Lola avait écouté sa mère adoptive suite à la découverte récente de ses troubles alimentaires, elle devait se rendre une fois par semaine à ce groupe de paroles qui a lieu dans les locaux de l'hôpital de Monterey, une dernière chance si elle veut s'en sortir. Il faut dire que Silver Harlow alias Maman Dragon peut être vachement convaincante quand elle veut. Alors, la jeune fille s'exécute et accepte de se rendre là-bas. Deuxième fois qu'elle vient en réalité. Elle ne souvient même plus des prénoms des autres participants. Comme d'habitude, les chaises sont disposées en cercle et elle a l'impression de participer à une réunion des alcooliques anonymes, si ses parents avaient participer à ce genre de chose, elle n'en serait surement pas là aujourd'hui. Elle soupire quand elle arrive sur place et remarque qu'il y a quelques viennoiseries ainsi que du café, elle ignore le buffet et s'assoit sur une chaise à côté d'une femme d'une trentaine d'années aux longs cheveux roux. Plutôt jolie, elle la fixe avant de se risquer à lui parler.

« Bonsoir, je suis Lola. Vous allez bien ? Par contre désolée mais je me souviens plus de votre prénom. »

« Désolée, je ne suis pas venue à la dernière réunion, j'étais prise par mes examens. » ment-elle, ensuite en espérant qu'elle croit à son excuse. La réalité c'est que ses notes sont en nette baisse depuis quelques semaines et qu'elle ne suit même plus certains cours. Préférant parfois, passer du temps avec son petit ami Naveen ou ses amis plutôt que se pencher sur des trucs qui ne l'intéresse peut-être même plus d'ailleurs. Elle regarde autour d'elle, les gens commencent à arriver et elle se sent un peu mal à l'aise.

Je suis nouée, en colère et sur le point d’imploser. Capucine est en face de moi et elle m’accuse d’un regard que je ne connais que trop bien. Elle s’inquiète pour moi et je déteste quand les gens s’inquiètent trop pour moi. Ma mère, ma soeur. Ma soeur, ma petite soeur joue un peu trop souvent le rôle de la grande soeur et je me sens coupable de lui infliger cela. J’ai beaucoup travaillé ces derniers jours et j’ai omis quelques repas, et ce n’est pas passé inaperçu aux yeux de ma petite soeur qui cherche à tout prix à me faire entendre raison. Je ne vais pas retomber dans mes troubles alimentaires, je ne me sens pas vulnérable comme je l’étais fus un temps, c’est juste un emploi du temps hyper chargé qui s’accumule. Mais pour éviter de lui faire plus de soucis qu’elle n’en a, je préfère la rassurer en allant tout simplement à une séance de parole. Je sais que cela peut-être bénéfique et si on peut échanger sur des expériences, pourquoi pas. N’est-ce pas là le début de la guérison.

Je me retrouve donc assise sur une chaise, les bras croisées et un café dans les mains. Il y a des visages connues, j’essaye de venir le plus souvent ici, et d’autre un peu moins. Je ne sais pas pourquoi c’est si solennel que de se retrouver tous ensemble en rond. C’est tellement surfait mais je refuse de critiquer, ils sont là pour nous aider, pour m’aider alors. Une jeune femme, que j’avais du voir une fois peut-être vient s’installer près de moi, le regard un peu incertain. Je ne suis pas certaine qu’elle soit une habituée pour venir dans un tel endroit.

« Bonsoir, je suis Lola. Vous allez bien ? Par contre désolée mais je me souviens plus de votre prénom. » Je faisais un petit mouvement de la tête. « Enchantée Lola, Martha. »

Je souris et je me rends compte que finalement, pour chacun de nous, c’est difficile de se retrouver dans un tel endroit. La peur d’être jugée, d’être vulnérable, d’avoir nos faiblesses. Nous avons tous des histoires bien différentes, des passés surement très douloureux et voilà que désormais nous devons faire avec. Pire on nous demande bien de partager nos états d’âme, afin de nous libérer d’un poids bien trop grand. Parfois, je ne suis pas certaine que ce soit la solution, mais je dois admettre que si je reviens ici, c’est que j’en ai besoin et que je ne dois pas trop critiquer cet étrange système. Mon regard se repose sur elle.

