tw :: aucun.

.OUTFIT | Je photographie l’éphémère, parce que ces moments-là ne durent pas. J’imprime les souvenirs, pour que mes clients puissent revenir en arrière, se rappeler ces instants capturés dans le temps, pour une poignée de quelques heures. Aujourd’hui, deux êtres faits l’un pour l’autre vont s’unir pour le meilleur et pour le pire et tout ce que je leur souhaite, c’est qu’ils vivent une vie remplie d’amour et d’aventure. Qu’ils ne cessent jamais de se regarder avec tendresse, qu’ils n’arrêtent jamais de se dire combien ils s’aiment, qu’ils ne s’éloignent pas, l’un de l’autre… J’ai moi-même été mariée et si je garde un merveilleux souvenir de ce jour-là, en revanche je ne peux pas dire que nous ayons réussi à nous dire ces mots d’amour, dans le temps. La vie et ses embûches ont fait qu’aujourd’hui, il ne reste plus rien de notre mariage ni de notre belle complicité d’autrefois. Je suis nostalgique de ces années de bonheur, me demande ce que j’aurais pu faire pour sauver mon mariage ou ce que je n’aurais pas dû faire, a contrario ? Je ne sais vraiment pas. Me faire une raison, c’est tout ce que je tente de faire depuis maintenant un an. J’ai divorcé en février dernier et ça me blesse qu’Ismaël et moi, nous n’arrivons toujours pas à communiquer tous les deux et j’ai peur que ça impact sur notre petite fille de quatre ans. Je l’ai déposé chez sa marraine pour le weekend, depuis le temps qu’elle me harcèle pour l’avoir quelques jours, c’était l’occasion, parce que je vais travailler fort. Aujourd’hui, je capture, mais demain je constitue ce merveilleux album souvenir qui se dessine déjà dans ma tête… Pour l’instant, j’ai fait quelques clichés de la future mariée, entourée de femmes toutes plus belles les unes que les autres, mais sans voler la vedette à mademoiselle Fitzgerald, bien entendu ! Je n’oublie pas d’immortaliser cette délicieuse étreinte, entre une mère et ses filles dont l’une est sur le point d’épouser son âme sœur. Il y a beaucoup d’amour dans l’air, et je ne parle pas des mariés. Je ne les ai pas encore vus ensemble…

Et puis, il y a mon arrivée chez les garçons. L’ambiance est drôlement différente mais tout aussi agréable. J’écoute, ne dis rien. Cela fait aussi partie de mon travail. On se fait discret, le plus possible, on sourit et on dit parfois aux choses que nous entendons mais on n’intervient pas. Jamais. Quelques pauses volées avant le grand moment. Et puis, l’arrivée de la mariée, les échanges de vœux, de regards, et enfin ; le baiser. Celui qu’on ne veut surtout pas manquer, parce qu’il est très important. Il scelle le destin d’un homme et d’une femme, plus amoureux que jamais. Il marque le début d’une nouvelle vie, d’un renouveau pour certains. Je ne pouvais, ne pas le conserver sur mon appareil photo. Quand je prends une pause, je décide d’envoyer un message à mon ex-mari. J’aimerais lui faire comprendre qu’à chaque fois que nous nous voyons même si ça ne dure jamais longtemps, il arrive à me blesser de par son simple comportement. J’ai l’impression d’être devenue une étrangère à ses yeux, alors que je lui ai tout de même consacré dix ans de ma vie. Je lui ai donné une fille, qui ne semble pas toujours vouloir… Faire un effort pour elle, ce n’est quand même pas trop demandé, si ?

Je me rends compte de mon erreur quand je reçois une réponse. Ce n’est certainement pas l’homme que je cherchais à contacter. Oh non, surtout pas ! Je sais que mes messages sont toujours mal interprétés par mon collègue, enfin, patron plutôt. Keller cherche toujours la petite faille pour se faufiler et il sait comment faire pour m’atteindre, pourtant je veille à sélectionner mes mots avec la plus grande attention, mais semblerait que mes précautions ne valent rien ! Il est tenace, je ne le répéterai jamais assez, je crois. C’est ce qui le définit. J’ai beau essayer l'électrochoc avec Joséphine, mais ça ne fonctionne plus… Plus tout à fait comme avant, je dirais. Il va falloir que je redouble d’efforts à présent mais je ne m’avoue pas vaincue, moi non plus !!! Dans la précipitation, je lui envoie ma position GPS, en fermant mon téléphone. La pause est finie et j’ai encore pas mal de clichés à prendre. C’est le temps du vin d’honneur, ce qui veut dire que je vais devoir prendre les mariés par la main et proposer quelques pauses pour l’album souvenir !

Tout s'enchaîne rapidement. Le vin, le début des festivités, les photos de couple. Et oui, aucun répit pour Siobhan et Caleb, qui se prête au jeu sans aucune contrainte. Ils sont radieux et leur bonheur est contagieux. Quel mariage ne l’est pas, hein ? Lorsqu’ils s’éclipsent enfin pour rejoindre leurs invités, je retourne à mon poste. Un coin de la salle de réception, aménagé en petit studio photo. J’en profite pour faire quelques réglages de mon appareil et changer la carte mémoire quand soudain, en levant les yeux je…

JE CROIS RÊVER !!!!!

