It’s not my fault !

L’impensable s’est bien produit, j’en ai bien peur.
J’ai perdu le contrôle. Je me suis laissée séduire par la chair voilà des semaines et je suis sur le point d’être jugée de mes péchés. Aujourd’hui, tout m’échappe. Depuis que je suis tombée amoureuse de Gregory Sutterlee, plus rien ne va. Plus rien n’a de sens. Je suis perdue, amoureuse et en colère. La semaine dernière, je suis allée rendre visite à Paloma dans l’espoir d’obtenir son soutien, dans ma quête de la vérité.

Une vérité difficile à avaler, pour le coup.
Une vérité qui fait mal et qui met sans dessus-dessous tous mes projets d’avenir parce qu’à présent, plus rien ne sera jamais pareil dans ma vie. J’ai eu besoin de quelques jours pour digérer la nouvelle et encore, ce n’est pas vraiment le cas. J’ai fait les cent pas, dans mon salon, à chercher une solution pour éviter la confrontation avec Grégory mais j’ai beau me torturer les méninges, une seule est possible : il doit savoir. Je ne peux ni lui mentir, ni le lui cacher plus longtemps. Surtout qu’il n’est pas envisageable pour moi d’interrompre le processus. Ce n’est pas de cette façon que j’ai été élevée.

Et puis, je me rends compte que je ne suis plus vraiment celle que mes parents ont élevée. Je suis pire que ça. Je suis un monstre, c’est certain. Quand ils apprendront la vérité, ils seront terriblement déçus. D’ailleurs, j’ai particulièrement honte de moi, de mon comportement ces derniers temps. Je ne fais rien de bon, je ne prends que de mauvaises décisions et cela se répercute sur mon quotidien. Et maintenant, je suis punie. Oh oui, je suis punie pour mes actes et je vais devoir y faire face. Mais comment ? Comment concilier cette nouvelle condition alors que je n’ai jamais voulu cela ? J’ai des tas d’ambitions, des tas de projets pour ma vie mais celui-ci n’en a jamais fait partie. Je ne suis pas faite pour ça. Depuis aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été certaine de cet aspect de mon existence ; je n’ai jamais eu le besoin de maternité, ni de pouponner. J’adore mes neveux et nièces mais ça s’arrête là, dans mon cas. Et pourtant, le divin me met à l’épreuve.

Je suis en colère. Et c’est de sa faute.
Oh que je lui en veux, de saboter mes projets de vie !

Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?? Qu’est-ce que je fais, avec ça ?
La journée a été longue au bureau. J’ai filtré pas mal d’appels et particulièrement ceux de Grégory. Il m’a laissé plusieurs messages cette semaine, concernant le travail et je n’ai pas rappeler. Après tout, je suis toujours sous le choc de la nouvelle et je sais que je vais devoir prendre sur moi, garder la tête froide pour lui parler. Ou ne fusse qu’entendre sa voix, simplement parce que j’ai peur de dérailler et ce n’est pas le moment. Pourtant, en fin de journée je décide de prendre la direction de sa demeure plutôt que la mienne. Nous ne vivons pas si loin l’un de l’autre, demeurant dans le même quartier mais j’ai l’impression de prendre plus de temps pour me rendre chez lui, qu’à l’accoutumée.

Contrariée, car je vais devoir assumer cette conversation que je n’ai pas envie d’avoir, j’appuie sur la sonnette, à plusieurs reprises. J’aimerais mieux être partout ailleurs sauf ici mais ma petite sœur a raison, il faut que je lui dise. Quand il apparaît devant l’entrée, étonné de me voir, je n’arrive pas à être douce et calme comme je le suis d’habitude. J’annonce ainsi, furieuse ;

