a life, a story - Je me suis fait prendre, encore une fois. Je me suis trouvée au milieu d’une bagarre dans une boite de nuit et j’suis même pas majeur bordel. Passer la porte de l'établissement avec une fausse carte d’identité, c’est un vrai jeu d’enfant, se faire servir de la bière, encore plus facile quand on trouve le gars le plus simplet de toute cette foutue gérance à deux balles. J’ai bu pas mal d’alcool ce soir et avec les potes on s’amusait tranquillement, on dansait quand d’autres abrutis un peu chauds sont venu jouer les pros de la drague (je meurs putain) dans notre groupe. Et voilà que je me retrouve au beau milieu du jeu de quilles. Les enfoirés ont cognés les premiers, alors forcément, j’ai pas voulu me prendre de quoi sur la gueule, j’ai attrapé ce que j’avais sous la main et j’ai fait ce que j’avais à faire, c’est tout.

Et quand ça a bien merdé dans cet endroit, les « pigs » ont débarqué avec leurs insignes et bla bla bla, et l’évidence même : j’me suis fait coffrer ! D’un, parce que j’essayais de me barrer par la petite fenêtre des toilettes dégueux, et de deux, parce que… MERDE QUOI, j’ai picolé et j’suis mineur !!! Juste une gamine, une p’tite fille et tout ce qu’on voudra à leurs yeux. Aux yeux de tous, j’imagine ? Bref, je me retrouve en cellule de dégrisement, parce que j’ai bu et que j’ai résisté aux forces de l’ordre. Pffff conneries tout ça, genre j’ai résisté ? Impossible de me mettre les menottes ? Wow, les gars, j’vous tire mon chapeau, vous êtes trop forts ! J’ai un conseil à vous donner ; faut forcer sur les entraînements, pas les donuts, hein ! Allez-y faire croire que moi, aussi maigrichonne que je suis, ils n’ont pas été capable de m’arrêter lors de ma crise légendaire de fille malpolie (Parce que ouais, les jurons remplis d’amour étaient de sortie, juste pour eux !). Donc, figure sur ma loooooooooooongue (j’exagère à peine) liste de délits : refus d'obtempérer à un agent, possession d’une fausse carte d’identité, consommation d’alcool en étant mineur, bagarre, et j’en passe des vertes et des pas mûres !

Le rigolo qui m’a coffré ? J’oublie toujours son nom mais quel crétin sérieux. Toujours accompagné par son acolyte, qui porte un nom mexicain. J’ai l’impression qu’il se fait mousser, le menton plus haut qu’il ne faut… genre comme le coq de toute la ferme, sté ? Bref, ce gringalet s’est fait un plaisir de me boucler pour cette nuit, avec deux ou trois autres codétenues, maquillées comme des voitures volées (ça aussi, c’est sur ma liste, le vol de voiture !). Sérieusement, j’exagère pas. Elles font vraiment peur. Et elles pensent que ça va pécho leur truc, là ? Du coup, confortablement allongée sur ce lit de fortune signé “béton 2023” j’ai commencé l’année en beauté ! Je ronge mes ongles, enlève le vernis noir de mes doigts et désaoule tranquillement. Soudainement, t’as la meuf dans la cellule à côté qui s’adresse à moi :

« Et bien alors mon p’tit poussin, qu’est-ce que t’as fait pour te retrouver ici ? T’as volé une poupée chez Thinker Toys ? »

Voilà qu’elle se fout de ma gueule avec sa copine, cette pu prostituée ! Parce que c’en est une hein ! Elles le sont, toutes les deux, ça se voit. Faut pas être diplômé bac++++ et j’sais pas quoi pour reconnaître une travailleuse du sexe. C’est plus poli, ça nan ? En tout cas, elle me saoule, et sans même sourciller, je lui réponds :

« C’pas pire que de s’faire coffrer pour racolage ! »

Mais dans le fond, sa question, elle tourne dans ma tête. Oh j’sais exactement pourquoi j’suis là. J’ai fait des conneries, pour pas changer hein et je vois déjà les yeux incendiaires de la blonde pour moi quand elle va ENCORE se rappliquer comme une folle au comissariat. Nan mais sérieusement, elle devrait passer à autre chose et me laisser respirer. Elle est adorable ouais ouais, vraiment mais j’suis une cause perdue. Je crois qu’elle veut me sauver de la rue, de mes “mauvaises fréquentations” et bla bla bla. Pauvre Rosalie. J’ai rien à lui prouver, ni à changer. Pour quoi faire ? J’suis rien pour elle, rien pour personne, après tout. J’regarde ce putain de plafond gris, craquellé de partout, je tente de faire abstraction de ces connasses à côté de moi, qui chantent faux, pitié tuez-moi tout de suite, que je n’ai pas à subir cela, s’il vous plait ?