« Désolée, je ne suis pas venue à la dernière réunion, j'étais prise par mes examens. » Je fis un mouvement de la tête, sans la juger, ce doit être difficile pour elle d’être ici, j’imagine. « Je dois bien admettre que j’ai moi-même sauté quelques séances dernièrement. » Je grimaçais en disant cela de manière légère et détachée. Seulement, je me trouvais bien curieuse d’en apprendre un peu plus sur elle. Pour une raison que j’ignorais, elle avait un quelque chose qui me parlait d’une certaine manière. « Des études de quoi, si je ne suis pas trop indiscrète. » Il était préférable, de papoter avant que tout le monde n’arrive.

J’ai encore le temps de faire demi tour, et aller directement travailler. Avoir le cran de faire ce qu’il faut. Je refuse d’y penser, parce que ce serait donner raison à la maladie. Je refuse de me laisser emporter par mes démons. Je sais que ma santé est encore précaire, c’est comme si je marchais tous les jours sur un fil et que je ne devais pas tomber. Parfois j’oublie mes démons, j’oublie que j’ai été malade par le passé et puis sans que je ne me rend compte, elle revient immédiatement, bien plus violente, me rappelant combien c’est facile de céder à ses propres démons. Je tente de calmer mes doutes, et je me dis que finalement être ici, me rappelle d’où je viens, quel a été mes démons et ne pas y retomber facilement. Je le fais également pour ma soeur qui ne mérite clairement pas de devoir jouer le rôle de la grande soeur lorsque c’est moi qui porte cette casquette depuis qu’elle est née. Je ne veux pas qu’elle s’inquiète pour moi, elle l’a trop fait par le passé. Je peux le faire.

Et j’admire tous ces gens qui sont là, près de nous qui combattent un peu chaque jour la maladie, qui tombent puis parfois se relèvent encore, et toujours pour finalement réussir à résister et à guérir d’une maladie invisible qui a des répercussions néfastes sur nos vies. Et c’est ce que je me dis secrètement, lorsque cette jeune femme vient me parler. Nous ne nous connaissons pas, mais je sais qu’au fond on peut se comprendre l’une l’autre. Je lui souris tendrement alors que je me présente à elle.

« Enchantée, également. Martha, ça vous va bien. » Je lui souriais chaleureusement. « Merci. » Je soupirai légèrement buvant mon café doucement, regardant autour de moi. Je me souviens la première fois que j’étais venue, j’allais tellement mal à l’époque. Je m’étais laissée aller dans des schémas de défenses, bien affreux et qui avaient faillis me rendre la vie bien compliquée. Je soupirais à cette pensée. Je ne voulais plus redevenir cette femme et j’allais tout faire pour ne pas reproduire ce schéma.

« Alors, bienvenue au club des sécheurs. » Oui, je devais le noter plus souvent sur mon calendrier afin de ne pas sentir aussi coupable de ne pas être venu plus souvent. Je me mordillais la lèvre en entendant ses mots. « De nutrition, c'est stupide hein alors que je suis là. Je fais aussi du sport, de l'athlétisme de haut niveau mais je n'y vais plus.  » Je faisais une petite moue, parce que j’avais de la compassion pour elle. Ce ne devait pas être facile ce qu’elle vivait, elle semblait culpabiliser en disant cela. J’avais cette soudaine envie de lui prendre la main et de la serrer chaleureuse, lui expliquant que se sentir coupable ne servait à rien et de se flageller aussi. Elle était déjà courageuse d’être là et franchement, je ne pouvais que l’encourager dans l’effort qu’elle faisait.

« Il n’y a rien de stupide là dedans, au contraire. Courageuse vous êtes. Une sacrée athlètes du coup… » Bien évidemment, curieuse que j’étais, j’avais envie de savoir pourquoi elle n’y allait pas, mais je ne crois pas être assez intime avec elle, pour demander ce genre de chose. Du coup, je me contentais de me poser mes questions, mentalement dans ma tête. «  Et vous, qu'est-ce vous faites dans la vie ? Vous avez bien une tête d'avocate ou de mannequin. » Je ne pouvais m’empêcher de rire à ses mots. Elle était perspicace pour le coup. « C’est très valorisant… Mannequin, mais je serais très mauvaise dans ce domaine, maladroite, et je n’ai pas l’attitude d’ailleurs.. » Mais les troubles alimentaires surement. Je n’étais pas assez jolie pour être mannequin, et je ne voyais que mes défauts, des hanches trop larges, des imperfections, des tâches de rougeur et tout cela. Cependant, je voulais la remercier pour sa facilité à me cerner. « Mais je suis bien avocate. Bravo… qu’est-ce qui m’a trahis ? » Finissais-je par demander.

