« Le Miracle de Noël. »

ft. @Sofia Sutterlee & Gregory Sutterlee    
À l'ancien logement de Sofia ; Décembre 2024 ; Monterey. CA.

mise en page made in Psyko

J’avais oublié à quel point la célébration de Noël pouvait être si… festive.

Au sein du clan Sutterlee, ce jour est si… froid, enrobé de faux semblants, de traditions perpétuées dans le seul but d’en mettre plein la vue à des amis qui n’ont rien de sincères, à éblouir des regards envieux et des arrivistes de première catégorie. Une étoile installée par une des domestiques en haut d’un sapin insipide, des biscuits en forme de bonhommes de neige achetés dans une boutique du coin au lieu d’être cuisinés, des cadeaux offerts sans aucun bon sentiment. Tout sauf des preuves d’amour véritables, les cendres d’une faste époque où cette période de l’année était ma favorite. Je me souviens des festivités enchantées quand nous étions trois enfants Sutterlee réunis et bruyants, du silence et des pleurs qui ont remplacé les éclats de rire, quand Hailey a disparu. Pour autant, malgré la beauté et l’exactitude de mes souvenirs, je n’ai jamais réussi à retrouver cette magie d’autrefois, bafouée par une tristesse sans pareille et une célébration des fêtes de fin d’années parfois solitaires, presque jamais couvertes d’une joie sincère.

Mais cette année, tout est différent.

Car la femme que j’aime depuis si longtemps est désormais mienne, que son nom est Sutterlee mais que je suis plus intégré dans sa famille qu’elle ne sera jamais dans la mienne, que ma bien aimée porte notre enfant, notre mélange parfait, symbole de notre amour. Notre béatitude commune peut se lire sur le visage de Sofia ainsi que sur le mien, je prends un immense plaisir à découvrir les frères et sœurs de mon épouse, à faire leur connaissance, à construire des souvenirs, tous ensemble. Je me sens intégré, tellement à l’aise que je ne refuse pas les nombreuses propositions de mon beau-père de goûter à toutes les bouteilles présentes sur la table. Les mets délicieux de ma belle mère obtiennent les compliments qu’ils méritent et les rires, oui, ces éclats, emplissent la pièce, la gonfle d’amour, de bienveillance, d’une sérénité sans pareille.
Tout est si parfait. Je n’aurais jamais osé pareil réveillon.
Il semblerait que mon amour pour le vin refasse surface et c’est les joues rougies que je réalise que Sofia n’est plus à mes côtés. Cela fait si longtemps qu’elle m’a quitté? Je ne sais pas, je ne sais plus, refusant l’idée d’être impoli à détourner le regard durant une longue conversation avec Paloma, suivi d’un échange plutôt compliqué avec leur père. Complexe de par ma mauvaise compréhension de la langue, handicap que je tente de régler depuis des semaines grâce à une application mobile qui me permet de m’entraîner quotidiennement, mais entre vouloir et pouvoir, il n’y a pas toujours un pas. Souriant poliment, je m’excuse et quitte la table, à la recherche de Sofia.

Bon sang, où peut-elle être…?

Son ancienne maison, désormais occupée par ses parents et fief des Villaneuva pour célébrer la venue de Jésus au monde, selon les coutumes religieuses, n’étant pas si grande, je ne tarde pas à trouver mon épouse, dans la cuisine. Seule, isolée. Me tournant le dos. Profondément soulagé, ressentant l’agréable sensation que nos deux moitiés se retrouvent et qu’elles forment pressement un tout, comme il en a toujours dû être, je soupire de soulagement et confie à Sofia, d’un rire discret, ouvrant les deux boutons du haut de ma chemise:

Oh, ton père me racontait une anecdote, en Espagnol, j’ai ri mais j’espère que c’était amusant au moins et…

Ma femme qui continue de me tourner le dos, qui ne réagit pas à mon entrée en matière pourtant si enjouée.
Inquiet.
Oui, je vis un véritable ascenseur émotionnel et laisse ma panique prendre le dessus tandis que je la questionne, posant une main contre sa nuque, la caressant du bout des doigts:

Sofia, qu’est ce qu’il y a? Qu’est ce qu’il se passe…?!

Mon instinct ne me trompe jamais. Et là, il me hurle que quelque chose cloche.
Que tout va mal ou que nous sommes aux portes d’un bonheur déchu…

« Le Miracle de Noël. »

ft. @Sofia Sutterlee & Gregory Sutterlee 
À l'ancien logement de Sofia ; 24 Décembre 2024 ; Monterey. CA.

