a life, a story


La semaine n’aurait pas pu plus mal démarrer pour mon père, Nathaniel Sharp. Un homme bourru, conventionnel mais pas méchant, dans le fond. Seulement un peu trop régi par ses propres règles, par une manière de pensée parfois réductrice. Un homme grand, à la carrure impressionnante et au charisme destructeur. Bref, un homme qui avait tout pour réussir, en tout cas de son point de vue, sauf des enfants. Enfin, pour le moment.  
Aujourd’hui était pourtant censé être le plus beau jour de sa vie. Un Lundi parfait pour une existence parfaite. Et pourtant. Il pensait pouvoir tout contrôler dans sa vie et il ne tarda pas à découvrir que ce n’était qu’une vaste blague et que quand l’Univers a des projets, il nous est tout simplement impossible pour nous, simples mortels, de les contrer. Il s’agit surtout de subir, de s’adapter, de faire avec. Mais Sharp n’était pas de cette trempe… il n’a jamais aimé les compromis.
Des jumeaux, voilà ce qu’on avait promis au couple Sharp. Une fille, un garçon. Le choix du Roi et l’expression était toute choisie, en l'occurrence: un couple fraîchement marié, installé depuis quelques mois à peine dans une charmante maison de banlieue. Il fallait à présent construire une famille, c’était dans les normes, davantage même: c’était la suite logique et il ne fallait surtout pas déroger à ce diktat de société. Le temps pressait, Ophélie n’était plus si jeune, qu'allaient dire les voisins, enfin, si elle ne mettait pas rapidement au monde une descendance? Et puis, quelle n’avait pas été la fierté pour Nathaniel Sharp d’annoncer fièrement à tout son entourage, privé ou encore professionnel, qu’il allait bientôt avoir non seulement un enfant mais aussi un fils. Un jeune bonhomme qui grandirait, fatalement et qui perpertrait le nom de cette famille installée depuis des générations et continuant de s’étendre inévitablement. Le grand jour était enfin arrivé, les contractions s’étaient intensifiées durant la nuit et en ce Lundi 1er Septembre, il était temps de multiplier les membres de cette famille. Le couple ne serait plus jamais seul. Ophélia avait peur, bien entendu. Elle avait passé la nuit à chuchoter à ses enfants qui n’allaient pas tarder à quitter son ventre. Elle les rassurait, autant que faire se peut. Elle savait qu’elle allait souffrir, que c’était sa croix, que c’était comme ça. Mais qu’importe, il fallait surtout qu’elle assure l’accouchement, qu’elle devienne une mère. Pour rendre fière l’équipe médicale, son mari, ses parents. La pression grandissait durant les quelques heures qui précédèrent l’accouchement. Et enfin… deux bébés virent au monde, poussant des cris timides mais sources de soulagement intense pour l’équipe médicale. Tout d’abord, une petite fille! Sourire timide de Nathaniel qui s’empresse d’attraper son gar… sa fille. Deux filles. Et pas de garçon. Les médecins se sont trompés et ça arrive, non?
Mais pour Sharp, ce fût une terrible désillusion.
Naomi, le prénom féminin était choisi au préalable était la sœur d’une petite fille et non d’un garçon. Mais hors de question pour Nathaniel d’accepter de changer ses plans: il avait toujours rêvé d’appeler son futur fils Charles.
Et c’est comme ça que je suis arrivé: dans un couple déjà bien dysfonctionnel, adorée par une mère qui était si heureuse d’avoir deux filles et par un père qui n’a jamais accepté l’idée même que je sois venue au monde.
On peut dire que ça démarrait mal. Attendez de voir la suite…


Dans l’Histoire du Monde, il existe un Mardi noir, non? Cela me parle, ce souvenir résonne dans ma mémoire.
Tout comme ce jour qui ne finira jamais d’exister, même si je donnerais tout pour pouvoir l’oublier. Il existe, il est réel, je le vis. Bien malgré moi.
Mes jambes tremblent, j’aimerais m’enfuir. J’adorerais pleurer, aussi, curieuse de savoir si cela pouvait apaiser ma peine. Mais rien ne sort, pas un mot, pas un souffle. Je ne bats plus des cils et mes mains sont figées au-dessus de son corps. Du mien. Elle qui me ressemblait tant et à la fois qui était mon exact contraire.