Non ! Il n’a pas osé, quand même ???? BAH SI, IL A OSÉ, le nigaud !!!!
Je pose mon appareil sur la table et m’approche de lui, légèrement furieuse. Je ne veux pas faire de vague, alors en croisant les bras sur ma poitrine, j’arrive à sa hauteur et murmure :

« Keller, tu n’as rien à faire ici ! Je vais te demander de partir...
Allez, oust ! »

Je tends le bras, ainsi que mon index vers la porte de sortie. Il n’est pas question qu’il reste ici. Et puis d’ailleurs …

« Comment t’as su où j’étais, d’abord ?? »

tw :: aucun.

Faut jamais dire jamais, dans la vie.

Parce que je n’aurais jamais pensé que la mienne aurait pris une telle direction. Qu’un tel chaos finisse par régner dans mon existence, qu’un revirement de situation aussi soudain et (presque) définitif finisse par détruire le peu de certitudes sur lesquelles je pouvais me reposer.
C’est un nouveau mantra qui me guide et auquel je crois dur comme fer, désormais. Jamais je n’aurais pensé être à deux doigts du divorce avec Joséphine, jamais je n’aurais pensé contracter autant de dettes qui menaçent mon équilibre financier. Et jamais, ô grand jamais, je n’aurais pensé que la femme de mes rêves pouvait me résister à ce point.
Mais comme je le pense constamment, ces derniers jours, il ne faut jamais dire jamais.

La dernière fois que je me suis retrouvé face à Gigi Moseley… Et bien… Comment dire… Comment résumer les choses en parfaite objectivité… Ce fût un fiasco monumental.
Oui, je pense que c’est un constat plus qu’honnête. Et pourtant, je n’ai jamais été aussi déterminé. Jamais je ne lâcherais l’affaire, j’estime que j’ai bien trop attendu et que ce fameux article aux enjeux monstres n’est qu’une fatalité afin que nous puissions être réunis. Tôt ou tard, nous aurions fini par nous retrouver car la connexion qui vibre entre nous est sans limite. Certes, dans le passé, nous nous sommes heurtés à des obstacles sans précédents… Qui existent toujours. Certes, Gigi est mariée… C’est un fait contre lequel je ne peux lutter. Et de mon côté, je le suis toujours également mais mes pensées ne volent plus en direction de Joséphine. Mon cœur ne bat pas la chamade quand je la retrouve. Mais aux côtés de Gigi, je me sens si vivant. Tout me semble possible… Et je crois en cette histoire, ce conte dans lequel nous pourrions devenir les deux plus beaux et intenses protagonistes jamais créés.
Je ne veux pas simplement regarder le train qui passe, je veux grimper à son bord. Alors, tandis que je profite d’un Samedi où les bureaux du journal sont désertés afin de finaliser quelques dossiers en cours, je suis interrompu en plein travail par l’arrivée d’un SMS. Grommelant dans ma barbe d’être ainsi dérangé, je m’adoucis aussitôt en constatant qu’il provient de Gigi.
Il semblerait que ce week-end prend une toute autre tournure… Bien plus agréable, exaltante et inattendue que ce que j’avais imaginé en me levant, ce matin.
Après quelques échanges plutôt houleux, je me décide et ne réfléchis pas une minute de plus. Le temps de passer à mon domicile, déserté par ma famille qui doit sans doute être au parc ou au cinéma, et m’en foutant royalement, par la même occasion, je dégote le costume le plus élégant que je possède et l’enfile en quatrième vitesse. Dernier coup d’oeil dans le miroir mural de la suite que je partage avec ma femme afin de vérifier à quoi je ressemble…

À un homme amoureux qui s’apprête à bander son arc et tirer le plus de flèches possible en direction de la photographe de mon cœur.

J’arrive rapidement au lieu de réception du fameux événement phare du week-end. N’écoutant que mon instinct et faisant preuve d’un aplomb sans égal, je me fonds parmi les invités, navigue dans cet océan d'inconnus, me guidant de la boussole que j'ai dans le coeur et qui pointe en direction de Gigi. Je ne mets pas bien longtemps afin de la retrouver, isolée dans un coin de la salle de réception, en plein travail, le nez plongé sur ses récents clichés. N’ayant même pas besoin de me racler la gorge afin de signaler ma présence, je ris doucement avant de répondre à sa question, réalisant à quel point elle est belle quand elle est furieuse:

Très chère Gigi, il n’y a qu’un seul mariage ce week-end à Monterey… Ce n’était pas si compliqué que ça, de te retrouver!

Sauf que l’excuse que je lui présente est complètement fausse. Mais en même temps, est-ce réellement une bonne idée de lui expliquer que, lors de notre dernier échange de messages, elle a malencontreusement envoyé sa position GPS et que j’ai profité de ce dérapage afin de me précipiter pour la rejoindre? Pas sûr. Pas sûr du tout, même.
Je passerais pour un fou. Ce qui est la vérité, après tout… Puisque je suis fou d’elle.
C’est une cruelle vérité qu’elle ne semble pas être sur le point d’accepter. Elle n’est pas hésitante, Gigi Moseley, non, c’est pire que tout: elle est catégorique. Campée sur ses positions, je sens de l’exaspération dans l’air…
Mais il m’en faut davantage pour prendre la fuite. Reprenant rapidement ma respiration, j'ajoute, d'une voix cajoleuse:

Tu… Permets toi une telle futilité mais… Tu es ravissante. Cette robe te va à ravir.

