Ce Noël fut sans l’ombre d’un doute le plus important de ma vie. Un Noël que je n’avais pas imaginé vivre un jour, à nouveau, avec ma famille. Ma fille, Xiomara… Puis une nouvelle partie, celle que ma fille avait choisie, la famille Ricci. Rencontrer la sœur de Jeremy avait été intéressant, étrange par moment, cette frontière entre deux mondes… Mais pour ma fille, cette frontière n’avait aucune importance, je crois que je serais capable de sociabiliser avec n’importe qui, pour lui faire plaisir. Sociable, je l’ai toujours été dans une certaine mesure, j’ai cette manière étrange de rassembler les gens autour de moi, d’être ce gars avec qui on a envie de parler, de rigoler, de faire des conneries aussi… Ce n’était pas pour rien que l’on m’avait endossé le rôle de recruteur de nouveau vendeur pour le réseau à une époque. Je sais convaincre, je sais vendre n’importe quoi, mais ça, j’veux tellement le laisser derrière moi que parfois j’ai cette crainte d’approcher les autres, comme si je me condamnais à ce que ça finisse mal.

De ceux que j’étais certain de ne pas altérer, c’était bel et bien Albano.

Un sacré phénomène ce gars là, si vous voulez mon avis ! Et c’est moi qui dit ça ! L’énergumène de premier rang ! N’empêche, que c’était sans doute grâce à ce phénomène que j’n’étais resté qu’une semaine à la maison d'arrêt de Monterey. Pas qu’ils auraient pu trouver quelque chose, mais nul n’était vraiment pressé de me faire sortir de là… Jusqu’à ce qu’un agent du FBI presse un peu le mouvement, ma santé mentale - du moins ce qu’il en reste - lui en était redevable.

J’frappais à sa porte, j’étais en retard comme toujours, parce qu’avec mon TDAH j’suis pas foutu de m’organiser, mais j’avais un retard modéré cette fois. Comme quoi, tout arrive.

- J’avais justement un cadeau pour toi !

Que j’fanfaronne en l’suivant dans la cuisine, enfin presque… J’me déconcentre à cause de mon portable qui vibre dans ma poche en provoquant une musique absurde que je n’arrive pas à changer. Et comme il me faut quinze jours pour écrire un SMS et ce, avec une orthographe des plus ignoble malgré mes efforts, je le sais fort bien.

- Hm ?

J’relève le nez, rangeant mon téléphone dans ma poche en oubliant d’appuyer sur “envoyer”.

- Oh, euh oui ! C’était vraiment super, il y avait Azara, Xio, Jeremy, sa sœur et ses mômes. J’crois que j’ai un peu trop joué avec les cadeaux des gamins…

Clairement beaucoup trop joué, mais j’ai toujours été comme ça, avec les jeux d’Azara… Probablement parce que je n’avais rien eu de tel à leur âge, et parce que je manque cruellement de maturité, ça c’est sûr. Oh tiens, en parlant de cadeau.

- Tiens, c’est pour toi et ton énorme défaut.

Pas celui de mytho, j’suis pas si effronté, enfin, pas avec mes amis.

J’lui tends un sac plastique, parce que faut pas non plus me demander de faire des paquets cadeaux ! Déjà, j’crois bien que c’est la première fois que j’offre un truc à Alb qui ne soit ni de la téquila, ni un pétard… Alors, faut croire que j’ai pas mal évolué malgré tout.

- Et toi, ça s’est passé comment avec ta fille ?

Que j’questionne curieux tandis qu’il découvre son cadeau : une magnifique paire de gants de vaisselle rose avec le haut des manches vertes clair avec des petites fleurs.

Un truc pour moi ? J’lâche un p’tit rire amusé, pour cacher ma gêne. Pourtant, j’viens bien d elui offrir quelque chose, un truc débile certes, mais quelque chose. J’attrape mon cadeau, sans trop savoir ce que c’est. Ça ressemble à une règle un peu bizarre ? Ou un truc fabriqué par les détenus pour couper des trucs ou que sais-je.