Naomi. Ma sœur, ma jumelle, a quitté ce monde, emportée par une maladie fulgurante. Après avoir tant rit, tant parlé, je me souviens de la pipelette qu'elle était et surtout, après avoir vécu, intensément, durant dix neuf années, elle avait fermé les yeux une ultime fois, sans aucune chance de pouvoir les rouvrir. Les sanglots de ma mère transpercent le silence de plomb qui inonde cette chaude journée d’été, cet enterrement est une épreuve que j’aurais aimé ne jamais connaître.
Et croiser le regard furieux et incendiaire de mon père me rappelle qu’au fond, je n’aurais jamais dû exister, n’est ce pas?
J’ai toujours senti que j’étais de trop dans cette famille. Ou en tout cas que j’occupais une place qui ne m’était pas destinée, à l’origine. C’est vrai, quel père appelle sa fille volontairement “Charles” en souvenir d’un fils qu’il n’aura jamais? Ophélia Sharp n’aura jamais plus que deux enfants, la faute à un corps capricieux, la machine à bébé étant définitivement cassée aime à le répéter Nathaniel. Une question vous taraude: pourquoi ai-je été la cible de sa haine et non ma soeur jumelle? Le hasard, sans doute. J’étais la seconde à sortir du ventre, j’ai toujours ressenti l’échec et la déception émanait de la voix de mon père dès qu’il s’adressait à moi. J’étais source d’un espoir qui s’est soldé par une affreuse découverte qui a tout remis en question. J’ai dû grandir avec cette drôle de sensation qui ne me quittait jamais: que je devais redoubler d’efforts afin de convenir à un paternel strict et tatillon. Avec ma mère, tout était différent, bien entendu: elle était source de bonté, d’amour, de tendresse.
Mais dans la vie, la fatalité nous rattrape toujours: Nathaniel voulait un garçon? Soit. Alors, j’allais lui en donner un. J’allais être ce fils utopique, n’oubliant jamais que j’étais avant tout une jeune femme, tout comme ma jumelle. J’allais être sur tous les fronts.
Cherchant sans arrêt à sans doute lui faire plaisir, ce serait l’analyse poussée d’un psychologue d’ailleurs, je redoublais les activités masculines: sport à outrance, sensations fortes à gogo, sans jamais crier, sans jamais avoir peur, ou presque. Toute petite, je me suis lancée un défi gigantesque, qui occuperait toute ma vie: Incorporer l’armée, cette branche qui compte parmi ses rangs mon père, un homme puissant dans l’armée de l’air, à un grade qui me faisait rêver, à l’époque. J’étais à la fois admirative et si jalouse: mon père était quelqu’un de fiable, de respectable. Et j’avais envie de devenir comme lui, enfin non, plutôt meilleure que lui. Alors, même si je n’ai jamais aimé ça, j’ai été studieuse, je me suis forcée à obtenir les meilleures notes possibles afin de rendre fière une mère qui adorait ses deux filles et de ne pas recevoir de réflexions de la part d’un père exigeant comme jamais. Pour me défouler, j’allais courir, nager, faire du VTT ou encore n’importe quel autre sport. M’épuiser permettait de ne plus réfléchir, de ne plus penser.
Et puis, j’avais un rêve, que je partageais avec Naomi, le soir, dans notre chambre que nous avons partagé jusqu’à la fin: Je voulais voler. Me prendre pour un oiseau, survoler le commun des mortels. Pilote de chasse était mon but ultime et je n’oublierais jamais ses mots d’encouragement, son sourire quand elle me vit placarder une affiche de “Top Gun” sur le mur de notre chambre d’adolescente. Elle me disait souvent: “Charlie, tu y arriveras. Je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi têtu. Tu veux devenir pilote? Tu le seras. Ce n’est qu’une question de temps.”
Nous étions si complices, si fusionnels. Elle ne me disait pas tout de sa vie, je le sais. Et moi non plus d’ailleurs. Nous avions chacune un jardin secret, que nous aimions entretenir à deux, tout simplement.
Retour à la fatale réalité. J’attrape une rose blanche, que je jette sur son cercueil. Un larme roule sur ma joue, elle est si grosse. À la hauteur de ma peine.
Au revoir, ma sœur.
Je te promets d’y arriver. De devenir cette femme forte, courageuse et qui atteint ses rêves.
En ta mémoire.


“Mais voyons, qui se marie un Mercredi, n’est ce pas?”
