Maison d'arrêt de Monterey
FT.    @Missy Fitzgerald  
tw :  douleur, prison, flashback sensoriels, langage grossier, idées noires 

Le retour à la case prison était particulièrement douloureux mentalement. A la maison d'arrêt, les couloirs sont interminables et bruyants à toute heure. Les lumières sont allumées en permanence, elles vous font perdre toute notion du temps et ainsi… Ainsi se sont écoulées plusieurs jours depuis la tempête. J’ai eu le droit à un p’tit tour à l’infirmerie pour panser mes plaies aux mains, bras et front. La douleur de mon dos, j’pouvais me la carrer bien profond… Pas d’antalgique ici. Pour ce qui est d’un p’tit massage, vu la moustache de l’infirmière, j’m’en passait bien volontiers.

- Ouais, t’as raison, tout va bien… J’marche comme ça depuis 2017, Pedro. Merci.

- Je m’appelle Jessica !

Bon, j’l’ai vexée… J’avais presque oublié qu’en prison, y’a pas de place pour l’humour. Pas l’ombre d’un sourire, d’un geste de compassion. On vous fait bien comprendre que vous êtes d’la vermine, des moins que rien. Alors j’ai regagné ma cellule, raide comme un piquet.

J’aurais aimé avoir la couchette du bas, mais le mec qui y roupillait avait les bras aussi gros que mes cuisses, alors j’ai pas voulu jouer au plus malin. J’étais juste épuisé, alors j’ai monté la p’tite échelle, j’ai réussi à m’allonger et j’ai fermé les yeux pour cesser de trembler et ne surtout… Surtout pas m’endormir.

Pourtant, j’étais épuisé. Épuisé par l’épisode du pont, par mon arrestation musclée argumentée par la cause de la sûreté du territoire. Leur mission était de garantir la sécurité des honnêtes citoyens, ce que je n’étais clairement pas à leurs yeux : je n’avais pas respecté ma part du contrat, mon bracelet s’était éteint. J’étais également épuisé par l'interrogatoire qui avait suivi à mon arrivée après 2h d’attente sur une chaise en métal, sans même une couverture pour réchauffer mes os glacés par la pluie. Une fois fait, ce fut une bien longue négociation pour avoir le droit d’exercer mes droits et passer un appel téléphonique que j’ai consacré à Jeremy afin de m’assurer qu’Azara allait bien. Puis à nouveau, interrogatoires sur interrogatoires, sur une chaise qui me torturait littéralement la colonne vertébrale, et avec les bras menottés : impossible de seulement un peu s’étirer… Alors quand j’ai eu la chance de me mettre à poil devant deux gardiens, de prendre une douche et d’ensuite revêtir une tenue carcérale, j’étais presque soulagé… Presque… Si tous ces protocoles ne remontent pas dans ma p’tite tête bien trop d’choses, bien trop d’idées noires. Très noires.

J’suis descendu d’la couchette que le lendemain, ici, c’est pire que la taule… On n’a le droit qu’à 20 minutes dehors par jour, j’avais si mal au dos que j’m’en serais presque passé, mais voir quelques rayons d’soleil ça m’a aidé à supporter le reste de la journée… Sombre, déprimante et douloureuse. J’ai été interrogé à nouveau, deux fois. Puis Albano s’est imposé en salle d’interrogatoire et dégagé les autres pour parler cinq minutes. J’ai pas capté tout c’qu’il disait… A part qu’il me ferait sortir de là. J’devais le croire, j’avais que ça de toutes manières.

Le jour d’après, j’ai passé l’après -midi à l’infirmerie avec Jessica. J’étais tombé de l’échelle, mon dos ne me foutait pas la paix. Elle a fait venir le médecin, un vieux machin qui sent déjà le cadavre, j’avais la gerbe dès lors qu’il a posé ses doigts fripés sur la peau de mon dos. Ce contact me dégoûtait tellement que j’en avais oublié ma douleur, jusqu’à ce qu’il appuie quelque part qui m’arrache un cri de douleur.

- Fils de pute du jurassique !

J’ai eu l’droit à une injection de Morphine…
Alors rendez-vous au jour d’après.

J’savais plus à quel jour j’étais rendu, j’me suis seulement reveillé dans une cellule différente sur la couchette du bas. Bordel, j’ai dormi. J’ai passé l’reste de la journée à fixer les lattes du lit d’au dessus et j’luttais contre l’envie de faire un nœud avec mon drap. J’vais sortir d’ici, Albano l’a dit… Il a dit que Missy allait témoigner… Missy… J’me suis surpris à penser à elle quelques fois… Faut dire, ici on a que ça à faire, c’est normal, non ?

- Salazar, à la grille.

Je me lève péniblement et avance jusqu’à la grille pour présenter mes mains. La porte s’ouvre, mais pas de menottes cette fois. Mes yeux verts s’éclairent à nouveau.

- Je sors ?

- Ouais, apparemment ils n'ont rien trouvé contre toi, tu vas pouvoir fêter Noël dehors.

On me remet un nouveau bracelet électronique à la cheville, je ne m'étais même pas rendu compte que je n'en avais plus... C’est au moment d’me changer, dans des fringues qui ne sont pas à moi - j’me suis imaginé que c’était Azara qui les avait déposés pour moi - que j’me rends compte que je pue. Vraiment… J’ai tellement transpiré avec la douleur et pris aucune douche à part celle de l’arrivée, j’ai même une barbe pas mal bordélique… Mais clairement j'm'en fou de mon apparence, je veux juste sortir d'ici.

On me rend mes effets personnels dans un sac plastique transparent.

- J’avais pas un paquet d’clopes ?

- Non.

Menteur. Putain.
Tous les mêmes.

J’me dirige - d’un pas encore amplement handicapé par la douleur - vers la première grille, deuxième, puis avant la porte de sortie… Assise sur une chaise, toujours aussi belle, plus encore que les fois où j’ai pensé à elle.

- Missy ?

J’sais pas ce qu’elle fait là, peut-être qu’ils l'interrogent encore, à cause de moi ? Bordel, j’me rend compte qu’elle a toutes les raisons du monde de détester désormais. J’suis tellement épuisé, tellement détruis, bouffé par cette nouvelle expérience carcérale… Tellement dévasté, qu’elle m’voit comme ça… J’peux pas la retenir, cette fichue larme qui m’fait détourner l’visage en direction du mur. Un jour de plus, je l’aurais fait ce noeud… Je l’aurais fait.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Que j'demande, essuyant d'mes doigts tatoués et tremblotants, ma barbe dans laquelle c'te larme est venue échouer. J'relève des yeux verts flous d'humidité en sa direction. Croyez moi que si j'avais la capacité physique de le faire, je prendrais lâchement mes jambes à mon cou.

 Maison d'arrêt de Monterey
FT.    @Jayson Salazar  
tw : catastrophe naturelle 

 Les deux pieds ancrés au sol, j'regarde tout autour de moi, j'entends des cris à glacer le sang et j'vois des gens qui tombent dans une rivière. J'me retrouve sur un pont qui est en train de s'effondrer juste sous mes pieds. Ce que je suis en train de vivre semble tellement irréel. Comme si j'étais en train de prendre part au tournage d'un film d'action et que, malgré moi, j'étais devenue un personnage fictif sans même en être informée. À mes côtés, je ne retrouve aucun visage familier. Je suis seule à travers une dizaine de personnes, je vais mourir seule... encore une fois. Le pont s'effondre, mon corps plonge vers le vide dans une chute interminable et j'ouvre brusquement les yeux. Respiration saccadée, mains moites, lit trempé par ma sueur. Encore ce foutu cauchemar que je fais à répétition depuis vendredi passé ! Même si quelques détails varient à chaque nuit, je me retrouve toujours sur le même pont. Seulement que, parfois il s'écroule avant même que je n'ai le temps de me mettre à courir, alors que d'autrefois, je réussi à atteindre la berge juste à temps...