HRP : Ne t’inquiète pas, c’est parfait.

Il y a des maladies sur lesquelles on peut guérir, et d'autres non. Celles qui nous poussent à être ici, ne se guérissent jamais. On a toujours une épée de Damoclès au dessus de la tête et il est difficile de ne pas sombrer doucement dans une psychose. J'avais beau dire auprès de mes proches que tout allaient bien surtout ceux qui étaient au courant de ce que j'avais vécu mais parallèlement je savais aussi que ce n'était pas aussi simple finalement. Parce qu'ils s'inquiétaient pour nous, pour moi et que j'avais beau dire que ça allait, j'étais toujours un peu en difficulté quand il venait le temps de manger, parce que je ne prenais rarement plaisir pour manger, je pensais toujours au pire et surtout je comptais sans cesse, le nombre de calories. C'était difficile à admettre j'avais beau allé beaucoup mieux, je savais que je pouvais être vulnérable à tout moment. Ici, il n'y avait que des personnes qui étaient exactement dans le même cas que moi, je ressens cette peine dans le regard de certains, dans la voix d'autre, dans l'attitude fuyante d'autres personnes. Alors oui, effectivement, ce n'était pas simple et je savais, même si je venais souvent à reculant dans les séances, c'était pour quelque chose.

J'échangeais avec cette femme que je ne connaissais pas, que j'apprenais à connaitre. Je sentais bien qu'elle avait aussi sa propre histoire et à aucun moment je ne viendrais lui dire quoique ce soit, ou la juger parce que nous étions tous dans cette même affaire, ce combat quotidien, qui n'était en rien facile. Ni pour elle.

« Je vous en prie. » « Mais de rien. »

Un léger sourire et ça suffit parfois à calmer les angoisses de tout le monde. Et puis après tout, qui sommes nous ? Je voyais bien qu'elle ne se sentait pas très bien. J'étais rarement douée pour tisser des liens avec des inconnus, j'avais souvent besoin de temps pour cerner les gens et accepter de me livrer, mais elle avait sans doute cette facilité que je ne connaissais pas. C'était plus simple ainsi.

« J'ai toujours aimé le sport mais là je me rends compte qu'avec mes troubles, ce n'est pas compatible. »

Je voyais très bien de quoi elle faisait allusion et je n'osais imaginer comment elle devait se sentir. C'était un cercle vicieux, j'imagine que le sport devait être son point d'encrage ce qui lui permettait de se raccrocher à la vie, de se raccrocher à la guérison mais en même temps, voilà. Si elle ne pouvait pas faire de sport cela la rendait vulnérable et une forte envie de faire des conneries. C'est une putain de maladie, et je n'ai pas les mots hormis quelques uns que j'essayais de formuler comme il faut.

« C'est un cercle vicieux dont il est très difficile de s'en sortir, mais peut-être se raccrocher à cela. Si vous aimiez tellement faire de l'athlétisme, peut être tout faire pour y arriver. JE sais que c'est plus facile à dire qu'à faire, mais il faut s'accrocher toujours à l'espoir, c'est ce que j'ai appris. »

« Vous savez, maintenant le mannequinat s'ouvre à tous. J'ai fait beaucoup de concours de miss et désormais on peut observer plus de formes, des visages atypiques aussi. » « Oh je ne doute pas... Mais je ne saurai pas marcher avec des talons, avoir cette classe des mannequins. Je suis plutôt brute de décoffrage, ça ne se voit pas mais si. »

Finissais-je par dire en rigolant. Après tout, cela se voyait que j'étais avocate. Je ne le savais même pas, j'étais persuadée que je passais inaperçu dans le domaine. Mais non. Moi qui avait l'impression d'être en constant décalage avec mes collègues. J'avais tord finalement.

« Je dirais que c'est votre facilité à écouter les autres et à leur poser les bonnes questions. » Je haussais les épaules. « Surement, ou ma capacité à faire des plaidoiries, jouer la comédie parfois et attirer l'attention des gens. » Je rigolais légèrement, parce qu'être avocate donnait un sens étrange à mes journées, surtout à les rendre différente d'un jour à l'autre. J'appréciais cela d'ailleurs dans ce métier et je ne comptais pas m'en défaire. Je lui souriais... « Vos proches sont au courant, pour vos séances ? » Finissais-je par demander.