Bien entendu, j’ai également remarqué à quel point elle semblait facile à défaire et je dois à de nombreuses reprises cligner des yeux afin de retrouver le contrôle de mon esprit décidément très salace. Ezra Keller, voyons, reprends toi! Tu es en plein mariage! Ce n'est pas le moment de déraper... Conservant la tête froide malgré toutes les idées saugrenues qui me passent par la tête, je demande, une main posée sur sa table de travail:

Gigi, on devrait profiter de ces retrouvailles inattendues pour parler, non…? Depuis notre dernière entrevue, j’ai…

J’ai beaucoup pensé à toi, voilà ce que j’avais envie de lui confier, osant enfin livrer cette tension et ce manque qui sévissent dans mon pauvre cœur meurtri. Mais le destin semble en avoir décidé autrement. Sans prévenir, un serveur excédé de ne pas pouvoir prendre sa pause à temps me tend son plateau chargé de flûtes de champagnes dans les mains, prétextant qu’il doit fumer une cigarette de toute urgence avant d’exploser pour de bon. Ahuri mais réussissant malgré tout à remarquer les bons côtés d’une situation aussi cocasse, je prends mon air le plus sérieux et propose à Gigi, sans concessions:

Bon, puisque c’est comme ça… Je m’occupe de distribuer ces boissons… Et tu sais quoi…? Je suis un maladroit en série, tu le sais, mais si je réussis à ne rien casser ou renverser… Je garde deux coupettes et on trinquera ensemble à ce miracle. T’es partante? Allez, dis oui, de toute façon, regarde, tu n’as pas le choix… Admire l’artiste…

Sans attendre une réelle réponse de la part de la photographe puisque de toute manière, je suis décidé et rien ne m’arrêtera dans ma quête, je me plonge dans le rôle du serveur d’un soir. J’en rajoute même des tonnes, laissant ma main dans mon dos, marchant droit comme un I, baissant légèrement la tête à chaque fois qu’un invité attrape une des coupes que je propose. J’en fais des tonnes, j’accentue chaque geste afin que le cérémonial soit le plus convaincant possible. Et au fond, même si je me retiens de me retourner afin de vérifier si Gigi m’observe, je sais qu’elle apprécie ma petite comédie.
Il en a toujours été ainsi, entre nous: j’amuse la galerie, elle en rigole. Et…
Peut-être que l’Univers se joindra à nous afin que nous puissions finir la nuit ensemble, qui sait…?
Quelques minutes plus tard, j’ai enfin accompli ma tâche. Posant la plateau sur une des tables hautes disposées un peu partout dans la salle de réception, j’attrape deux flûtes, déplace d’un savant coup de tête une mèche de cheveux qui me tombait sur les yeux et retrouve Gigi, tout en lui tendant un verre et lui annonce fièrement:

T’as vu. Et pas une seule de brisée. Alors… Santé…?

Clin d'œil plutôt ravageur, presque… provocateur.
Gigi, t’as vu de quoi je suis capable… Juste pour tes beaux yeux!
Ose me dire qu’une telle audace ne te fait pas d’effet… Ose le dire.
Dis le mois et je m’en irais… Peut-être…

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.OUTFIT | La première chose qui m’interpelle quand je vois Ezra Keller faire son entrée dans cette salle de réception, c’est qu’il n’a rien à faire ici. Il n’est pas invité à ce mariage, alors que fait-il ici ? J’ai ma petite idée sur la question, sans besoin d’y réfléchir mais je ne peux m’empêcher d’être quelque peu furieuse. Son audace me sidère, au plus haut point. Je crois que je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi insolent de toute ma vie parce que Keller est le genre de gars qui brave l’habitude, au mépris des obstacles. Oui, le patron du journal de Monterey a un sacré culot et c’est très certainement grâce à ces capacités là, qui me contredisent dans mes sentiments, qu’il se retrouve au sommet de cette chaîne alimentaire du journalisme ! D’un sens, se comporter en vrai requin n’a rien de mauvais, il a su se battre pour ce qu’il voulait et j’en suis très heureuse pour lui, d’ailleurs. S’il se sent en phase avec ses choix, tant mieux. Par contre quand il prend tout pour acquis, je déteste ça. On dirait un enfant capricieux, qui, quand il veut quelque chose, tape du pied, fait sa crise pour l’obtenir, n’hésitant pas à se rouler par terre, devant tout le monde. Suffit de voir comment il aboie au bureau pour avoir une idée du phénomène qu’il est ! Et parfois, j’ai l’impression qu’il me prend aussi pour acquise alors que nous sommes très loin du compte : je ne lui appartient pas, et je ne suis pas sûre de le vouloir, après tout. Et puis quoi ? on reproduit son désastre, maritalement parlant ? Non merci. J’ai donné.