« C’est arrivé par ta faute, Grégory !! Et… et je ne peux plus rien faire pour changer ça… T’as laissé les choses se faire entre nous en sachant pertinemment que ce serait mal, et pas du tout honnête envers elle… ta… Martha… Tu m’as mise dans une situation très compliquée (mes mains sur la tête que je secoue de gauche à droite, je sens la panique m’envahir le corps) Dios Mio, pourquoi ? Pourquoi c’est arrivé, hein ? C’est pas quelque chose que j’ai envisagé dans ma vie, Gregory. Jamais… »

Petit à petit, je réalise l’ampleur de ma situation. Ou plutôt, notre situation. Je vois bien que Grégory tente de placer un mot, il n’a pas l’air de comprendre et je ne comprendrais pas, moi non plus, à sa place. J’suis pas très explicite, pour le coup. Je l’arrête tout de suite :

« Non, laisse moi finir, s’il te plait »

Je ne suis pas là pour tourner des heures autour du pot, je l’ai suffisamment fait depuis une semaine, à retourner le problème dans tous les sens mais rien n’a changé, ni ne s’est amélioré. Mon problème, il est toujours là, au creux de mon ventre. J’en ai eu la confirmation par un médecin.

« Tu dois savoir que ce qu’il s’est passé entre nous, à Seattle, n’aurait jamais dû arriver… Et tu veux savoir le pire, Grégory ? Ça n’a pas été sans conséquences... »

Oh non, pas le moins du monde. D’une part, je savais qu’en partageant cette intimité inattendue, mes sentiments pour lui se révéleraient encore plus forts que je ne l’imaginais, par contre je ne m’attendais pas à ce que ces sentiments se transforment en quelque chose de plus concret. Malgré tout, ce n’est pas quelque chose que j’ai voulu. Je décide tout de même de lui dire ce que j’ai sur le coeur :

« Tu as tout chamboulé dans ma vie, depuis que tu en fais partie. C’était à peine visible au début, je ne l’ai pas vu venir… mais avec le temps, c’est devenu plus précis. J’arrêtais pas de penser à toi, c’était plus fort que moi. Et puis, tu as commencé à me manquer… tout le temps et j'avais espéré plus que de simples rendez-vous le vendredi soir, à discuter et à se partager la nourriture… Ensuite y’a eu Martha et j’me suis sentie tellement malheureuse que j’me suis fiancée pour t’oublier. Tu savais que c’était une mascarade ? Non, tu ne savais pas… parce que mes parents ne me lâchent pas, malgré mes refus, ils veulent toujours que j’épouse quelqu’un qu’ils préfèrent choisir à ma place… »

J’inspire difficilement, j’ose à peine plonger mon regard dans le sien et en me mordillant la lèvre inférieure, j’ajoute :

« En ce qui concerne les choses de la vie je suis relativement intelligente.. enfin, j’veux dire… je ne suis pas trop… stupide. Et là, je ne sais pas ce qu’il m’arrive mais… C’est comme si j’avais perdu tout contrôle. Tu vois, j’ai envie de faire une chose précise… oui je prévois de faire une chose précise et… je finis par faire exactement l’inverse. Je suis tombée amoureuse de toi. Et… je ne sais pas pourquoi… et le pire là-dedans, c’est que je ne peux pas t’aimer (Je soupire) En fait… je n’ai pas envie d’avoir envie de toi à ce point et pourtant… c’est le cas… J’aurais voulu te repousser, cette nuit-là. J’aurais voulu que tu me repousses, toi aussi… »

ça aurait été tellement plus facile que de lui avouer la finalité de cette merveilleuse nuit, remplie de tendresse.

« Grégory, j’ai quelque chose d’important à te dire… Je suis… »

À cet instant, le téléphone de Grégory se met à sonner. Comme si le Ciel avait décidé de m'interrompre pile poil au moment où j’allais lui dire la vérité. Coup d’œil contrarié en direction des cieux, avant de retrouver la panique de mon corps, face à l’homme dont je suis éperdument et irrévocablement amoureuse.

L’aimer me fait souffrir parce que je sais que ce n’est pas réciproque. On ne s'éviterait pas de la sorte, sinon.  

It’s not my fault !