Alors que j'fixe celle qui dort à poings fermés juste à mes côtés, j'remarque qu'elle ne semble pas bouger d'une miette. La noirceur dans laquelle nous sommes plongée ne semble pas l'effrayer, ni même ce que nous avons vécu vendredi dernier. Je ne pourrais pas en dire autant. J'ai maintenant peur de fermer les yeux la nuit. Entre les cauchemars sur l'accident de mon mari et les cauchemars sur les ponts, le sommeil commence à s'faire difficile à trouver. Je fixe le cadran devant moi. Minuit. Nous venons officiellement de tomber vendredi. Déjà une semaine s'est écoulée depuis. J'ai l'étrange sensation que quelque chose devait se produire ce même vendredi. Que pourtant, ma soirée promettait d'être tout sauf cauchemardesque. Même que, j'avais attendu vendredi avec impatience. Maintenant, j'arrive à peine à me remémorer pourquoi...

Je me retourne un nombre incalculable de fois, essayant de trouver le sommeil dans une autre position. Incapable de fermer les yeux, mon regard se pose sur la table de chevet où j'aperçois un petit boitier noir. Je sais ce qu'il cache à l'intérieur. Un téléphone. Voilà. Voilà ce que je devais faire vendredi. Mes pensées me frappent, le revoyant lui, celui qui s'était présenté à nous sous la forme d'un héros. Jayson. Il en a sauvé des vies sur ce pont. À commencer par celle qui dort à poings fermés à mes côtés. Mon cœur se resserre juste à cette pensée. Il n'a pas connu le même sort que nous. Que Lois, que Celian, que moi... Il n'a pas eu la chance de retourner auprès de sa famille lorsque tout ceci s'est terminé. Il n'a pas eu la chance de revoir Azara, sa fille. Alors que moi, égoïstement et grâce à lui, je suis chez moi en train de flatter tendrement les cheveux de ma fille.

Cette semaine n'a pas été de tout repos. Essayer de retrouver un rythme de vie normal a été plus difficile que je ne l'aurais cru. Sin n'est pas retournée en cours depuis le début de la semaine et moi, contrairement à elle, j'ai dû m'absenter assez souvent. Me déplacer plusieurs fois au commissariat pour témoigner en faveur de Jayson Salazar. Un homme complètement innocent de ce qu'on l'accuse. Ils m'ont alors demandé de dresser un portrait complet de lui. Mais qu'est-ce que j'aurais bien pu leur dire ? Jayson est avant tout… une connaissance ? Une rencontre hasardeuse ? Non. Pour ça, je devais faire appel à celle qui le connait le mieux. Heureusement que j'ai gardé son téléphone, comme ça, j'ai d'office pu contacter Azara. Après avoir dépeint un portrait de Jayson le plus fidèle de lui possible, j'ai dû expliquer en long et en large tout ce qui s'était réellement passé sur ce pont, le rôle qu'il y avait joué et ce que moi j'avais connaissance d'avoir vu. Après quelques jours seulement, les nombreux témoignages que Jayson a réussi à récolter ont semblé porter fruit. Le voilà qui sortira ce soir ! Quelle bonne nouvelle !

Je n'ai aucune idée du pourquoi, mais j'ai choisi de me vêtir de façon à ce qu'il n'ait pas d'autre choix que de poser un regard autre qu'innocent sur moi. J'opte pour les épaules nus, des cheveux bouclés tombant en cascade dans mon dos et un maquillage plutôt léger. Après tout, je vais seulement le rejoindre à la maison d'arrêt non ? J'espère juste que... lorsqu'il me verra, il sera un peu… surpris ? Il faut dire que la première fois que l'on s'est vu, j'voulais même pas d'un rendez-vous et la dernière fois que l'on s'est croisés, je m'y en attendais encore moins... Alors ce soir, j'voulais bien faire les efforts.

J'suis assise sur une chaise, totalement impatiente de le voir à nouveau. L'attente me semble tellement longue que j'en serais presque à me demander si c'est vraiment ce soir et si j'me suis pas gourrée de soir. J'suis complètement ailleurs, vous m'connaissez. Et d'ailleurs, j'suis tellement ailleurs que j'sais même plus ce que je fais là... jusqu'à ce qu'une voix bien précise s'élève pour venir me le rappeler. J'entends mon nom avec une espèce d'interrogation... ça me glace le sang d'entendre sa voix. Une semaine... et pourtant, ça m'a paru une éternité. Alors, je n'ose même pas imaginer pour lui comment le temps a dû être long. J'me relève de la chaise pour lui faire face

- Jayson ?

Oui, j'me pose réellement la question à l'instant parce que... j'le reconnais pas. Il a rien à voir avec le mec déguisé en abeille. Physiquement parlant, mais aussi intérieurement.Non. Pourquoi ? On semble l'avoir perdu à nouveau... Quelques jours seulement et retour à la case départ. J'aimerais bien dire que mon regard sur lui n'a pas changé, mais ce serait bien faux. Au contraire. J'aurais pu prendre mes jambes à mon cou et m'enfuir. Me dire que je n'veux pas de cette version de lui. Mais j'le fais pas. Parce que maintenant, j'en connais trop sur lui qui me plait pour pouvoir fuir simplement dû à son profond mal-être. Au contraire. J'ai envie plus que jamais de l'aider. J'peux pas le laisser faire. Il semble vouloir me repousser, mais c'est hors de question. Alors, je le force à me regarder, déposant mes mains contre ses joues, glissant légèrement sur sa barbe piquante.

- Je te ramène à la maison.

J'espère sincèrement qu'il acceptera de me suivre parce que la soirée ne se termine pas là. J'ai une belle surprise pour lui qui l'attends. Pour, ne serait-ce qu'un instant, égayer un peu de ce qu'il en reste.

 Maison d'arrêt de Monterey
FT.    @Missy Fitzgerald  
tw :  douleur, prison, flashback sensoriels, langage grossier, idées noires 

J’me souviens à c’moment précis, de toutes les fois où j’me suis apitoyé sur mon sort à Atwatter, oh bien sûr, jamais je n’avais verbalisé mon apitoiement. J’l’avais ravalé, vécu de l'intérieur… Ce dégoût de moi même, c’te prière silencieuse que surtout… Surtout… Personne qui compte à mes yeux ne m’voit comme ça. Jamais. J’me souviens à quel point j’avais souffert en sortant de prison, en étant enfin libre. Pas sur le coup, parce que j’avais été trop soulagé de retrouver le monde de dehors, trop pressé de dormir… Pour de vrai… Mais quand il a fallu prendre le bus pour rentrer à Monterey, que j’ai réalisé que j’étais dehors depuis plusieurs jours et que personne n’était venu pour moi. Cette douleur, elle ne me quitte jamais.

Ne pas vouloir être vu ainsi.
Ne pas vouloir être seul.
Deux souhaits parfaitement incompatible.

Mais finalement, ces deux idées rejoignent une seule et même peur. Celle de ne compter pour personne, d’être abandonné pour ses faiblesses. Je ne m’attendais pas à ce que qui que ce soit vienne pour moi cette fois-ci. Je n'espérais rien, parce que j’avais bêtement cru à ça, la première fois. J’ai cru que ma famille ou mes amis viendraient… C’est cette solitude qui vous donne de sales idées une fois libéré, l’sentiment de ne rien valoir de plus, de mériter tout ça…

Je n’étais pas certain de mériter la présence de Missy.
Je n’étais plus certain de quoi que ce soit, après une semaine ici.

Ses mains tièdes sur mes joues froides, je sens cette chaleur à travers les poils anarchiques de ma barbe. J’me sens mal, comme si au moment où elle allait ôter ses mains, celles-ci seraient recouvertes de cette couche de crasse que je trimballe sur moi. Quelle folie ouais, de me toucher moi, je suis tellement répugnant. Mes yeux verts se perdent dans les siens, dans c’bleu qui m’regarde moi… Comme si j’existais encore. J’existe encore.

- Missy tu…

Putain. Tu m’fais quoi Missy ?

Cela me demande de puiser furieusement dans mes dernières ressources mentales pour ne pas m'effondrer tellement… Tellement ce qu’elle fait pour moi est douloureusement réconfortant. Cette phrase, si elle savait… Elle ne doit jamais savoir. Comme elle n’aurait jamais dû me voir comme ça. Ici. Jamais. Alors… Peut-être qu’elle doit savoir.