Mes sentiments pour Ezra sont très contradictoires depuis toujours. Un jour, je ne me vois pas vivre sans lui et le jour d’après je veux me tenir loin de sa vie. Depuis longtemps, je nourris quelque chose qui n’a pas sa place dans notre existence. Keller est un homme marié. Il a une famille, des enfants. Joséphine, son adorable épouse, ne mérite absolument pas d’être traitée comme une moins que rien. Elle a droit au respect de son époux, et à son amour… C’est au nom de l’amour que les gens se marient alors pourquoi ne serait-ce pas la même chose pour eux ? Joséphine est une femme formidable, je l’ai cotoyée pendant longtemps. Elle est devenue une amie et même si aujourd’hui les aléas de la vie (et mes sentiments pour son mari aussi) ont fait que nous nous sommes perdues de vue, ça ne change en rien à ce que je ressens à son égard. Je me sens comme… prise au piège entre la raison et les sentiments. Je lutte contre ce qu’il y a de plus légitime en moi. Je repousse je ne sais depuis combien de temps Ezra, pour le bien de tout le monde mais surtout pour ma propre santé. C’est à moi que je dois penser avant de songer aux autres. Je ne veux plus souffrir. Je ne veux pas que l’on ramasse, à la petite cuillère, mon cœur en morceaux. J’ai assez donné. Et je suis certaine qu’il va me briser le cœur. J’en ai conscience. C’est pour cette raison que je veux qu’il s’en aille sur le champ. C’est pour cette raison que je ne peux pas rester une minute de plus avec lui, sous peine d’être totalement sous son emprise…

Je sais ce qu’il fait. Et il est très doué. PLus que ça, même. On dirait qu’il a un don, qu’il est né juste pour me rendre folle. Folle d’amour, folle furieuse, folle de tout. Avec Keller, je passe par de nombreuses émotions et comme je l’ai déjà dit, elles se contredisent tout le temps alors j’ai peur de céder à ses avances à peine voilées. Depuis des mois, c’est comme ça? Je sais à quoi ressemble ses tentatives de me corrompre mais je tiens bon. Il faut que je tienne bon. Ce n’est pas parce que je ne suis plus mariée que je dois me permettre d’en mettre un autre à mal. Ce n’est pas parce que son mariage avec Joséphine bat de l’aile que je dois être la source de son échec ! Et puis, je ne veux pas avoir d’ennuis ici. C’est une belle réception, tout se déroule pour le mieux, je ne voudrais pas qu’un “couac” se produise à cause de moi, simplement parce qu’il a décidé de me rejoindre ici alors qu’il n’est pas invité. D’ailleurs, j’suis bien curieuse de savoir comment il m’a trouvée ? Et sa remarque est pertinente ! J’ai les bras croisés contre ma poitrine et je souffle du nez, exaspérée. J’aurais dû y penser mais ça ne change rien.

« Tu dois quand même t’en aller, Keller. Tout de suite ! »

Je murmure tout en regardant discrètement autour de moi… Personne ne semble faire attention à nous, et je crois que c’est mieux ainsi. Rester discrète c’est tout ce qui compte pour moi. Je récupère mon appareil photo dans les mains, histoire de me donner plus de contenances, d’être professionnelle sans donner l’impression que je me “dispute” avec un invité. Oui parce qu’il ressemble à tout le monde ici. Je n’avais pas remarqué le costume. C’est seulement après qu’il m’ait complimentée sur ma tenue. Ce qui en soit, me fait sourire au coin des lèvres. Non Georgina, ne souris pas. Il va croire qu’il gagne. C’est peut-être le cas, remarque mais pas question de lui donner la victoire à cet arrogant de malheur !! Puis, il pose sa main sur la table, ce qui le fait pencher un peu plus vers moi. Du coin de l'œil, je fais mine de ne pas le voir, bien trop occupée avec les clichés de mon appareil photo. Je tente surtout de lui montrer que tout l’univers ne tourne pas exactement autour de sa petite personne et que je ne suis pas l’une de ses planètes qui gravite autour de lui. Lui donner du crédit, c’est surtout lui faire croire qu’il a une chance de me faire céder. Je ne peux me le permettre même si cela veut dire lui mentir sur mes sentiments à son égard. Je roule des yeux, avant de répondre :

« Tout est une question de retrouvailles inattendues ou de hasard de dingue avec toi, Keller. C’est p… »

Interrompus dans notre drôle d’échange par un serveur qui veut prendre sa pause illico presto, pour se griller une cigarette, voilà qu’il dépose le plateau chargé de coupes de champagne entre les mains d’Ezra. Bouche bée, je vois déjà le truc arriver. Comme le nez en plein milieu du visage. Je peux m’attendre à tout avec lui et ce que je craignais, tire ainsi la sonnette d’alarme !  Je ne peux pas le laisser faire ! J’ai peur de la catastrophe, j’ai peur qu’il se fasse repérer (Quoi que… ça le ferait partir…) Non mais je ne veux surtout pas d’ennuis, c’est surtout ça.  Je me mords la lèvre inférieure en gémissant.

