- Ouais, ouais ça va… J’arrive… grognais-je.

C’est que je n’ai plus vingt ans, pour dormir par terre, moi. J’attrape le rebords le plus près, un coin de canapé. Les yeux bouffis, j’ai l’impression que mes cils pèsent une tonne tant je peine à les soulever. Tout est trouble autour de moi, alors rien ne me paraît familier ici. J’entends le bruit sourd de mon téléphone reposant quelques secondes plus tôt sur mon ventre, qui tombe sur la moquette. J’ai chaud et froid en même temps, j’me sens pas très frais il faut bien se l’avouer. Ce rot émit par ma verticalisation me donnerait presque la gerbe, bizarrement ce rot eut pour réponse un pet provenant du coin d’la pièce. Mon cerveau capte pas encore, mais ouais mon vieux Salazar… T’es pas chez toi et t’es pas seul.

J’me cogne dans à peu près absolument tous les obstacles entre la porte et moi, j’sens pas trop la douleur. Ma main moite glisse sur le verrou, j’marmonne dans ma barbe, puis finalement la porte s’ouvre sur un jeune femme mexicaine accompagnée d’un type de la sécurité.

Là, ça m’réveille un peu plus.
J’fais un bond en arrière.
Ça me brasse l’estomac, mais j’tiens bon.

- Vous devriez être partis depuis deux heures !

Partir ? Où ? Et c’est qui… Vous ?

- On vous laisse…

L’homme de la sécurité observe l’état de la chambre, l’état des pauvres types présents en ronflant encore pour certains…. Il ne dit rien, habitué à ce genre de spectacle, après tout c’est Vegas ici. Il soupire avant d’achever sa phrase :

- Une heure. Dans une heure, vous êtes partis ou j’appelle la police.

La porte se referme et moi, j’reste planté là quelques secondes.
C’est pas ma porte ça. J’me retourne lentement.

La chambre était assez spacieuse bien que le mobilier soit plutôt sommaire. Il y avait un lit double dans lequel dormait deux hommes que je parvenais à identifier, un canapé sur lequel… Killian ? Ok… C’était déjà rassurant. Quant aux derniers bruits de ronflements, ils semblaient provenir de la salle d’eau… Pourquoi c’est encore moi qui me suis retrouvé à dormir par terre dans cette histoire, hein ? J’étire ma vieille colonne vertébrale qui émet quelques craquements de protestation amplement justifiés.

J’sais pas où on est, mais une chose certaine…
Dans une heure, j’ai pas envie d’être encore là.

- Killian… que j’l’appelle de ma voix encore ensommeillée.

J’le secoue par l’épaule.

- Killian, frérot... Putain réveille toi gros flemmard, où tu m’as encore embarqué ? Réveille toi, bordel, t-tu m’casses les couilles  !

J’ai envie de pisser… Vraiment.

Alors j’abandonne Killian pour aller dans la salle d’eau. J’prend bien soin de lui coller une tape à l’arrière de son crâne qui dépasse de l’accoudoir du canapé. Il aurait pu m’laisser le canap’ l’enfoiré. C’est que moi, j’ai oublié que j’dormais dans le lit avec les deux autres, avant que me prenne l’envie d’appeller Missy et de m’allonger par terre, dans l’instant, l’plus logique dans ma tête c’est qu’on m’a laissé dormir par terre !

J’esquive mon reflet dans l’miroir.
J’sais très bien que ça va pas être terrible.

J’allais ouvrir ma braguette quand j’vois Eugene avec un tas d’oreillers, les yeux bien ouverts désormais qui pioncer dans la baignoire.

- AH PUTAIN TU M’AS FAIS PEUR PAUVRE CON !!!

Bordel, mais qu’est-ce qu’il fou là lui aussi.
Et là, j’me suis vu dans l’miroir.

- AH PUTAIN MAIS C’EST QUOI ÇA ! POURQUOI BLOND ?! P'POURQUOI ENCORE PUTAIN DE BLOND ??! Et t’as failli v-voir ma bite ! J’ai envie d’pisser mec…

J’le fixe avec insistance pour qu’il se lève ou qu’il ferme ses p’tits yeux en trou de pine là. On m’a assez regardé pisser en prison, maintenant j’tiens à avoir ma tranquillité dans ce genre de moment, non mais… Pour l'moment, vider ma vessie était l'plus important à mes yeux, l'reste de mes questionnements attendra plus tard. Pour ce qui est de mes réactions excessives, cette hyperactivité anarchique qui m'tiraille dès l'réveil, j'me reconnaissais un peu trop dans... Dans l'état de manque. Et ça, ça ne va pas aider pour l'heure à venir.

