« Mirror on the wall ; here we are again »

ft. @Gregory Sutterlee & @Sofia Villanueva    
Avril 2024 ; Seattle ; État de Washington.

tw :: disparition d'enfant.

Je n’ai plus d’encre dans mon stylo.
Ce petit ralentissement m’aurait fait grincer des dents, il y a quelques mois de cela. J’aurais sans doute céder à la ridicule pulsion de le jeter contre le mur, relativement excédé que ma créativité se trouve bridée par un tel manque de coopération du matériel. Mais cette fois-ci, je préfère en sourire, me rappeler la raison d’une telle conséquence.
Je n’ai plus d’encre dans mon stylo.
À force de dédicacer, encore, encore et encore, la première page de mon roman, de mon bébé, de mon rêve qui est devenu réel, concret, que je peux tenir entre mes mains et que des milliers de personnes ont découvert. Et qu’ils semblent avoir apprécié, au vu de cette file d’attente qui ne semble jamais se finir, au sein de la plus belle librairie de Seattle.
Je n’ai plus d’encre dans mon stylo.
Et c’est la meilleure nouvelle que je pouvais apprendre aujourd'hui.

Levant les yeux en direction de la charmante mère de famille qui attend, debout devant la table où je suis installé, je m’excuse platement pour ce contretemps, me lève afin de dégoter un nouveau stylo dans mon cartable en cuir posé contre une pile de cartons. Cartons qui contiennent l'impensable. Des centaines d'exemplaires de mon roman, Étoiles Invisibles, inondent les librairies de tout le pays. Et je n’ai jamais été aussi fier de moi qu’à cet instant. J’ai la sensation d’être plongé dans un rêve, de vivre une lune de miel éternelle, de marcher sur l’eau. Je n’en reviens pas de la chance qui m’a touchée, telle la grâce du ciel. Je n’en reviens pas de cette tournée qui a démarré il y a déjà presque deux semaines, je n’en reviens pas de pouvoir lire dans les yeux de mes lecteurs une admiration sans nom, un réel coup de cœur pour cette histoire suspendue entre l’histoire véridique et la beauté de la fiction.

Le dernier exemplaire de la journée étant enfin signé, je finis par me lever, afin de me prêter à une rapide séance photo durant laquelle je me surprends à sourire. Ce dernier est sincère, expressif. J’ai la sensation de rayonner…
Mais je ne serais rien de tout cela sans Sofia Villanueva.

Je la repère, non loin de là. Appuyée contre une bibliothèque, un charmant sourire greffé à ses lèvres que j’ai eu l’audace d’embrasser, il y a plusieurs mois de cela. Un dérapage qui s’est soldé par un échec, n’ayant pas eu le temps de poursuivre notre conversation, ni même d’en échanger outre mesure. D’un commun accord silencieux, nous avons décidé de nous concentrer sur l’essentiel: le travail. La publication imminente du roman a entraîné cette tournée de dédicaces, organisée d’une main de maître par l’incroyable professionnelle qu’est Sofia. Et on ne peut pas dire qu’elle a choisi de lésiner sur les dépenses, bien au contraire: Nous voyageons en première classe en avion, le champagne n’est jamais loin durant nos déplacements et les hôtels sont toujours des pépites de confort et d’élégance. Je me sens chouchouté, choyé et surtout protégé, un cocktail qui me permet de me surpasser durant chaque apparition publique.
Le plus compliqué a été d’annoncer à mes parents que je laissais provisoirement la gestion de la concession automobile à un collaborateur extérieur. David, mon grand frère, n’était clairement pas d’accord pour occuper ce poste, même le temps de quelques mois, alors, je me suis débrouillé pour trouver quelqu’un au pied levé. Une personne de confiance, je n’ai aucun doute là-dessus, son CV, ses qualifications et références sont excellentes.
Et de toute manière, il était hors de question que je fasse une croix sur la chance de ma vie.
Mes chances, d’ailleurs. La première étant de vivre la concrétisation de devenir un auteur publié…
Et la seconde était de vivre à plein temps aux côtés de Sofia, profitant de ce mirage qu'est un quotidien commun.

