finally, we meet!
ft. @Caleb Adelson, @siobhan fitzgerald

« Tu verras, il est génial. »

Je l’ai déjà entendue de la bouche de ma petite-sœur. Il y a pas mal d’années. Elle disait ça de mon ex beau-frère, de celui qu’elle était persuadée d’être le bon. J’y ai toujours mis une réserve sans jamais lui dire, pour ne pas lui faire de la peine. Malheureusement, comme bien souvent, il s’est révélé que j’avais raison. Après quoi, Siobhan est tombée de haut, elle a eu le cœur brisé et au milieu de cela a été prise au piège ma nièce. Un tout-plein qui aurait été évité si j’avais mis mon grain de sel sauf qu’à l’époque, Callum m’a vivement conseillé de ne rien faire, de taire mes ressentis, mon instinct presque maternel et protecteur, de laisser l’avant-dernière de la fratrie de faire ses choix, ses bonnes et mauvaises décisions. Je l’ai rarement écouté. La preuve est que, s’il était encore de ce monde, il me dirait sans aucun doute la même chose sauf que cette fois-ci, hors-de-questions que je ne fasse rien, que je ne fasse pas mon rôle de petite-sœur.

Alors, à peine venais-je de mettre fin à cet appel, je note aussitôt le prénom de ce nouveau monsieur dans la vie de ma sœur. Caleb Adelson. Mes filles me rejoignent rapidement dans le salon. Le but ? Faire le plus de recherches sur ce type. Quitte à connaître son groupe sanguin, il faut que je sache tout sur lui. Je dois être sûre que Siv’ ne se lance pas dans une histoire vouée à l’échec, une histoire qui risque de la blesser elle et Maddie. Aucun risque ne peut être pris. Plus jeune, elle détestait que je sois sur mon dos, il est évident qu’avec l’âge, ça doit être une plaie pour elle, au quotidien… tant pis ! La ramasser à la petite cuillère, essuyer ses larmes qui ne devraient jamais couler, je n’en veux plus. Je vois ça en horreur. Rien ne peut me faire plus de peine qu’assister impuissante à la tristesse d’un être si cher à mon cœur.

Mes filles sur leur ordinateur, je les entends glousser, parler furtivement, de façon à ce que je n’entende pas. Agacée, je m’installe à côté d’elles, prenant sèchement une chaise, je mets mes lunettes sur le nez, et je regarde leurs écrans. Une flopée d’informations mais surtout, un site répertoriant divers détectives privés de la ville et son nom est affiché en gros, noté comme l’un des éléments les plus efficaces de l’agence. Ni une, ni deux, je clique sur le bouton “prendre rendez-vous avec cet agent”.

« 300$ ?! A ce prix-là, il a intérêt de vivre dans une baraque en cristal, le bâtard !
- Putain !, s’exclame Aisling.
- Pas de gros mots… moi, j’ai le droit, pas vous. »

Place disponible pour demain soir, à 18h30. Pile quand je termine le boulot, c’est parfait ! Je m’invente un nom, Jo Reynolds et le rendez-vous est pris !

« C’est pas un personnage dans Melrose Place, ça ? »

Eh merde ! Au même moment où ma fille me fait la réflexion, je réalise de ma bêtise. Fais chier ! Ça, c’est parce que la série est rediffusée sur la FOX. Tant mieux ! Après tout, il est très peu probable qu’il y fasse attention ou même qu’il ait la référence. Au vue de sa description sur le site, il est plus du style à regarder Rocky, en boucle, jusqu’à la fin de sa vie, qu’à voir des chefs-d’œuvres telle que cette série. Maintenant, inutile de chercher à modifier quoique ce soit. L’objectif de demain, c’est de prendre un maximum d’informations sans qu’il ne se doute de rien. Il faut que j’évalue s’il est à la hauteur de ma sœur, s’il serait de taille à la rendre heureuse. De toute évidence, vu combien j’ai payé pour ce rendez-vous, il ne doit pas rouler dans la merde mais ce n’est pas suffisant. Je veux que ma petite Siobhan soit épanouie comme elle le mérite. D’autant plus qu’il faut un bon exemple masculin pour Maddie. Avoir un mauvais exemple peut détruire les relations futures et son développement avec autrui. Impossible qu’il arrive ça à ma nièce d’amour, pas si je suis sa tante, c’est clair et net. Protectrice avec chaque membre de ma famille, jusqu’au bout, pour toujours.

[...]