Alors pourquoi j’suis là ? Qu’est-ce que j’ai à dire sur ma pauvre petite vie minable, qui n’intéresse personne…


Sélina ; sans maman, sans papa
J’suis née ici à Monterey. J’ai jamais quitté la ville de toute ma misérable existence. J’ai vécu dans différents foyers, parce que j’suis qu’une orpheline. Personne ne voulait de moi, faut croire. Alors les gamins qu’on ne veut pas, on les envoie dans ces endroits, que je compare à la prison, au couloir de la mort même. Si si, c’est exactement comme ça que je le ressens. Avoir été baladée pendant presque dix-huit ans d’une maison à l’autre, d’un établissement à un autre, c’est carrément la merde. La grosse poisse qui vous suit et qui ne vous quitte jamais. Alors tout ce que je sais sur mes parents, c’est que ma pauvre maman est morte quelques mois après ma naissance. Elle était malade. Mon père, lui, n’a pas eu le temps de me reconnaître en tant que fille légitime, il a disparu de la circulation. Il a décampé vite-fait de notre vie et j’ai eu droit au nom de famille de ma mère : Sharp. C’est tout ce que j’ai d’elle. Ou presque. J’ai une photo en ma possession et il semblerait que j’ai sa couleur de yeux ; verts, et ses longs cheveux marrons foncés. Elle était très belle et ça me fait mal de savoir que je ne pourrais jamais faire sa connaissance. Quant à mon père… ce géniteur, ce lâche… et bien, j’ai eu envie de le retrouver à une époque parce que j’voulais quitter ce trou à rats où j'habitais, mais maintenant, j’me dis j’ai vécu sans lui toute ma vie, qu’est-ce qu’il pourrait bien m’apporter de positif dans ma vie, hein ?

Foyers &co : fuyez aussi vite que possible
Vivre en foyer, ça a ses avantages parfois c’est vrai. Mais j’ai vécu plus de mauvais moments que de bons. Déjà quand t’arrives dans une famille avec d’autres enfants, plus âgés que toi, il est évident que c’est toi le vilain petit canard. C’est toi, la cible facile et c’est toujours de ta faute. Alors j’ai fait en sorte que ce soit ma faute, à chaque fois. J’me suis fait une bande de copains et eux, ils m’aiment pour ce que je suis. Je ne fais pas semblant, je peux être authentique, je ne joue pas de rôle quelconque. Et j’ai commencé à faire des conneries avec eux. Au début, j’trouvais ça drôle, parce que piquer une barre noisette au night shop du coin c’était trop facile. Alors j’ai recommencé, encore et encore et jme suis fait pincer. J’ai été sévèrement tapé sur les doigts mais après quelques jours, droite dans mes bottes, je recommençais, inlassablement. Encore et encore. En fait, j’aime ça, piquer des choses. Pas parce que j’en avais besoin mais plus parce que c’était amusant. Jme suis fait renvoyer de mon foyer, ensuite encore un autre, puis un autre… J’me rappelle pas combien j’en ai fait tellement il y en a eu. J’suis une cause désespérée, j’vous l’ai dit !

Rosalie Hayes ; L’entêtée.
Oh cette femme ! J’en ai des choses à dire sur son compte. Elle est flic. Et pas que : madame fait partie du FBI, ça rigole pas avec elle, hein ? Elle me fout la trouille, j’vous jure. ça doit faire environ un an, un peu moins, un peu plus (En fait c’est pas ça le plus important) que j’ai croisé sa route, ou qu’elle a croisé la mienne ? va savoir. En tout cas, je l’ai sur le dos depuis un bail déjà. Quand j’me suis fait prendre pour vol à l’étalage, elle a voulu mettre son grain de sel parce que je faisais partie d’une bande de gars qu’elle surveillait depuis un moment. Pensez-vous que j’ai craché le morceau ? Fichtre non ! Elle a cru qu’en me maternant, j’allais parler. Comme si j’étais une balance, sérieux. Après ça, j’ai croisé sa route une nouvelle fois, quelques semaines plus tard, parce que j’essayais de voler une voiture. J’suis mineure, elle n’a pas le droit de me garder enfermée. Elle est dans l’obligation de me ramener dans le foyer auquel j’appartiens, j’me tape une petite remontrance (oh trois fois rien, j’ai pas tremblé une seule fois), quelques jours d’interdiction de sortie et après on remet les mêmes et on recommence. La troisième fois, j’ai réussi à voler une Dodge Charger avec mon pote Kenny. C’est lui qui a tout pris parce qu’il a plus de dix-huit ans. Et devinez qui est venu me sortir de là, ENCORE une fois ? Rosalie, bien sûr. En fait, je commence à croire qu’elle m’aime bien. Elle veut m’aider mais je sais que j’ai pas besoin d’aide. Mais au plus profond de moi, je crois que je l’aime bien aussi. Quand on se retrouve, c’est que j’suis au poste de police, et j'éprouve un malin plaisir à la faire se déplacer.

Je suis interrompue dans mes pensées quand j’entends la porte métallique s’ouvrir. Elle fait un putain de bruit dégueulasse et flippant qu’on retrouve dans les asils à l’abandon. Vous voyez le genre ? Bref, je me redresse de mon lit bétonné et j’étire un sourire en coin : Rosalie Hayes, en personne mesdames et messieurs. Rien que pour moi. Elle est pas belle la vie ? Et comme je le disais tout à l’heure, elle débarque telle une furie, les traits tirés, les yeux noirs… J’vais grave m’en prendre pour mon grade, à la hauteur de cette fliquette de choc ! Mais j’essaie quand même de lui montrer que j’éprouve des remords de mon comportement, quelques heures plus tôt. J’suis encore sous l’effet de l’alcool mais j’suis grave contente de la voir. Elle va me sortir de là, comme toujours. J’vais la remercier, comme toujours et on va se quitter sur de fausses promesses,... comme toujours ! c’est ça, vous suivez bien ! Je viens serrer les barreaux entre mes doigts, déposant mon front entre ceux-ci, moue légèrement bien exécutée et j’entreprends mes excuses faussement sincères, c’est évident :

« Je recommencerai plus, c’est promis… »

Je jure solennellement que mes intentions sont... mauvaises.