Seattle.
Une ville qui est à l’image du Paradis que j’imagine.
Avec en son sein un ange… Nommé Sofia Villanueva.

J’ai commis plus d’un péché, tandis que je ne crois pas en ce Dieu unique qui nous gouverne depuis son trône dans le ciel.

Tout d’abord, le mensonge.

Qui était difficilement acceptable, n’est ce pas…? Mentir ne fait pas partie des valeurs que les parents Sutterlee ont inculquées à leurs enfants mais après tout, grandir, c’est s’émanciper de son éducation, emprunter une voie qui nous est propre. Fidèle en amitié, je n’ai pas sourcillé quand Martha m’a proposé d’être son compagnon factice afin de faciliter sa vie, me sacrifiant au passage, ne voulant pas transgresser ma promesse: celle d’être le meilleur ami qui soit pour une femme formidable. Être loyal reste une direction qui m’est propre, je ne pouvais pas refuser cette demande, c’était tout bonnement impossible de ne pas être présent pour Martha, au même titre qu’elle l’a été pour moi durant une douloureuse épreuve de ma vie. Un échange de bons procédés qui me coûte cher, bien entendu. Aux yeux du monde, je suis engagé envers Martha Sighbury. Et surtout, aux yeux de Sofia, que je n’intéresse probablement pas… Mais tout espoir est désormais vain, responsable de ma propre chute, entravé sans pour autant lutter pour me défaire de cette prison que j’ai choisie.

Puis, le plaisir de la chair.

Notre périple professionnel s’est achevé par une nuit de plaisir et de tendresse qui restera gravée à tout jamais dans ma mémoire. Je ne regrette aucunement ce dérapage, au contraire, il semblerait que je l’attendais depuis des mois. La sensation qu’une digue s’est brisée et que par la suite, un déchaînement de douceur et d’amour s’est contenté de nous emporter. Instant irréel mais qui pourtant s'inscrit dans notre histoire. Que sommes-nous désormais? Cette question me hante, jour après jour, nuit après nuit.

Enfin, la tromperie.

Enfin… En quelque sorte? Indécis ou plutôt parfaitement en phase avec mes décisions, je sais que j’ai trahi, d’une manière ou d’une autre. Martha, elle, sait ce que je ressens à son égard, mes sentiments sont clairs, tout autant que ceux que j’éprouve envers Sofia. Je n’ai jamais été aussi sûr de moi et pourtant, je reste là, à regarder le train passer, sans pour autant oser monter dedans. Sauf durant cette nuit, à Seattle. J’ai trompé Martha, ou en tout cas, de manière officielle. Cela me transforme, du point de vue de Sofia, en un homme horrible, indigne de confiance, sans honneur. Qui s’autorise une nuit sensuelle alors qu’il est déjà engagé.

Mais l’Amour… Oui, l’Amour… Est-ce la folie qui me pousse à transgresser toutes les règles? À refuser l’interdit? À ne pas éprouver de culpabilité tandis que…

Je secoue la tête, ôtant les lunettes de mon nez pour les poser sur un coussin posé juste à côté de moi. Je travaille d’arrache pied sur mon second roman depuis quelques temps déjà. Une histoire qui me trotte en tête depuis des années maintenant, mais objectivement, il était bien trop engourdi par le stress de la publication d’Étoiles Invisibles pour produire quoi que ce soit de crédible. J’ai une peur bleue de la page blanche, de ne pas être capable d’écrire un roman aussi bon que le précédent. En pleine tourmente, gangréné par tant d’hésitations, je tourne en rond, en risquant de me perdre en chemin. J’ai d’ailleurs tenté de joindre Sofia, afin de lui partager mon ébauche, lui avancer les bribes de ce projet auquel je tiens plus que tout. Après tout, écrire un second roman, après le succès du premier, est un défi de taille. Mais elle ne semble pas être joignable. Et ce, depuis des jours. M’éviterait-elle? Sans aucun doute, c’est une parfaite évidence. Je me sens à la fois coupable et soulagé. Entre nous, les choses ont changé. Mais à quel prix, ça, je l’ignore…