La voix fluette de ma mère, qui s’occupe de m’attacher un collier bleu, emprunté et ancien (coutumes dont on ne déroge pas dans la famille) me provoque un rire léger et quelque peu nerveux, je dois l’avouer. Aujourd’hui est un grand jour. Cette semaine est complètement folle, d’ailleurs! Deux gigantesques événements se sont produits à quelques jours d’intervalle, deux changements si différents dans ma vie et m’offrant des émotions contradictoires.
Commençons par celui qui nous occupe donc aujourd’hui: mon mariage. Rapidement organisé, il n’a fallu qu’une poignée de semaines pour que l'événement soit planifié. Jetant un coup d'œil rapide à travers la toile de tente qui m’isole du reste de l’assemblée, j’inspire longuement, contrôle mon appréhension. Après tout, j’ai vécu pire, non? Je n’ai pas peur. Certes, la foule est si dense que l’ensemble de la ville a dû être invité. Mon père ne lésine jamais sur les détails, tout est parfaitement impeccable. Organisation militaire, que voulez-vous. Tout a été savamment choisi par le couple Sharp, du choix du menu à la robe que je porte. Mais ça ne me dérange pas, j’ai préféré… me mettre en mode “roue libre”, dirons-nous.  L’homme que j’aperçois au loin à l’autel est bon, gentil, doux et attentionné. Terriblement élégant dans son costume.
Mais je n’en suis pas réellement amoureuse.
Ezio? Le gendre parfait, voilà donc comment ma mère l’a qualifié quand elle a organisé notre rencontre. Vous savez comment ça se passe… le fils d’une amie qu’elle voyait souvent au club de bridge, qui est si beau, avec de l’argent, qui est respectable et personne ne comprend pourquoi il est encore célibataire et blablablabla… Au bout de trois évocations de cet homme parfait, je savais qu’Ophélia n’allait pas résister à la tentation de me le présenter. Depuis… le départ de Naomi, notre relation s’était intensifiée: j’ai toujours adoré ma mère, sans concession. Je m’en sentais si proche, si connectée. Rien à voir avec la relation que j’entretenais avec mon père, bien entendu. Cette dernière était bien plus conflictuelle, basée sur une quête éternelle de reconnaissance. Alors qu’avec ma mère, ce n’était rien de plus qu’un amour infini, sans concession.
Voilà donc pourquoi j’avais opiné du chef, quand l’idée du mariage avait été suggéré à peine quelques mois après notre premier rencard. J'allais devenir une bonne fille, une bonne épouse. Pour satisfaire les envies de normalité de ma mère.
Et puis, cette semaine était si incroyable, à mes yeux: j’avais reçu la réponse, j’y étais arrivée.
Aujourd’hui, j’allais devenir Madame Charlie Burton. Mais j’avais également l’immense fierté d’annoncer que j’étais Pilote de chasse.
Quel titre me faisait le plus vibrer? Je vous laisse deviner…


“C’est Jeudi, Kizzy, c’est le soir de ta tournée, n’oublie pas!”
Rire de Lenny qui tente de couvrir le bruit assourdissant d’un avion qui décolle, en vain. Bien entendu, j’ai réagi à mon surnom, à mon call sign. Ce surnom que petite m'a mère m'avait donné et qui m'a collé à la peau, littéralement. En guise de réponse, je lui offre un merveilleux doigt d’honneur, ponctué d’un haussement de sourcils évocateur.
Déboutonnant le haut de ma combinaison de travail, je laisse découvrir ma peau, étant simplement vêtue d’un débardeur. Je suis transpirante, en vie, brûlant d'envie de remonter dans un avion, sur le champ. Le coeur bat à trois mille à l'heure, je suis toujours sous la coupe de l'adrénaline. Les conversations vont bon train, l’ambiance est plutôt légère, à l’exact opposé de celle qui nous a englouti, quelques jours auparavant. Une mission secrète et d’une importance capitale qui a nécessité toute notre concentration, notre travail d’équipe et a aussi soumis notre capacité d’adaptation à un niveau si extrême. Mais nous y sommes arrivés, tous ensemble, et de manière individuelle, j’ai pu une nouvelle fois me démarquer, briller par mon sang froid et ma technique sans faille.
C’est que lorsqu’on est mordu de pilotage depuis ses six ans… c’est assez facile. Dans la vie, quand on est passionnée, rien n’est impossible. Je suis plutôt fière de ma carrière, elle est au centre de ma vie. Mon mariage? Je n’y pense pas, quand je vole. D’ailleurs, je laisse toujours mon alliance dans mon casier, au vestiaire. Juste à côté de la photo de Naomi. Quand je pilote, je tente de faire le vide, d’apaiser mon âme, d’alléger mon cœur.