Mes paupières se sont fermées quelques secondes, ce geste sur mon visage, c’était terriblement doux. Je voudrais que ça dure sans fin, mais pas ici, avec ces bruits de fond qui me rappelle l’enfer de ces derniers jours.  Je l’ai regardé à nouveau, opinant doucement du chef.  

- Partons d’cet endroit d’merde…

C’était un peu trop tôt, pour lui dire ce que j’ressens, là tout d’suite… Elle est tellement belle, cette robe…. Cette robe ça m’fait oublier l’gris de cet endroit, ça m’fait même oublier de me réjouir des lumières de dehors, des bruits de la ville… Il n’y a qu’elle ce soir. Une présence comme un soleil, réchauffant mon âme, mes pensées avant tout. J’ai mal, mal partout. Mon dos est un objet de torture, mes pas se font tant bien que mal jusqu’à l’extérieur. Le plus douloureux sont les escaliers, je réalise à quel point j’ai morflé, à quel point tout ça n’est pas que dans ma tête. Les images de cette nuit sur le pont ne me quittent pas, en plus du reste… Je me demande si Missy, elle, a trouvé le sommeil, elle a l’air reposée… Ça aussi, c’est réconfortant. Mais je crois que n’importe qui aurait l’air reposé à côté de moi.

- J’pensais que c’était le matin.

On en est très loin. Je ne sais même plus le jour que nous sommes. Je sais seulement que ça n’aurait pas dû se passer comme ça, ni la deuxième, ni la deuxième fois que je reverrais cette femme. Pourquoi est-ce que ça compte autant pour moi ? Les gens n’ont aucune idée de ce que ça fait, de ne plus se sentir confortable avec autrui, ni avec soi-même… Alors, cette sensation offerte au cours de notre première soirée ensemble, j’me raccroche à ça… J’m’accroche au fait qu’il y a au moins cette personne extraordinairement trop bien pour moi qui malgré tout n’attends pas de moi que je fasse plus que le peu de mieux que j’suis capable de produire.

- Merci…

Que j’lui dis après avoir à nouveau happé son regard dont je ne me sens pas réellement digne. Et j’sais pas, par quel processus de pensées j’suis arrivé à cette brutale conclusion alors que je réalisais à quel point elle était vraiment trop sublime pour venir chercher un pauvre type en cabane…

- J’veux dire, t’as sans doute annulé tes plans pour venir me chercher… T’es très belle, j’espère qu’il ne m’en voudra pas trop… Enfin… Ton rendez-vous quoi…

J’me dis que ouais, c’était inévitable qu’elle s'intéresse à quelqu’un qui ne finit pas plaquer au sol devant ses yeux et ceux de sa fille par une bande de fédéralistes au cœur d’une scène de chaos… Moi, elle m’a fait rêver et ce fut des plus agréables. Malgré tout, elle était là pour moi ce soir, je ne pouvais rien lui demander de plus… J’réfléchis déjà mal en temps normal mais la fatigue n’aide pas… J’me rend bien compte que j’lui dis juste pas ce que j’ai sur le coeur, parce que j’ai peur d’aller trop loin si j’commence un jour à déblatérer sur des trucs que je ressens.

 Maison d'arrêt de Monterey
FT.    @Jayson Salazar  
tw : aucun 

 L'amour intemporel, je ne l'ai vécu qu'une seule et unique fois et je continuerai de le vivre au gré de ma vie. Même si l'être avec qui j'ai partagé ces sentiments privilégiés n'est plus, l'amour que nous avons vécu ne se résume pas qu'à de vastes souvenirs continuant de vivre dans ma mémoire. Il en reste beaucoup plus. Ce que nous avons ressenti s'est forgé à travers un seul instant, a perduré dans le temps, a débordé hors du temps, mais s'est aussi étendu sur l'éternité. Notre amour est et restera immuable, infini, immortel, intemporel... et je le chérirai toujours précieusement dans mon cœur.

Mais je sais qu'arrivera un moment où je devrai mettre de côté tous ces sentiments, qui parfois, sont encore trop forts et trop présents, ancrés dans ma personne.
Au moment où mon regard rencontre celui de Jayson, le temps semble se figer, s'arrêtant brusquement. Comme si tout autour de nous ne semblait plus qu'être superflus. Je n'arrive même plus à me souvenir que nous sommes à la maison d'arrêt. Un détail à lequel je n'accorde pas trop d'importance, contrairement à celui que je viens chercher. J'en comprends alors que nous sommes en train de partager cet instant. Notre instant. Le seul et unique requis afin que ces sentiments puissent émerger. Que tout se place, que tout prenne son sens.
Serais-je censé de le voir comme un être repoussant ? Peut-être que c'est ce qu'il attendait de moi ? Que je le déçoive, comme la majorité des autres ? Pourtant, le seul regard que j'arrive à poser sur lui n'a rien d'un regard de dégoût. Au contraire. Je n'arrive plus à détourner les yeux. Je suis captivée, perdue dans ce regard verdâtre qui ne m'offre rien d'autre en retour que de la honte. Sentiment premier que j'arrive à détecter dans ses yeux humides. Je le vois pertinemment qu'il essaye tant que possible de lutter contre une grande envie. Probablement celle de s'effondrer sous mes yeux.

Lorsque je l'entends balbutier quelques mots, j'ai l'impression de replonger dans le temps et retrouver tout ce qui nous entoure. Je ne peux que difficilement cacher la petite déception qui me gagne. Dommage que ce moment ne puisse durer éternellement...
Je me recule légèrement, secouant doucement la tête, essayant de retrouver mes esprits. Qu'étais-je en train de faire ? Même en sachant à quel point Jayson n'aime pas le contact physique, je ne me suis pas gênée pour plaquer mes mains contre ses joues. Même si ce contact ne semble pas l'avoir fait tressauter, je me rends compte que j'ai été très intrusive, ce qui est peu dans ma nature. Je me demande même ce qu'il voulait bien me dire... mais je décide de ne pas relever ses hésitations, préférant me concentrer sur ces réelles envies : quitter cet endroit le plus rapidement possible. Heureusement que j'avais ma voiture qui nous attendait à l'extérieur.

- Espérons que tu n'y remette jamais les pieds.
Un faible sourire vient border mes lèvres.

Alors que nous marchons vers le stationnement, je me rends bien compte que Jay peine à marcher. Probablement son dos qui fait encore des siennes. Il faut dire qu'il avait vachement été amoché sur le pont.

- Attends

Dans un réflexe, je viens poser mon épaule en dessous de son bras, essayant tant bien que mal de mettre son bras autour de mon cou pour soulever du mieux possible le reste de son corps. Jay n'est pas très lourd, mais pour un petit bout de femme comme moi, c'est plutôt difficile de le traîner comme ça. Par chance que j'suis très en forme.
J'peux rapidement voir qu'il a un peu perdu la notion du temps en étant enfermé ici, pensant qu'on était le matin. Pourtant, il commence à faire assez noir dehors.

- Il est 20h.

Le pauvre, ça doit bien le déstabiliser de savoir que le temps à continuer d'avancer, alors qu'il semble toujours être resté à la même place. Lorsqu'il me remercie, j'suis plutôt mal à l'aise. Je ne cherche absolument pas les remerciements. Je suis là, tout simplement parce que j'en ai envie. Et j'crois que c'est bien important qu'il le sache.

- Pas besoin de me remercier, je suis là parce que j'en ai envie...

Oui, j'en ai envie. Tout autant que j'ai attendu vendredi passé avec impatience. Parce qu'au fond, je savais très bien que j'allais le revoir.
Et puis, lorsqu'il se met à parler de mon rendez-vous, là, j'comprends plus rien...

- Mon rendez-vous ? De qui est-ce que tu parles ? Annuler mes plans ? Quoi ?

Y a plus rien qui est clair. On pourrait presque entendre la panique qui s'installe dans ma voix. Le seul plan que j'avais ce soir, c'était de sortir Jay de là et de le ramener chez lui.

- Mon seul rendez-vous ce soir, c'est avec toi...

Bien évidemment que toute ma soirée lui était dédiée. Je n'allais tout de même pas simplement le reconduire chez lui et le laisser là, pour aller rejoindre un autre homme ? Ça ne faisait aucun sens ! Nous voilà enfin à la voiture. J'aide Jayson à entrer à l'intérieur en lui ouvrant la portière et en lui baissant légèrement la tête. C'est qu'il est un peu grand pour entrer dans ma toute petite voiture compact.