 

Pourquoi j’ai l’impression d’avoir un putain d’mal de tête qui m’gagne ? Comme si j’étais en lendemain d’veille vous voyez ? Mon dedans bucal est sacrément pâteux, comme si javais avalé d’sales merdes. Mes yeux peinent à s’ouvrir. Pourtant, j’suis encore bien somnolent. Pas grand chose qui pourrait m’réveiller à l’instant. Même pas Jay. Jay ? Pourquoi j’me réveille et qu’Jay est là ? J’suis où là bordel ?! J’suis certainement pas chez moi, ni au ranch. J’sais pas si j’devrais être rassuré d’me réveiller à ses côtés. Avec Jay, on fait toujours de sacrées conneries ! Qu’est-ce qu’on a encore fait cette fois ? Premier réflexe, j’attrape mon téléphone, pour voir les messages d’la veille. J’tombe sur un message envoyé à Jay qui m’semble bien suspect. Qu’est-ce qu’on a encore bien pu faire putain ? Deux potos sacrément pas brillant ensemble, ça donne jamais de bons résultats vous vous doutez.

J’ai soudain l’envie d’me lever du canapé sur lequel j’me suis endormi. J’serais capable de m’endormir n’importe où en même temps. Tant qu’j’ai une surface pour poser ma tête, on est bon ! Et puis, j’entends Jay gueuler... Qu’est qui s’passe dans cette putain d’salle d’eau ? J’me dois d’aller vérifier. Quand j’rentre, j’vois que Jay qui ouvre sa braguette et ses putains d’cheveux blond ?! J’hésite entre exploser d’rire et pleurer ? Sauf que, j’suis bien trop occupé à me d’mander dans quel merdier on s’est encore embarqué ? Évidemment, on s’regarde tous, lui, moi et Eugene... Attendez, quoi ? Eugene ?? Lui aussi il est d’la partie ? Mais quest-c’qu’il fou là lui aussi ??? Bordel, on a FAIT QUOI LA VEILLE PUTAIN ET ON EST OU SURTOUT ? On s’met, les trois, à crier comme des malades, en s’regardant à tour de rôle. Et puis, pourquoi il est couché dans l’bain ? Bon, c’pas important, c’est plus les cheveux d’Jay qui m’préoccupe en c’moment.

- Mec tes ch’veux putain !!!!

Ouais, j’lui signale comme s’il avait pas vu par lui-même. Nan mais, faut faire quelque chose là, ça urge. Pas qu’Jay c’est l’plus beau mec d’ordinaire, mais les ch’veux blonds comme ça, ça l’discrédite un peu. On dirait qu’il s’prend pour lui qui chante avec sa voix d’fille ! Justin Bébé ? Ah pis merde, j’sais plus son nom. Mais c’que j’savais pas, c’est qu’j’avais pas encore regardé mon reflet dans l’miroir. J’pouvais bien m’moquer d’lui. Quand j’le croise enfin, j’hurle à mon tour

- MAIS C’EST QUOI C’BORDEL DANS MON PUTAIN D’COU !?!?

Pourquoi la veille, j’ai eu la brillante idée d’me faire tatouer dans l’cou ? POURQUOI ??? Surtout une... licorne ? Et pourquoi j’ai reçu un message d’une personne qui m’surnommait licorne ? BON DIEU ! C’t’impératif qu’on doit retrouver c’qu’on a fait la veille parce qu’là, j’suis à deux doigts d’faire une syncope. QUE QUELQU’UN M’VIENNE EN AIDE BON SANG !!! J’suis littéralement en train d’perdre mes moyens. En plus, j’me sens surexcité, comme si j’avais pris d’la.... AH NON MERDE ! PAS D’LA DROGUE ! J’en peux plus, j’perds complètement les pédales. J’me mets à retirer toutes les couvertures, balancer les oreillers sur chacun afin d’les réveiller.

- S’FINI D’DORMIR LES GROS LOURD BORDEL ON S’RÉVEIL !!! QUELQU’UN VA M’RÉPONDRE DANS C’PUTAIN D’CHAMBRE D’HOTEL ? QU’EST-QU’ON A FAIT HIER SOIR BORDEL ???

Le tatouage de Killian:

 

Bordel, j’ai super mal au cou… Ah, oh, putain ! J’ai super mal au crâne aussi..! J’ai pas l’courage d’ouvrir les yeux. J’sens que la lumière va me bousiller. La sensation d’être retourné dans mes heures les plus sombres, celles où j’me détruisais à l’alcool et  à la drogue. Sauf que depuis plus d’un an, j’suis sobre. J’ai pas touché une seule de ces merdes. J’suis franchement fier de moi. Mais là, j’me sens mal, franchement mal, comme à l’époque où j’me foutais en l’air pour un oui ou pour un non. Puis j’sens cette odeur. Elle est bizarre. C’pas celle d’ma chambre où j’ai à cœur d’mettre des diffuseurs à la lavande. Non, cette odeur, j’la reconnais bien, c’est celle de la débauche.