Soudain, je suis perturbé dans ces philosophies solitaires. La sonnette retentit, quelques-uns de mes chiens se mettent à aboyer, en bons protecteurs de foyer. Je bondis hors de mon canapé gigantesque, déposant mon ordinateur sur la méridienne, trottinant jusqu’à ma porte d’entrée.
Surprise de tous les diables tandis qu’une vision miraculeuse se tient sur le seuil.
Elle.
Ici.
Si belle…
Osant un sourire, je salue mon invitée, bien maladroitement:

Sofia.. Qu’est ce que…

Mais je n’ai pas l’occasion d’ajouter quoi que ce soit. L’éditrice de mon cœur est dans tous ses états, je sens que la panique la gagne, sa voix est pressée, proche de l’hystérie. J’écoute ses propos mais je dois avouer que je ne les comprends pas. Que cherche-t-elle à me dire? Pense-t-elle également autant que moi à notre interlude à Seattle?
Ce serait une hérésie d’avancer cela, et pourtant, j’y crois. Silencieusement, secrètement et plus que tout bêtement, mais j’y crois.
Rien n’aurait pu me préparer à la suite, pas même mes espoirs fantaisistes.
Réellement confus, je tente une approche, d’une voix grave:

Mais, je…

Impossible d’ajouter quoi que ce soit de plus, Sofia me lève la parole. Son besoin de se confier est primordial et je conserve donc le silence, respectueux. Mon attitude me permet d’écouter avec attention Sofia, qui m’avoue tout: ses sentiments à mon égard, que ses fiançailles avec Samir n’étaient qu’un mensonge. Estomaqué, je ressens également une pointe dans le cœur tandis qu’elle prononce le prénom de Martha. J’aimerais l’interrompre, pour qu’elle ne soit pas enduite plus longtemps en erreur, mais rien ne se passe comme prévu.
Gregory, te rends-tu compte…?
Sofia t’aime. Sofia est amoureuse de toi.
Tu n’inventes rien, elle vient de te le dire.
Seigneur, tu existes donc…

La sonnerie de mon téléphone portable est perçue tout d’abord par Sofia, qui se stoppe net dans ses confidences. Éberlué, je réalise que je dois répondre, qu’il s’agit de Soraya, qui doit sans doute avoir besoin de moi. Mais pour une fois dans ma vie, je ne la choisis pas. Ou plutôt, je choisis de l’ignorer.
Qui êtes vous et qu’avez vous fait de l’éternel grand frère protecteur et inquiet…?
Mais l’urgence de la situation est réelle, je dois être au rendez-vous, il s’agit de mon unique chance d’être parfaitement honnête envers Sofia. Je raccroche donc au nez de Soraya, je me fais la promesse de lui envoyer un message dès que possible. Mais pour le moment, j’invite Sofia à pénétrer dans ma maison, tout en baragouinant:

Entre, je crois que nous avons besoin de poursuivre cette conversation au calme…

Je suis sonné, pourtant, je tente de lui prouver que je reste courtois, un véritable gentleman qui se soucie de son bien être. Faisant une rapide escale à la cuisine, je lui apporte un thé glacé, que j’ai préparé ce matin, tout en prenant la direction de mon jardin. Grâce à la météo particulièrement clémente de ces derniers jours, nous pouvons nous installer confortablement dans de larges fauteuils de mon salon de jardin afin de poursuivre cet échange qui sonne le glas d’une ère nouvelle.
Celle de l’honnêteté.
Les jambes écartées, mes coudes posés sur mes genoux, je tente de rassembler mes esprits afin de lui dire, fuyant tout de même son regard:

Sofia… Tout ce que tu as dis, je le pense également. Je suis tombé amoureux de toi, lentement, certes, mais sûrement. Et… Je dois également te faire un aveu… Martha et moi, ce n’est pas… Nous sommes… En réalité, je lui rends un service.

