a life, a story - « La lecture et l’écriture sont des chevaux fougueux enseignant le saut d’obstacles à nos croyances clôturées. Acceptons, dans ce seul cas, que les mots dépassent notre pensée. »

UN. Esteban Villanueva —3ème du nom, c’est mon père. Il est propriétaire d’un hôtel de luxe à Séville : L’hôtel Alfonso XIII est l’un des plus prestigieux de toute l’Espagne. Il est décoré dans un style élégant avec des arcades de style arabe et du carrelage en céramique. Ma mère, Sonia, une américaine bien ordinaire, médecin interne en voie de devenir l’une des chirurgiennes les mieux côté du pays, découvre la beauté de l’Espagne avec son groupe de copines. Elles atterrissent dans l’hôtel de mon père et pendant une soirée à thème c’est nez à nez que maman se retrouve avec celui qui sera mon père quelques années plus tard. Et bam, c’est le coup de foudre entre eux. Elle décide de tout quitter pour vivre avec lui. Au départ, mes grands-parents maternels étaient sur la réserve mais mes parents ont fait leurs preuves assez rapidement. Donc on connaît la suite, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. En tout cas, chez nous, nous sommes sept !!

DEUX. Avant ma naissance, j’ai la chance d’avoir trois grands frères. Le premier est né un an après leur mariage, c’en est suivi deux ans plus tard, mes frères jumeaux. L’année suivante, mes parents m’accueillent les bras ouverts, enfin une fille ! Je fais la fierté de papa. Estrella est mon deuxième prénom, celui d’Abuela, ma grand-mère paternelle, une crème, je vous assure. Après moi, mes parents ont remis le couvert et la famille s’est agrandie trois fois de plus : deux garçons et une fille pour fermer la boucle. Je ne comprendrai jamais cet engouement pour procréer. Les aînés de la fratrie ont tous des enfants. Et puis, il y a moi : Je n’en veux pas. Je n’ai jamais voulu d’enfants. Peut-être parce que grandir au milieu de toute cette fratrie m’a dégoûtée pour de bon ou alors parce que je ne suis pas encore mariée ?

TROIS. Parlons-en, tiens, du mariage !! Mes parents —surtout papa, a toujours fait en sorte de nous trouver de bons partis, de bonnes épouses, de bons maris. Avec un pédigrée toujours plus étoffé les uns que les autres. Tout le monde s’est plié aux règles de la maison. Tout le monde, sauf moi, bien entendu. Même ma plus jeune sœur vient de se marier à l’homme qui a été choisi pour elle. Nous vivons dans une famille très catholique et je connais mes versets sur le bout des doigts. Le mariage est sacré pour moi mais je ne suis pas comme mes frères et sœurs, je ne veux pas me marier à un homme que l’on aura soigneusement choisi à ma place. C’est à moi que revient la tâche de trouver le mari parfait ! Et j'ai sans doute servi de modèle pour mon petit frère, lui aussi s’est refusé plusieurs prétendantes. D’ailleurs, il est mouton noir de la famille… Mais c’est souvent le dernier ou la dernière, de la famille qui pose toujours le plus de problèmes. Tout dépendant de quel côté on se place. Pour une personne comme moi avant l’esprit si libre, j’appuie ses choix, malgré les conséquences…

QUATRE. J’ai grandi en faisant toujours tout ce qui m’a été demandé, sans broncher, sans battre des paupières. J’ai quand même rencontré l’homme qu’on a essayé de me faire épouser. Il était gentil, c’est vrai mais pas fait pour moi. Il n’aime pas du tout les livres alors que pour moi, ça fait partie de ma personnalité. Je suis rêveuse d’ordinaire et j’aie eu l’impression qu’avec lui, je ne rêverai plus jamais de rien. J’ai continué à vivre chez mes parents, j’ai fini par quitté mon boulot parce qu’il ne correspondait plus vraiment à mes besoins. J’ai fait partie d’une des maisons d’éditions les plus connues en Espagne et j’ai fait mon petit bonhomme de chemin.