Dès que je le peux, débarrassé de mes agréables obligations, je cours la rejoindre. Déboutonnant négligemment le premier bouton de ma chemise d’une main et ôtant ma cravate de l’autre, tenue que je tiens à conserver, le look étant une valeur primordiale à entretenir en toutes circonstances, mon sourire redouble tandis que je prononce ces paroles, sans doute pour la millième fois:

Merci, Sofia, merci encore une fois… Pour tout ça.

Je joins mes propos à un large geste des bras. Les mots me manquent, c’est un comble pour un écrivain, n’est ce pas? Notre journée de travail touchant à sa fin, je me détends, juste un peu, et fait preuve d’initiative en lui proposant le programme suivant:

Je crois qu’il est temps de rentrer à l’hôtel, n’est ce pas? Que dis-tu, après une petite douche, de nous retrouver au bar afin de trinquer à cette nouvelle séance de dédicace?

Je me garde, bien entendu, de ne pas suggérer que cette douche puisse être prise conjointement.
Il y a tant de pensées qui m’obsèdent, quand je pense à Sofia.
Tant d’envie, tant de risques que j’aimerais prendre, tant de souvenirs qui pourraient être encore plus fantastiques.
Je savoure ma chance et en redemande, tel un enfant capricieux.
Mais ce n’est pas tous les jours que la possibilité de réaliser son rêve s’invite dans une existence.
Le miracle s’est produit une fois, pourquoi pas deux…?

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Avril 2024 ; Seattle ; État de Washington.

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Je l’observe, au loin.
Je souris, de toutes mes dents.
Je suis heureuse pour Grégory et la concrétisation de son rêve. Nous avons travaillé fort pour y arriver. Enfin… il a fait tout le boulot, j’ai juste donné un petit coup de pouce, pour l’élever, jusqu’au sommet.

« Étoiles Invisibles » mérite sa place dans les libraires, les bibliothèques, dans les écoles ou encore sur les tablettes de particuliers. Son livre mérite d’être lu par le monde entier, ou par une poignée, si nous ne voulons pas être gourmands.

Mais je le savais. J’ai su, dès que je suis tombée sur ce manuscrit, oublié dans ce supermarché du centre-ville. Il n’a pas été oublié là, exprès mais le destin l’a conduit à moi. Je suis une mordue de livre, depuis ma plus tendre enfance. Toutes les histoires de notre propre bibliothèque familiale ont été lues des dizaines et des dizaines de fois. J’ai eu beaucoup de coups de cœur entre ces murs et mon monde s’est ainsi créé tout autour. Les bras croisés, je continue d’observer mon protégé. Il est complètement dans son élément, pas de doute possible. Il est exactement là où doit être, tout simplement.

Notre relation est très différente de l’année dernière. D’avant, ces baisers échangés. Certes, j’ai toujours nourri l’espoir d’être plus que son amie, encore plus quand nous nous sommes embrassés. Deux fois. Enfin, à deux moments différents, je veux dire parce que la deuxième fois, je ne pouvais les compter tant il y en a eu, mais sans prétention. Évidemment.

Je ne peux pas dire que je n’y pense pas. En fait, j’y pense souvent, à chaque fois que je le regarde ou que je passe du temps avec lui. Pendant que nous buvons un verre, ou que nous travaillons sur son roman. Chaque occasion est bonne pour dévorer ses lèvres des yeux avec l’envie de recommencer. Encore et encore. Cependant, nous avons préféré faire comme si rien ne s’était passé. Je pense que c’est mieux ainsi puisque… Je ne peux pas être celle qui détruira son couple, n’est-ce pas ? Je ne suis pas comme ça. Alors, bien que tout ceci me brise sincèrement le coeur, je préfère le voir heureuse avec une autre femme et faire partie de sa vie comme une amie, que de le voir malheureux. Ou pire encore : ne pas faire partie de sa vie. Ce serait au-dessus de mes forces, d’accepter une telle situation. Je ne dois pas oublier que Gregory a été mon premier ami ici, quand je me suis retrouvée presque livrée à moi-même. Il était hors de question que je reste dans les pantalons de mon petit frère pour me sécuriser de l’inconnu !!!