La journée passe vite. Rapidement, je suis au lieu du rendez-vous. Attendant patiemment de voir le “potentiel” beau-frère. Déjà, il ne brille pas de sa ponctualité. Le rendez-vous était à 18h30, il est 18h35, je suis arrivée à 18h15, j’attends depuis vingt minutes. Je me demande dans quoi est-ce que j’ai pu mettre ma thune. 300$, putain ! Puis détective privé ? C’est un vrai métier, ça ? On est dans un James Bond ou quoi ? C’est pas un peu dangereux, d’ailleurs ? Faut que j’arrête de me poser autant de questions, je lui demanderai directement, face à face. A une belle-sœur, certainement qu’il n’oserait pas dire la vérité mais face à Jo Reynolds, une parfaite inconnue qui paie pour ses services, il a intérêt de cracher le morceau sinon je fais en sorte qu’il s’étouffe avec… Calme-toi, Nini, apaise ton cœur, il faut pas l'effrayer.

Enfin ! Il sort de son bureau. Immédiatement, je le scrute de haut en bas, sans scrupule. Mon visage est, malgré moi, fermé, disposé au jugement de l’homme qui se révèle devant moi. Je me lève de la chaise, je tends ma main pour une poignée de main dans laquelle je ne mets aucune volonté. Je rentre dans son bureau après qu’il m’ait invité à le faire. Je m’installe sur le siège en face de lui. Mon regard se pose un peu partout autour de moi. J’analyse chaque détail de son bureau. Pas grand-chose à dire, c’est un bureau simple, un peu vide, sans intérêt. En espérant que ça ne soit pas comme l’homme en face de moi.

« C’est dangereux comme boulot ? Est-ce que ça vous arrive de vous rendre dans des pays sensibles ? Comme la Corée du Nord ou l’Azerbaïdjan ? Parce que j’aimerais que vous retrouviez mon mari,  Río Pinturas de la Cruz… il est argentin et il me doit… 100 000 pesos de pension alimentaire. »

Pour une histoire que je viens tout juste d’inventer, je trouve que je m’en sors pas mal. Par contre, Rio Pinturas, c’est pas le nom du canyon en Argentine ? … En espérant qu’il ne capte pas et ne fasse pas le lien de tout ce que je viens de sortir de mon crâne.

« C’est une belle montre que vous avez au poignet. En même temps, vu vos tarifs, c’est pas étonnant, hein. »

Je le sens, je le sais, j’essaye d’être plus agréable mais je n’y arrive pas. Mon visage est crispé. Je n’arrive pas à détacher de l’idée qu’il puisse faire du mal à Siobhan et ça me rend malade d’y penser. Je ne le connais pas et je me méfie de lui comme de la peste. Je n’arrive même pas à lâcher un petit sourire à la suite de ma phrase qui, pourtant, pourrait sonner ironique et rapporter un peu de légèreté mais j’en suis incapable. Je veux juste lui poser l’interrogatoire que j’ai dans la tête.

finally, we meet!
ft. @Caleb Adelson,  @Siobhan Fitzgerald  

Madame Cooper est une véritable plaie. Je vous jure, le genre de saleté qu’on arrive jamais à retirer, tant elle est incrustée de manière quasi définitive sur son meuble ou vêtement préféré. Le genre de détail insupportable qu’on ne peut quitter des yeux. Mais qui existe bel et bien et contre lequel on ne peut rien faire. Qui peut devenir rapidement une véritable obsession, qui s'immisce dans l’esprit, s’amuse à le tourmenter, ne peut cesser d’être une putain de préoccupation angoissante. Bref, l’Enfer sur Terre, en résumé.
Et j’imagine déjà la tête de ma chère et tendre maman si elle m’entendait parler de cette manière au sujet d’une femme qu’elle considère comme de la famille Adelson. Je la connais par cœur, elle ne pourrait s’empêcher de rouler des yeux au ciel, expirer lentement et me demander d’être patient et agréable avec ma secrétaire, après qu’elle ait été la leur. Parce que c'est comme ça, que c'est tout et que de toute manière, il n'y a aucune raison de discuter. Et que je ferais mieux de lui foutre la paix car son émission favorite est sur le point de commencer.

Mais franchement, prendre un rendez-vous professionnel à la dernière minute, quasiment, alors que je suis attendu pour un essayage de costume avec Sawyer, à l’autre bout de la ville… C’est pas de la provocation, ça?
Putain, sérieusement, parfois, j’aurais envie de lui balancer un truc, genre, pas vraiment en plein visage, mais quasiment. Genre, que ça frôle son oreille, qu’elle ai peur. Juste un peu. Qu’elle se demande ce qui lui arrive.
Et qu’elle lève les yeux vers mon visage fermé, ténébreux, et qu’elle ai peur.
Qu’elle soit terrifiée, pétrifiée, médusée en croisant mon regard prêt à lancer tous les éclairs présents dans les bas fonds du plus brûlant des purgatoires.  

