a life, a story


Avant même d’être la fille de mes parents, je suis, avant-tout, une sœur. Arrivée au monde en même temps que ma jumelle, nous avons grandi ensemble, constamment collées l’une à l’autre… jusqu’à un certain âge. Naturellement, par nos caractères drastiquement différents, au fur et à mesure des années, nous nous sommes éloignées, sans aucune rancune, jamais. Calypso est largement plus proche de Sacha, j’en ai quelque peu souffert, plus jeune. Ne pas avoir ce lien que beaucoup considèrent être unique, fort, indestructible. Le lien entre jumelles, inexplicablement puissant, par la société. Un poil différent pour elle et moi. Longtemps complexée de ne pas avoir ce que tout le monde attendait de nous. Une sorte de pression à la con, foutue par la société. Avec le temps, les réflexions franchement irrespectueuses, l’une comme l’autre, on a appris à s’en foutre royalement.

Proches malgré tout, mes sœurs et mes frères sont les rares personnes que je considère réellement et sincèrement, que j’aime sans vergogne, sans limite. Ces gens pour lesquels je ferais tout et n’importe quoi. Je me suis battue pour eux, plus d’une fois, alors qu’ils auraient, sans aucun doute, que je ne fasse rien. Le souvenir qui remonte le plus date du lycée. Ma sœur jumelle était victime de harcèlement. Elle m’a fait jurer de ne rien dire à nos aînés. Promesse que j’ai tenue. Je pensais pouvoir régler le problème par moi-même, dans l’envie et la volonté de protéger mon double. Une après-midi, je chope l'initiateur de ce tourbillon infernal. Une heure après, même pas, Héra présente au bureau du proviseur, décomposée quand elle apprend que j’ai pété une côte de ce petit connard. Sorry not sorry, bitch. Énervée contre moi, j’ai fini par la lâcher la bombe à la matriarche. Je pense que Calypso m’en a beaucoup voulu mais tout s’est très rapidement arrêté après tout cela. Une côte fracturée par moi, des menaces concrètes par Héra, Lewis et Sacha. Voilà comment prendre fin à un cas de harcèlement (très peu conseillé, toutefois, pour des raisons évidentes).

Quelques mois après toute cette folle histoire, que nous avons réussi à maîtriser d’un coup de maître, les premiers doutes sont apparus concernant une potentielle grossesse. Moi qui m’ouvrais à la sexualité, à l’époque, j’ai pris tout cela très au sérieux. Un enfant non-désiré, je sais toute la peine que ça cause. Même si notre mère ne l’a jamais exprimé de la sorte, qu’elle ne l’a jamais montré, au vue de son train de vie, de ses mœurs, nous avions rapidement compris que nous n’étions pas sa priorité, que nous étions dans sa vie par défaut. Je ne pouvais tout bonnement pas faire vivre cela à un petit-être, moi aussi. Paniquée, j’en parle d’abord à Héra, dépassée par toutes les emmerdes qui tombaient sur notre gueule avec Calypso. Pourtant, comme toujours, j’ai pu compter sur elle, sur son amour inconditionnel alors que je lui faisais vivre un enfer sur terre. Je lui en voulais, j’étais en colère contre elle, à l’époque. Énervée à l’idée qu’elle ait pris le rôle de maman pour nous. Toutefois, si elle ne l’avait pas fait, personne n’aurait été là pour nous. C’est suite à cette épreuve que je m’en suis pleinement rendue compte, que j’ai réalisé toutes les responsabilités qui planaient sur ses pauvres épaules, d’ores et déjà exténuées, à un si jeune âge. Test de grossesse positive. La panique. Mon monde s'effondrait. Se détruisait. Heureusement, suite à une série d’examens, il s’est révélé que ce test était faux, une erreur. Soulagement comme j’en ai rarement connu, de même pour ma frangine.

Une épreuve qui nous a rapproché, qui m’a ouvert les yeux, qui m’a fait comprendre le mal que se donnaient les plus grands de la fratrie, obligés de prendre le rôle de parents, pour combler le manque de parents responsables et dignes de ce nom. Alors ma colère qui était devenue légendaire au sein des Hobbs s’est apaisée pour se transformer en reconnaissance. Un changement brutal mais vivifiant. Je n’avais plus besoin d’être constamment énervée face à eux, à leur ton parfois dur mais terrifié à l’idée que l’on devienne comme notre génitrice. Réalisant, enfin, que si je n’ai jamais ressenti le manque de quoique ce soit, c’est en grande partie grâce à eux. Amenant une large reconnaissance, respect et amour. Bien plus qu’une grande-sœur et deux grand-frères, des super-héros. De quoi foutre un coup à Superman, Batman et Wonder Woman. En tout cas, pour moi, ils les terminent jour et nuit.


