« Regarde papa ! Sans les mains ! » s’époumone Ellie, sur son bicycle. Silas, la tête dans son jardinage, n’a pas le temps de tourner la tête qu’il entend un bruit très peu rassurant. Il se lance un pari à lui-même : sa fille est tombée. C’est évidemment le constat qu’il fait quand son regard se pose sur la situation. Ellie au sol, la roue du vélo qui tourne dans le vide. Si cette vision ne lui plaît pas, il ne panique pas pour autant. Il part du principe que c’est ça d’être un enfant. Se faire mal et se relever.

Silas s’approche d’Ellie, qui, bien sûr, s’est mise à pleurer sur le coup — justifié. Malgré ses larmes, elle reste étonnamment calme. Pas de cri, rien. Peut-être parce que Silas n’a jamais été alarmant sur les blessures, et que ce n’est certainement pas la première ni la dernière. Autrement dit, Ellie a l’habitude de se faire des bobos, casse-cou dans son genre.  « Montre-moi où tu as mal. » Elle s’exécute, désignant sa tête, avec quelques mots incompréhensibles entre deux larmes. Peut-être plus grave que prévu. Silas finit par l’inspecter et constate une plaie. Il grimace pour lui-même, ne voulant en aucun cas faire paniquer sa fille. Tout le monde sait que les blessures à la tête sont à prendre au sérieux.  C’est de cette façon qu’ils ont tous les deux fini à l’hôpital de Monterey.

Sa fille dans les bras, Silas avance jusqu’à l’entrée de l’hôpital. Pas de gaieté de cœur qu’il se retrouve ici, lui qui n’apprécie pas particulièrement les couloirs blancs. Pour apaiser Ellie, il prend soin de déposer des baisers sur son front. Papa sera toujours là pour toi, promis, voilà la pensée de l’aîné des Gore. Une pensée qu’il a eu maintes et maintes fois envers ses frères et sœurs. Et qu’il aura toujours, malgré les années qui passent.  « On a notre livre à finir en rentrant. J’ai hâte de savoir ce qu’Oliver va trouver dans la grotte mystérieuse.  » que lui dit doucement Silas, dans le seul but de lui faire penser à autre chose. Et peut-être pour lui-même aussi, papa inquiet malgré lui. Elle semble un peu sonnée par sa chute, trahie par un comportement un peu plus calme que d’habitude. Et peu de paroles. On est à mille années lumières de la petite Ellie joyeuse et bavarde. Silas lui explique qu’ils vont essayer de voir quelqu’un pour s’occuper d’elle et de sa petite caboche. Après, tout ira mieux — il l’espère.

Alors qu’ils s’apprêtent à pénétrer dans l’enceinte de l’hôpital, le regard de Silas croise celui d’une jeune femme. Il met quelques secondes à comprendre de qui il s’agit, lui aussi sonné. Ce regard, ses cheveux blonds. « Stella ? » Plus par réflexe, parce qu’il est normal que la jeune femme se trouve ici : c’est son lieu de travail. La probabilité de tomber sur elle à ce moment précis est juste infime, mais parfois, on ne peut rien au destin. La vie est étrangement faite, c’est ce que se plaît à se dire ce cher Silas. « Un accident de vélo. » Il lui explique de but en blanc sous son regard interrogateur. Ellie lui montre sa tête avec son petit index, pour lui faire comprendre que tous ses maux viennent d’ici. Silas, ça l’affecte forcément de voir la prunelle de ses yeux dans cet état, et ça se lit dans son regard — même s’il aurait préféré le cacher, quand Ellie est impliquée, c’est impossible. Le dernier fil qu’il le relie à un passé fauché, envolé beaucoup trop rapidement. Ellie, elle est toute sa vie.


@Stella Exposito