Mais j’en suis incapable. Bordel, la quarantaine passée et quand je me résigne à l’affronter, à lui exprimer toute la profondeur de ma frustration à l’égard de ses décisions qui impactent ma vie privée, je me défile. Pourtant, j’étais chargé de bonnes intentions. J’avais redressé le dos, inspirer longuement (putain, c’est vraiment un tic de famille ce truc, bordel, merci Sinaya et ton stage de yoga familial, je te revaudrais ça), et avait rejoint le bureau de Madame Cooper si déterminé. Les mains plantées, presque agrippées sur le bois de son mobilier, j’avais à peine ouvert la bouche qu’elle me devance, avec son foutu sourire en coin et sa voix haut perchée qui fait partie de mon top cinq des sons les plus insupportables de toute la création:

Monsieur Caleb, je crois que la personne que vous allez recevoir possède un sacré sens de l’humour.

Je m’arrête, me fige, me contentant de la regarder, non, que dis-je, de la broyer du regard. Non mais je peux savoir en quoi… c’est amusant? Ici, on travaille sérieusement, bordel de merde. C’est pas une putain de cour de récréation, ni même le centre aéré. J’suis obligé de le lui rappeler? Sérieusement? À une femme qui travaille ici depuis… qu’elle a l’âge de bosser? Putain, j’suis vraiment outré. Elle pète un câble Madame Cooper ou quoi là? Elle est sérieuse à me faire ce genre de commentaire? ET PUIS PUTAIN, FAUT QU'ELLE ARRÊTE DE M'APPELER MONSIEUR CALEB, À LA FIN! C'EST SOIT CALEB SOIT MONSIEUR ADELSON, FAUT CHOISIR, À UN MOMENT DONNÉ!
Bon, Caleb, on dirait que tu vas devoir reporter ton laïus pour une autre fois. Me redressant, osant même l’affront de me racler la gorge, je finis par lâcher, d’une voix plus que sérieuse qui ne me ressemble pas, ou qui, en tout cas, n’apparaît jamais sans raison:

Madame Cooper, j’ai encore un dossier à finaliser, je m’occupe du futur client dès que possible.

Wow, Caleb, c’est quoi ce ton impérial utilisé, là? Il sort d’où celui-là? D’une autre époque? T’as fais un saut dans le temps en mode Dark ou ça se passe comment? Et pourquoi tu te lances dans ce genre de débat philosophique alors que clairement, t’as une quantité monstre de boulot à abattre avant de traiter ce fameux dossier qui tombe au pire timing qui soit?

Bon, en réalité, spoiler alert, ce que je pensais être le travail d’une bonne heure me prend finalement moins de dix minutes. C’est ce qui s’appelle être efficace. Mais quand il s’agit d’appeler Sawyer pour reporter notre rendez-vous pour ce fameux essayage de costume, là, c’est une toute autre histoire. Je suis obligé d’éloigner le téléphone portable de mon oreille pour éviter de finir sourd tant son explosion d’indignation est bruyante. Et je passe donc le temps qu’il me reste à tenter de lui expliquer que ce n’est pas ma faute, qu’il s’agit du travail avant tout, qu’elle ne doit pas m’en vouloir, que ce n’est que partie remise… Mais rien n’y fait. Elle ne daigne même pas m’écouter et me raccroche quasiment au nez en m’affirmant que je ne suis qu’un putain de lâcheur.
Ok, balle perdue pour ma gueule. Ça va, j’ai l’habitude, et clairement, ça aurait pu être pire.
Bon, Adelson, tu te bouges, t’as du travail qui t’attend. Et pour de vrai, ce coup-ci.

Sortant de mon bureau, je tombe nez à nez avec ma future cliente, qui bondit de la chaise mise à la disposition en cas d’attente prolongée, ce qui arrive régulièrement au vu de ma réputation qui n’est plus à prouver (Ouais, je sais, je ne passe plus les portes) et elle me tend immédiatement la main afin de procéder à la poignée habituelle. Loin d’être surpris par cette méthode, je reste impassible, me présente rapidement mais elle détourne aussitôt le regard et je résiste à la tentation de hausser les sourcils,… Mais je me retiens. Pourquoi donc faire preuve de tant de condescendance? Voyons, Caleb, tu ne la connaît pas. Aucune raison de te montrer si arrogant.
Mais tu ne vas pas être déçu du voyage, prépare toi, accroche ta ceinture, ça va décoiffer.