« Keller, non ! »

Je suis furieuse qu’il ne m’écoute pas. Je suis certaine qu’il va finir par renverser le plateau, s’étaler sur le sol, attirer tous les regards vers lui… Oh que ça va être embarrassant. Pour lui, ou pour toi Georgina ? Ceci dit, je croise les bras de nouveau sur ma poitrine pour l’observer. Je ne veux pas le perdre de vue, alors qu’il s’est mis en tête de défier les lois de l’univers juste pour trinquer ensemble à cela. Doucement, je m’apaise quand je vois qu’il s’en sort… bah plutôt pas mal en fait. Bon remarque il exagère un peu dans sa démarche mais je crois qu’il réussi à m’amadouer, le bougre ! Ouais, il a réussi à me faire sourire. Rire, même ! Quand il revient, je ne chasse pas ce sourire amusé de mes lèvres et dois reconnaître qu’il a assuré. Accorde lui cette toute petite victoire, elle ne peut pas faire de mal, après tout. Et elle n’engage à rien dans ce drama qu’est votre drôle de relation collaboration. Je tends la main vers la coupe de champagne qu’il m’offre et incline la tête avant de lui dire ceci :

« Je te félicite alors santé ! »

Tout en portant la coupe à mes lèvres, je ne le quitte pas une seule seconde du regard. Cette lueur que j’y détecte est tout simplement… profonde. Voilà pourquoi je ne veux pas m’attarder sur Ezra Keller. Je sais l’effet qu’il me fait, je sais exactement ce que j’ai envie quand je suis avec lui. Je sais également où je veux qu’il pose ses lèvres, ses mains, … Je secoue la tête, chassant ses idées d’une absurdité ridicule et pose ensuite mon verre sur le coin de ma table de travail. Bon et bien, puisque je doute qu’il s’en aille de sitôt, j’ai une idée qui me traverse l’esprit. Je contourne alors la table, m’approche de lui et sans attendre, je lui prends son verre des mains alors qu’il s’apprêtait à en boire une nouvelle gorgée, le pose proche du mien et lui dit, la plus sérieuse possible :

« Tu vas m’aider, puisque t’as l’air décidé de rester. Tu deviens mon assistant pour les prochaines heures. J’ai un autre appareil. A deux on va pouvoir “couvrir” plus de terrain hein ? … »

Ajustant le nœud de  sa cravate, que je serre davantage, je plonge mon regard dans le sien. Sans m’en rendre compte sur le moment, je me montre autoritaire. Je termine ainsi :

« Et je te paie pas… mon patron ne me donne pas le salaire à la hauteur de mon travail, ça veut dire que tu bosses gratuitement pour moi ! »

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C’est un jeu. Un jeu que je connais par coeur, auquel j'ai longtemps joué en compagnie de Gigi, et dont je semble ne jamais avoir oublié les règles.
J’ai la sensation d’être projeté dans un fabuleux souvenir, que j’ai chéri plus que je n’oserais jamais l’avouer. Cette fameuse soirée, où le monde semblait être à notre portée. Nous étions au sommet du monde... Mais Gigi a choisi d'emprunter le chemin opposé, de redescendre, de me quitter. Moi et tous les espoirs que j'entretenais à ses côtés. Je ne l'ai jamais considéré comme coupable, chacun est maître de ses choix. Mais la déception, oui, elle ne m'a jamais quitté, depuis cette nuit. Elle est la compagne que je n'ai jamais désiré.

C’est à cet instant que je me suis montré faible, le plus enclin à l’échec. La pire décision de toute mon existence, en choisissant… De ne pas agir. Je le regrette tous les jours, ce manque de courage. Il m’a coûté bien des nuits de sommeil, une fichue espérance de tomber sur un retourneur de temps, comme dans le film Harry Potter… Le quatrième? Je ne sais plus, putain, j’en ai rien à faire, de toute manière. J’ai manqué d’audace, de cran, de tout ce qui compose mon caractère depuis que j’ai poussé mon premier cri en ce monde.
Mais ce soir, oh oui, ce soir… Je renoue avec le glorieux Ezra Keller.

Un sourire, oui, il est timide, mais il existe. Je l’aperçois sur les lèvres de ma photographe adorée, il illumine la pièce, éclipse la prétendue beauté de toutes les autres invitées. J’ai réussi, je viens de grimper sur la première marche de la longue ascension qui mène à la liberté, aux côtés de Gigi. Je réponds à cette abdication évidente par un sourire bien plus large, que je ne voile pas, qu’au contraire, j’alimente, je fais durer.

Qu’elle est belle. Se rend-t-elle compte de la force qu’elle dégage…?

Et puis, je passe à l’action. Je n’hésite pas, je compte sur ma bravoure pour me guider, pour prouver à Gigi que je peux être digne de confiance, que je peux relever chaque défi qu’elle m’accordera, comme si ma vie en dépendait. Je réussis sans encombre à servir les invités, je me fonds dans le décor. Mine de rien, j’aurais fait un agent secret plutôt crédible, n’est ce pas? Je joue avec cette situation, j’y trouve une occasion d’oublier mes tracas, interpréter un rôle de manière aussi légère me détend.
Mais auprès de Gigi, je ne peux être que le grand Ezra Keller. L’indomptable journaliste, l’homme secret, le séducteur invétéré.  
Oui, tout cela à la fois.
La flûte que je tiens entre mes mains, qui cogne doucement contre la sienne, tintant au milieu du brouhaha qui nous entoure, symbolise bien des choses. Et le sourire que je lui offre, qui accompagne cette gorgée partagée, est une victoire que j'ai largement mérité. Savourant ce nectar pétillant, je souligne, d'un ton presque hautain:

Tu vois, tu peux compter sur moi. La dernière chose que je supporterais en ce monde, c’est de te décevoir.

