a life, a story - S’il devait vous raconter sa vie, il vous dirait qu’il n’y en a pas grand-chose à en dire. Une vie simple, sans drames et sans surprise, du moins, il le pense. Loin de se douter qu’il lui en attend une de taille.

Il est né ici même, à Monterey, il y a de ça déjà quarante-trois ans. Lui-même a bien du mal à y croire, ayant encore l’impression d’avoir vingt ans à fouler les stades de foot et de basket pour plaire aux filles. C’est déjà loin tout ça, le temps a filé, s’est creusé dans sa peau, alors que lui, il n’a pas l’impression d’avoir tant avancé. Ses amis d’enfances et d’adolescence en sont déjà à leur troisième gosse, troisième maison, troisièmes chiens. Et lui, sur sa liste, il n’y a qu’un triste divorce. Un gamin, comme le lui répète son père. Qui a oublié de grandir.

Pourtant ça n’avait pas trop mal débuté. Gamin quelque peu turbulant, mais bon. Ouvert, marrant, se fait facilement des amis. Bien entouré, et plutôt bon à l’école. S’il a du mal dans les sciences, il excelle dans les langues, l’écriture et la littérature. Basketteur dans l’équipe de son école, puis de son collège et lycée. L’adolescence lui sourit, il en profite, il la vit sans en perdre une seconde. Il participe à tout, il est de toutes les soirées. Toujours une jolie fille à son bras. On se dit qu’il a un bel avenir, que c’est le genre de gamin à qui tout sourira. Le problème de Basil, c’est qu’il déteste qu’on lui dise quoi faire, à quel moment, et que son orgueil lui refuse les conseils. On lui assure qu’il devrait s’inscrire en université, en littérature, qu’avec ses résultats sportifs, il aura aisément des bourses. Mais il n’en écoute rien. Sa famille n’a pas vraiment les moyens, et lui ne croit pas tellement en son propre potentiel. Alors plutôt que de fouler le sol d’une grande université, ou un bel avenir d’écrivain ou de journaliste l’attendait, il s’inscrit dans une petite université de New-York, peu onéreuse, et choisi la facilité des langues. Evidemment, ça ne l’intéresse pas autant et s’amuse, sort, plutôt que de s’assoir dans les amphithéâtres. Si les cours sont un échec, il refuse de le reconnaître auprès de ses parents. Alors il enchaîne les petits boulots sur New-York. Il se laisse vivre, au jour le jour, ne pensant guère à demain.

C’est dans un de ses jobs de serveur, qu’il rencontre Louise. Si belle, si douce, joviale, au petit rire cristallin. Elle revient souvent le voir, et petit à petit, ils se rapprochent jusqu’à se pavaner main dans la main dans les rues de la Grande Pomme. Amour de jeunesse, qu’on croit toujours insubmersible. Y’a des disputes, des désaccords, jusqu’au point de non-retour. Elle espère fonder quelque chose de sérieux, lui il a peur de l’encagement, trop rapide, trop tôt. Puis y’a sa Californie qui lui manque. Elle, elle ne veut pas quitter les siens, ici. Puis y’a ses parents à lui, qu’ont appris qu’il a lâché ses études, qu’il fout plus grand chose de sa vie que papillonner. Faut qu’il rentre, et ça se termine dans les cris et les larmes. Il se retrouve dans l’avion, sans même savoir qu’il laisse derrière lui, plus qu’un cœur brisé. Quelque chose qu’elle aurait peut-être dû lui dire, et qui l’aurait certainement retenu. Quelque chose qui aurait peut-être tout changé. Quelqu’un pour qui, il aurait fait quelque chose de sa vie. Si seulement.

De retour sur sa terre natale, sans diplôme, il entre au Zoo par le biais de son père, de force. Les mains dans la bouse, ça ne fait pas rêver. Mais contre toute attente (surtout des siennes), il s’y plait. La compagnie des animaux lui fait du bien, et il y retrouve une certaine stabilité. Il grimpe les échelons, jusqu’à être formé fauconnier, tenir et présenter les spectacles, puis responsables du secteur.

C’est là qu’entre Daniella. Belle blonde, souriante et amusante. Il la connait pourtant depuis longtemps Dan, la petite sœur du meilleur pote d’enfance. Elle a changé, la morveuse est devenue une femme, de celle qui ne laisse pas indifférent. Il essai de garder ses distances, il a du mal à passer au-dessus de Louise. Mais Dan, elle a quelque chose de plus que les autres. Elle lui donne l’impression de grandir. Et pour la première fois de sa vie, il s’engage sérieusement avec quelqu’un, enfin, tout en passant le cap de la trentaine. Ce n’est pas toujours facile avec Dan. Sa famille le prend souvent de haut (très élitiste), le juge (surtout que sa famille à lui est bien en bas de l’échelle sociale) mais ils s’accrochent tous les deux, et ont de beaux projets. Toujours sur la même longueur d’onde, sauf peut-être les gosses, parce qu’il se voit difficilement avec un bambin. De toute façon, elle veut grimper les échelons du droit alors ce n’est jamais le bon moment, ce qui l’arrange bien. Dans un premier temps, il soutient énormément Daniella dans ses projets professionnels. Ils se marient, il est toujours derrière elle, persuadé qu’elle sera rapidement tout en haut. Mais plus le temps passe, et plus Daniella s’enferme dans le boulot. Il a l’impression d’être relayé au second plan. La solitude l’envahit. Le soir il prépare de bons petits plats, il attend, mais les assiettes refroidissent avant qu’elle ne daigne rentrer, si exténuée de sa journée qu’elle ne touche pas une cuillère de son dîner. Peut-être que ça va passer, qu’il se dit.

Allegra. C’est le troisième et dernier nom si important des femmes de sa vie. Allegra elle est comme tombée là, au bon moment, ou au mauvais, tout dépend du point de vue. Elle brise sa solitude, elle comble le manque que laisse Daniella chaque jour derrière elle. Et tout s’enchaîne trop vite pour qu’il ne puisse réellement comprendre ce qu’il est en train de faire.

Allegra elle papillonne, elle ne donne pas l’air si prête à l’engagement. Pourtant, pour lui, elle semble prête. Elle lui dit, de quitter sa blonde. Mais lui, il n’y arrive pas. Il n’assume pas. Et les si bons moments qu’il passe avec la plus jeune, lui provoquent de plus en plus d’angoisses. C’est quoi la bonne décision ? Mettre fin à un mariage de plus de dix ans, marcher à l’impulsion, ou réfléchir un peu plus, sauver les meubles ? Sauver quoi ? Sa solitude ? Plus il y songe et plus ses pensées deviennent floues. Mais All elle perd patience et elle disparaît. Elle en a marre d’attendre, et dans le fond, elle a sûrement raison. Les secrets, les conneries, a assez duré.

Deux ans déjà. Deux ans qu’il a avoué sa connerie à sa femme, ou plutôt son ex-femme. Le divorce est signé depuis l’année dernière, et le revoilà à la case départ. Y’a plus grand chose qui le fait avancer, mis à part son boulot, sa seule passion. Il prend ça avec le sourire, se dit qu’il a encore l’âge de profiter de son célibat. Mais dans le fond, y’a comme une douleur dans la poitrine. L’inquiétude de finir seul, de vieillir sans personne, pas même un fils pour prendre soin de soi. En ferait-il un bon père de toute façon ? Quand il voit ce que ça donne avec sa sœur, dont la garde de ses gosses lui sont retirés, il se dit que c’est peut-être mieux comme ça. Loin de se douter qu’une progéniture, il en a déjà une, et qu’elle n’est plus très loin.