En chemin, j'avoue que je ne sais pas trop s'il a envie de discuter ou non. Mais comme l'immeuble communautaire n'est pas si loin, il n'aura pas forcément besoin de parler. Je sais comme le silence peut parfois être réconfortant. Moi ça me convient amplement. Pourtant, j'aurais une tonne de choses à lui dire, à lui demander.
Arrivés juste devant l'immeuble, je me stationne et je regarde Jay en lui disant

- Avant que tu entres à l'intérieur, j'crois qu'il y a certainement une personne avec qui tu as plus besoin de passer une soirée qu'avec moi.

Je tourne la poignée et surprise ! On tombe sur...

 Maison d'arrêt de Monterey - Immeuble communautaire
FT.    @Missy Fitzgerald @Azara Salazar       
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Elle vient glisser son épaule sous mon bras, cette proximité avec elle… Elle ne me provoque rien de désagréable, bien que l’impression de la salir soit toujours pesante. Je me sentais crasseux. Flash info : je suis crasseux. Je pense que la maison d’arrêt se félicite pour mon départ, rien que pour l’odeur. Elle ne fait aucun commentaire à ce sujet, Missy. Je ne suis qu’un homme privé d’hygiène depuis quelques jours déjà dans des conditions physiques plus que bancales… Mais les gens n’hésitent jamais à juger, pas Missy. On se dirige vers sa voiture, une nouvelle voiture. Ça me rappelle que je n’ai plus de moyen de locomotion avec toute cette histoire, certainement plus de job non plus… Ça ne m’inquiète pas plus que ça, pas pour le moment.

Il est 20h.

De quel jour ? Je ne sais plus.
Ça n’a pas vraiment d’importance.

Mes yeux verts la fixent le temps de ses déclarations. Elle a fait le déplacement pour moi, moi seul. Cette robe l’étais également, ce n’était pas tant la robe en soit, bien que très jolie et cette couleur réconfortante. Non, c’était le fait qu’elle ait eut envie de la passer pour venir me chercher. J’étais incapable de dealer avec l’ensemble des émotions qui m’étreignent à cet instant, si elle savait… Je ne sais pas moi même.

Je me baisse tant bien que mal, guidé par la main de la blonde pour parvenir à m’asseoir dans la voiture. J’étais pas mal grand, le mètre quatre-vingt était bien dépassé, ce qui me rendait plus haut que la blonde de plus d’une vingtaine de centimètres. Croyez moi, être aussi grand et mince, était un vrai casse tête pour se vêtir. Je n’étais pas voûté, comme la plupart des gens trop grand avec une faible carrure, pourtant, il y avait du poids sur cette échine qui pourrait l’avoir courbé depuis des années. J’ai toujours marché la tête haute, même avec aucune fierté.

J’attends qu’elle me rejoigne, j’me pose pas trop d’questions… Ni de savoir comment elle sait où je vis, ni comment elle a su que je sortais ce soir. J’la regardais seulement, elle. J’en oubliais mon besoin de fumer une clope, ce putain de sevrage tabagique tombait franchement mal, mais j’crois que sa présence à elle, ça m’apaisait bien plus que toute la nicotine du monde.

- Missy… Je suis heureux de te revoir.

Parce que si j’avais fait c’noeud, en fait… Je ne l’aurai jamais revue. Jamais je n’aurai su qu’elle serait venu m’chercher. J’étais épuisé, alors la conversation ne se fit pas dans la voiture, je regardais seulement les lumières de la ville se refléter sur la blancheur de sa peau. C’était tellement beau, j’crois que j’aurai pu m’endormir, en totale insouciance, mais la voiture arrive vite en bas de chez moi, le moteur se coupe et on sort de cette voiture bien proche du sol. C’est douloureux, mais y’a pas vraiment de douleur qui me stoppe dans c’monde.

On entre dans l’immeuble, j’étais bien content de ne croiser aucun voisin. Les escaliers jusqu’au premier pallier fut terrible, j’avais l’impression d’être un vieillard et bien que je m’efforçais de ne pas trop m’appuyer sur l’épaule de la jeune femme, je du admettre que ce soutien fut necessaire. C’est une fois devant la porte, exténué, que je l’écoute reprendre la parole.

- Une autre personne ?

J’eus pas vraiment l’temps de réfléchir, j’entend un bruit derrière la porte et j’me souviens à cet instant que j’ai un chien. Goliath, un p’tit chihuahua mité auquel je tenais beaucoup. C’était d’abord l’effroi de l’avoir oublié et ensuite le soulagement de me dire qu’il était… En vie. Bordel. Sauf que mon chien, j’lui ai jamais appris à ouvrir les portes.

J’me retrouvé serré dans les bras d’Azara, mes bras entourent doucement le dos de ma fille tandis que mes yeux se ferment pour ne pas laisser échapper cette flopée d’émotions qui s’agitent dans ma poitrine. J’la serre à mon tour, j’la retiens un peu parce que j’devrais ouvrir les yeux quand elle reculera et je n’étais pas encore prêt.

- Oui. On fera comme ça ma puce…

Lui répondais-je avec un p’tit sourire, puis je fini par la relâcher. Mon regard, il lui dit à quel point je l’aime, à quel point je suis désolé aussi. La revoir là, dans ces circonstances… J’peux pas dire que ça ré-écrit l’histoire, mais ça m’donne de l’espoir concernant sa suite. Ça me réconcilier un peu ouais, un peu avec la vie. J’sais que ça ne parait rien, mais la présence de ma fille ce soir, c’est beaucoup et ce malgré le triste état dans lequel j’me trouve.

Goliath est en train de courir comme un fou à travers l’appartement en jappant comme un possédé avant de venir se frotter à mes jambes et…

- Bordel…

Ouais. Il a fait un pipi d’joie.

- L’odeur. C’est l'odeur, il a du m’prendre pour une poubelle…

J’tourne la tête en direction des deux femmes, pour les trouver dans les bras l’une de l’autre. Je ne vois que le p’tit visage surpris de Missy qui s’extirpe de l'épaisse chevelure noire d’Azara, j’lui adresse un léger sourire, mes yeux sont légèrement plissés par la fatigue mais j’voudrais juste… J’sais pas… Lui dire que ce qu’elle vient d’faire pour moi c’était juste incroyable. Ouais, c’te situation là, m’parait tout simplement merveilleusement lunaire. J’espère qu’il n’y a personne d’autre de cacher la dedans, parce que je n’étais pas certain d’pouvoir contenir davantage mes émotions. J’tend la main en direction de l’épaule d’Azara, histoire qu’elle laisse un peu Missy respirer et aussi, par besoin de capter son attention.

J’voulais lui dire que j’étais désolé.
Au plus profond d’mon âme…

J’passe mes doigts sur son p’tit pansement sur le front, un air soucieux qui contractait un peu mes sourcils avant que mon visage ne se détende dans un sourire.

- Tout va bien.

J’n’avais pas sincèrement pensé cette phrase depuis une éternité.

 
 Maison d'arrêt de Monterey
FT.    @Jayson Salazar & @Azara Salazar   
tw : aucun 

Alors que nous venons de rejoindre ma voiture, juste avant de décoller vers notre destination, je m'arrête un instant pour désamorcer ces paroles qui viennent complètement me bouleverser. Je suis profondément touchée par la confession que vient de me faire mon copilote. Il est heureux de me revoir. Entendre ces mots sortir de sa bouche est comme une douce mélodie qui résonnent à mes oreilles. C'est drôle parce que, je ressens exactement la même chose à l'instant. C'est aussi exactement ce que j'ai ressenti lorsque je l'ai aperçu devant moi. Même si la joie n'aurait pas forcément été le premier sentiment à lequel il se serait attendu de me procurer, je n'ai pu faire autrement que de la ressentir à pleine capacité. Même si le Jay qui me faisait face n'était pas le même que celui que j'avais eu la chance d'apercevoir lors de notre premier "rendez-vous" ni le même que sur le pont, jamais je n'aurais pu ressentir de dégoût ni même de honte envers lui. Parce qu'il est très loin de m'inspirer de tels sentiments. Ni maintenant, ni jamais.