La cliente entre dans mon bureau et je l’accompagne, tel une ombre, après un rapide échange de regard avec Madame Cooper, qui en dit long… Quelque chose du genre:  “Ne nous dérangez sous aucun prétexte.” Mais ma secrétaire connaît la chanson, c’est elle-même qui a décidé des paroles. Lors d’une première entrevue, là où je suis censé rencontrer le client et donc l’objet de l’enquête, il existe une règle, une seule en vigueur, la plus importante de toutes: ne nous déranger sous aucun prétexte.
Y’a pas moyen qu’elle y déroge, surtout pas ce coup-ci.
À peine ai-je le temps de lui proposer d’attaquer qu’elle m’expose la situation, me questionne sur mes potentiels voyages, rentre dans le vif du sujet. Ok. Très bien. Caleb, t’es un putain de professionnel, t’es capable de gérer n’importe quelle situation. Tu vas assurer comme un chef, hein, champion? HEIN CHAMPION?
Allez, mon petit, on recentre la discussion et on fait preuve de délicatesse en s’exprimant:

Euh… On va commencer par s’installer, hein. Un café?

Ouais, faudrait pas oublier la politesse, la courtoisie. Dis donc, celle-là, elle rentre facilement dans le lard! Un ex mari qui se fait la malle dans un autre pays pour éviter la pension alimentaire… C’est pas glorieux de l’avouer mais ça arrive bien plus souvent qu’on ne le pense. Des salauds, y’en a partout, et j’peux clairement devenir leur putain de pire cauchemars. Mais la discussion s’oriente rapidement vers autre chose qu’un aspect professionnel. Tandis que je me penche pour attraper mon bloc notes et mon stylo porte bonheur afin de récolter les informations primordiales au bon démarrage de mon enquête, elle commente ma montre, suggère son prix, me lance une critique à peine voilée. Putain mais il se passe quoi, là, hein?! Elle est du FBI ou quoi? Mais je suis incapable de me vexer quand il s’agit de cet objet, je souris donc doucement, extrêmement nostalgique, presque trop spontané et lui explique, avec passion:

C’est mon oncle qui me l’a offerte à ma majorité et… Je l’ai perdu, un jour… Une femme exceptionnelle l’a retrouvé… S’en est occupé avec soin. Et m’a fait l’immense soulagement de me la rendre le jour de mon anniversaire. Le soir où j’ai enfin pu lui avouer à quel point elle m’avait manqué… Et je ne parle pas que de la montre…

Putain, Caleb, il t’arrive quoi à raconter ta vie, là? Franchement, ta cliente, elle n'est pas là pour t’entendre déblatérer sur tes déboires sentimentaux. Allez, reprends le fil, parce que si tu te mets à penser à Sio, tu vas décrocher pour de bon et ce sera foutu. Secouant donc doucement la tête, mon sourire se défile pour laisser place à une moue concentrée tandis que j’enchaîne:

Bref. Je… Je divague. Donc… Votre ex mari… Pas de pension, ok… Vous avez combien d’enfants? Séparés depuis longtemps? La dernière fois qu’il vous a contacté? Un numéro de téléphone qu’il vous aurait laissé?

Bah ouais, faudrait pas oublier qui pose les questions, ici.
Sans faire preuve de masculinité mal placée, bien entendu.

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ft. @Caleb Adelson, @siobhan fitzgerald

La fermeté de mon visage est sans appel. J’essaye de me montrer moins dure. De paraître comme une épouse en détresse. De ne pas montrer méfiante envers celui qui n’est nul autre que mon beau-frère… enfin, à demi-mot. Ce n’est pas comme s’ils étaient mariés. Cependant, je n’y peux rien. Aussitôt que je prends conscience de mes sourcils froncés, que je les détends, ils reprennent leur forme presque originelle. J’analyse chaque mouvement, chaque regard, chaque geste, chaque tic de langage. Pourquoi ? Excellente question… Peut-être pour le détruire plus facilement s’il fait du mal à Shiv’ ? Oui, ça doit être ça.

Presque obligée de camper ce rôle, pas amusant tous les jours, pour protéger ceux que j’aime. Véritable Maman Ours, j’en ai d’ailleurs un mug, je ne supporte de voir mes bébés souffrir. Mes bébés sont aussi bien mes filles que mes sœurs. Je ne dirais pas que je les ai éduqués, jamais. Sauf qu'arriver à l'adolescence, les premières vraies histoires de vie, elles ne se confiaient plus à Maman mais bel et bien à moi. Je me suis toujours sentie responsable par rapport à elles. Bien sûr, je sais parfaitement que je ne peux pas empêcher l’inévitable mais je veux m’y préparer. Avec Conrad, j’ai manqué de discernement. Je pensais naïvement qu’il était impossible de blesser une personne que l’on a tant aimé pendant si longtemps. Cruelle erreur. Cruel espoir que j’ai retranscrit dans leur histoire d’amour, pensant réellement que Shiv’ et Conrad auraient pu être le couple que Derek et moi n’avons jamais été. Impensable que je me montre aussi crédule, cette fois-ci. Caleb Adelson va passer au peigne fin, qu’il le veuille ou pas. D’ailleurs, est-ce que c’est normal qu’un détective privé n’est pas son interrogatoire ? Quoi ? On est censé croire les recherches d’un type juste parce qu’on l’a payé ? Le système est vraiment mal foutu !