Un père qui a essayé. Une mère alcoolique et toxico. Des bases pas saines. Vraiment merdiques pour commencer sa vie. Des bases à chier dans lesquelles, Calypso et moi avons été bercées. Un couple qui n’a pas tenu le choc de la vie, des inconvénients et de l’addiction. Pour être honnête, je ne peux rien dire sur mon père. Je ne le connais pas. Je m’en fous pas mal, de cet enfoiré. Il s’est barré quand Callie et moi étions jeunes, sans défense et lorsque nous avions le plus besoin de notre papa. Il s’est barré dans le pays d’en face, le Canada. Que grand bien lui fasse ! Paraît-il qu’il a engrossé sa compagne de l’époque. J’espère que le môme aura hérité d’un meilleur père, pas d’un pauvre con qui se casse à la première complication et qui n’hésite pas à exclure les membres de sa famille de l’équation. Je le porte pas dans mon cœur et je lui souhaite une torsion testiculaire chaque jour que Dieu, ou n’importe qui d’autre, fait. Je le méprise au plus au point et plus les années passent, plus je vieillis, moins je ne réussis à comprendre son choix d’abandonner ses propres enfants. Loin d’être la plus responsable de la fratrie et pourtant jamais je n’oserais faire ça. Certainement une valeur que Jack et Héra m’ont inculqué.

Eh, non, je n'ai pas pu franchement compter sur ma mère. Putain, si mon père était à chier, ça n’a rien à voir avec ma mère. Un cas parmi tant d’autres. Franchement à l’ouest, loin d’être à la hauteur dans le rôle qu’elle disait être « le plus beau de son existence, celui de maman ». Souvent trop défoncée, trop bourrée pour s’occuper de nous, elle nous refilait à tout le monde et n’importe qui, juste histoire que quelqu’un nous surveille et qu’aucun de nous ne meure et qu’elle ait des problèmes avec la loi. Pourtant, plus jeune, je lui ai pardonné. Je lui ai donné une seconde chance. J’étais jeune, inconsciente et je n’avais pas encore réalisé tout ce que faisaient Héra, Lewis et Sacha pour nous. J’étais franchement ingrate, méchante et furieuse. Sauf que je l’étais contre les mauvaises personnes. Il a fallu attendre que notre mère se casse, à nouveau, sans grande surprise, nous déçoive, encore une fois, pour comprendre, pour ouvrir les yeux sur l’être-humain incapable et déloyal qu’elle a toujours été, dont mes aînés ont essayé de nous protéger. Bien qu’elle ne soit pas restée très longtemps dans ma vie, j’étais dans la période où je cherchais désespérément un modèle et où je refusais catégoriquement qu’il s’agisse d’Héra pour une question d’égo à la con. J’ai pris exemple sur la Mère Hobbs, sur ses attitudes, sur sa façon d’être. Une bonne grosse idée de merde. J’ai commencé à fumer alors que la simple odeur de cette saloperie me débecte. Je faisais vivre la misère à mes frangins, chacun d’entre eux, sans exception. Plusieurs fois, les plus âgés de la famille ont voulu en discuter et à chaque fois, je les envoyais chier. La seule avec laquelle je voulais discuter, passer tout mon temps n’était autre que ma mère.

Au final, je suis tombée que de plus bas quand cette garce s’est barrée, comme ça, du jour au lendemain, comme à son habitude, laissant les aînés de la famille tout géré, réparé la merde qu’elle a foutu dans nos têtes, dans nos cœurs. Putain, quand je pense à quel point j’ai mal vécu son départ, à quel point je me détestais de ne pas être suffisante pour cette toxico. Le fond du trou, je l’ai touché. A l’époque, je prenais des cours de natation, passionnée par ça, j’y passais une bonne partie de mon temps libre. Un jour, alors que j’ai un entraînement, je réussis à me planquer dans les vestiaires, personne ne me chope, je passe une bonne partie de la soirée au sein de l’établissement, livrée à moi-même. Et dans un foutu élan de désespoir, j’ai plongé dans le bassin des deux mètres. Honnêtement, je me souviens plus de grand-chose, je sais juste avoir manqué d’air, avoir fermé les yeux et quand je les ai rouverts, j’étais dans une chambre d’hôpital, seule avant que toute la bande pointe le bout de leur tête. Je voyais à leur tronche qu’ils étaient inquiets. Peut-être qu’ils réalisaient, au même titre que moi, l’impact qu’a eu ce second départ de l’autre pouf’.