Un sourire que je réussi -très mal- à dissimuler vient naître sur le bord de mes lèvres. J'suis sur le bord de la niaiserie. Je suis comme une enfant prise au dépourvu. Je ne sais plus quoi dire. Je suis... gênée ? Oui, totalement. Mon attitude est plus que pathétique. Et je n'sais même pas pourquoi, mais je n'suis pas capable de lui retourner ses paroles. Et pourtant, je suis très heureuse de le revoir aussi ça ne fait aucun doute... Juste, j'crois que je suis plus mauvaise pour exprimer ce que je ressens.

Sur la route empruntant le chemin de la maison d'arrêt jusqu'à l'immeuble communautaire, le trajet se fait dans le silence le plus total. Cette atmosphère est plutôt apaisante. J'crois qu'elle l'est bien aussi pour Jay qui semble somnoler à mes côtés. De mon côté, j'en profite pour simplement écouter la musique douce émise par la radio. Le voir fermer doucement les yeux à mes côté prouve qu'il me fait confiance. Enfin, je l'espère. Même pas besoin de parler, nous aurons tout le temps nécessaire pour le faire lorsque nous serons arrivés à destination.

Aider Jay à monter jusqu'au premier fut plus difficile que je ne l'aurais cru. Par chance que mon cardio est bien développé, parce qu'à un moment, j'ai bien cru qu'on resterait en bas. J'suis toute excitée à l'idée qu'il découvre enfin sa "surprise". J'crois que ça s'annonce bien. Il ne semble pas fâché lorsque je lui apprends qu'il y a une autre personne. Il semble plutôt surpris en fait. J'espère qu'il ne m'en veut pas d'avoir pris les devant et que j'invite quelqu'un d'autre chez lui. En arrivant devant la porte, j'viens d'comprendre qu'il avait un chien et non, l'autre personne n'est pas le chihuahua démon de Jay qui n'arrête pas d'hurler de l'autre côté de la porte. C'est bien le seul que l'on entend à ce moment. J'peux comprendre sa joie d'avoir un peu d'action par chez lui le pauvre, mais à un moment, il devra se calmer.

Alors que je tourne la poignée, on tombe sur... Azara qui saute immédiatement dans les bras de son père. C'est définitivement le moment le plus adorable à lequel j'ai eu la chance d'assister dans la dernière année. La relation qui unit Azara et Jay est au-delà de ce que je n'aurai jamais avec mes filles. Je me surprend presque à verser une larme, alors que je les observe l'un dans les bras de l'autre. Je suis tellement heureuse de pouvoir participer à ses retrouvailles. Je sais comment Azara est la personne la plus importante dans sa vie et je peux maintenant le constater de mes propres yeux.

C'est maintenant à mon tour de vivre une surprise ! Azara qui me sert dans ses bras. Je ne m'attendais certainement pas à celle-là ! Depuis maintenant des années que je n'ai même plus droit à des câlins aussi spontanés de la part de mes deux filles. Alors, je ferme les yeux pour profiter pleinement de ce quelques secondes de douceur plus que bienvenue. Je resserre son étreinte et croise le regard de Jay. Quelque peu mal à l'aise, j'appose une petite tape dans son dos, signe voulant dire que c'est le temps pour nous de nous séparer.

Maintenant que la surprise est dévoilée, il est temps de passer aux choses sérieuses. Regardant Azara, j'lui lance

- Bon, j'crois que c'est le temps d'aller à la douche pour ton père et pour nous de faire connaissance. Que dirais-tu de nous faire du thé ?

Quoi de mieux que de s'assoir autour d'une bonne tasse de thé et de se raconter toutes les choses embarrassantes à propos de son père ? Même si, dans ce domaine, je crois en connaître déjà une bonne partie à propos de lui.

 Immeuble communautaire
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J’sais pas c’qu’il avait d’si horrible mon ancien rideau de douche, j’me trouvais déjà bien chanceux d’en avoir un après avoir passé 5 ans à me laver dans des douches scandaleuses. Des douches que je prenais aussi rarement que possible, franchement, y’avait pas grand monde en taule qui se lavait tous les jours. Le p’tit lavabo de la cellule faisait souvent l’affaire, une hygiène précaire mais l’assurance de pas avoir trop d’ennuis, c’est comme ça… J’voulais plus y penser à tout ça, mais ce passage à la maison d’arrêt avait ravivé ces souvenirs que j’essayais tant bien que mal de balayer sous l’tapis… C’tapis psychique qui était complètement gondolé d’partout tellement j’avais d’choses à y enfouir. J’suis pas mal certain que si j’essayais d’le soulever, se serait-ce que par un coin, j’m’en remettrais jamais… La preuve.

- Merci…

Si j’avais plus d’énergie, j’lui aurais probablement dit qu’elle n’avait pas à dépenser tout cet argent pour moi. Surtout aprés cet épisode concernant Jeremy et les combats illégaux, la merde noire dans laquelle il pourrait nous mettre au passage… Car rien n’était jamais complètement fini dans ce milieu, même si j’aimais essayer d’croire que pour moi la boucle est bouclée. Rien m’garanti qu’une fois libéré de ce maudit bracelet électronique, l’on vienne m’emmerder… Qui sait ? J’en sais rien, en tout cas, j’avais encore quelques mois pour essayer d’être plus solide… Essayer, c’est c’que j’fais tout l’temps, mais j’réussi pas grand chose.

A quoi bon lutter ou jouer le père trop fier pour accepter l’aide de son enfant ? J’suis pathétique, il n’y a qu’à m’regarder. C’est sans doute dans l’top 5 de mes pires cauchemars, d’être une charge pour ma fille, pour ceux que j’aime. J’me suis senti d’trop bien assez souvent, mais y’a ce sourire sur l’visage d’Azara… Ce sourire naturel, heureux, j’crois. Ça m’suffit largement. J’suis trop épuisé, trop douloureux, pour m’torturer les méninges. On verra ça demain.

Mes yeux clairs se posent une dernière fois sur Missy, s'attendrissent au milieu de toute cette crispation induite par la douleur et la fatigue. Je n’arrive pas à comprendre tout c’qui s’passe, j’y pense pas vraiment. J’la trouve juste lumineuse cette Missy, ça m’fait du bien, cette lumière. Sa présence m’fait du bien alors, pour faire un raccourci… Elle apporte de la quiétude à mon esprit naturellement agité, juste parce qu’elle est là, avec cette douceur un soupçon maladroite qui la caractérise. J’veux pas m’souvenir de sa douleur, sur l’pont, je préfère la voir comme ça.

J’laisse donc ces dames à leur eau tiède pour me rendre dans la salle d’eau. J’suis bien content d’échapper au thé, j’trouve ça absolument dégoûtant. Pas aussi dégoûtant que l’mec que j’viens d’voir dans l’reflet du miroir. Bordel. J’rassemble lentement des vêtements propre au bord de l’évier sans me soucier de l’accord des couleurs. J’préfère lui tourner l’dos, à ce type, alors que j’me déshabille de geste d’une lourde pesanteur. Dans la douche, j’dois prendre quelques inspirations avant de me motiver à ouvrir l’eau, j’ai vraiment un problème avec ça j’crois… Les douches. La sensation de l’eau sur ma peau, c’picotement désagréable qui m’court le long de la colonne vertébrale. J’me dépêche malgré la douleur, pour échapper à ses sensations.

M’habiller, flotter dans mes vêtements. Check.
Avoir mis son sweat à l’envers. Pas prévu, mais check.

Contrairement à la douche, me brosser les dents est une vraie joie. J’ai l’impression d’avoir vécu sur une île déserte et de redécouvrir les joies du monde moderne. J’pourrais m’raser, mais j’suis à court d’énergie ; sans omettre ses flashes mnésiques qui m’consume. J’voudrais bien hurler à ma tête de me foutre la paix, mais j’ai pas oublié les deux filles dans la cuisine.

- J’espère que vous avez tout bu.

Que j’déclare avec un sourire en apparaissant près d’elles. Posant sur Azara un regard un peu flou de fatigue et douleur, j'essaie de m’assoir sur l’une des chaises. Quel inconfort effroyable pour ma colonne vertébrale, j’serre les dents, mais j’fini par me relever, l'air de rien.