« Je suis allergique au café. », dis-je en croisant les bras.

Une façon, plus ou moins polie, de rejeter sa proposition. S’il tente d’être sympathique, je me choque moi-même de ma froideur face à lui. Il n’est que l’amoureux de ma sœur mais pourtant je le prends pour un ennemi mortel que je dois anéantir à tout prix, de peur qu’il nuise à la prunelle de mes yeux. Alors, à la fin de ma phrase, un parfait mensonge, je lui souris. Furtif, en coin, faussement gentil. Oh, eh, merde, j’essaye, ok ? J’y arrive pas !

En tout cas, au premier abord, à moins qu’il cache bien son jeu, mais ce dont je doute tant je le scrute sans pitié, il semble croire à l’histoire de Jo Reynolds. Ma Jo Reynolds, pas celle de Melrose Place, évidemment… même si en y repensant, il y a quelques ressemblances, non ? De toute évidence, Shiv’ ne lui a pas imposé le visionnage de cette série pourtant CULTE chez les Fitzgerald tant notre mère en était accro. Tous les mercredis soirs, nous avions droit aux folles aventures du Dr. Mancini et de tous ses voisins.

Homme stoïque. Un regard glaçant. Une posture sévère mais renfermée. Pourtant, il se permet aux confessions lorsque j’aborde le sujet de sa montre. Comme toujours, les montres ! Je savais que taper là-dessus serait une bonne idée. Je ne pensais pas juste à ce point. Étonnée, cependant, j’écoute attentivement ce qu’il a à me dire. Une femme exceptionnelle. S’il ne parle pas de ma sœur, je lui fous sa montre dans le…

« Sacré femme ! Vous devez vraiment l’aimer, dis-donc ! C’est quoi son p’tit nom ? Parce que… Si vous voulez… Je peux vous… Tirer les cartes ! Je fais ces trucs de voyance, là. Si ça vous intéresse. Peut-être un mariage, des enfants, une rupture, un cœur brisé, une circoncision sans anesthésie. »

C’est sans quitter son regard, au contraire, en l’intensifiant aux quatre derniers mots de ma phrase, perdant ainsi le sourire que je tentais d’afficher au début de celle-ci. Après quoi, quelques secondes après mes dires, je me retente à un large sourire ; hypocrite mais que je tente rassurant..? Peine perdue, j’ai l’impression.

« Très jolie montre, en tout cas. »

Les formalités reprennent, alors. Il faut que j’affine mon mensonge. En même qu’il pose ses questions, je ponds mentalement du meilleur scénario possible. Un digne de Melrose Place, justement. Au temps que je fasse honneur au faux nom que je porte. Je me remémore tous mes cours de théâtre, tout ce que m’apprend constamment Mairead sur cette discipline pour sortir le mensonge le plus crédible possible.

« Ça fait des mois que je n’ai plus aucune nouvelle de lui. », mes mains sur mon visage, cachant mes yeux, essayant de faire croire à des larmes qui coulent mais que je veux absolument cacher. Je “reprends mes esprits”, me retrouve face au détective privé.

« Je m’en fiche de l’argent. Je veux juste le retrouver pour me venger. J’ai la particularité d’être une excellente vengeresse.  »

Menace à demi-mot ? Non, plus une promesse de ce qu’il risque de lui arriver s’il fait quoique ce soit de mal… sauf qu’il ne le sait pas encore.

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ft. @Caleb Adelson,  @Siobhan Fitzgerald  

Putain, elle est coriace, cette cliente. Du genre inflexible et un tantinet casse bonbons.

Ouais, bien sûr que je le pense, tandis que j’ai la sensation de bien aller me faire foutre avec ma proposition de café. Tandis que je reste stoïque, autant que faire se peut, ce qui reste un exercice bien périlleux, dans mon cas. Tandis que je prends ce rejet de simple politesse en pleine gueule, sans sommation. Ouais, je suis un professionnel et je me revendique comme un as dans ma catégorie. Les détectives privés, ça ne court pas les rues, c’est un fait, et devenir le meilleur des meilleurs n’a pas réellement été un choix mais plutôt une nécessité, une obligation. Sur mes épaules s’est rapidement appuyé un fardeau naturel, celui de la légitimité. Ce n’est pas parce que les Adelson ont toujours été les maîtres en la matière que leur progéniture pourra être aussi efficace. Ce n’est pas parce que ce cabinet m’a été transmis que la pression n’est jamais redescendue d’un iota, me concernant. Et ce n’est certainement pas parce qu’ils m’ont foutus Madame Cooper, leur ancienne secrétaire, dans les pattes que la tâche paraît moins ardue.