Allez, faut qu’j’vois où j’suis. J’sais que j’suis pas chez moi, que j’suis pas chez quelqu’un que j’connais. D’autant plus que j’peux pas rester dans une position aussi peu agréable. Mes paupières sont à peine ouvertes que la lumière me déglingue la rétine et ça amplifie la douleur d’mon crâne. Putain ! Con d’soleil. Doucement, j’prends conscience de l’atmosphère autour d’moi. J’suis dans une salle de bain ? Bordel, j’ai dormi dans une baignoire ?! C’est quoi ce bordel ?! Qu’est-ce que je fous ici ? J’regarde les alentours, j’connais pas cet endroit. Où est-ce que je suis ? Difficilement, en me bataillant avec tout mon être, j’me lève. Obligé d’me tenir le dos comme un vieux alors qu’j’ai même pas encore quarante ans. Comment ça se fait que j’ai mal à tout mon corps comme ça ?

Lever ma jambe pour la poser sur l’sol, bordel, qu’est-ce que c’est compliqué… Mes muscles m’envoient un message, celui d’aller me faire foutre. Et qu’est-ce que la terre est basse. Rien ne va ! J’fais un p’tit tour, les yeux encore pratiquement fermés, juste de quoi voir rapidement où je me déplace, j’vais en direction d’la petite fenêtre. J’vois un grand casino juste devant moi. Eh, merde, putain, pas ça ! De l’autre côté, j’vois un bar/hôtel. Eh, merde… Si j’suis là où j’crois qu’j’suis, j’suis foutu. D’autant plus si j’suis dans cet état.


Dans un élan de déni, j’me réinstalle, confortablement, ‘fin, aussi confortablement qu’un être puisse être dans une baignoire et j’espère me réveiller. L’espoir, c’est tout ce qui me reste.

Même pas quelques secondes après ça, j’entends quelqu’un rentrer. Ça me fait penser qu’j’ai même pas pensé à sortir d’ici. Par pure esprit de déni, j’me retourne pas. J’m’en fous. J’veux juste me rendormir, putain. Espérer que tout ça n’est jamais arrivé. J’tente de fermer les yeux, à nouveau, jusqu’à ce qu’il hurle, l’autre teubé. J’reconnais, entre mille, la voix de Jayson. Putain d’merde. Quand il est dans l’coup, ça peut être que la merde. Encore plus que de base. Alors, j’me lève, à nouveau, difficilement. L’premier truc que j’vois, un peu en même temps, c’est sa chevelure. J’peux pas m’empêcher d’rire. Quel tête de con, purée ! Je sais que cette couleur me va magnifiquement bien, malheureusement, tout le monde n’a pas la même chance. Et certainement pas Jayson.

Au même moment, Killian débarque dans la salle de bain. J’suis vraiment dans la merde. Qu’est-ce que je fous avec eux, putain ? Qu’est-ce qu’il foute avec moi ? Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on se retrouve tous ici ? On dirait un mauvais flashback d’il y a quinze ans. Et malgré que j’réalise doucement qu’on est dans la merde, j’peux pas m’empêcher en voyant la gueule de Kill. J’pourrais pas expliquer pourquoi mais sa grosse tête me fait rire. Surtout dans cet état, on dirait qu’il s’est pris un bus, le con. Le fou rire quand j’vois son tatouage licorne sur le cou. J’ris tellement qu’j’entends même pas sa crise de nerfs. Quelle bande de cons, les deux.

« On dirait vraiment deux clochards ! »

J’dis ça entre deux crises de rire. J’me suis pas encore regardé dans l’miroir mais quelque chose me dit qu’j’m’en sors mieux que les deux zigotos.

« J’ai aucune putain d’idée de ce qu’on a fait hier soir. J’sais même pas où on est. J’sais juste qu’il fait chaud… et ça semble évident que ce n’est aucun d’vous qui me fait cet effet, dis-je en ricanant en guise de réponse à Killian. Quoiqu’à la vue qu’on a d’la salle de bain, on dirait Vegas mais ça m’étonnerait. »

Interdit dans l'État du Nevada depuis octobre 2014. Une succession de conneries qu’on a fait en une soirée. Mais ça valait grave l’coup ! On s’est vachement bien marrés, ce soir-là ! ‘fin, j’crois ? De ce qu’j’me souviens ? Oh, pour de vrai, j’en sais rien, j’étais trop défoncé.