Sauf que Lana Hobbs est un corps carburant à la drogue et à l’alcool, des années qu’elle n’a plus aucun besoin de son cœur. Avant qu’elle ne meure, elle est revenue vers moi, en pleurs, criant au désespoir son besoin vital de drogue. Ma première réaction, ça a été de l’envoyer chier… pendant un quart de seconde. A peine je lui ai tourné les talons, aussitôt j’ai réfléchi, j’ai pensé : qu’est-ce que ferait Héra ? Un coup de boule ? Non, non. Héra aurait géré la situation, elle l’aurait prise en main, dans son coin, sans jamais nous tenir au courant pour ne pas nous blesser, nous faire, à nouveau de la peine. Alors, pour une fois dans ma vie, j’ai décidé de bien faire les choses, de me prendre en main pour protéger ma famille comme ils ont pu m’aider. Pas difficile à lui faire arracher les mots de la bouche. La greluche m’a sorti une somme astronomique, il faut l’avouer. Je lui ai fait comprendre que cet argent est le prix de notre délivrance. Plus de Lana qui vient, qui part, qui revient et qui repart. Bon, j’ai un peu merdé dans l’histoire. Dans l’espoir d’être débarrassée le plus rapidement possible d’elle, j’ai dû voler de l’argent à mes employeurs de l’époque. Je suis honteuse quand j’y repense. Je doute qu’Héra puisse faire ça. Seulement, je voulais vraiment m’en débarrasser. Je ne voulais plus entendre ses lamentations perpétuelles, ses phases délirantes.

« De mes sept enfants, tu es celle qui me ressemble le plus. J’ai longtemps pensé que c’était Héra mais non, c’est bien toi, Sweet Caroline. »

Des belles paroles, dans l’espoir que je tombe dedans comme quand j’étais une adolescente perdue, complètement à côté de mes pompes, en colère contre le monde entier sauf envers la personne qui m’a lâchement abandonné comme une merde, ironiquement. C’était sans compter sur mon cynisme et ma mauvaise foi qui triplent voire quadruplent à chaque Nouvel An, mon soleil faisant le tour de la planète à ma façon. J’ai galéré à réunir toutes ces thunes, j’ai même failli me faire choper, je me serais fait choper si une de mes collègues n’avait pas pris plein tarif pour moi, faisant croire que le vol d’argent était de son propre chef. J’ai pu m’en sortir sans peine, aucune. Je lui ai donné la thune et comme l’addicte qu’elle était, elle s’est barré, me promettant qu’elle viendrait me voir bientôt, malgré tout. Certainement qu’elle était trop défoncée la fois où nous avons convenues d’un accord pour s’en souvenir. How surprising, right? Et malheureusement, comme beaucoup de choses qu’elle a pu me dire, elle n’a pas tenu sa promesse. Quelques mois après, j’apprends son décès. Cannée, la Lana Hobbs. Et je ne vais pas mentir, ça m’a fait de la peine de l’apprendre. Je me suis même sentie coupable, coupable de n’avoir rien fait pour tenter de l’aider avec son addiction… sauf que je me suis vite rappelée de l’accro qu’elle était, de toutes les rechutes qu’elle a pu faire, le désespoir dont elle faisait preuve, la dernière fois que je l’ai vu, au bout du rouleau, prête à tout pour satisfaire son corps, détruit par toutes les conneries qu’elle s’enfilait, du point de non-retour atteint, la femme, la personne, l’être-humain qu’elle n’était tout simplement plus. Je ne dirais même pas que je suis passée par une période de deuil, comme mes frangins, à nos yeux, cette femme était morte depuis un petit bout de temps. Nos mondes n’ont pas changé avec son départ. On a essayé de lui rendre hommage, du mieux qu’on pouvait.


Je déteste l’admettre, à la mort de ma mère, j’ai connu une période difficile. Une existence que j’ai remise en question, de A à Z. Je n'arrêtais pas de me demander : qu’est-ce qui faisait que je valais mieux que Lana ? A chaque fois que je l’ai vu, elle ne cessait de raconter à quel point nous étions les mêmes, constamment, tout le temps sans arrêt. J’ai bien conscience qu’elle prenait en compte le physique, c’est vrai que je suis sa copie conforme, on ne peut nullement douter que je suis sa fille, c’est une certitude. J’ai essayé d’en parler avec les frangins, ils avaient tous le même discours : « Elle disait que des conneries, elle était tout le temps défoncée, à chaque fois qu’on la voyait. T’es mille fois mieux qu’elle ». La chose normale à dire. Ça m’a rassuré, le temps de quelques nuits où je redormais sur mes deux oreilles… avant que mon esprit soit à nouveau torturé par les dires d’une femme déboussollée. Je broyais du noir. Je n’arrivais pas à sortir la tête de l’eau. Plutôt ballot pour quelqu’un qui tentait d’avoir son diplôme de maître-nageur. Diplôme que j’ai bien failli abandonner, au même titre que Lana qui a toujours tout abandonné autour d’elle.