Les émotions sont toujours plus vives quand on prend le temps de les ressentir pleinement. Dans mon cas, j’ai surtout choisi de vivre à cent à l’heure, de ne pas m’arrêter. Mon rythme de vie est assez… unique en son genre, je veux bien l’admettre. Mais… je suis aussi normale que possible. Par exemple, je suis terriblement sous le charme d’un collègue de travail.
Je le vois, au loin. Wyatt. Son sourire étincelant, papotant avec d’autres membres de l’escouade. Mordillant ma lèvre inférieure, je n’hésite pas une seule seconde pour m’avancer dans sa direction. Avant même d’ouvrir la bouche, je connais l’issue de cette discussion, de cette soirée, de cette nuit. Nous nous quitterons sans doute au petit matin, sans un mot. Sans un bruit.
Je me sens si vivante, à ses côtés. Tromper mon mari n’a jamais fait partie de mes plans, au contraire, j’ai été élevé avec des valeurs fortes, comme la fidélité.
Mais j’ai besoin de vibrer et je suis incapable de résister à la tentation.
Alors, une nouvelle fois, je pose ma main sur son épaule, effleure du bout des doigts sa nuque. Lui propose de grimper dans sa voiture pour nous rendre au bar, avec le reste de l’équipe. Après tout, une tournée générale m’attend. Mais je sais aussi que je serais incapable d’emprunter une autre route que celle de sa chambre, lorsque le moment sera venu.
Il est une drogue dont je ne peux me passer, je le crains…


Le Vendredi qui a changé le reste de mon existence. Et ce ne sont pas de simples paroles en l’air, je le crains.
Ébahie, je hurle, sans discontinue, incapable de quitter des yeux la scène d’horreur établie dans le salon de la maison familiale. D’habitude le théâtre de visionnage de séries télévisées ringardes ou de séances silencieuses de lecture, à présent, il s’agit surtout d’un bain de sang. Chaque parcelle de cette pièce est recouverte d’un liquide rouge foncé, provenant du corps sans vie de ma mère. Ophélia. Des dizaines de coups de couteau lui ont été portés, lui ôtant ainsi la vie.
À genoux sur le sol, ne sentant même pas les bris de verre d’un vase s’enfoncer dans ma chaire, je suis attrapée avec vigueur par mon père. Il ne reste plus que nous deux, de cette famille si précieuse à ses yeux.
J’étais simplement venu saluer ma mère, comme ça, en coup de vent. En réalité, je connaissais un échec, léger, infime mais bien réel au cours d’une mission et j’avais besoin du point de vue impartial et réconfortant d’une mère.
Au lieu de cela, j’avais dû découvrir moi-même la dure réalité: elle avait été assassinée. Avec violence, sans que personne ne se rende compte de rien.  
Les journalistes sont arrivés quasiment tout de suite après les policiers. Mon père a pris les choses en main, s’est montré droit, sans exprimer quoi que ce soit, bien que la perte de son épouse soit un drame qui va l’anéantir à tout jamais. Il a toujours été comme ça: à se taire quand il s’agit de ressentir, d’éprouver des émotions. Sauf celles qui me concernent, bien entendu. Nous n’échangeons pas un mot, même jusqu’à son enterrement, ayant pour dernière demeure une place de choix, juste à côté de sa fille Naomi. Les larmes ont coulé à flots, je me sentais amputée d’une partie de mon âme. Je n’arrivais pas à lui dire au revoir, je me suis jetée aux pieds de son cercueil, hurlant encore et toujours, me donnant sans doute en spectacle. J’étais incapable de faire autre chose. Mais après le choc de la perte vient l’incompréhension: après des semaines, l’enquête piétine, personne ne sait nous apporter de réponses à nos milliers de questions. De mon côté, je rumine: Pourquoi elle? Pourquoi s’attaquer à une femme aussi douce, aussi patiente, généreuse, altruiste et souriante? Ne travaillant pas, c’était une parfaite bénévole pour différentes associations de la ville. Le genre de femme à aceuilir les voisins avec ses légendaires lasagnes et à participer à toutes les ventes de gâteaux possibles avec une délicieuse tarte aux poires.  