Bien au contraire.

Faire de mon mieux ne m’a jamais suffit. Je suis fier comme un coq de pouvoir prétendre à un taux de résolutions d'enquêtes flirtant avec les 100%. Et il est hors de question que celle-ci sonne le démarrage d'une série d'échecs face à laquelle je serais bien incapable de me relever.

Putain, qu’est ce qu’elle paraît antipatique. C’est fou, hein, en plus, je n’ai jamais réussi à cacher mes émotions. J’y peux rien, on peut lire en moi comme dans un livre ouvert. Et celle-là, elle a un sacré caractère. Ça doit se lire, sur mon visage, que je suis mal à l'aise et à la fois drôlement surpris par une telle ambivalence de comportement. Vraiment, je la trouve... suspecte.
Pourtant, j’ai également une drôle de sensation. Un quelque chose de bien bizarre, dans le ventre…
J’ai l’impression de la connaître.
Comment est-ce possible…? Ok, je sais, j’ai une mémoire à coucher dehors et mon cerveau n'est clairement pas au maximum de ses capacités. Entre la fatigue, les préparatifs du mariage, les nuits écourtées par une Maddie bien nerveuse et mon travail pompant toute mon énergie... Je suis à la rue, ok, je l'avoue. Mais quand même, plus je l'observe et plus je cherche où est-ce que j'aurais bien pu la rencontrer...

Je me suis montré bien vulnérable en lui racontant l’histoire et l'anecdote cachée derrière cette montre enfilée à mon poignet. Mais je suis prêt à le jurer, ce n’est pas une méthode stupide afin de gagner sa confiance. Me montrer aussi familier n’est clairement pas habituel dans mon cas, je suis le premier étonné. Mais comment ne pas m’émouvoir et me laisser aller face à un objet si symbolique, à mes yeux? Et puis, de toute manière, je suis un homme éperdument amoureux de sa future femme. À quoi bon le cacher? Comment faire pour travestir une partie si importante, si chère à mon cœur, de mon existence? Je suis amoureux. Je suis comblé. Je suis épanoui. Je suis apaisé.

Mais clairement pas grâce à la présence de cette farouche cliente.

Non mais c’est une caméra cachée ou quoi? Une blague puérile de Madame Cooper pour me faire payer mes soi-disant mauvais traitements? Bon, c’est un autre débat, mais clairement, ma secrétaire, elle n’a pas à se plaindre. Ce n’est pas elle qui se farcit des espèces de folles furieuses pareiles, hein! Bon, qu’elle soit voyante passe encore, je ne vais clairement pas redire quelque chose à ce sujet alors qu’une rencontre impromptue lors de mon voyage à Vegas avec Sio m’a fait changé d’avis. C’est plutôt la suite qui me pousse à lever un sourcil aussi loin que possible en direction de mon front. Un mariage, des enfants… Ok, ça commençait bien… Mais la suite en mode Drama Life me pousse à me racler la gorge et à lui demander, mi amusé, mi inquiet à l'idée qu’une cinglée ne se soit échappée clandestinement de l’asile:

Euh… Ahem, Madame… Reynolds, c’est bien cela…? (je suis obligé de jeter un œil au dossier, j’avoue ne pas avoir la mémoire des prénoms… On ne peut pas être parfait sur tous les points, j’imagine.) Je… J’avoue ne pas vous suivre. Sachez que je m’apprête à me marier mais que des enfants semblent impossibles dans ma configuration… Et que je suis déjà circoncis. Fort heureusement, je n’en ai aucun souvenir.

Je me force à sourire en l’observant faire de même. Mais je dois dire que le sien est bien plus flippant. Putain, elle sort tout droit d’un film d’horreur ou quoi…? Je suis à deux doigts d’appuyer sur le bouton d’alerte placée sous mon bureau, celui que j’ai fait installer à ma prise de poste, par souci de sécurité. Mais on dirait bien qu’il s’agit d’une urgence vitale.
Elle est bizarre, celle-là. Et avec les réponses qu’elle m’offre, je sens bien que son histoire n’est pas si crédible que ça. Gardant tout de même la tête froide, je poursuis vers le seul chemin que je connaisse, rassurant et cadré, celui du travail:

Euh ok… D’accord mais vous savez, la vengeance n’est pas toujours un moteur très sain…

Putain, si elle savait à quel point je me sens concerné par ses propos. Si elle pouvait se rendre que mes propres expériences en matière de pareilles représailles ne m’ont apportés qu’un putain de paquet d’emmerdes. Je pense notamment au fait que j'ai foutu mon poing dans la gueule de Conrad, il y a quelques mois de cela... Mais ça sonnerait sans doute un peu trop moralisateur… Et puis, je sens bien qu’il faut pas trop la contrarier, la dame…