Et ce qui est certain, c’est que je ne m’en rends pas un, en occultant la dernière tentative de Sofia de me confier ce qui la tracasse. Je sens son effroi, couplé à une agitation sans nom. Je peux sentir chacune de ces cellules s’agiter.
Sans imaginer un seul instant que notre tête à tête n’en est plus vraiment un…

It’s not my fault !

Hésitante mais plus en colère que jamais.

Ça fait plus d’une semaine que j’ai les cartes en mains.
Me repentir n’est malheureusement pas suffisant. Oh non, la tâche qui m’incombe va au-delà d’un simple « pardonnez-moi mon père, parce que j’ai péché ». Je sais de source sûre à présent, que je porte la vie depuis plusieurs semaines. Ce n’est pas difficile de faire un retour arrière et de calculer sur le bout des doigts, par exemple. Mon seul et unique dérapage s’est produit à Seattle, en compagnie d’un écrivain totalement irrésistible mais cependant engagé dans une relation amoureuse. Lui et moi, nous avons cédé à la tentation ultime mais je sais d’ores et déjà que ce moment d’intimité a été nourri et rassasié, grâce à nos fréquents tête-à-tête mais surtout aux baisers que nous nous sommes échangés les semaines/mois précédents. La dernière fois lors de la tempête où je me suis surtout laissé envahir par une joie incommensurable d’avoir annoncé à mon meilleur auteur à en devenir, la merveilleuse nouvelle de son impression ‘Étoiles invisibles’ et de son imminente tournée littéraire qui va avec. J’étais loin de me douter qu’on finirait tous les deux dans la même chambre d’hôtel… dans le même lit… à s’offrir plus d’amour qu’il n’en fallait.

Du moins, pour ma part. Concernant Grégory, je n’en sais rien. Je passe mon temps à ignorer ses appels, à reporter nos rendez-vous et à trouver des excuses bidons. Ma secrétaire commence à me regarder d’une façon très étrange quand je lui demande de se … débarrasser de Sutterlee par n’importe quel moyen qu'elle jugera acceptable pour l’écrivain. C’est juste que… je n’arrive pas à faire face à ce que nous avons fait. Il est avec quelqu’un, ce qui signifie qu’il l’a trompé. Avec moi. Dieu pardonne oui, mais commettre l’adultère reste immoral en tous points, pour l’Eternel. Alors s’il l’est pour lui, il l’est pour moi, également. Je me sens terriblement coupable de mes actes, j’ai envie de m’enfuir, de me cacher dans un trou de souris, même ! Et pauvre Martha, qui ne se doute de rien… je présume ? Nous n’aurions jamais dû franchir la limite mais nous l’avons fait. Demander pardon est devenu mon quotidien, sans compter que j’accueille en mon sein, une vie que je n’ai pas choisie d’avoir. Grégory mérite de le savoir mais ça risque fort d’ébranler tout le cortège en mouvement !!! Je ne suis pas prête pour ça, mais j’suis là, devant chez lui.

Tout y passe. Tout. Sauf l’information la plus importante, interrompue par la sonnerie de son téléphone, qu'il choisit de reprendre l’appel plus tard. Je suis en colère mais je n’avais pas le choix de tout déballer. De mes plus sincères sentiments, à mes plus bas remords. Forcément, je ne peux pas entièrement regretter ce qu’il s’est passé entre nous. Ce fût tendre et incroyablement magique. Je n’avais jamais vécu quelque chose de semblable auparavant. Bon en même temps… une femme de ma condition, ce n’est pas censé faire l’amour avant le mariage. Je suis actuellement en conflit avec la Sofia Villanueva, chrétienne et pratiquante, qui cherche à être la plus fidèle des disciples, avec la Sofia Villanueva, chrétienne mais qui laisse parler son coeur, avant tout le reste.  Une part de moi a seulement envie de lui dire à quel point elle est amoureuse de lui, mais l’autre part cherche à fuir le plus loin possible, pour ne pas révéler l’abominable vérité. Gregory m’invite à entrer, pour poursuivre cette conversation des plus palpitantes, n’est-ce pas ?

