup de choses à lui raconter mais c’était égoïste de crier à l’aide.
@Héra Hobbs

Se remettre d’un tel choc, pour moi, relève de l’impossible. Et pourtant, j’ai tout essayé. Si je parais mener à bien ma vie, je ne fais que nager en eaux troubles. Je ne m’estime pas en dépression, parce que je sors de chez moi, je travaille, mais certains diraient que je suis dans le déni. Après tout, j’ai noyé mon chagrin dans certaines pratiques comme le sport intensif, ou encore le batifolage avec Héra. Sa présence m’apaise, elle a un certain effet aphrodisiaque, voire d’anesthésiant pour la douleur que je ressens. Et peut-être devrais-je réaliser que j’avais besoin d’aide, besoin de trouver des solutions plus saines, mais après-tout, si ça lui posait problème, elle m’en ferait part. Elle semble se porter bien, et me voilà rassuré. Nous sommes unis par un lien fort, tous deux issus d’un milieu défavorisé, sa mère comme la mienne ayant succombé à la drogue et à ses enfers. Je ne sais ce que ma mère est devenue, et je ne tiens pas à le savoir. C’est ma sœur qui a laissé un vide en moi, celle qui s’est occupée de moi jusqu’à mes trois ans, là où ma mère m’utilisait pour obtenir sa dose. Jouant nerveusement avec mon verre, je sais que j’ai besoin de me changer les idées, mais que noyer mes heures dans l’alcool ne résoudra rien. J’ai besoin de réconfort, de soutien, boire jusqu’au bout de la nuit, n’est pas une option. Héra le sait probablement que je sais m’arrêter avant que je ne sois plus maitre de moi. Elle aborde un sujet qui m’intrigue, en plus de m’éviter de penser à la mort de mon fils et à cet accident que je revis jour et nuit. Arquant un sourcil, je demande, curieux. « Ton père ? Tu ne le connais pas ? » Je n’avais jamais su qui était le mien, ma mère offrant son corps au plus offrant pour de l’héroïne ou de la coke. Heureusement, j’avais été adopté par des gens bien, mais j’étais presque convaincu que mon père n’avait jamais eu connaissance de ma naissance. Il serait impossible à identifier, après tout, les activités de ma mère – trop nombreuses si je m’en référais à ce qu’on m’avait conté – nous empêchaient de savoir quoi que ce soit à son sujet. Quelque part, c’était préférable, car s’il fréquentait Skid Row, c’était qu’il n’était pas forcément un homme respectable. « Ca me parait intéressant. Qu’est-ce qui t’a poussée à fouiller dans les cartons pour trouver des informations ? » J’avais beau être mal, mon empathie ressurgissait à chaque fois qu’on me parlait d’un événement particulier. Déformation professionnelle, même si Héra n’était pas une enfant, je pouvais en attester au regard de nos ébats. Finalement, Jake revient sur le tapis, et je m’y attendais puisque c’était moi qui avais appelé Héra à la rescousse. J’acquiesce avant de boire une gorgée de mon verre, me raclant la gorge. « J’ai un patient qui blâme son père de l’oublier alors que ce dernier souffre d’amnésie traumatique. Et j’ai peur de finir par oublier mon fils, ses mimiques, le son que produit son rire… » Je grimace. « J’ai passé la journée à regarder des photos de lui. » Je baisse la tête, cherchant à garder contenance, et c’est à ce moment que la main de la jeune femme vient se poser sur la mienne, et ça me réchauffe le cœur. Mon pouce vient caresser sa main légèrement en guise de remerciement, relevant la tête alors que j’affronte son regard. Je hoche la tête, elle a raison, si j’ai l’habitude de garder les choses pour moi, il faut que je verbalise, parce que ça soulage plutôt que de se morfondre. Je soupire, et j’admets : « Je n’arrive pas à me pardonner. Je voudrais faire taire toutes ces voix qui me disent que c’est de ma faute. » Je voudrais aussi pouvoir trouver le repos, la paix, mais indirectement, je m’y refuse. Sans ma famille, je me sentais tellement seul. Condamné à errer dans les limbes de la vie. « Je ne sais pas comment, et j’aimerais trouver la solution. » Sans prendre des médicaments, car même si j’étais psychiatre, c’était quelque chose que j’évitais soigneusement. « J’ai besoin de me changer les idées. » C’est pour ça que j’avais demandé à la voir.avais beaucoup de choses à lui raconter mais c’était égoïste de crier à l’aide.
@Héra Hobbs

Spoiler:

Il était intriguant pour moi de voir que malgré les années, parfois le passé refait surface de la manière la plus improbable qui soit, au travers des souvenirs. Retrouver l’identité de mon père ne m’était jamais vraiment venu à l’idée, en revanche retrouver ma sœur avait été un sujet. Mais en même temps, comment savoir où chercher ? Est-ce qu’Hera ressentait le besoin de rechercher ses racines, ou s’agissait-il tout simplement d’un concours de circonstances en triant des cartons ? Peut-être que la vie l’incitait à poursuivre dans cette voie, au contraire de sa mère. « Et tu la crois ? » Après tout sa mère n’était pas forcément très fiable puisqu’elle les avait abandonnés et qu’elle aussi avait consommé de la drogue, comme la mienne. « Ou alors il peut changer d’avis avec les années. » Je ne voulais pas être trop optimiste, mais de ce que j’en savais, il ne valait mieux pas faire confiance à un ou une drogué(e). Hera avait beaucoup de mérite. Elle avait été résiliente et elle s’était sortie toute seule des galères, là où moi j’avais bénéficié d’une main tendue. Elle était admirable, et peut-être que la recherche de ses racines pouvait également lui apporter un peu de réconfort, d’autant plus si son père ignorait tout de son existence. Ca pouvait laisser place à de la fierté de découvrir son enfant qui bien qu’il ait poussé seul, soit plus équilibré que jamais. Je comprenais en tout cas sa démarche et je l’encourageais dans ce sens, car au moins, si elle ne recherchait pas de père, en paix avec sa situation, elle pourrait avoir une bonne surprise. « Je pense que c’est sain de savoir d’où on vient, même si au final tu ne renoues pas avec lui, au moins ça te permettra de te dire que tu ne sors pas de nulle part. » La vie est pleine de surprises. Parfois meilleures que d’autres. Construire mon petit havre de paix n’avait pas été compliqué. Le plus dur avait été de le voir voler en éclats du jour au lendemain, sans pouvoir y faire quoi que ce soit, la responsabilité m’accablant. Je n’ai pas su le protéger, et désormais j’avançais à tâtons avec ma fille. Hera souhaitait que j’essaie de ne pas me détruire en cherchant à tout pris à repenser à mon fils, mais malgré les années, je ne savais pas faire autrement. Comment cesser de m’en vouloir ? « Ca me parait impossible, tu sais… Il avait la vie devant lui. Je ne me vois pas repenser à ces années sans en ressentir une douleur, des regrets. Chaque soir, je revois cette voiture le faucher, chaque soir je me demande la douleur qu’il a dû ressentir. » Il avait vite perdu connaissance, son cœur s’était arrêté au moment du choc, mais je ne pouvais pas me sortir de la tête qu’il avait souffert et je m’en voudrais à tout jamais. Colleen aussi et c’était bien normal. A travailler avec les enfants, je le vois partout. A voir grandir ma fille sans son grand-frère, je sens le vide qu’il a laissé, et j’estime désormais ma vie comme un chemin de croix, de pénitence, où je suis condamné à errer pour avoir fauté. Ce soir, il semblerait qu’Hera souhaite fonctionner autrement qu’à l’accoutumée. Puis-je la blâmer ? Après tout, tout ça est loin d’être naturel, j’exige et elle s’exécute, alors qu’au fond, qu’est-ce qui me dit qu’elle n’a pas besoin d’être écoutée et de se confier ? En tout cas, elle reste focalisée sur mon mal-être, cherchant à inverser la tendance. Et elle sort alors un petit carnet accompagné d’un stylo, me demandant de noter dessus toutes les activités que mon fils appréciait. Ce n’est pas difficile de m’en souvenir parce que Jake me ressemblait beaucoup et appréciait les mêmes choses que moi. Aussi, je commence à noter en les énumérant à voix haute. « Il adorait jouer au basket. On lisait des comics ensemble, il adorait bricoler, faire du skate, jouer aux jeux vidéo… » Et puis je réalise où elle souhaite en venir. Elle pense sûrement qu’à exécuter tout ce qu’il n’a pas pu faire, je me sentirais probablement mieux, mais j’ai déjà tenté l’expérience, et le gouffre était davantage béant car il n’était pas là pour les apprécier. « Mais si tu penses que je peux réaliser ses rêves pour lui, j’ai déjà fait la plupart des choses, mais sans lui ce n’est pas pareil. » J’avais emmené Ella à Disneyland mais il me manquait les exclamations de Jake devant Space Mountain et les attractions liées à Star Wars, ou lorsqu’on était allés voir l’exposition sur les dinosaures, Ella n’avait pas apprécié. Jake lui, aurait sauté de joie. Hera sent que je ne vogue pas sur des eaux paisibles, et que ma santé mentale n’est pas au beau fixe. J’apprécie qu’elle tienne à prendre soin de moi, mais m’aider à aller mieux, ça me semble à l’heure actuelle encore prématuré. Ma seule raison d’être, c’est Ella. « C’est pour ça que je suis ici, pour ma fille. Je ne pouvais pas vivre à Los Angeles loin d’elle. Mais tu sais ce qui est dur ? C’est que je ne sais même pas comment aborder le sujet avec ma fille. Elle n’avait que deux ans quand il est mort, je ne sais même pas si elle s’en souvient. Je ne peux pas lui parler de lui et prendre le risque qu’elle sombre. » Ce que je voulais, c’était porter le fardeau seul. « Je te remercie de vouloir m’aider, mais je sais pas si je parviendrais un jour à être le même. »
@Héra Hobbs