Ma voix est beaucoup plus sérieuse, posée, criante de vérité. Le message subliminal de mes propos est à peine voilé, j’espère sincèrement qu’elle pourra le percevoir. Qu’elle comprendra le sens caché de cette phrase.
Et si tu lui disais, tout simplement, qu’elle te manque et que tu n’as pas la sensation de respirer correctement sans elle, hein, Keller…?
Bon, ça suffit la petite voix dans ma tête! Fous moi la paix, j’ai autre chose à faire, comme…
… Comme me laisser guider par Gigi qui décide de prendre les choses en main?
Je suis surpris, mais de la plus agréable des manières. Ses mains qui se posent désormais sur ma cravate, qu’elle ajuste… Grand dieu que mes pensées deviennent beaucoup moins catholiques, soudainement! Battant des cils, ayant bien conscience qu’elle souhaite me confier une mission de la plus haute importance, je me contente de bredouiller, osant poser ma main sur sa hanche droite:

Quoi, comment, pourquoi…? T’as dis quoi, j’étais trop occupé à dévorer tes lèvres du regard…

Mais pitié, dîtes moi que les toilettes de la salle de réception sont disponibles et que je puisse rendre hommage à la beauté et à l’aura sexuelle que dégage Gigi Moseley à cet instant! Mais lorsqu'elle me plaque son second appareil photo sur le torse, je comprends enfin la tâche qu’elle vient de m’assigner. Fronçant des sourcils, j’hésite à rétorquer. Faut dire que je viens déjà de donner de ma personne, et pas qu’un peu.
Mais un Keller n’a jamais refusé un défi. Jamais.
Alors, me recoiffant d’un geste rapide, je me contente d’affirmer, d’une voix forte:

Compte sur moi. On se voit dans une heure…?

Je ne peux pas m’empêcher de mener la partie, de commander, d’organiser notre travail commun. Mais qu’est ce qui te prends, hein, Keller? T’es pas dans les locaux de ton journal, hein. Ici, tu es sur le territoire de Gigi, elle te dirige, c’est à elle que tu dois rendre des comptes.
Qu’est ce que j’aime ça, dis donc.

Et me voilà parti. Après avoir été le serveur le temps de quelques minutes, me voilà l’assistant de Gigi, photographiant tout d’abord la décoration, grâce à des gestes hésitants. Bon, pas certain que le cadrage soit parfait, hein… Mais ce qui compte, c’est d’essayer, n’est ce pas? Et bien sûr, l’essentiel est de participer.
NON MAIS C’EST QUOI CE DISCOURS DE LOOSER, HEIN, KELLER?!
Reprends toi, mon vieux. Tu as obtenu la chance rêvée de prouver à Gigi que tu en vaut la peine. Que tu peux réussir n’importe quel défi, tout simplement pour ses beaux yeux.  
Et je navigue, entre les tables, sur la piste de danse. J’engage la conversation, me présente brièvement, je tente de masquer le fait que je ne suis qu’un novice en la matière. Mon légendaire bagout rend très à l'aise les invités les plus récalcitrants, je réussis à décrocher des rires, des sourires, des approbations. J’appuie sur le déclencheur, je tourne l’appareil dans tous les sens. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je m’applique! Je donne de ma personne, j’en suis au point d’avoir des sueurs froides. Je me plonge dans cette activité avec autant d’investissement que possible, je refuse de décevoir Gigi.
Je dois lui prouver que je suis bon… Sur tant de points différents.
Après un peu plus d’une heure de dur labeur, je retourne à la table de travail de Gigi, plutôt fier de moi. Je tends mon appareil en direction de la plus belle créature que je n’ai jamais vu en ce monde, claironnant d’une voix suave:

Et voilà! Tenez, Patronne.

C’est le monde à l’envers, ce soir. Les rôles s'inversent, rien n’a de sens, tout est ridiculement savoureux. Voilà que je lui rends des comptes, maintenant! Tenant bon en plantant mon regard dans celui de Gigi, je suggère, de manière si innocente:

Et maintenant… C’est l’heure de la pause, n’est ce pas? Tout travail mérite salaire… Mais tu m’as prévenu que je n’aurais aucune récompense financière. Puis-je prétendre à autre chose, dans ce cas…?