Je me dirige vers le salon d’été, dans le jardin, tandis qu’il s’éclipse à la cuisine. Cela me donne l’occasion de réfléchir à la façon de lui avouer ce que j’ai appris la semaine dernière. Je ne suis pas seule, je suis rejointe par quelques boules de poils curieuses qui cherchent immédiatement de l’affection et de l’attention. Étrangement apaisée, je caresse la tête d’un joli minou qui a osé me sauter sur les genoux. Puis, je pense à Martha et la situation dans laquelle je m’apprête à la mettre. Je ne me sens pas du tout en confiance mais je me sens surtout très embarrassée. Plus mal à l’aise lorsque Gregory revient avec un thé glacé qu’il pose sur la petite table en verre, sur ma droite. Je fronce les sourcils, en inspirant profondément. De but en blanc ou en arrondissant les angles, Sofia ? Je n’ai toujours pas décidé. Et pendant que je me décide de la manière dont il va apprendre pour cette grossesse imprévue, j’ai du mal à saison le sens de ses mots :

« Qu.. quoi ? »

Qu’est-ce qu’il veut dire ? Es-je bien entendu ? Je veux dire, cette réciprocité est-elle réelle ? J’ai sans doute mal entendu ? Quant à ses révélations à propos de Martha et lui, j’en reste Sans voix, ne comprend strictement rien, à vrai dire. Je suis perdue. Ayant mon verre de thé glacé entre les doigts, je le serre vivement, dans la crainte de l’échapper de mes mains, je lui dis :

« Qu’est-ce que tu veux dire par : lui rendre service ? »

Le genre de service auquel nous nous sommes rendus, Samir et moi ou… ? Nouvelle inspiration profonde, mon rythme cardiaque s’accélère. J’ose, à demi-mot :

« Tu veux dire que… Martha et toi, vous… » je secoue la tete de gauche à droite : « … vous, n’êtes… ? »

It’s not my fault !

Elle. Ici. Maintenant.

Je ne réalise pas ce qui se joue, je me sens flottant en dehors de mon corps, telle une vision astrale. La sensation d’être plongé dans un rêve que je vis en boucle depuis des mois, j’en perds même mes moyens, préfère la fuite et les grommellements au lieu de faire face à la femme qui me fait face. Qui ne semble pas dans son état normal, certes, mais je ne me comporte pas de manière plus civilisée. Que nous arrive-t-il, à la fin…? Nous présentons à l’autre une version qu’il ne connaît pas, dont il n’est pas habitué. Serait-ce donc enfin le jour où tout bascule entre nous, où deux chemins se présentent et le choix effectué sera décisif pour la suite de notre relation? Bien sûr, je suis dramatique. Bien sûr, je suis intense dans mes réflexions. Bien sûr, je suis égal à moi-même. Meilleur et pire à la fois.
C’est l’effet de l’amour, paraît-il.

Sofia est la plus belle chose qui ne me soit jamais arrivée. C’est une vérité impossible à nier, je ne peux pas y voir qu’un un simple et parfait miracle. Un acte divin dont j’ai le bonheur d’être l’Élu. Certes, rien n’est évident entre nous. Tout est si compliqué, nous marchons sur des œufs en permanence, les non dits deviennent désagréables et créent une distance insoutenable. Je ne peux pas supporter cette situation bien longtemps et quelque part, je suis plus que soulagé que Sofia ait effectué le premier pas. Une nouvelle fois, elle prouve à quel point elle est mature, adulte et responsable. Tout le contraire de Gregory Sutterlee, un gamin fuyard et incertain.
Comment puis-je penser une seule seconde que nous sommes faits pour être ensemble, hein…?
Mais j’y crois. Plus que jamais. Je n’ai pas envie d’abandonner ce sentiment qui me rassure, qui m’apaise et à la fois qui affole mon cœur. Je n’ai pas envie de laisser passer une telle occasion d’être heureux, épanoui et en phase avec moi-même. Alors, je passe la seconde. J’ose me confier à Sofia, de manière bien maladroite mais le fait est que je m’arme d’un courage insoupçonné et que je passe aux actes, décision bien inhabituelle dans mon cas mais… J’y suis arrivé. J’observe furtivement Sofia, je tente d’analyser sa réaction, qui n’est pas bien compliquée à déchiffrer: elle est sous le choc. Bégaie, le temps d’une poignée de secondes, avant de reporter son attention sur Martha. Riant sans aucune volonté de me moquer, je lui dis, changeant de position sur mon fauteuil:

Sofia… C’est donc la seule chose que tu retiens, de ce que je viens de t’avouer…?

Mon sourire est timide, presque gêné. Après tout, je lui ai expliqué, grâce à des mots parfaitement clairs, que j’étais fou et complètement amoureux d’elle. Ou bien, n’ai-je pas été suffisamment expressif? Pourtant, je meurs d’envie de me jeter à ses pieds, de caresser ses cuisses et de laisser mes lèvres s’occuper de lui offrir un Amour pur et profond. Mais je fais preuve de self control, j’arrive à canaliser mes désirs. La dernière chose que je souhaite, c’est la brusquer. Elle est en proie à une panique étrange, que je peux percevoir. Car entre nous, un lien invisible existe et nous relie bien au-delà de la raison. Tentant de répondre à ses attentes verbalisées plus tôt, j’opte pour un ton bien plus sérieux avant d’ajouter:

Mais si tu veux en savoir plus à ce sujet… Je suis prêt à t’expliquer. Je suis enfin prêt à te dire toute la vérité. Sofia…

Incapable de résister à la tentation, j’attrape doucement la main de cette femme magnifique et que j’aime bien plus que tout. Plus que mon accord tacite avec Martha, plus que ma promesse. Que je respecte profondément mais à qui j’ai manqué de respect en lui masquant un pan très important de ma vie.
Mais cette ère est révolue. Tout s’arrête ici. Et tout commence maintenant.
Inspirant profondément, cherchant les mots les plus adéquats, un comble pour un homme qui se prétend écrivain, j’attaque mon monologue:

Martha est ma meilleure amie, Sofia. C’est une femme que j’ai rencontré à l’adolescence, au lycée, qui m’a tellement soutenu, surtout lors de l’évènement qui a traumatisé ma vie, que tu connais: la disparition d’Hailey. Martha est un être formidable que j’admire profondément… Mais je n’ai jamais été en couple avec elle. J’ai simplement accepté un marché qui devait l’arranger, elle ressent une profonde pression de la part de sa mère et… Bref, en résumé, nous jouons au couple aux yeux du reste du monde mais mon coeur ne lui appartient pas. Je compte bien l’offrir à quelqu’un d’autre…

Enfin, elle sait tout.
Le poids qui existait dans ma poitrine et que j’ai toujours voulu ignorer s’envole pour rejoindre les nuages. Comme par magie. Ou plutôt, grâce à une décision que j’aurais dû prendre il y a de cela plusieurs mois? Que je suis bête, à la fin. Il suffisait simplement d’accorder un peu de temps pour me confier, pour avouer l’envers du décor. Sofia peut-elle seulement le comprendre? Pardonnera-t-elle ce mensonge? Rien n’est moins sûr et la simple idée qu’elle ne souhaite plus m’adresser la parole me glace d’effroi. Tentant d’être lucide jusqu’au bout, j’ajoute, fronçant des sourcils, me souvenant d’un détail loin d’être insignifiant:

Et toi, Sofia, tu voulais me dire quelque chose, tout à l’heure…?

Après tout, cette discussion est placée sous le signe des confidences. Qu’elles soient douloureuses ou salvatrices, elles ont toute leur place au sein de cet échange inédit.
Comment ai-je pu oublier que les mots peuvent tout résoudre quand on les emploie à bon escient, voyons…?