a life, a story - « Du schon wieder, Wolfgang? Wirst du die Lektion nie lernen ?*»
*Encore toi Wolfgang ? N'apprendras-tu jamais la leçon ?

L'enfant relève ses yeux vert d'eau, trop grand pour son visage osseux, emprunt d'une profonde lassitude. La leçon, il la connaît par cœur mais refuse de l'intégrer. Comme il refuse tout ici. C'est sa seule manière d'exister. Lutter. Crier. Se battre. Refuser qu'on utilise la peur contre lui. Rebelle jusqu'au bout des ongles, l'enfant au visage d'ange n'atteint pourtant pas les préceptes édictés par celui qui dit être son père et qui a l'esprit rongé par sa stupide croyance religieuse. Wolfgang n'y croit pas, remet tout en doute, refuse chaque règle. Qu'importe l'autorité à laquelle il est confronté, aucune ne l'atteint vraiment. Il pousse malgré lui les adultes dans leurs retranchements. Jusqu'à susciter des choses qui le dépassent et dont il ne peut pas parler mais qui le marqueront pour toujours. Acte bestiale qu'aucun enfant ne devrait connaître. Le corps poisseux contre le carrelage froid, le rire et la satisfaction face à ses larmes enfin lâchés, l'humiliation et la douleur. Comme marqué au fer rouge. Mais ces sévices-là ne laissent que des cicatrices dans l'âme, invisible et qui hante chaque espace, chaque silence. Impossible d'y échapper.

« You're going to have American brothers and sisters now. You have to speak their language.* »
*Tu vas avoir des frères et des sœurs américains désormais. Il faut que tu parles leur langue.

Il n'y arrive pas. Il a six ans, il est complètement perdu. On avait un projet fou pour lui, un déménagement aux Etats-Unis, une nouvelle école, une nouvelle langue. Ça a été merveilleux d'être enfin entendu par quelqu'un. Un adulte qui ne cherchait pas à le détruire. Il a écouté sa détresse, ses cris et compris sa situation. Du jour au lendemain, il n'a plus revu ses tortionnaires, ceux qui étaient ses parents de sang. Et puis il est arrivé là, au sein d'une grande famille qui l'a adoptée. Non, pour de vrai ? Le petit bonhomme couvert de bleu et empli de fierté regardait d'un air sévère ses aînés. En particulier celle qui avait son âge. Amis, ennemis ? Quelle différence ? Il faut du temps pour apprendre ces choses-là. Et enfin, un sourire. Un enfant épanoui qui croque la vie à pleine dent, enchaînant les filouteries. Il ne passe pas inaperçu avec son esprit vif et des colères tout aussi impétueuses. Mais quand il remet sa confiance entre vos mains, c'est pour toute la vie.

« The ugly Duckling. What are we going to do with you ?* »
*Le vilain petit canard. Que va-t-on faire de toi ?

L'autorité c'est toujours pas son truc. L'école en particulier lui tape sur les nerfs. Mais plutôt que de se faire exclure, de céder aux violences qu'il reçoit, il se tait, gardant tout ça cacher en lui. Il ne veut pas se faire remarquer, pas à nouveau être humilié. Il a des notes passables, n'excelle que dans les langues. Les mots, c'est son truc. Il écrit des histoires au kilomètre, dans des carnets qu'il n'ose pas relire et qu'il garde jalousement. Dans l'adolescence, il se met à écouter du rap, à recopier ses idoles, à écrire des paroles à son tour. Pour ses parents adoptifs si confiant à son égard, pour les rendre fier, il ira au bout de ses études, entrera à la fac mais ses cauchemars prennent toute la place. Le seul moyen de ne plus souffrir ? Fumer à outrance, boire mais surtout consommer des drogues de plus en plus fortes. Il le cache. Il profite de la tolérance à son égard mais Kole a compris son manège. Il lui fait jurer avant qu'il ne parte à l'école militaire d'arrêter ses conneries et de publier ce qu'il écrit. Et c'est ce qu'il fait. On achète ses paroles de chansons, il poste ses écrits sur internet pour se faire repéré par une maison d'édition. La gloire. De l'argent gagné par son talent. Tout le monde est si fier. Pourquoi ça n'a pas pu rester ainsi ?

« And the weariness that returns in the worst moments. Everyone in the light and him in his own darkness.*»
*Et la lassitude qui revient dans les pires moments. Tout le monde dans la lumière et lui dans ses propres ténèbres.

Des mariages, des naissances. Des premiers boulots, des déménagements à Monterey. Lui il reste. Englué dans ses humeurs, dans ses troubles, dans ses crises d'angoisses insoutenables qui l'empêchent de vivre correctement. Chez papa et maman, il reste en sécurité. On lui pardonne tout. On lui passe tout. Il écrit, il donne même des cours à son compte pour aider les jeunes paroliers à écrire du rap à leur tour. Il aime les voir sourire les gamins de son quartier. Des alternatives à son syndrome de la page blanche qui perdure encore et toujours. Comme promis à Kole, il ne se drogue plus même si la cure de désintox a été caché aux yeux de tous en une résidence entre écrivains pour l'aider à avancer dans ses projets. Un petit mensonge, ce n'est pas grand chose, il veut les protéger.

Mais Kole est mort.
Et cela a rouvert toutes les blessures à peine cicatriser.

Pourquoi être lié à une famille aimante s'ils finissent par mourir et laisser un vide insupportable derrière eux ? Il est inconsolable. La dépression est profonde, il peinera à s'en sortir. Puis le déclic. Il quitte la maison familiale et se met à squatter chez ses frères et sœurs le temps de trouver un appartement. Il écrit oui ? Pas du tout. Il a recommencé à se droguer. D'abord il maîtrise, petites doses et tout va bien. Puis c'est trop cher alors il s'est mis à dealer. Quand on en a marre de lui, on le met à la porte et avec son petit trafic, il peut payer le loyer de son appartement minable. Mais ça va aller, il va s'en sortir hein. Une double vie, imposture pour ceux qu'il aime et véritable crapule se vautrant dans la drogue pour faire taire son mal être qui ne disparaîtra jamais face à ce policier qui l'arrête encore et encore, avec une patience qu'il ne croyait plus possible à son égard. Pourquoi il le regarde ainsi ? Pourquoi a-t-il  foncé vers lui pour le sauver ? Tout est confus, douloureux, intenable. Il va falloir parler maintenant Wolfgang et arrêter de jouer aux cons. Il y a des gens qui t'aiment, tu as juste trop peur d'à nouveau les décevoir, toi, le vilain petit canard.