Quand la séance de dédicaces se termine, je retrouve un Gregory satisfait, heureux de cette merveilleuse journée et surtout pas mécontent de la finir. Depuis deux semaines, on enchaîne pas mal de signatures. Enfin, signatures pour lui et gestion pour moi. Je devrais penser à avoir un.e assistant.e pour m’aider, lors de tournées ! Je hoche la tête en souriant :

« C’est normal, voyons. Tu mérites tout ça. Et plus encore »

Il est de mon devoir de le bichonner. De faire en sorte que cette tournée lui soit agréable, qu’on lui déroule pratiquement le tapis rouge, comme pour les célébrités. Gregory mérite tous les honneurs pour ce livre merveilleux qu’il a écrit. Il est récompensé pour son dur travail, rien d’autre. Et c’est à moi de le remercier, comme il se doit, de faire de lui une personne privilégiée. Souriant à son programme quelque peu enthousiaste, je lui rétorque en récupérant mon sac en bandoulière :

« Comme toujours, tu sais parler aux femmes ! »

Aux femmes… ouais, bon. Je parle pour moi…
Faisant un signe de la tête pour qu’il me suive, j’en profite pour saluer et remercier tout le monde, à l’organisation de la dédicace. Ensuite, nous prenons la limousine qui nous ramène à l’hôtel. Durant le trajet qui n’a duré qu’une quinzaine de minutes, nous avons évoqué tout un tas de sujets, en plus de cette journée. Le voir heureux prévaut sur tout le reste. Et dire que cette tournée touche bientôt à sa fin.

Le retour à Monterey. Le retour de notre vie quotidienne, de notre réalité. Pendant ces quelques semaines loin de chez nous, je me suis sentie en paix avec mes démons. Je ne ressens aucune pression en sa compagnie alors qu’en réalité, je devrais. Je devrais me sentir comme chez nous ; mal dans ma peau, hésitante, ruminante… en proie à des envies que je ne devrais pas….

À l’hôtel, nous avons notre propre suite, séparée. Et puis, on a découvert en arrivant ici qu’il y avait une porte communicante entre nous. Elle est verrouillée et d’un côté ce n’est pas plus mal. Je jette un coup d’œil à Grégory qui tente d’ouvrir la porte de sa chambre tandis que je fais la même chose. Je lui souris et lui dit :

« On se retrouve ici dans vingt minutes ? »

Je ferme ensuite derrière moi, me dirige vers la salle de bain. La douche se fait assez rapidement, parce que je mets toujours plus de temps à me trouver une tenue qu'à me laver. Et pendant que je cours partout, en sous-vêtements, je tente d’attacher mes boucles d’oreilles. Le plus difficile, c’est de choisir parmi ces trois robes que j’ai sorties. Une noire. Classique. Elle est élégante, et ne fait pas aguicheuse. Une rouge. Sensationnelle mais qui suggère une invitation particulière. Et ensuite, une argentée. Époustouflante mais bien trop habillée pour un verre au bar.

J’opte pour la robe noire, gage de sûreté. Je glisse dans mes talons aiguilles, attrape mon petit sac à main, assorti à ma tenue, et je sors de ma chambre. Je crois que j’ai légèrement dépassé les vingt minutes que je m’étais fixées en arrivant ici. Et je ne suis pas surprise de voir Gregory m’attendre contre le mur du corridor. Il est toujours aussi élégant, peu importe ce qu’il a sur le dos. Toujours distingué. Quelle classe. Son regard est tout autant fabuleux, hypnotique. Je pourrais me damner pour ce regard mais je me souviens aussitôt que lui et moi, ça ne se fera jamais. Autant réprimer ce que je ressens, pour ne pas gâcher notre amitié. Je m’en voudrais toute ma vie. Alors, je souris sincèrement en l’invitant à me donner son bras.