- Et donc, vous parliez d’quoi ?

 
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Retrouver une vie après la prison
Est-ce possible après avoir vécu un tel traumatisme ? Réapprendre à faire sa place dans la société reste évidemment un travail de longue durée. L’important, c’est surtout de s’entourer des bonnes personnes, celles qui nous forcent à faire ressortir notre vulnérabilité et qui nous empêchent de récidiver. C’est ce que j’aimerais être pour Jayson. J’aimerais être cette personne, celle sur laquelle il peut se raccrocher s’il sent qu’il est en train de sombrer à nouveau. J’aimerais être cette personne qui lui apporte du bonheur, qui lui permet de se retrouver. J’ai envie d’être celle qui lui redonnera un peu d’espoir. Je sais que, pour Jayson, il a dû faire un certain travail sur lui-même avant de pouvoir être pleinement réintégré. Il a même dû se trouver un emploi respectable et un nouvel endroit pour se loger.

C’est d’ailleurs à cet endroit que je le ramène ce soir. Son chez lui qui commence, peu à peu, à prendre forme grâce à l’aide précieuse apportée par sa fille. Azara semble être la supportrice numéro un de son père. C’est un constat assez facile à émettre lorsque l’on assiste à ces retrouvailles entre eux. Le fait qu’elle soit présente pour l’accueillir ce soir, je sais que ça signifie beaucoup pour lui. Plus qu’une simple deuxième chance. Une chance de faire mieux que la précédente. Une certaine réécriture de l’histoire. Une chance inouie de pouvoir tirer un trait définitif sur ce qu’était avant, et de pouvoir se concentrer sur ce qu’est maintenant.

Et maintenant a une sensation de plutôt agréable. Les retrouvailles entre Azara et Jayson sont plus que touchantes et la surprise que cette petite tête noire m’afflige est plus qu’immense. Je me retrouve à être bien dans ses bras. À me sentir comme si j’étais à ma place pendant quelques secondes. Au téléphone, Azara semblait si loin d’être le type de fille à faire des câlins à la première inconnue qui se présenterait. Alors, lorsqu’elle me prend dans ses bras, contre toute attente, je me sens touchée, appréciée. Je lui propose qu’on se fasse du thé pendant que son père aille à la douche. J’suis plutôt soulagée de voir qu’elle accepte ma proposition en allant faire bouillir de l’eau.

Mon regard croise celui de Jay une dernière fois avant qu’il n’entre dans la salle de bain. J’crois qu’on échange surtout un regard de compréhension. Il n’a pas besoin de me dire ce qu’il a envie de dire, tout simplement parce que j’lai déjà compris, son remerciement. Et j’crois qu’avec mon regard, il a aussi compris. Que j’en avais simplement envie. Mais surtout, que j’avais vraiment envie de le revoir. Peu importe dans lesquelles circontances, je m’en serais accoutumées. Préférablement, pas dans des circonstances aussi dramatique que celles que nous avons vécues sur le pont. Et j’suis plutôt heureuse qu’on ait un moment de quiétude, chez lui, en compagnie de sa fille. Tout c’que je souhaite au fond, c’est de savoir qu’il est bien. Et je sais qu’en la présence d’Azara, il ne peut être mieux.

On se met à papoter, elle et moi, pendant quelques longues minutes. On discute de plusieurs choses dont évidemment Jayson. Le principal sujet qui nous lie ce soir. On discute aussi de la fameuse conversation téléphonique que nous avons échangé il y a de cela quelques jours. Jayson sort enfin de la salle de bain nous demandant si nous avions tout bu

- Non, on a gardé une tasse exprès pour toi !

Non mais quelle gourde ! Comment j’aurais pu savoir qu’il n’aimait pas le thé ? J’aurais bien du m’en douter quand même.

- Oh tu sais, on parlait de tout et de rien. Azara était en train de me raconter que tu avais certains talents pour faire de la slackline.

Des talents jusqu’ici, insoupsonnés.

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Oh chouette, elles m’ont gardé une tasse de thé, j’ai survécu à une semaine de plus en prison et je vais mourir terrassé par le goût infecte de cette boisson ! Néanmoins, l’intention est tellement bienveillante que ça me réchauffe comme si j’avais avalé une boisson chaude justement ! Je suis épuisé, mais dormir ne m'effleure pas l’esprit.

- Le ?

Le slackline. J’creuse dans ma mémoire, de ce jour au camping, de ma rencontre avec Jeremy, voir ma fille aussi heureuse… L’espoir qu’elle sera bien avec lui, qu’il saura la protéger et l’aimer quand je ne serais plus là. Ce souvenir n’est pas si lointain, mais j’ai besoin de creuser pour le trouver dans cet océan sombre de mes pensées douloureuses des dernières semaines. Ce brin de lumière de celui que je suis, car même si la lumière je peux la voir dans les yeux de Missy et sur le sourire de ma fille, j’ai l’impression d’être une ombre à leur côté. C’est un exercice périlleux, je suis exténué et ma mémoire me joue un sale tour, pour me préserver dans l’enfer, elle m’empêcher de penser au bonheur perdu. J’suis dehors maintenant, j’dois retrouver le chemin vers tout ça, j’veux pas finir comme tous ceux qui se sont définitivement laissés happer par l’aigreur et la haine.

Doucement, à la commissure de mes lèvres s’étirent les prémices d’un sourire sincère, ça fait un peu mal dans la poitrine, mais c’est l’genre de douleur qui réconforte. J’me souviens du regard d’Azara, d’cette lueur qu’elle avait dans ses grands yeux en apercevant ce t-shirt que j’portais, celui avec le chien avec une balle entre les deux yeux.

- C’était une bonne journée, oui…

Mon regard quitte les tréfonds de mes pensées pour se poser sur ma fille. J’dégage la mèche de son front de mes doigts tatoués pour regarder la plaie dont m’a parlé Jeremy. Parce que oui, depuis la maison d'arrêt, mon premier appel fut pour Jeremy. Uniquement pour savoir comment va ma fille vu les dégâts qu’a causé la tempête. Pourquoi pas l’avoir appelée, elle ? Parce que je ne voulais pas lui dire où je me trouvais, je ne voulais pas qu’elle sache… Je ne voulais pas qu’elle souffre encore, qu’elle se dise que ouais… J’peux retourner en taule à tout instant, que j’suis une cause perdue, que j’lui ferait du tort quoi que j’prétende.

- Ça t’as empêché de dormir tout ça, hm ?

Je retirais mes doigts de son front. Un coup d'œil vers la blonde, l’impression qu’elle non plus… N’a pas tant dormi ces derniers jours… Bien que je les bats amplement en matière de tête de déterré, alors je devrais m’abstenir de tout commentaire. En fait, pour une rare fois dans ma vie, je n’ai pas même l’énergie mentale de dire des âneries…

J’suis désolé. C’est ce que je devrais leur dire, si ce n’était pas usé de devoir à ce point m’excuser d’exister, d’être c’que j’suis. Pourtant, je leur dois des excuses.

- J’avais dis que j’y retournerai pas… En prison.

Qui aurait pu parier que j'aurais pu tenir parole ?
Que j’aurai pas tout fait foirer, encore.

- J’suis désolé.

Les voilà donc.

J’leur adresse un sourire désolé, forcé, celui qui veut rassurer, qui accepterait qu’on lui en veuille, qui accepterait ouais… De toute manière, faut bien faire avec.

- N’vous inquiétez pas pour moi, c’est beaucoup mieux ici que dans cet hôtel pourri.

Faut croire que j’ai encore un peu de ressources, pour dire des âneries.

- En plus, j’ai du thé.

J’attrape donc cette tasse qui m’est réservée pour boire une gorgée. La grimace, j’ai pas pu la retenir, quelle infâme pisse de chat !

 
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Pendant quelques instants, je me demande si je ne devrais pas plutôt laisser Jay retrouver sa fille convenablement. Ce moment semble en être un qu’ils ont besoin de partager, que tous les deux. Mais une infime partie, égoiste en moi, en veut plus. Plus de lui. Cette même partie qui ne peut se résigner à le quitter maintenant. Cette partie qui souhaite se convaincre qu’il a encore besoin de ma présence. Que ce soir, je suis indispensable.