CINQ. Mes parents ont recommencé à vouloir me trouver un gentil mari. Des dîners arrangés, des cadeaux offerts pour les occasions spéciales, etc. Celui-ci, je le connaissais depuis l’enfance. Je le considérais comme un frère, il n’était pas question de l’épouser. Étant le meilleur ami de mon frère aîné, jamais je ne l’ai vu autrement qu’un autre membre de la famille. J’ai protesté, longtemps. Si fort que même ça, mon père ne voulait entendre raison. Je suis célibataire, dans la trentaine et toujours pas d’enfant alors que la maison familiale grouillait déjà de gamins. Impossible de tenir les comptes tellement j’ai des neveux et nièces !

SIX. J’ai quitté le pays sur un coup de tête, hors de question de subir davantage cette pression familiale pour me marier avec Paolo l’année prochaine. En pointant de mon index la mappemonde dans le bureau de mon père, je suis tombée sur la Californie, aux états-Unis. Bien entendu, je n’ai pas été toute seule à quitter mon pays. Dans cette folle idée, j’ai embarqué cette version de moi au masculin. Je nous ai pris un billet d’avion et une semaine plus tard, on quittait Séville, cette ville qui nous a vu naître mais qui m’a fait grandir avec cette soif d’aventure. Aujourd’hui, j’écris les pages de mon propre livre. A moi de choisir où j’ai envie d’être et avec qui je le souhaite.

SEPT. Au début, c’est la galère, je fais des petits boulots, par-ci, par-là pour pouvoir payer la chambre que j’occupe dans cette petite bourgade de Monterey. Je m’y sens bien, les gens sont accueillants et je me fais très vite des amis. Après quelques mois, j’ai fais la paix avec mes parents même si papa est toujours sur la défensive à cause de Paolo, mon ex fiancé forcé. Mais qu’importe il sait qu’il doit se résigner, je n'épouserai personne sauf si c’est moi qui décide avec qui. Après tout, lui n’a pas épouser une femme que sa famille avait choisi, pourquoi nous imposer cela, à nous, ses enfants ?

HUIT. Mes parents m’ont alors aidé à ouvrir ma maison d’édition en ville. Ils font d’ailleurs quelques allées et venues depuis l’Espagne pour s’assurer de la progression de mon projet. Puis, ils prennent le temps de renouer avec mon p’tit frère par la même occasion. Pour mon projet, l’administration prend toujours du temps et au bout de plusieurs mois, c’est Villanueva Editor qui voit enfin le jour. Mon but étant de donner une chance à ses romans oubliés, délaissés, jetés cruellement à la poubelle alors que c’est de l’or qu’ils ont entre leurs mains. Mais les éditeurs d'aujourd'hui cherchent plus le profit au vrai succès, celui qui vous transporte dans une toute autre dimension.

NEUF. Comme ce manuscrit que j’ai trouvé à l’épicerie du coin, posé sur le rebord métallique, du tapis roulant de la caisse. Mon regard s’est littéralement posé dessus, warning en alerte. J’ai récupéré ces précieuses pages et à peine sortie du supermarché —prenant place conducteur dans ma voiture, j’ai dévoré le premier chapitre. J’en voulais encore mais je ne pouvais pas rester sur le parking indéfiniment. Je ne suis jamais rentrée aussi vite chez moi pour lire un livre, ici en l’occurrence une histoire captivante.

DIX. Avec le nom inscrit sur la première page, j’ai cherché l’auteur sur internet : en vain. Je ne renoncerai pas avant de l’avoir trouvé. Je suis certaine d’une chose, je veux publier cette merveille mais pour cela je dois savoir à qui appartiennent ces écrits. Voilà des semaines et des semaines pour ne pas dire des mois que je suis sans réponse, mes recherches ne mènent nulle part. Ce tas de feuilles volantes se trouve toujours sur mon bureau sous une pile d’autres manuscrits en attente d’être lu, mais je ne désespère pas, je suis certaine qu’un jour, je retrouverai son auteur.