- Bordel j’étais en train d’me demander c’que c’était !

Que j’ris en attrapant ma bière et l’ouvrir avec cet outil, c’était assez drôle. J’le tend à Alb’ pour qu’il ouvre également sa p’tite bouteille en verre. On parle ensuite des fêtes, il m’avait déjà dis qu’il offrait une guitare à sa fille, donc ça ne m'apprenait pas grand chose sur le sujet…

- Et ça lui a plut ? Enfin j’veux dire, y’a tellement d’modèles de guitares, c’était une qu’elle voulait ou t’as pris quelque chose au hasard ?

Un peu comme les motos. Un tas d’marques, pleins de moteurs différents, d’utilisations différentes. J’y connais vraiment que dalle en instrument de musique, pourtant si on me confie une guitare j’serai capable de grattouiller un truc, mais ça m’lasse vite, très vite. Pratiquer un art, quel qu'il soit, ça demande beaucoup de rigueur et la discipline que je n’ai pas.

Après avoir trinqué avec ce si vieil ami, celui-ci me pose deux questions sur une certaine blonde de notre connaissance. J’arque un sourcil, un peu surpris par sa demande, je n’ai jamais été du genre à m’étaler sur mes sentiments ou mes aventures avec les femmes, même avant la prison. J’ignore pourquoi il pense que j’ai changé à ce sujet, ni même ce qu’il veut savoir…

- C’est pas que j’veux jamais rien t'dire sur Missy, j’ai simplement pas grand chose à dire. En fait, on s’est vu une fois à c’cte vente aux enchères débile du camping, on a juste… Discuté. Y’avait pas grand chose à en dire, elle avait peur de moi, puis finalement je crois que ça s’est arrangé. Une deuxième fois au cours de c’te douce nuit d’tempête où on a failli tous crever et qu’moi, j’ai fini en taule. Encore.

Putain j’l’aime pas cette histoire d’ailleurs.
Mon expression s’radoucie avant que j’reprenne.

- Puis une troisième fois, quand j’suis sorti. Elle est venue m’chercher, j’m’y attendais pas vraiment. Elle m’a ramené chez moi, j’étais épuisé.

Epuisé et dégoutant à voir… J’vais pas jouer les pleurnichards, à dire que personne n’est venu m’chercher, la première fois, au bout de cinq longues années. J’veux pas m’lamenter sur ça, j’me dis juste que j’l’ai mérité. Mais c’que j’sais pas, c’est si j’ai mérité qu’une femme comme Missy vienne m’chercher, m’voit dans cet état pathétique.

- Qu’est-ce que tu veux savoir d’plus ?

Que j’lui demande avec un sourire, bien que j’sais que j’ai fais qu’énumérer les faits et certainement pas évoquer ce que j’ai ressenti à chaque fois que j’l’ai vu… J’saurai pas vraiment l’dire, de toutes manières, ça se saurait si Jayson Salazar était habille avec les mots.

- Tu sais bien que j’peux pas t’faire ce genre de promesses !

Lui répondais-je avec cette tête que j’ai, celle à faire des conneries.

- Mais t’en fais pas, j’effacerais tes empreintes dessus, promis.

Que j’le taquine en agitant devant son museau la fameuse carte ninja. Il faut dire, que des petits délits j’en ai commis quelques-uns depuis ma sortie de prison. Le pickpocket et vol à l’étalage étant en première ligne de mes infractions… Voler des animaux, je ne l’avais réitéré que peu de fois et avec beaucoup moins d’animaux à la fois, évidemment. Quant au stand de tir, c’était de l’histoire ancienne, grâce ou à cause de Victor, je ne sais pas trop… C’est toujours de l’argent que je me faisais et ce n’était désormais plus le cas. J’avais besoin de ce fric, même si je ne le dirais pas à mes amis, je n’ai aucune envie de leur demander la charité. J’allais me débrouiller, j’m’en persuadais en tout cas. De quelle manière ? Ça… C’était encore à voir.