« Je t’ai fait attendre, pardon. »

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Mériter tout ça.
Les mots de Sofia résonnent dans ma cage thoracique, inondent mon cœur d’un bonheur sans précédent. Je ne pensais pas avoir l’honneur de les entendre un jour, et pourtant, ce miracle est arrivé. Époustouflé, je n’arrive pas à lui répondre, me contentant d’offrir un sourire timide à une Sofia chargée d’une assurance qui me rend admiratif. Elle est si belle… Elle éclipse toutes les femmes de l’assemblée, toutes les fans de mon roman qui se sont déplacées afin d’obtenir une photographie, un autographe, un sourire de ma part. Je ne vois que par elle, saisit l’ampleur de la chance que j’ai de pouvoir me tenir à ses côtés. Je pourrais passer des heures durant, à me laisser porter par cet aura dont je me nourris sans équivoque.
Tout au fond de moi, je sais qu’elle a raison. Que des années et des années d’espoir, de tourmente et de travail acharné m’ont permis d’arriver jusqu’à cette finalité. Jusqu’à cet instant de béatitude que je vis, en compagnie de celle dont je suis secrètement fou amoureux.
Un rêve éveillé.
Oui, c’est la sensation qui me gagne, tandis que nous quittons officiellement la séance de dédicace, grâce à une luxueuse limousine. Sofia s’assure que l’organisation bien huilée ne connaisse aucun accroc et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a mis les petits plats dans les grands, en cuisinant la plus belle des tournées pour son écrivain timide et éternellement reconnaissant. Oui, j’aimerais lui exprimer ma gratitude, à quel point je me sens privilégié d’être publié par une femme aussi talentueuse… et aussi de me tenir à quelques cetimètres d’un corps qui me fait terriblement envie.

Gregory Sutterlee, voyons. Ne laisse pas des pensées aussi peu vertueuses te perturber, tu es déjà plus que décontenancé. Inutile de te plonger dans une situation toujours plus gênante. Tu n’as clairement pas besoin de cela… Laisse donc les mots qui t’inspirent tant à propos de Sofia dans ton imaginaire.

Le trajet est bien silencieux. Sofia n’est pas bavarde mais c’est une attitude qui m’arrange, pour le coup. Je suis tellement troublé par mes propres débats internes que je remarque à peine que nous sommes enfin arrivés à l’hôtel. La limousine se stoppe, nous quittons son habitacle, retrouvons un trottoir menant directement sur notre lieu de vie, pour quelques nuits seulement. Calqués sur la même dynamique, nos pas étant en parfaite harmonie, nous montons dans un ascenseur, direction notre étage. Nous sommes installés dans deux suites différentes, mais qui sont communicantes, c’est un détail qui ne m’a pas échappé, lors de la première découverte de la chambre.
Savoir Sofia à quelques mètres de moi, endormie, en pleine nuit… Me laisse toute chose.
Gregory, tu recommences! Concentre-toi, à la fin.

En parfaite symbiose, une main sur la poignée de la porte de nos chambres respectives, nous nous jetons un dernier regard avant de nous engouffrer, enfin, dans mon cas précis, de me planquer avant de sautiller à travers toute la chambre, laissant l’euphorie me transporter. Je suis en transe, enveloppé par une excitation sans précédent. Que Sofia ait accepté ce verre en ma compagnie me comble de joie, cela faisait des jours que je nourrissais cette envie, sans oser la proposer. En véritable timide effronté, je me prépare donc fébrilement, changeant mon costume pour un nouveau, plus de circonstance pour la soirée qui s’annonce, après une douche express. Dernier regard dans le miroir attenant à la porte, dernière vérification d’usage:
Oui, Gregory, tu es à ton avantage. Espérant être au goût de ma charmante éditrice, désormais…

Me plaquant contre le mur du couloir, je l’attends. Sofia Villanueva. Je pourrais prétendre à une éternité de patience afin d’avoir le bonheur de la contempler. Tandis qu’elle sort de sa chambre, s’avance dans ma direction en m’offrant son bras, elle s’excuse de son retard, que je balaie d’un vaste geste de la main, tout en la laissant glisser la sienne autour de mon biceps, lui affirmant:

Non, voyons, j’ai tout mon temps. Tu es magnifique, ce soir.

