a life, a story - 1. Les parents de Cheng Swee sont propriétaires d’un stand dans un hawker center à Choa Chu Kang (nord-ouest de Singapour). Ils proposent des plats sichuanais. Ils préparent les dàndàn miàn comme personne ! Pris par leur travail, c’est la grand-mère paternelle qui s’est occupée de Cheng Swee et de son grand-frère Ho. Elle les amenait à l’école, les récupérait à la fin des cours, leur préparait à manger, les assistait dans leurs devoirs (sans y comprendre grand-chose). Cheng Swee aurait aimé que ses parents aient été un peu plus disponibles, présents.

2. Tous les espoirs reposaient sur Cheng Swee, Ho ayant clamé qu’il n’aimait point l’école et causé du souci autour de la table. Les pièces, billets économisés ont représenté un pactole qui a permis au jeune adulte de s’inscrire dans une école supérieure. Pression familiale sur les épaules, les passions en tête, il a fermé les yeux et s’est dirigé les mains en avant. « Department of English, Linguistics and Theatre Studies » à la National University of Singapore, ça lui parlait, il a réussi sans être le meilleur élève de la promotion. Petit chouchou des profs donnant des cours centrés sur le théâtre, étudiant incollable, presque arrogant. On susurrait dans son dos, il se retournait, lèvres étirées en un immense sourire.

3. Cheng Swee est un oisif qui n’a jamais raté une année, jamais raté un cours. Pourtant, il étudiait peu, il n’étudiait que ce qui l’intéressait vraiment. Papa et Maman auraient aimé des résultats brillants, mais ils savaient que son cœur était ailleurs. Cheng Swee rentrait tard, ou ne rentrait pas. Il se perdait dans les rues de la cité-état, n’avait plus un sou pour héler un taxi et le dernier bus avait disparu à l’horizon. Dormir sur le pavé, squatter l’appartement familial d’un ami, c’était pas un problème pour lui. Bien entouré, le garçon a fait les quatre-cents coups, a bu plus que nécessaire, crié trop fort et on ne l’a pas retrouvé. Diablotin qui n’a jamais été arrêté par la police, qui a filé entre les agents, il n’était pas un enfant sage. Nuits entières assis en hauteur à raconter les derniers potins, à débattre sur le sens de la vie, et si on sautait ? Pourquoi pas.

4. Un pote est allé trop loin. À vingt-neuf ans, Cheng Swee s’est assagi. Sa femme l’attend à la maison. Elle a des reproches plein la bouche, alors il reste encore cinq minutes. Jaxon a le sourire, il n’est pas comme d’habitude. Il lui propose un bonheur immédiat et quelque chose ne va pas. Cheng Swee refuse, le regard est alerte. C’est interdit, il risque gros ! « Tu diras rien, hein ? » Jaxon est déçu mais ses mots sonnent comme une menace. Cheng Swee grimace, les coins de ses lèvres ne parviennent à se lever. Il n’est pas vraiment sincère. La violence plane, le trentenaire s’éloigne, ça rend dingue ces trucs parfois. Le cœur qui bat, la rue traversée, la moto qui peine à freiner. L’hôpital, Jaxon ne viendra pas le voir. Dénoncé, la justice le condamnera lourdement. Cheng Swee, blessé, meurtri, la jambe qui ne lui répond plus vraiment. La rééducation, bien sûr, mais il ne pourra plus courir dans les rues en hurlant de rire. Le parkour, illusion qui s’éloigne. Danser, la main d’une femme dans la sienne, il oublie peu à peu. Le regard se voile. Ça aurait pu être pire.

5. « Pauvre con » dernières paroles et elle a claqué la porte. Une femme qu’il aimait, enfin il croyait. Des souvenirs en commun, une rencontre merveilleuse, un date qui aurait pu très mal finir (enfermés la nuit dans un musée), des premiers mois intenses. Puis la passion qui s’efface, les défauts qui apparaissent, les disputes, les mensonges. Elle l’a trompé, il l’a trompée dans ses rêves. Une idylle nouvelle, la troupe qui accueille un fier trentenaire et le cœur qui bat un peu plus fort. Français magnifique, les cheveux mi-longs blonds, un sourire à… arrêtons de baver. La flamme s’est éteinte entre Renee et lui. Il ne savait juste comme rompre, comment balayer quatre ans d’une histoire qui aurait pu fonctionner. Elle a pris les devants. Le voilà seul dans leur petit appartement. Un déménagement est prévu. Rester une minute de plus n’est pas possible.

6. La découverte de sa bisexualité a été un choc, mais le choix des possibles s’est élargi d’un coup et le monde a repris des couleurs. Comment a-t-il pu ignorer tout ce temps la tendresse, la passion qu’il ressent envers le genre opposé ? Les séries qui le font frémir auraient pu lui mettre la puce à l’oreille. Des personnages charmants, des corps de rêve, des mains qui donnent envie d’être tenues, des lèvres à embrasser. Cheng Swee a repoussé autant que possible la vérité qui peu à peu s’imposait à lui. Il n’entrait plus dans la bonne case. Renee a eu des soupçons, l’a accusé sans preuves, il s’est senti coupable. Une famille au courant et il ne dément pas formellement. Des paroles gravées dans son esprit jusqu’à la fin des temps, s’éloigner un moment.