En attendant, je m’aventurais dans une conversation dans laquelle je n’étais pas particulièrement à mon aise. J’aurais préféré parler d’Adaline plus longtemps, les problèmes des autres sont tellement plus interressants que les miens. D’ailleurs, Missy n’est même pas un problème. Le problème, c’était moi, le fait que je n’étais absolument pas un cadeau dans la vie. Je ne sais pas pourquoi une fille comme elle s’interesse à un pauvre casos comme moi. J’étais pourtant bien incapable de la repousser, même pour son bien… J’n’ai connu ça qu’une fois dans ma vie… Cette incapacité à mettre de la distance, à renoncer à la raison, à laisser une femme faire le mauvais choix d’me laisser entrer dans sa vie.

- Peut-être…

Répondais-je vaguement… Pourquoi est-ce qu’elle est venue m’chercher, pourquoi est-ce qu’elle m’a fait la surprise de me ramener chez moi où je pouvais retrouver ma fille ? Je ne sais pas… Je sais seulement qu’elle l’a fait et que ce jour là, je me suis montré si vulnérable que je ne sais pas si je pourrais à nouveau la voir sans me sentir… Minable. Je ne sais pas ce que je ressens, ça m’fait mal d’y réfléchir. De toutes manières… Je ne sais pas si l’on va se revoir. Je ne vois pas pourquoi elle en aurait envie.

- J’aimerais te dire que t’es beaucoup trop curieux, mais t’as toujours été comme ça. A poser plein d’questions, j’me demande comment ça s’fait que personne n’ai grillé que t’étais un flic à l’époque.

J’souris amusé, même moi je m’étais laissé berné. Faut dire, que j’n’avais pas beaucoup d’amis dans l’réseau… J’étais l’électron libre, le pauvre fou qui espérait naïvement rembourser une dette impossible un jour, le mec qui espérait avoir un avenir après tout ça. J’n’ai plus la moindre illusion, je n’ai plus envie d’avoir d’espoir. Si seulement c’était si simple, hein ?

- En parlant de filles… Les Rivers… J’sais pas c’que tu mijote. Mais… Ils vont t’butter, surtout si tu fais l’con avec la p’tite. J’connais très bien Killian, mon pote, si tu tiens à tes couilles… Ne la manipule pas. J’te jure, t’es mon ami à tel point que j’pourrais essayer de te défendre… Mais comme Killian pourrait rien faire pour m’empêcher de butter un mec qui manipulerait Azara, j’pourrais rien faire pour toi.

Quand même beaucoup plus simple de parler des problèmes des autres que des miens… Ça m'donne le gout de reprendre un peu de cette bière.

J’souris amusé lorsqu’il répond pouvoir se débrouiller pour effacer ses empreintes. Il connait ma haine des flics, entre autres pour ce genre de pratiques. Des mecs soit disant au service de la loi, mais qui en vérité s’en servent à leur avantage. Les pires enfoirés sont peut-être bien des flics, dans l’fond. J’ai pas peur de l’dire, que je les déteste. Eux, des connards pas moins connards que moi, sous couvert d’un uniforme. Mais c’qu’il y a, c’est qu’Albano lui, j’laisse passer. En fait, j’crois que j’refuse d’intégrer l’idée qu’il fut flic. Pourtant il m’a menti à moi aussi, c’putain de menteur compulsif. J’sais pas c’qu’il cherche dans la vie, c’qu’il l’accroche à ce genre de travail auquel il sacrifie tout, suppose que c’est un peu comme moi au final, à sa manière. Albano c’est mon ami, en déplaise à mes principes de me méfier des gars comme lui. C’est juste comme ça. J’ai décidé de l’accepter malgré le gros défaut qu’est sa profession, probablement parce qu’il en a fait de même, avec mon gros défaut d’être un foutu délinquant. Albano, c’est un type bien qui fait des choix merdiques et on s’laisse entendre qu’on s’rejoint pas mal là dessus, bien que moi, j’ai parfois du mal à m’considérer comme quelqu’un de bien. Mon pote flic était désormais du FBI. Paradoxalement, c’est un menteur loyal. Il m’agace autant que j’ai de l’affection pour lui, cette amitié, elle est notre, y’a pas grand-chose à expliquer si ce n’est que c’est toujours comme ça que j’ai imaginé l’fait d’avoir un frère. J’ai beau en avoir deux, de sang, ça n’a rien à voir.