Comme toujours? Non, c’est un ajout que je n’ose prononcer, simple pensée qui restera secrète. Nous faisons notre entrée dans le bar de l’hôtel, elle est loin de passer inaperçue. Non pas à cause de ma célébrité soudaine, non, pas le moins du monde. Tandis que nous traversons la salle, nous installant au bout de l’immense comptoir, à l’abri des regards, je peux observer tous les hommes de la salle se retourner sur Sofia. Elle est si magnifique, si simple dans sa beauté, si naturelle dans son charisme.
J’aimerais pouvoir poser un regard de défiance sur ces envieux, leur affirmant qu’ils n’ont pas à chercher plus loin, Sofia n’est plus un cœur à prendre. Mais mon statut ne m’autorise pas une telle folie.
Redescend sur Terre, Gregory, et contente toi de commander une bouteille de champagne. Ton amou… amie mérite cette extravagance.

Une fois servis, je m’occupe de lever une main fébrile tenant ma coupe de champagne, tremblant à propos de ce tête à tête:

J’aimerais trinquer à la plus formidable, dévouée et efficace des éditrices. À ta santé, Sofia, et euh…

Et patatra. Ce qui devait arriver arriva. L’angoisse de me retrouver seul, les yeux dans les yeux avec Sofia, a fini par provoquer une catastrophe. Paniquant à l’idée de ne pas savoir quoi lui dire de plus, de vouloir parler d’autre chose que du travail qui occupe toutes nos journées depuis des semaines, j’ai fini par renverser un peu de champagne sur la robe de Sofia.
Gregory, dis donc, de mieux en mieux.
Le visage tendu, je bredouille quelques excuses, très confus:

Oh, non… Je suis… Si… Maladroit… Pardon, je… Je vais arranger ça.

En lui proposant de retirer cette sublime robe et de se retrouver nue devant un parterre d’hommes ne désirant qu’une seule chose: elle?
Non, c'est impossible.
Sofia est à moi, durant cette tournée. Elle est mon inspiration, ma force, ma raison de me dépasser, ma perle, mon trésor.
Laissez-moi en profiter, jusqu’à la dernière seconde de ce voyage hors normes…

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tw :: ..

Ces derniers jours ont été plus que merveilleux. Très éreintants, c’est vrai mais, quel bonheur de voir les rêves de Gregory s’accomplir. Il a travaillé si dur, pendant longtemps et n’a pas été apprécié à sa juste valeur. Je me compte chanceuse de pouvoir être à ses côtés, en tant qu'éditrice (à défaut de l'être d'une autre façon) et d’assister à sa formidable ascension. Ce n’est pas seulement le labeur de cette dernière année qui a permis à Gregory d’arriver jusqu’ici, aujourd’hui. Il y a eu tout un ensemble d’évènements, de circonstances, de coïncidence et surtout une bonne dose du Destin. Celui-même qui nous a réuni, très précisément, dans cet hôtel. Juste tous les deux. J’en suis convaincue.

Je pourrais me convaincre que ce n’est pas seulement pour son livre que je suis ici, ni pour lequel j’ai accepté d’aller prendre un verre au bar de l’hôtel. Je sais très bien que je dois me tenir à distance de Gregory Sutterlee, mais c’est plus fort que moi. Je me sens attirée comme un aimant. J’ai besoin de passer du temps avec lui. J’ai besoin de me rappeler combien il est agréable de n’avoir d’yeux que pour lui, de dévorer du regard ses lèvres roses avec l’intime conviction qu’elles sont faites pour les miennes. Plus d’une fois, elles se sont cherchées. Plus d’une fois, elles se sont appréciées. Je ne rêve que d’une chose ; recommencer. Retrouver le goût sucré de sa bouche… Pourtant, je sais aussi que ces envies soudaines n’ont pas leur place entre lui et moi. Elles n’ont tout simplement pas leur place dans ma tête. C’est aller à l’encontre de mes valeurs. A l’encontre de tout ce pour quoi j’ai choisi de vivre.