Elle m’écoutait. Elle savait me comprendre, sans même que je lui dise quoi que ce soit. Elle savait rire de mes comportements fantasques, savait s’inquiéter sans même me le faire savoir.
Elle était tout pour moi, elle était mon pilier.
Comment continuer à avancer, sans elle?
Elle était unique en son genre, elle était ma mère.
Employer le passé envers elle est une chienne de douleur que je vais tenter à présent de combattre.
Mais à ce jeu contre la vie, j’ai toujours été si mauvaise…


Samedi soir, dans un des bars de Monterey. Celui qui fait partie de mon Top 5, c’est qu’à force de fréquenter tous les établissements de la ville, je deviens une pro en la matière. Je peux même vous réciter la carte de leurs cocktails sans me tromper une seule fois! Impressionné, n’est ce pas? En ce moment, je suis plutôt du genre… pilier de bar. Encore un peu plus que d’habitude. Attrapant du bout des doigts ce lourd verre contenant un liquide ambré dont je ne savoure plus le goût, j’avale d’une traite, appréciant la brûlure dans la gorge et la décharge dans le cœur.
Je suis toujours en vie. Mais… Rien n’est plus pareil, désormais.
Je n’ose même pas jeter un coup d'œil sur ma main gauche. Elle est à présent nue, la bague m’unissant à Ezio étant définitivement ôtée de mon doigt. Le divorce a été prononcé il y a quelques mois, la mascarade a pris fin. Sans douleur, sans cri, sans dispute. Je ne le déteste pas, au contraire. C’est plutôt moi que je hais, tout s’effrite dans ma vie, plus rien n’a de sens et je me sens flotter dans l’espace, sans combinaison, sentant à chaque seconde que je manque cruellement d’air. Alors, je tente de reprendre ma respiration… en vain.
Levant la main afin de héler le serveur, je commande un nouveau verre. Et encore un. Et encore un. Je finis par m’endormir à même le comptoir, ridicule au possible, sait quel mal me ronge: l’alcoolisme. J’ai toujours aimé boire un verre, j’avais plutôt l’alcool festif, autrefois. Jusqu’à ce que je ne ressente plus rien d’autre à part un gigantesque gouffre dans la poitrine, que je tente de remplir, encore et encore, soir après soir.
Je tente tout mais rien n’y fait: je me sens morte à l’intérieur.
Et ce choix a provoqué des conséquences sans retour. Démissionner de l’armée a été une décision courageuse mais nécessaire: après tout, je ne pouvais pas risquer de compromettre des missions d’une importance capitale à cause de ma baisse fulgurante de concentration et d’investissement. Et puis, personne n’accepte les pilotes ivres, cela parait logique. La mort dans l’âme, j’avais rendu mon casque, mon grade et le reste. J’avais tourné le dos à ce qui comptait le plus à mes yeux, rompant de ce fait tout lien avec Wyatt. À mon plus grand regret.
Mais le plus dur reste le regard que m’a offert mon père, la dernière fois que nous nous sommes vus. Le message n’aurait pas pu être plus clair: je le décevais.
Mais ce fut son point de vue dès que je suis venue au monde… n’est ce pas?
Je n’ai plus rien, dans ma vie. Pas d’enfant car je n’en ai jamais voulu, je n’avais pas le temps pour ça. Plus de mari, plus de maison, les deux femmes de ma vie résident désormais à travers les nuages.
Et moi, j’aimerais tant rejoindre le ciel étoilé, une dernière fois…


Ce Dimanche ressemblera à tous les autres, je le crains. Je ne suis pas fatiguée, je me réveille à l’aube. Seule. Je ne travaille plus, j’erre sans but. Je laisse la colère prendre le dessus à chaque instant de mon existence. Quittant mon appartement de célibataire, je me dirige vers l’océan. Le jour se lève à peine, l’air est frais. Me débarrassant de ma robe de plage, j’avance vers l’eau si fraîche, prête à enchaîner les longueurs. J’espère que ça me réveillera de ma torpeur qui dure depuis bien trop longtemps.
Enchaînant les mouvements de bras et de jambes, je pense à Naomi. Je pense à Ophélia. Je pense à Nathaniel, à Ezio, à Wyatt…
Mais je reste seule. Face à moi-même. Perdue dans l’immensité de ma vie qui n’a plus de sens, que j’ai mis tant de temps à bâtir pour que tout se retrouve piétiner… et tout ça par ma faute.
Il est temps de se ressaisir.
De faire quelque chose.
Oui… mais quoi?