Et soudain, j’entends un bruit, en direction de l’entrée. Je relève le nez de mon dossier, écarquille des yeux, tout en me faisant mille scénarios en tête.
Madame Cooper qui fait encore des siennes?
Une invasion extra terrestre?
La livraison surprise d'une caisse de mon whisky favori?
Ou un sauvetage impromptu qui viendrait interrompre cet échange des plus déstabilisants…?
Parce que je ne dirais pas non à un rebondissement digne d’une télénovela, là.
Je sens que le deuxième épisode sera encore plus passionnant que le premier...

finally, we meet!
ft. @Caleb Adelson, @Niamh Fitzgerald & @Siobhan Fitzgerald

— Tu verras, il est génial.

C’est ce que j’ai assuré dur comme fer à Niv’, ma sœur aînée, en parlant de Caleb Adelson, ce détective privé que tout le monde connaît ou a déjà entendu parlé au moins une fois, ici à Monterey. Il y a plusieurs semaines maintenant, lors d’un week-end à Las Vegas, j’ai demandé à Caleb de m’épouser pendant d’une soirée Karaoké, ce à quoi il a répondu favorablement. Ce fût assez spontané que j’en ai encore de la difficulté que moi, Siobhan Fitzgerald, ait eu le cran de lui demander une telle faveur. Mais une faveur que je ne regrette pas le moins du monde. Je suis toujours autant décidée à devenir sa femme, que lui mon mari, même s’il n’a pas encore eu l’occasion de rencontrer ma famille. Ou presque.

Et ce n’est pas parce que je ne le veux pas. Je crois que l’épisode entre Noël dernier et notre week-end m’a servi de leçon ! Je voulais tellement préserver notre relation que Caleb a cru que j’avais honte de lui, ou qu’il n’était pas assez bien pour moi, que je ne veuille le présenter à mes sœurs. Pour ce qui est des parents, la rencontre s’est faite furtivement, au détour d’un petit déjeuner (justement à ce fameux weekend 2.0) et j’ai gaffé, bien lourdement. Ce que je ne veux absolument pas reproduire. Je veux que tout soit p-a-r-f-a-i-t. Alors, je voulais attendre avant de faire les présentations officielles aux sœurs Fitzgerald. Il faut savoir qu’Oonagh est toujours derrière les barreaux et qu’on ne peut espérer une sortie avant plusieurs mois, alors si elle doit rencontrer mon fiancé, malheureusement, je n’aurais d’autre choix que de l'emmener avec moi, au parloir…

Il reste alors Niamh. Cette maman ours, surprotectrice avec ses filles oui mais aussi avec moi. Ce que je peux comprendre, surtout depuis mes déboires avec un certain Jones. Quand Conrad m’a quitté la première fois, elle n’a pas du tout apprécié me ramasser à la petite cuillère, alors quand je nous ai donné une seconde chance malgré mon envie d’avoir un bébé toute seule, elle a encore grondé. Quand j’ai découvert ma grossesse sur le dernier trimestre, elle était là, dans l’ombre, à surveiller les moindres faits et gestes de Conrad, comme si elle attendait qu’il fasse une erreur pour le matraquer sur la place publique (Si si, c’est tout à fait son genre !) Ce qu’elle n’avait pas envisagé, c’est que ce soit moi qui le quitte, comme ça, sur un coup de tête. Evidemment, je ne lui ai pas dit pourquoi je l’avais fait. Je ne lui ai pas dit que, presque un an auparavant, j’avais laissé un autre homme me voler mon coeur et que depuis cet instant là, j’en bavais, pour un choix impossible à faire. J’en ai fait un ensuite, certes, mais c’est un choix que j’ai regretté parce que ce n’était pas ce que je voulais, ce n’était pas Conrad que je voulais dans ma vie, mais bien Caleb. Et qu’est-ce que j'étais censé faire hein ? Penser à Madeleine, c’est ce que j’ai fait en premier, bien sûr. J’ai directement pensé à l’avenir que je lui offrais mais comment aurais-je pu la rendre heureuse, si moi-même j’étais certaine de ne pas l’être ? C’est aux côtés de Caleb que je le suis, et je veux que Niamh le sache.