Un soir où je me bourrais la tronche avec des amis dans un bar, plutôt miteux, ayant la particularité d’avoir une scène ouverte. Les souvenirs sont flous, pas franchement clairs. J’ai une vague idée d’avoir été séduite par la voix d’un des participants, d’être venue lui parler, en essayant de le draguer, l’espoir qu’il me ramène chez lui parce que si Héra me voyait dans cet état-là, elle m’aurait TER-MI-NÉE. C’est  ce qu’il a fait. Je me souviens d’un appartement sympa, d’une odeur plutôt agréable pour le logement d’un homme et plus rien. Après, je me réveille très tôt le matin, complètement habillée, encore vêtue de mes Docs Martens, pour vomir sur un beau tapis en fausse fourrure blanche. Oups ? Contre toute attente, il ne m'en a pas tenu rigueur, au contraire, il m’a même tenu les cheveux pendant que je baptisais ses WC. C’est là que j’ai retenu son prénom : Collin.

Au petit matin, quand je suis partie de chez lui, j’étais persuadée que je ne le reverrais jamais. Qui voudrait revoir une nana qui a passé le peu de temps où elle était lucide pour vomir ses tripes ? Clairement, personne. Sauf qu’au bout d’une heure, alors que je marchais à pied, que je traversais tout Monterey pour récupérer ma bagnole au centre de la ville, je suis surprise par un message de ce charmant brun.

« Je trouvais ce tapis dégueulasse, de toute façon. C’était une idée de mon meilleur ami. Qui met des tapis blancs ? »

A ce SMS, j’ai ri. Bêtement. Je dirais bien comme une adolescente sauf qu’à mon adolescence, j’évitais les mecs comme les Hommes évitaient la peste au XIXe siècle. La conversation se poursuit naturellement. On convient d’un rendez-vous, dans un petit restaurant et… Putain, je suis pas vraiment penchée grand amour, coup de cœur, téléfilms Hallmark Channel et tout ça. Plutôt terre-à-terre, franchement je-m’en-foutiste quand il s’agit de la gente masculine et féminine. Renfermée et fermée à l’idée d’une aventure d’une nuit depuis mon faux-positif, l’une des plus grosses frayeurs de ma vie, je n’ai jamais tenté l’expérience avec quiconque. Absolument écœurée par le corps humain, en règle générale. Je ne saurais expliquer comment, comment ce petit con avec cette discussion longue comme le monde concernant les instruments de musique, a réussi à me séduire. Ce foutu sourire qui a gagné mon cœur, cette fausse arrogance qui m’a conquis, qui m’a rappelé un peu de ma personne, aussi. Lui qui m’a écouté pendant de longues minutes, à raconter ma petite vie, sans jamais m’interrompre, sans jamais me juger, essayant de comprendre, de me comprendre. Ce rire, aussi. Si communicatif. Un plaisir à entendre. Un honneur à provoquer. Ses compliments sur mes fossettes, ma collection de Docs Martens, mon tatouage Poison Ivy. Sa compréhension sur ma famille, sur nos mœurs, sur nos valeurs, sur notre histoire. Ses lèvres et sa façon de m’embrasser. Magique. Unique. One of a kind. Piquée dès les premières secondes où je l’ai vu. Amoureuse dès le premier dîner passé avec lui. Des défauts que j’ai appris à aimer, malgré tout. Un cœur qui s’est guérit grâce à lui, grâce à sa patience.

Puis, y a peu, il a posé un genou à terre, le fou. Une bague dans un écrin, une question… ou plutôt deux. La volonté de m’épouser et de vivre avec moi. Deux questions qui, contre toute attente, ont eu réponse assez vite. OUI. Evidemment que oui. Toutefois, même si les neufs mois passés ensemble sont proches du paradis sur terre, que rien n’est à signaler, Collin n’a toujours pas eu affaire avec les Hobbs. Une sacré épreuve pour notre couple. Une épreuve dont j’ai peur même s’il se dit prêt. Personne n’est jamais prêt au regard assassin d’Héra, aux sous-entendus hostiles de Lewis, aux menaces de Sacha, l’analyse complète et fatale de Calypso et aux questions indiscrètes et inquisitrices des deux derniers. Sa jolie bague en or blanc que je n’ai encore jamais porté plus d’une heure. Précieusement mise dans une boîte, à l’attente d’une mise au doigt officielle et définitive.