7. Le théâtre est une passion qui l’entraîne jusqu’au bout de la nuit depuis l’enfance. « Mamie, j’m’ennuie » et la grand-mère qui a une idée. Cheng Swee est le plus jeune de la bande mais s’intègre sans problème. Premiers mots clamés, premiers bras ouverts, un talent qui se fraie un chemin dans les idées. Des amis en or, des relations qu’il n’oublie pas, des troupes et du chemin parcourus. Une expérience forgée, des expériences vécues, une blague à raconter. C’est un déchirement de les laisser pour s’envoler à l’étranger.

8. Il ne peut voir ses copains tous les jours, hurler son bonheur dans de savantes répliques, souffler du Molière, du Shakespeare. Alors, il prend un crayon et dessine. Talent second, jeune adulte on lui propose d’envoyer ses idées à une maison d’édition. Il hésite, il n’a rien à perdre, son histoire est finalisée, ce sera un one-shot mais jamais il ne sera accepté, c’est débile voyons. « J’suis pas nul » qu’il gémit lorsque la lettre est ouverte devant ses yeux. « La fleur qui éclot en hiver » et les premiers lecteurs comblés.

9. Après ses études universitaires, il a enseigné l’anglais auprès d’enfants du primaire pour payer une formation en doublage. Énième rêve de gosse, décidément ils se réalisent tous, même sans y penser. Il est approché pour la première fois en 2018 pour un rôle très secondaire dans une série d’animation singapourienne. Quelques lignes, un méchant qui ricane derrière sa cape et Cheng Swee est conquis. Le public a kiffé son personnage, son interprétation. Les demandes, depuis, grêlent sur le talentueux jeune homme.

10. L’avion à peine posé, Cheng Swee cherchait déjà la troupe de théâtre de la ville. Premier contact sur Internet, le courant qui passe bien, juste pour des renseignements presque timides, et le Singapourien arrive tout sourire pour faire les présentations, les yeux qui brillent, la canne ancrée au creux de la main. L’accueil, cinq étoiles. Les gens, six étoiles. L’ambiance, vingt étoiles. Comment ça c’est pas possible ? Cheng Swee retrouve son âme d’enfant, s’amuse comme un petit fou, lui qui s’est arraché volontairement à son pays d’origine et à ses vieilles amitiés.

11. Il a doublé son personnage préféré (Tian Wee) dans la série d’animation dérivée de son manhua le plus populaire, « Cyber flanerie » – L’œuvre en cours raconte, balbutie une romance entre deux garçons. Cheng Swee n’est pas sûr de lui – Il a appris le français pour lire les œuvres de grands auteurs de façon authentique. Aujourd’hui, il a un niveau C1 – Il est arrivé à Monterey en septembre 2023 pour « se ressourcer » sur une période de deux ans. Minimum, mais il ne l’a pas précisé à sa famille – Son frère Ho a fini derrière les barreaux quelques mois pour un cambriolage – Il a veillé sur sa grand-mère en fin de vie en 2021. Il lui est très reconnaissant de s’être occupé de lui (d’eux) pendant toutes ces années, de lui avoir fait découvrir le théâtre – Il a proposé des tours gourmands de Singapour sur une plateforme bien connue pendant ses études et même après, par envie de partager ses connaissances, ses lieux favoris avec des touristes toujours satisfaits – Il mange épicé sans problème – D’aucuns diront qu’il porte à merveille le style british. Cheng Swee s’en fiche, il porte ce qui lui plaît, et tant pis si ça a un nom – Il quitte l’appartement plusieurs heures par jour, il prend les transports, il s’évade pour ne pas devenir fou. Il a besoin de bouger, de voir le monde grouiller et les sourires échangés – Il boite depuis son accident. Attentif au regard des autres, il n’a pas encore totalement accepté la situation. Il s’aide d’une canne pour marcher. Il se fatigue vite, la jambe lui fait mal, alors il doit s’arrêter – Des cannes, il en a plusieurs. Mal nécessaire, Cheng Swee les voit comme accessoires de mode – Il porte des lentilles, rarement des lunettes, ça le rend trop sérieux (chez lui, c’est ok) – Il voudrait lire toutes les œuvres théâtrales écrites sur terre. Il a par conséquent une bibliothèque foisonnante, qui l’a suivi par-delà les océans – Lorsqu’il passe devant sa boutique de donuts préférée, il s’arrête obligatoirement. De façon générale, il aime tout ce qui est sucré – Il voudrait des enfants plus tard, fonder sa famille et être présent pour ses petits. Hazel serait un nom parfait pour une petite fille. Griffin ou Garland pour un garçon – Lorsqu’il parcourait les couloirs de l’université, il avait beaucoup de succès. Il était considéré comme un Don Juan. Rigolote appellation pour un fou des planches.