Sourire charmeur, clin d'œil lancé histoire d’achever toute résistance.
Allez, Miss Moseley… Cède à la tentation. La pomme est si savoureuse, tu ne le regretteras pas…

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.OUTFIT | Me décevoir ? Jamais de la vie !
Ezra est bien des choses mais en aucun cas, une déception ambulante. Il nous arrive de ne pas être sur la même longueur d’onde, je peux également le trouver très lourd ou trop insistant parfois, mais j’aime tellement sa façon d’être. Il ne renonce jamais. Il se bat pour ses convictions, pour ce qu’il croit juste (même si ce n’est généralement pas le cas) Il commet des erreurs comme nous tous et je ne peux pas lui en vouloir pour ça et encore moins être déçue par un Ezra Keller passionné et dévoué. Mine de rien, il a fait de moi ce que je suis aujourd’hui, il faut le reconnaître. Il a cru en moi, plus que quiconque. Il a décelé un potentiel insoupçonné pour ma part et je lui ai fait confiance dès le début. Il était déjà, à l’époque, une figure d’autorité que je respectais énormément. Ça n’a pas changé, ceci dit. Je respecte toujours autant mon patron. Ezra qui est devenu rédacteur en chef ne me surprend guère, c’est exactement là où je l’imaginais voilà une dizaine d’années. Il a grimpé les échelons non sans une poigne de fer légendaire et est parvenu au sommet avec une facilité déconcertante. Après tout, Keller est un requin et sa réputation le précède. Il est strict, aboie sur son personnel tel un chien enragé MAIS il sait se faire respecter. Au travers de son autorité, il est capable de bichonner ses employés.

Et non, je ne parle pas de moi. Pas seulement.

Ça me fait chier de l’admettre, mais je suis bien consciente que j’ai droit à un traitement de faveur de sa part. Il n’ose m'aboyer dessus comme il le fait avec les autres. Il m’envoie un peu trop de messages qui ne cadrent pas avec le travail. Il a toujours des excuses pour passer me voir dans mon box, au bureau alors qu’il y a une cinquantaine de journalistes et autres, autour de nous. Il n’est carrément pas subtil quand il me drague ouvertement. Que ce soit par texto, par appel ou par je ne sais quel hasard de dingue il aurait trouvé. Oui, je suis consciente que notre relation dépasse le cadre professionnel et très largement mais je n’arrive pas à mettre un terme à son petit jeu. Parfois, je me surprends même à répondre dans son sens mais je m’en veux immédiatement. Mes sentiments pour lui sont sans équivoque : je suis amoureuse. Ça ne date pas d’hier et je pense que c’est pour cette raison que j’alimente parfois un peu trop le feu entre nous. Je ne perds pas de vue qu’il est marié et que Joséphine a été une très bonne amie, il y a encore quelques années mais si je me suis éloignée d’elle… d’eux,…c’est justement pour ne pas être la source d’horribles scènes de ménage. Keller le sait très bien, je ne serais pas sa maîtresse. Je n’ai jamais voulu l’être d’ailleurs. Et quand nous nous sommes embrassés, il y a longtemps, j’ai failli commettre l’irréparable. J’y ai pensé, si fort. J’allais prendre des engagements qu’Ezra avait pris quelques années plus tôt. Le mariage, c’est un engagement sacré et il doit être respecté peu importe la tentation extérieure. Et Ezra, était l’ultime tentation pour moi. Je n’ai jamais regretté de m’être éloignée de lui, tandis que dans mon cœur, se dressait un mur pour repousser mes sentiments, et toute cette souffrance qu’elle a engendrée. Je me suis mariée à un homme que j’aimais, oui. J’ai eu une adorable petite fille. Je ne regrette pas ma vie, loin de là, mais parfois, je me demande ce qu’il se serait passé si j’avais cédé à ses avances, dans cette chambre d’hôtel ?

Oui, ça j’y pense constamment.
Le repousser est difficile, mais je tiens bon. J’en donne peut-être pas l'impression mais j’essaie si fort de ne pas laisser mon coeur parler à ma place. Il faut que ma raison prenne le dessus, parce qu’elle est plus juste, plus mûre. Mon cœur se comporte tel un adolescent capricieux, il ne serait pas judicieux de l’écouter en ce moment. Pourtant, je baisse ma garde, je laisse Ezra prendre le pas sur cette emprise déstabilisante. Je l’autorise à m’accompagner à cette soirée, à « couvrir » plus de terrain. Mais j’avoue qu’en le tenant à distance, loin de moi, j’ai comme un peu de répit. Je ne peux pas relever sa remarque à propos de mes lèvres, c’est encore lui donner l’occasion de flirter et on n’est pas là pour ça. Je ne suis pas ici pour flirter avec mon patron ou qui que ce soit d’autre. Je suis payée pour un travail que l’on m’a confié et je m’en tiendrais à cela ! Après quelques directives, le voilà parti à la conquête du monde, ou du moins, à la conquête de quelques clichés qui raviront très certainement mes employeurs. Dans l’ombre, je le détaille. J’avance de quelques pas, accompagnée de mon fidèle objectif. En observant Ezra à l’autre bout de la salle, je ne peux que remarquer son aisance et sa facilité à rencontrer du monde. Son sourire est une obsession à laquelle je me laisse volontiers suspendre le temps de quelques instants. A son insu, je le prends en photo parmi les invités. Il est tellement beau… mais je ne dois pas dévier de mon but malgré mon envie de le découvrir d’une tout autre manière. Après tout, il ne sait pas que je l’observe alors je capture des instants dont il ignore. Je photographie son âme ; pure et sans artifices. Il ne fait pas l’intéressant pour me plaire, ne déjoue pas les lois de la nature. Il m’est présenté sous son plus beau jour.