Noël en famille, c’est ce qui nous rapproche les uns des autres et cette année, les festivités sont légèrement différentes. Elles respirent tout autant l’amour que les précédentes mais j’ai le bonheur et l’immense joie de compter parmi les nôtres, –Gregory, qui fait partie de la famille Villanueva. En devenant mon cher époux, légalement et non plus hypothétiquement, il a épousé ma famille au complet. Certains de mes frères et sœurs sont encore à Séville et ne comptent pas venir de sitôt mais il semblerait que ce soit dans leurs projets, d’ici un an ou deux. En ayant discuté avec eux en début de semaine, ils sont impatients de découvrir l’enfant à venir, qui ne doit pas pointer le bout de son nez avant deux semaines.

Mes parents sont aux petits soins pour moi, parfois un peu trop et je ne supporte pas cet étouffement maladif mais j’ai promis à Grégory de faire des efforts afin que maman puisse jouer son rôle sans les cris, ni les reproches. Je n’ai toujours pas oublié ses nombreuses réflexions quant à mon célibat et mon aversion à la maternité. Je reconnais que vu mon âge “avancé”, elle a réellement cru que je finirais comme toutes ses filles qui tardent à se marier et qui vivent seules pour le restant de leurs jours, sans mari, sans descendances. Sans me ménager, évidemment. Elle pensait également que je serais malheureuse de ne pas avoir d’enfant et que je le regretterai un jour, d’une manière ou d’une autre. J'étais loin de me douter que je finirais enceinte avant de me marier et que je précipiterais ce jour béni afin de ne pas lui rendre des comptes à elle et à papa! Mais il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être dévoilées maintenant que le sujet du bébé est sur toutes les lèvres familiales. ça détourne l’attention sans me déranger. Quand ils pensent à lui, ils ne pensent pas à me poser des questions pour avoir tous les détails etc.

Je me suis réfugiée dans la cuisine, après avoir quitté Paloma, qui s’occupait de rajouter des petits fours au saumon dans les plats, sur la table de la salle à manger. Rio ne devrait plus tarder à nous rejoindre, à présent, et je ne me sens pas dans mon assiette. En fait, j’ai commencé à me sentir bizarre vendredi, après la babyshower. J’ai mis ça sur le compte de la fatigue de cette merveilleuse journée. De plus, j’ai passé toute l’avant midi de dimanche avec Rio pour son anniversaire et l’achat des derniers cadeaux de dernières minutes n’ont pas été une mince affaire. Je peux dire que c’était véritablement un sport olympique. J’ai quasiment dormi toute l’après-midi sur le sofa, les jambes surélevées. J’avais mal partout, dans le dos et dans le bas du ventre où quelques contractions dérangeantes ont fait leur apparition. Je dois me ménager, je le sais mais comment ralentir quand on est à l’approche des fêtes et que la famille vous en demande beaucoup trop ?

Je dois être encore épuisée, sans l’ombre d’un doute. J’ai été prise de contraction, très tôt ce matin. Il était environ cinq heures quand j’ai ressenti quelques douleurs mais ça a fini par se calmer au bout d’une demi-heure, par mon plus grand bonheur. Elles sont ensuite revenues en fin de matinée pendant que je préparais les amuses-bouches avec ma sœur, qui m’a demandé de ralentir et d’aller faire une petite sieste à l’étage, et pendant que Gregory s’occupait de revenir avec les cadeaux pour la famille. J’en ai encore eu quelques-unes, sans être trop dérangeantes, toute l’après-midi. J’ai eu quelques moments de répit alors, je mets vraiment ça sur mon attitude désinvolte. Peut-être suis-je en train de payer pour mon impertinence ? Dans la cuisine, je sens que mon état est en train d’évoluer. Une douleur vive m'électrise ; je la sens s’installer dans le bas de mes reins, me paralyse tandis que je pose ma main sur mon ventre qui durcit par la même occasion. J’inspire et expire doucement, en fermant les yeux. Je me concentre sur ce que je fais, alors je n’entends pas Grégory derrière moi, la première fois. Lorsque je sens ses doigts sur ma nuque, je rouvre les yeux, relève la tête et me retourne comme si de rien était. Lui souriant avec tendresse, je lui tends une bouteille de vin ;

« Si, tout va bien, cariño. Il manquait de vin »

Moi, je suis interdite d’alcool mais de l’autre côté, où la fête du réveillon bat son plein –je peux entendre les rires et les cris d’ici– les bouteilles se vident assez vite. Une chance que j’ai une cave à vin remplie jusqu’à ras-bord et dont je ne peux profiter pour le moment. Je caresse le bras de mon époux en passant devant lui. Pas la peine de s'inquiéter, tout va bien. J’ai hâte que les fêtes se terminent, pour que je puisse me reposer les derniers jours avant la naissance de notre petit cadeau de Dieu –comme j’aime si bien l’appeler…

« Alors, tu viens ? »

M’enquiers-je auprès de Grégory. La fête, c’est de l’autre côté !