La tenue d'Eugene, très discrète, of course:

 

Physiquement, je ne peux pas dire que je suis mal, mais j’peux définitivement pas dire que je vais bien. J’ai mal au crâne, comme souvent ; mais avec un p’tit côté pulsatile alarmant. Il y a aussi ces picotements dans les bouts des doigts, la sensation de soif, de chaleur, une forte sensibilité à la lumière, une putain de nervosité qui m'rend fébrile et bordel, j’ai trop envie d’pisser pour réfléchir !

- J’rêve tu t’fous d’ma gueule, toi, avec ton manteau blanc en poils de cul de bison ?

Que je m’insurge en désignant l’coupable d’une main qui tremble. J’cherche un appui, un peu d’soutien de la part de Killian en tournant la tête vers ce dernier, mais qui s’paye ma tronche aussi ! J’vais les butter ! Pourquoi j’suis blond ?! J’suis sûr que c’est une idée à eux là. C’est même pas blond ça, c’est décoloré cramé ! Pas que ça compte à mes yeux, mais là ! Faut pas pousser !!!

Mon regard glisse sur le cou de Killian, j’plisse les yeux, mais ouais…
Ouais c’est une putain d’licorne.

- J’t’en foutrais des clochards espèce de tocard !

Que j’gueule après Eugène, attrapant la couverture que Killian vient de me jeter à la gueule pour fouetter la face d’Eugène. Sauf que, les gars, mon équilibre a foutu l’camp, comme la noirceur de mes cheveux. Me v’la rendu à tomber dans la baignoire.

- PUTAIN MAIS J’VAIS NOUS PISSER DESSUS AVEC VOS CONNERIES !

J’peux vous assurer que là, j’le serre à fond mon pauvre sphincter urinaire !

Alors que j’essaie d’sortir de c’te baignoire sans m’pisser dessus, j’percute ce qu’il vient de m’dire, l’pote Eugène. Vegas ? Putain de Vegas ? Mes yeux s’rivent vers ma cheville.

- Si j’avais quitté Monterey, cette saloperie serait en train d’sonner et moi en taule, ok ? Alors arrête de dire des trucs pareil putain, Eugène, tu m'stresse !

S’il veut nous faire angoisser à coup de : on est à Vegas.
Bah c’est loupé mon pote ! Et ouais, j'sais encore réfléchir on dirait !

- On est bien à Vegas ! J’nous ai arrangé l’coup c'est pas génial les copains ?!

C’est quoi cette troisième voix ? J’connais c’te voix.

- QUOI ?!!!

Arnold.
Mon agent d’probation.
Ouais.
En slip à paillettes.
Juste là. Devant moi.

- DÉGAGEZ TOUS PUTAIN !!! J’PEUX PAS RÉFLÉCHIR LA VESSIE PLEINE !

J’attrape Eugène par sa fourrure dégueulasse pour le tirer vers Killian et me servir de lui comme bélier pour pousser tout l’monde en dehors de c’te maudite salle de bain. La porte se claque avec force et j’peux vous dire que c’pipi fut sans doute le plus long de l’histoire, j’en avais presque mal.

- Putain, mais j’ai bu l’équivalent d’mon poids ou quoi ?! Ça va jamais s’arrêter bordel !!!

Quand la dernière goutte tombe, j’suis soulagé et à la fois arasé. Ouais, franchement ça m’a épuisé ! J’dois être complètement sec c’est pas possible autrement !

Quand j’ouvre la porte, j’tombe vraiment nez à nez avec Killian, Eugène et…

- Non j’veux pas. J’refuse qu’il soit là l’autre avec son moule-bite scintillant. Non.

J’refuse d’être à Vegas, j’refuse c’te situation.
Puis j’décroche, encore. En regardant l’cou de Killian.
J’crois mon cerveau cherche juste à s’évader d’ici sans moi.

- J’ai déjà vu une licorne une fois, j’sais que vous voulez pas croire à mon histoire ! Mais j’l’ai vu… Mais elle était pas aussi bien coiffée que la tienne.

Sérieux, j’viens d’parler de coiffure, moi là avec ma tronche actuelle ?

- Eh les gars, détendez-vous, c’est Vegas, on s’amuse !

Ok, slip à paillettes est encore high, c’est sur et certain.

J’le fixe, j’me vois en train de lui encastrer la tête dans l’mur, j’vous jure, en plus j’en rêve depuis qu’il est mon agent de proba et qu’il m’donne des conseils à la con pour “aider” dans ma nouvelle vie après la taule. Là, j’me perds complètement dans la contemplation d’la violence qui va émaner de ma personne si personne ne m'retient d’ici dix… neuf… huit… sept… six...