Et puis, la compagnie d’Azara n’est pas si mal. Jay a besoin de se retrouver seul à seul avec lui-même. Il a besoin de se consacrer à prendre soin de lui à nouveau, commençant par une bonne douche. De mon coté, je consacrerai alors le reste de mon entière soirée à découvrir sa progéniture. Entre nous deux, les fous rires se font nombreux et les anecdotes fusent. Elle ne manque pas d’histoires à raconter la p’tite Salazar. Et alors que j’suis pendue à ses lèvres, presque en train de mourir d’attendre la suite, Jay sort de la salle de bain. Au même moment, la petite brune se lève et annonce qu’il commence à se faire tard. Elle a bien raison. Je n’ai pas vu l’heure passer. C’est que... j’étais tellement en bonne compagnie. Et puis, un p’tit sentiment d’angoisse commence à me gagner. Rester toute seule ici ? Chez lui ? Mais qu’est-ce qu’on pourrait bien faire ? Mais j’crois bien que... ce n’est pas la seule raison pourquoi l’angoisse me gagne.

Eh merde ! Et si ?
Depuis ce qui nous est arrivés sur le pont... Je pense constamment à lui, ce qui me ramène instantanément dans un état de pur bonheur et de plénitude. Difficile d’associer de tels sentiments en lien avec l’épisode traumatique que nous avons vécu. Pourtant, Jay m’apporte une grande quiétude d’esprit. En sa présence, je n’ai jamais besoin de faire semblant. Je peux simplement faire preuve d’authenticité en me dévoilant tel que je suis. Mon cerveau est en constante recherche de petites attentions qui pourraient lui faire plaisir. Des surprises. Qui n’aime pas les surprises ? Qu’Azara soit présente ce soir pour l’accueillir en était une de taille. Juste à voir sa réaction, il ne s’en attendait pas le moins du monde. Et puis, j’me laisse facilement entrainer par ce qu’il raconte. J’suis fascinée à chaque fois qu’il ouvre la bouche. Même si, la plupart du temps, c’est pour dire des âneries. J’ai l’impression de boire ses paroles, mais probablement plus que lui ne boit son thé. J’explose de rire juste à voir sa grimace.

- J’ai l’impression de voir la même grimace que celle que t’as osé faire lorsque t’as avalé cet oeuf tout rond.

Ouais, Azara ne connait pas cette histoire et moi, j’semble toujours ne pas être capable de m’en remettre. À chaque nouvelle évocation, j’trouve ça toujours aussi marrant que si j’le revivais une seconde fois. Tiens, en parlant de chose marrante, Zaza la Star qui se trouve à être une strip teaseuse ? Elle était pas mal celle-là aussi ! Faut dire que j’ai fait fort dans l’art de ne pas comprendre et de confondre toute une situation entière. J’me tourne vers Azara et pour détendre l’atmosphère j’lui lance

- J’suis bien ravie de rencontrer enfin Zaza la Star et surtout, soulagée de voir que tu n’es pas une strip teaseuse comme je le pensais !

Et surtout, j’ai pas pu m’empêcher de resssentir une espèce de forme de... méfiance ? Oui, c’est bien ça le mot que je cherchais. Jalousie ? Non, c’est un peu fort comme propos. C’est juste qu’un tel genre de femme ne devrait pas s’approcher de Jay. Il ne devrait pas s’enticher de personne qui pourrait le faire replonger dans des drôles de situations. Dans quel genre de choses elle pourrait encore le faire trainer ? Il ne faudrait tout de même pas qu’il replonge dans des choses tout à fait sordides n’est-ce pas ?

Eh merde ! Et si... je commençais à sincèrement me lier d’affection pour cet ancien détenu. Non. Je ne peux plus le qualifier ainsi. Parce que cet homme représente tellement plus que ce qu’il aimerait bien laisser croire, surtout à mes yeux... Euh, dans la société j’veux dire.

Là où il ne voit que la défaite, je n’y vois que la victoire. Là où il ne voit que la noirceur, je n’y vois que la lumière. Là où il ne voit que la méfiance, je n’y vois que la confiance. Et là où il ne voit que le désespoir, je n’y vois que l’espoir du renouveau... La renaissance. Ce que j’espère profondément que nous vivrons, aux côtés de l’autre. J’ai besoin de passer outre le fait que je sois veuve. Il a besoin de passer outre le fait qu’il soit un ancien détenu. Et pour ça, nous nous aurons.

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Missy, mon regard s’accroche au tien.
A la sincérité qu’il dégage de ton rire.
A la lumière de ce sourire qui éclaire tant ton visage.

Je chemine dans mes souvenirs pour trouver cet endroit là, quelque part, qui m’laisserait à nouveau accéder à mes émotions. Ces belles émotions qui font vibrer l’coeur, qui donnent du goût à la vie. J’m’en contente de peu, d’bonheur. J’espère pas que la vie soit facile, que la vie soit toujours amusante. J’en veux juste un peu, mais j’savais plus où en trouver dans cette nouvelle vie. J’sais pas où est ma place en dehors d’la prison. J’suis plus c’père de famille qui retrouve sa fille le soir, qui la borde dans son lit en se disant que ça vaut l’coup de supporter tout l’reste. Pourtant, cette fille tant aimée, elle est ici même ce soir. C’est le cycle de la vie, l’ordre des choses ; elle n’a plus besoin que je la borde. C’est douloureux parfois, ce sentiment de ne plus la connaitre par cœur, de ne plus savoir lire entre les lignes mais mon affection pour elle est restée intacte. Bousillé à vie par la prison, je me demande si elle, elle me reconnaît encore.

J’repose ma tasse de thé, bien que j’ai souris à m’en briser les muscles qui semblent tétanisés par cette absence de volonté de vivre causée par ces derniers jours. Le temps passé sous la douche m’a rappelé ma mission éternelle que de devoir assurer au monde entier que je gère, que tout va bien. Putain d’mission folle. Faire semblant d’aller bien, même de paraître à l’occasion fier de ma médiocrité, tout ça pour que les gens détournent le regard de ma misère. Ce soir, les regards sont braqués sur moi et la mission est plus difficile que jamais.

Ma fille, dans tes yeux j’la devine la douleur. Tu n’as pas besoin de pleurer pour que je sache à quel point je t’ai déçu, incapable de tenir la promesse de ne pas retourner en prison. Incapable d’être un père acceptable. Si tu savais comme j’ai honte devant tes grands yeux bruns, à quel point je me sens indigne de toi. Et bordel, moi, je sais à quel point ta vie serait meilleure sans moi, que j’aurais dû mieux te protéger de… Moi. Ma mère avait raison, je ne suis bon qu’à causer des problèmes, que je ne changerais jamais. Et j’ajouterai à tout ça, que j’suis égoïste, ouais, égoïste de me sentir soulagé qu’elle soit là, ma fille, mon sang. Égoïste d’m'accrocher à l’espoir  que malgré tout elle m’aime encore.

“ T’inquiètes. “ j’y réponds silencieusement d’un signe de négation d’la tête. Bien sûr que je m'inquiète toujours, je me soucierais à jamais d’elle, pour absolument tout. Son bonheur, sa carrière, sa vie de famille, sa maison, ses amis, et même… Ce qu’elle pense de moi.

- Reposes-toi, je t’aime Zaza…

Ma voix s’étiole au fil des mots. J’la regarde filer beaucoup trop vite à mon gout. J’devrais avoir la force de lui courir après, d’lui dire que ça ne se reproduira plus jamais. C’te force me manque ce soir.

Puis j’réalise qu’elle est encore là, Missy. J’décroche mon regard de la porte close pour l’observer elle. Certes, je ne l’ai vu que deux fois, cela semble tellement rien… Mais, je remarque que malgré cette robe magnifique et cette beauté qui m’aveugle, le coin de ses yeux sont tirés par une certaine fatigue. Putain de fauteur de troubles, hein ?

J’me pince les lèvres, cherchant mes mots pour ne pas sortir une parfaite absurdité dont j’ai affreusement le secret.

- J’ai… J’ai assez mal au dos à vrai dire.

