a life, a story -
Tu avais tout pour être heureuse. Des parents amoureux comme au premier jour, une scolarité exemplaire, un père attentionné qui te racontait des tas d'histoires, une mère dévouée qui t'enseignait la compréhension du monde. Une scolarité si brillante que tu sautais une classe en primaire. Tu étais limite hyperactive ayant sans cesse besoin de bouger, de faire des choses. Ta petite tête d'ange t'offrait tout sans concession. Oui tu avais tout pour être heureuse. Sauf que tu as tout gâché.

En grandissant, tu découvrais une autre vie que celle à la maison, faite de papa, de maman. Tu te faisais des amis facilement. Sociable et souriante, ton minois attirait la sympathie. Tu était populaire et conviée à toutes les fêtes. Inscrite dans plusieurs clubs : athlétisme, photographie, journal de l'école, musique. Tu n'avais pas peur d'entreprendre, d'aller au bout de tes envies. Puis la vie t'avait rattrapé.

Un retard, une après-midi. Tu discutais trop longuement avec tes copines après les cours et tu oubliais ta leçon de guitare. Tu appelais ta mère pour qu'elle vienne te chercher. C'était plus pratique. Tu n'avais pas envie de marcher jusqu'à l'autre bout de la ville. Tu savais que ta mère n'allait pas dire non. Mais tu l'avais attendu, attendu, encore et encore...
Tu avais vu ton père venir à l'école, le visage ravagé et tu avais compris tout de suite.

Cela avait été un choc pour toi. Tu étais coupable de sa mort. Si elle n'était pas venue te chercher, jamais elle n'aurait eu cet accident à cet endroit précis, à cette heure précise. Cela a été très dur et encore aujourd'hui, tu n'arrives pas à faire ton deuil. Ton père s'était refermé sur lui-même. Et tu avais fait la même chose. Le sujet de l'accident était devenu tabou. Et peut-être que cela avait joué sur ce sentiment de culpabilité qui ne te quittait pas. Il s'était plongé dans le boulot, passant des heures hors de la maison. Cette maison qui lui rappelait un bonheur, aujourd'hui perdu.

Quatorze ans, c'était jeune pour se passer d'une maman. Mais tu étais aussi assez vieille pour savoir vivre sans elle. Ton père faisait ce qu'il pouvait pour affronter la mort de son âme soeur et toi, tu restais toujours souriante. Cela avait toujours été ta protection, ton sourire. Maintenant tu te cachais derrière lui. D'une petite fille pleine de vie, tu étais devenue sans le vouloir, une adolescente désemparée sans parvenir à te confier. Tu accumulais les sorties, les premières fois: première clope, premier verre d'alcool, première sortie nocturne. Tu passais tes nuits blanches devant l'écran, à manipuler les codes, à t'introduire sur des site que tu ne devrais pas.  

Heureusement, tu pouvais compter sur ta bande. Sur ta seconde famille. Elle avait toujours été là pour toi. Et puis il y avait aussi la Skuad. Tu étais devenue militante, te plongeant à corps perdu dans la lutte des inégalités, des causes qui te tenaient à coeur. C'était peut-être une façon pour toi de te racheter. De faire du bien alors que tu avais fait tant de mal à ta famille... Ton père reprenait peu à peu le contrôle de sa vie. Il travaillait toujours autant, mais il arrivait à planifier des week-end, juste lui et toi. Ton père a toujours été ton héros. Le gars que tu voulais épouser quand tu étais petite. Aujourd'hui encore, tu gardais des yeux admiratifs sur lui.

Après des années à faire de l'athlétisme et après plusieurs blessures, tu décidais de raccrocher. Alors que la discipline avait prit toute la place dans ton temps libre. Comme une façon pour toi de rendre ta mère fière de toi malgré son absence. Elle t'avait toujours dit que tu étais douée et que tu arriverai facilement à obtenir une bourse universitaire. Sauf que voilà, quand tu découvrais que l'athlétisme n'était qu'une part de ta vie et que tu faisais surtout ça pour ta mère, tu te retrouvais à chercher ce que tu aimais vraiment faire. A 18 ans, tu n'en avais aucune idée...

Suite à une discussion avec ton père, tu décidais alors de partir en Erasmus pendant ta dernière année. Tu voulais aller en Croatie. Ce pays t'avait toujours fasciné. Puis c'était au cœur de l'Europe. Entre soirées et découverte de la ville, tu apprenais à être à nouveau toi-même. Tu pouvais laisser place à ta tristesse quand tu en ressentais le besoin. Tu n'avais plus à faire semblant ou à te cacher. Sauf qu'après une mauvaise rencontre et une tentative de viol, dont tu réussissais à t'échapper de justesse, tu décidais de quitter Zagreb et de revenir en Californie.

Tu ne sais toujours pas quoi faire de ta vie. Tu habites pour l'instant chez ton père. Tu crois que pour lui aussi c'est compliqué de te voir si perdue quand il s'agit de ta vie. Tu as envie de trouver un job même si tu as du mal quand on te donne des ordres. Ou alors de reprendre tes études... ou de te remettre à l'écriture et de suivre les traces de ta mère, pas par obligation mais parce que tu aimes vraiment ça. Mais ça non plus, tu ne sais pas si tu en seras capable.

Pourtant, grâce à tes amis, tu sors peu à peu la tête, hors de l'eau. Tu as réussi à décrocher un boulot de vendeuse dans un café-librairie. Ce n'était pas prévu, tu avais juste répondu à une annonce et puis, tu avais eu la révélation. Ce boulot, au milieu des livres, était fait pour toi. Souvent, tu te dis que c'est ta mère qui t'a permis de décrocher ce job. Parce que tu sais qu'elle veille sur toi. Tu as le cœur un peu plus léger malgré la peine. Et puis, tu as aussi passé une audition pour un groupe local The Prime. Tu joues de la basse depuis que tu es gosse et grâce à Nik, tu as décroché une audition. Il connait ton talent et ton amour de la musique. Et bientôt tu feras ton premier vrai concert. Tu as hâte. Moins hâte de voir ton père se recaser et pourtant, tu sais qu'il voit quelqu'un... Ce sourire niais sur son visage, ce parfum sur ces vêtements que tu ne reconnais pas... Tu ne sais pas si tu dois être heureuse ou... effrayée. Tu as toujours eu une relation particulière avec lui et tu as perd de la perdre comme tu as perdu ta mère, il y a presque cinq ans maintenant.