Ce n’est pas aussi facile que je le croyais, de faire comme si ça ne comptait pas. De faire comme si les sentiments que j’éprouve pour Gregory ne comptaient pas. Au contraire, ils comptent beaucoup pour moi. Je dois lutter avec moi-même et c’est un conflit sans fin, sans aucune pitié. Je suis à la limite de céder à l’envie de l’embrasser comme je le suis tout autant, avec l’envie de décliner son invitation. Mais je suis là, au comptoir, éloigné du monde qui nous entoure. Je suis là, à lui sourire aussi faussement que possible tant je sens un nœud se former dans ma poitrine. Ça me fait mal de réprimer ce que je ressens, mais en même temps, avoir mal signifie que c’est réel, non ?

Je lève également mon verre de champagne sans pouvoir garder mes yeux dans les siens plus de deux secondes, mais ça me permet de voir immédiatement la catastrophe arriver : un peu de champagne se renverse sur ma robe, j’ai un mouvement de recul en pensant pouvoir l’éviter mais trop tard. Confus, Gregory se fond en excuse, je récupère quelques serviettes de papiers sur le comptoir en même temps que Gregory. Nos mains se touchent quelques secondes et afin d’éponger le champagne sur le haut de ma robe, je suis surprise de son geste, totalement inapproprié mais en même temps, s’en rend t-il vraiment compte ? Tout en tamponnant ma poitrine, je lui réponds :

« Ce n’est rien. Tout va bien… Je peux le faire… laisse moi faire… »

Je pose ensuite ma main sur son avant-bras, tout en me levant de mon tabouret. J’inspire profondément, avant de lui dire. :

« Je reviens, ça ne sera pas long »

Sans attendre une quelconque réponse de sa part tandis que la situation est extrêmement gênante autant pour l’un que pour l’autre, je fais claquer mes talons sur le carrelage, accélère le pas et me réfugie dans la salle de bain. Avant tout, il est question de se remettre les pendules à l’heure, d’essayer de ne pas sentir l’alcool et donc, réfléchir à la suite de cette drôle de soirée, tout en nettoyant le haut de ma robe. Je mets donc un certain temps, plus qu’il ne le faut, d’ailleurs, avant de retrouver Gregory au bar. Bizarrement, il n’est plus là.

Aurait-il changé d’avis ?

Je regarde autour de moi, ralenti mes pas jusqu’au comptoir, tout en serrant mon sac à main entre mes doigts. Pas de signe de mon écrivain, à cet instant. Peut-être que cette invitation à boire un verre était une mauvaise idée, après tout. Du coup, j’inspire profondément, fait une moue triste et pose mon petit sac à côté de nos verres de champagne. Perdue, je tente de réfléchir. Je me mordille la lèvre inférieure. Est-ce que je demande au serveur s’il a vu mon compagnon, ou je retourne dans ma chambre ? Ou alors je vais frapper à la porte de la sienne ? Ou j’attends qu’il revienne ?

S’il revient. Évidemment.

Ensuite, je sens une légère caresse sur mon épaule, qui m’oblige à me retourner, le sourire aux lèvres. Sourire qui s’efface rapidement. Ce n’est pas Gregory. Sourire plutôt gênant qui prend place sur mes lèvres quand je réalise le grotesque de la situation :

« Je vous ai remarqué tout de suite, tout à l’heure, quand vous êtes entrée dans ce bar. Permettez moi de vous dire que vous êtes toute en beauté ce soir. Puis-je vous offrir un verre ? »

L’homme en question est plutôt beau garçon, certes, mais je n’ai pas envie de boire un verre, ni d’être la proie d’un séducteur qui se donne toutes les chances d’obtenir ce qu’il veut, ce soir. Cherchant mes mots telle une enfant qui bégaie, je dis :

« Oh… je… »

…