- Ouais, mais j’étais surtout un putain de camé qui voyait pas plus loin que l’bout d’son nez !

Que j’me défends en riant d’avoir été dupé par Albano, c’est un bon menteur, j’pourrais jamais lui ôter ça. J’n’ai pas beaucoup de fierté heureusement, mais j’dois bien avouer que l’jour où j’ai appris la vérité j’ai été… Profondément déçu. Mais vous savez, de toutes ces personnes qui se disent être mon ami, Alb était bien un des rares à venir me voir au parloir. Ce fut à cette époque sombre, celle de la prison, que j’ai dû lui mentir un paquet de fois sur ma vie carcérale et mes motivations. J’voulais pas qu’il retourne la terre entière pour savoir pourquoi j’avais plaidé coupable, pourquoi j’m’étais laissé enfoncer comme une merde alors qu’on savait bien, que la prison allait m’briser. Et aujourd’hui encore, j’dois faire semblant d’être pas si différent d’avant, alors que définitivement, je ne suis plus le même.

- Me racheter ? Aux yeux d’qui ? Tu déconnes j’espère… J’ai déjà d’la chance de n’pas m’être fait descendre à la sortie d’prison.

Faut dire, que j’ai jamais dis à Albano qu’ils avaient essayé de me tuer en prison, j’crois qu’il aurait fait jouer j’sais pas quel motif sous pretexte que je serais en danger pour m’faire sortir. Ce qui aurait pu être pire. Si j’étais encore en vie, c’était parce que je n’étais pas une putain de balance, parce que j’ai du l’prouver. J'emmènerais mes noirs secrets dans la tombe.

- Cinq ans de taule et l’bracelet, tu crois pas que j’ai déjà pas trop mal payé ?

Payé les crimes d’autres en sus des miens, j’ai envie de croire que j’ai assez morflé, pas besoin de me mettre j’sais pas quel gang à dos, si ? Pour quelle raison j’ferai ça ? J’avoue que je serais déçu qu’il pense que je suis encore redevable à la société, parce que la société, elle a jamais rien fait pour moi.

Par contre, Killian Rivers lui, c’était aussi mon ami.
Et lui avait fait beaucoup pour moi, et réciproquement, j’crois.
J’aime pas trop l’idée qu’Albano mette son nez dans leurs affaires.

- Ok, c’est pas comme si y’avait pas d’autres femmes dans cette ville, hm ?

Lui répondais-je avec un sourire.
S’il touchait à Blake, en plus d’enquêter sur eux…
J’miserai pas sur la patience et la raisonnabilité de Killian.

- Pourquoi t’enquête sur eux ? J’veux dire, c’est même pas des vrais criminels, pas plus que toi et moi. J’croyais que ton but c’était de traquer les pires, tu perds ton temps.

Ouais, j’l’inclus dans le lot, le coco. J’ai été hors circuit pendant un moment, mais les Rivers ne sont pas à mes yeux les pires qui puissent exister, surtout après un séjour aussi long qu’à Atwater, j’peux certifier que nous… On joue pas dans la même catégorie. Y’a des gens putain de cruel, des gens tellements brisés qu’ils sont devenus des monstres… J’peux vous dire que désormais, grâce à ces dernières années traumatiques, j’vis avec c’te peur d’être un jour capable d'atrocité. Parce que j’me considère pas plus équilibré que ça, parce que j’me dis qu’à partir du moment où l’pire peut m’tendre les bras j’suis capable d’y aller… J’crois, bien que j’prie que non, que j’surestime ma capacité à perdre mon humanité.