Non, sans blague… Elle n’avait sans doute pas remarqué dans les escaliers !

- Je vais m’allonger un peu. Enfin, sauf si toi tu voulais… Euh… Non, pourquoi tu voudrais t’allonger ? Mais si tu voulais… Euh…

Rien d’absurde hein… Bah mon vieux, ça vaut l’coup de réfléchir !
Nouvelle technique : phrase courte et mots simples.

- Je veux que tu restes.

Oh putain de merde, j’ai dis quoi comme dinguerie encore ?
Trop court et trop…. trop quoi !

- J’veux dire… T’en va pas.

Super Einstein, trop fort au jeu des synonymes… C’est l’agitation mentale qui m’fait avancer vers le coin salon, mon âme réclame profondément que je m’allonge, mais mon corps lui redoute férocement l’idée d’effectuer les mouvements nécessaires pour s’étendre. Alors j’me retrouve comme un con planté dos au canapé, incapable de convaincre mon corps de s’installer.

- Je… Je sais même pas c’que tu fais dans la vie, si t’aime star wars, est-ce que tu as déjà voyagé, et si t’as des animaux d’compagnie ou si tu sais que t’es putain d’belle avec cette robe.

J’avais pas décidé d’arrêter de réfléchir et d’faire de longues phrases ? Bordel, j'filtre plus rien de c'que j'dis...

- Tu… Tu pourrais m’parler d’tout ça, pendant que j’suis allongé là ?

Même si là, concrètement, j’suis loin d’être allongé, j’suis crispé d’la tête au pieds, un véritable sac de noeuds musculaire, moi qui m’lamente de pas être assez musclé, bah là j’trouve que j’ai beaucoup trop d’muscles qui existent dans mon corps et qui m’fige littéralement de douleur.

J’veux pas qu’elle s’en aille, j’veux pas dormir, j’veux pas être seul ici avec mes pensées. J’veux l’écouter m’parler d’elle, divertir mes souffrances.

 
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Alors que je me retrouve nichée dans les bras d’Azara, je me perds également dans le plus profond des yeux de Jayson. Difficile de passer à côté d’un tel regard, à la fois si captivant et mystérieux. Un regard qui cache tant de souffrances. Inévitablement, je constante ce dont je n’avais jamais pris la peine de constater auparavant. En fonction de la lumière, son regard brille différemment. Je ne m’étais jamais attardée à de tels détails qui, pourtant, me saute maintenant au visage. Je pourrais me perdre dans ses yeux pendant des heures entières. Devenir celle qui pourrait y déceler la moindre faille, m’indiquant qu’il est sur le point de craquer. Mais je préfère me concentrer sur ce regard. Celui qui s’est illuminé au même moment où il a aperçu Azara de l’autre côté de la porte. Cette lueur d’espoir qui y est née. C’est ce que j’y ai vu au fond de ses yeux, ce à quoi je souhaite m’accrocher.

Alors qu’Azara rompt le contact, mon regard se décroche de celui de Jay pour venir se poser sur la petite tête brune à mes côtés. Je décèle les mêmes émotions dans les yeux de sa fille. À la fois triste et rempli de tendresse. J’y aperçois cette même lueur d’espoir, cette faible lumière qui vient illuminer son visage tout entier. Toutes ces épreuves, dont ce court retour à la case prison n’a pas été chose facile à affronter pour elle non plus. Et pourtant, elle décide de laisser entrer la lumière. Cette jeune fille si courageuse. Courage qu’elle semble bien retenir de son père. Les Salazar sont fait forts.

Alors que Jay file vers la salle de bain, Azara et moi décidons de s’assoir à la table et de se confier quelques anecdotes concernant son père, autour d’une bonne tasse de thé. Quelle satisfaction de pouvoir discuter de choses légères et de pouvoir rire sans jugement. J’en apprends de plus en plus sur sa personne à travers les discours de sa fille et le portrait de l’homme qu’elle me dépeint me plait bien. Toutes ces paroles racontées me donnent encore plus envie de réellement faire sa connaissance. De connaître absolument toutes les choses, les plus inutiles qui soient à propos de lui. Des banalités comme ce qu’il met dans son café le matin ou si seulement il en boit ? Ou encore, aime-t-il aller courir le matin en se levant ? Je veux apprendre à le connaître au quotidien, dans sa vie de tous les jours. Il est quelqu’un dont je veux m’entourer.

Je regarde Azara se lever de table annonçant qu’il commençait à se faire tard et je fixe aussitôt ma montre. J’affiche une moue surprise. C’est que, je n’avais pas vue l’heure défiler aussi rapidement. Peut-être que, moi aussi je devrais commencer à y aller ? De toute façon, j’ai deux adolescentes qui m’attendent à la maison.

Me levant à mon tour afin de ne pas paraitre impolie, j’écoute Azara faire ses aurevoirs et je la salue maladroitement de la main tout en ajoutant

- Tu salueras Jeremy de ma part.

Petite remarque qui se veut à la fois bien intentionnée, mais aussi taquine. Ouais, j’ai bien retenu le nom de leur «fils». Je sais qu’Azara ne comprendra pas ma référence, mais j’espère bien faire décrocher un faible rire à son père. D’ailleurs, elle doit bien se demander comment je connais le nom de son futur époux. C’est un secret qui restera bien gardé entre Jay et moi.

Alors que j’attrapais mon manteau, laissé sur le dossier d’une chaise, afin de quitter l’immeuble à mon tour, j’entends «Je veux que tu restes». Baume sur le coeur, ces paroles me réconfortent. Il veut que je reste.

Moi qui croyait ressentir des choses... assez étranges envers Jay. Des sensations, parfois plutôt agréables, parfois trop près de la vulnérabilité. Se montrer vulnérable, c’est se montrer faible. C’est laisser la chance à l’autre d’avoir accès à une trop grande partie de nous. En fait, la réalité me frappe en pleine gueule. Je ne connais rien de cet homme. Je ne sais même pas pourquoi il a fait d’la prison d’ailleurs. Une sorte de méfiance s’installe, peu à peu, alors qu’il continue de déblatérer toutes sortes de questions. Une forme de méfiance, palpable. De mon côté, une adorable méfiance. Si délicate qu’on pourrait presque se demander « et si enfin, c’était toi ? »

Ma voix s’adoucit.

- Laisse moi prendre place à tes côtés.

Je m’installe confortablement sur le canapé alors qu’il semble toujours crispé et avoir toute la difficulté du monde à prendre place à son tour. J’ai besoin d’être assise pour affronter cette avalanche de questions.

- Pour répondre à toutes tes questions, je suis infirmière dans un centre d’hébergement venant en aide auprès des femmes violentées. C’est un centre que ma tante dirige. En fait, je m’occupe d’accueillir et d’écouter les victimes et c’est moi qui exécute les soins nécessaires.

Je ne me suis jamais vraiment étalée sur mon métier devant personne. D’ailleurs, je ne pensais pas le faire ce soir non plus. J’enchaîne

- Je n’ai jamais écouté star wars. Je n’ai jamais voyagé... J’ai l’impression de jouer à je n’ai jamais avec toutes tes questions. Manque plus que l’alcool et quelques questions indiscrètes.
Encore une connerie que j’viens de dire... Parfois, j’ai bien l’impression que nos cerveaux fonctionnent de la même façon alors, je ne crois pas qu’il m’en tiendra rigueur. Et puis, quand j’suis nerveuse, j’me mets aussi à déblatérer.

- J’avais une chatte. Elle s’appelait Misty, mais elle s’est sauvée ou... c’est plutôt ce que j’ai fait croire à Sinead et Saoirse.

Oups... quelle mère cruelle fais-je. Et oui, c’est bien ma faute si cette chatte a soudainement disparue. C’est moi la coupable. C’est moi qui ait ouvert la porte et qui l’ait laissé s’échapper.

- Je ne suis pas certaine qu’elle se serait entendu avec Goliath.

Que j’dis en lançant un regard en direction du chihuahua qui ne semblait pas du tout me faire confiance. Faut dire que je n’ai jamais vraiment aimé les p’tites bêtes poilues. En fait, j’les aime bien, mais j’crois que c’est plutôt qu’elles me...terrifient ?