Le temps n’est plus qu’un état. Je ne sais pas exactement quelle heure il est, mais la fête bat son plein, les invités s’amusent, la musique entraîne les gens sur la piste de danse et les verres de champagne et compagnie sont servis aussi vite qu’ils disparaissent ! Je fais un petit sauf, quand j’entends Ezra dans mon dos. Je me retourne et récupère l’appareil photo qu’il me tend, pas peu fier de lui, ça se lit sur son visage. Je hoche la tête, puis lui sourit :

J’pourrais presque te décerner la palme de l’employé du mois, mais ça signifie faire plus d’heures avec moi comme patronne.

Ok, je n’aurais certainement pas dû dire cela. Keller va croire que je l’invite à bosser avec moi, alors que… non, ce n’est clairement pas une bonne idée. ET… ce n’est pas mon intention de l’avoir sur le dos jour et nuit. Ces quelques heures au journal me suffisent amplement ! Je récupère la carte mémoire après avoir jeter un œil à ces quelques photos, très sommairement. Quand je relève la tête et écoute sa proposition indécente de faire une pause (oui oui, j’suis pas là pour m’amuser là !) je souffle par le nez tout en riant. Il est incorrigible, mon patron, n’est-ce pas ?? Et puis, j’me dis, pourquoi pas ? Je mérite bien de m’arrêter un peu, le temps de… d’une… DANSE !!!! J’attrape la main de mon rédacteur et lui dit en l’attirant sur la piste :

Tu as raison. Faisons une pause.

Laissant Keller glisser l’une de ses mains dans mon dos, tandis que l’autre garde précieusement ma main dans la sienne qu’il rapproche de son torse, je viens à mon tour déposer mon avant bras sur son épaule et me laisse guider par la chanson « Until i found you ». Quand on y pense, ces paroles pourraient très largement exprimer quelque chose que je ressens, pour Ezra. Ce petit tête-à-tête avec lui risque très fortement de lui donner des ailes ou de profiter de la situation mais là, je range les armes, le temps de deux minutes, pour respirer et ne plus penser à lui ou à moi, ou encore à nous deux au journal. Par contre, ce moment me rend nostalgique. Quand il m’a embrassé pour la première fois, nous dansions sur ce genre de slow, dans une chambre d’hôtel après avoir bouclé un article. Et pas n’importe lequel ; l’article de toute une vie. L’article qui lui a ouvert bien des portes, mais qui, m'a tenue loin de toute cette gloire qu’on aurait pu partager à deux. J’ai choisi une autre voie mais aujourd’hui… Elle rejoint celle d’Ezra, inévitablement. C’est le constat que je fais. Je me suis tenue loin de lui pendant toutes ces années mais…

Tu es là… et je suis là … comme avant…

Mes pensées qui se mettent à passer le barrage de mes lèvres, c’est bien une première. Quand ce qui doit rester dans ma tête s’échappe pour l’atteindre lui. Tout en tournant avec lui, en prenant soin de ne pas se marcher sur les pieds, je lui fais remarquer :

Tu t’es vachement amélioré depuis la dernière fois, Ezra.

C’est pas le meilleur, certes, mais au moins, il ne me marche pas dessus et c’est très apprécié. Je n’ai pas envie d'abîmer mes chaussures, j’y tiens tellement !! Tout comme les dizaines et les dizaines d’autres, dans mon dressing hors normes. Ça me crèverait le cœur d’en jeter une paire, mes pauvres bébés ! Balançant ma tête en arrière pour me dégager le visage de ma longue chevelure, je plonge de nouveau mon regard dans celui de Keller et je sens mon cœur se mettre à gonfler, encore et encore tandis que nos corps se sont rapprochés l’un de l’autre, réduisant ainsi l’espace à néant. Je déglutis, je peux sentir son souffle contre le mien et le feu est en train de naître dans ma poitrine. L’envie irrésistible de l’embrasser me passe par la tête. Mon dieu Georgina, non. Arrête toi tout de suite ! C’est plus fort que moi, n’est-ce pas ? J’ai envie de savoir si c’est comme la première fois.

Enfin, je me lance.
À la fin de cette danse, j’approche mon visage du sien, capture ses lèvres, quelques instants, en fermant les yeux. Suffisamment pour laisser de nouveau mes pensées prendre le dessus sur ma voix :

Comme la première fois…

Dans un murmure, je souffle ces quelques mots puis, j’ouvre alors les yeux, pose mes doigts sur mes lèvres en réalisant ce que je viens de faire. Décontenancée, je m’excuse auprès de mon partenaire de danse et file en courant vers la salle de bain la plus proche. Je me retrouve cependant dans un long couloir, désert. J’essaie d’ouvrir les portes tout en avançant. L’agacement qui s’empare de moi, se propage jusque dans ma façon de claquer mes talons aiguilles. Je suis en colère après moi ! Embrasser Keller, sérieux ? Qu’est-ce qui t’a pris Gigi ??? Il va croire qu’il peut tout tenter avec toi, maintenant… Bravo !!!!

Oui, non. Je n'ai aucune raison de me féliciter. Quelle idiote !!!!