Pour cela, je veux faire les choses correctement, dans l’ordre et sans bavures comme dirait mon détective préféré ! Pour le coup il a été d’accord avec moi donc, j’organise un petit tête-à-tête, tous les trois, vendredi, dans le restaurant préféré de Niamh. J’me dis que si elle est en terrain conquis, tout se passera bien… mais… Tout se passera bien, hein ? On dirait que j’ai plus d’angoisse à annoncer à ma sœur aînée que j’vais me marier, que si j’étais sur le point de le dire à mon père et pourtant, il ne le sait toujours pas ! Sans doute parce que je sais qu’au fond, elle va me sortir des phrases que j’entends déjà dans ma tête, du genre « Mais tu le connais à peine ?! » ce qui est faux. ça fait presque autant de temps que Conrad. Ou encore, « Tu vas beaucoup trop vite ! » Vu de l’extérieur, sûrement mais nous nous connaissons depuis une dizaine d’années, que non, je n’ai pas besoin d'attendre plus longtemps. Pour quoi faire ? Apprendre à se connaître davantage ? C’est déjà fait ! « Et s’il te brise le cœur, lui aussi ? » Et bien, c’est un risque que je suis prête à prendre, sans la moindre hésitation. J’ai été malheureuse, ces dernières années, la vie ne nous a pas fait de cadeaux. D’abord, mes échecs, mes fausses couches, ensuite Callum, et puis Derek. Je refuse de vivre seulement avec l’idée de souffrir encore, parce que je sais que je souffrirai dans ma vie, pour tout un tas de raisons possibles mais ça ne va pas m’empêcher de vivre de quelconque manière. Ça NE DOIT PAS m'empêcher de vivre cette vie que j’ai choisie aux côtés de Caleb Adelson.

Je récupère Madeleine chez la nounou, pas mécontente de retrouver mon petit amour de neuf mois. Il faut que je passe par le cabinet de détective, pour voir Madame Cooper parce que Maddie a perdu son doudou préféré et a eu de la difficulté à s’endormir à la sieste, sans lui. Il faut dire que depuis que j’ai repris le travail suite à mon congé de maternité, je partage ma progéniture avec cette nounou, pas très fiable et le cabinet de détective. Madame Cooper adore s’en occuper tout en écoutant son émission favorite en fin d’après-midi. Même qu’elle se chamaille avec Caleb, pour savoir lequel des deux va réussir à lui faire son rot, sans bavure ? Drôle, mais véridique !! Quand j’arrive au bureau, avec Maddie dans les bras, je suis accueillie par le plus grand sourire de Madame Cooper qui se fait une joie de voir le bébé, alors qu’elle s’en est occupée toute la journée la veille, tout en s’occupant de la réception ! Elle est formidable. Je suis surtout étonnée de voir que Caleb travaille encore… Il devait pas avoir son essayage de costume avec sa copine pilote, là ?

— Tiens, je croyais que Caleb serait déjà parti ?
— Hum, oui. Monsieur Caleb est en rendez-vous de dernière minute avec une certaine Jo Reynolds…

La secrétaire  insiste d’ailleurs bizarrement sur ce nom. Hum. Je fronce les sourcils, observe en direction de la porte vitrée de son bureau personnel. Jo Reynolds. Je suis certaine d’avoir déjà entendu ce nom-là, quelque part.

— Jo Reynolds ? ça me dit quelque chose…

Pendant quelques secondes, la secrétaire et moi, on se fixe du regard, comme si elle attendait que je devine de quoi il s’agissait.

— C’est pas une meuf dans Melrose Place, ça, Jo Reynolds ?
— Précisément !

Je jette un coup d'œil à Madame Cooper, qui me regarde par-dessus sa paire de lunettes de vue. Qui utiliserait un nom d’emprunt ? De nouveau, je me penche pour mieux discerner une fine silhouette féminine. Long cheveux foncés, je ne la vois que de dos. Madame Cooper pianote sur son ordinateur, tout en jouant, parfois, avec Maddie, toujours dans mes bras. Quand je remarque que Caleb fait quelques pas dans son bureau, la jeune femme le suit sans ses mouvements.

Bouche bée, j’émets un hoquet de surprise. Je suis étonnée et autant dire surprise de voir qu’elle se trouve dans son bureau. Mais qu’est-ce qu’elle lui veut, d’abord ? Est-ce que ma sœur a besoin de ses services ? Mais pourquoi utiliserait elle un nom d’emprunt. Toujours ahurie, je lâche un :

— Oh mon dieu !
— Vous connaissez cette personne, ma chère ?

Je me redresse, fronce toujours les sourcils et en plongeant mon regard dans celui de Madame Cooper, j’ajoute :

— Précisément !

Je lui donne ensuite Madeleine dans les bras, en m’excusant quelques secondes. Je m’avance alors vers le bureau de mon fiancé, cogne sur celle-ci, timidement. Je doute qu’il me fasse entrer, puisqu’il s’agit d’un rendez-vous professionnel et que je n’ai pas ma place ici mais, je suis curieuse de savoir ce que Niamh fait ici…

finally, we meet!
ft. @Caleb Adelson, @Siobhan Adelson

Caleb Adelson… Honnêtement ? Je ne l’écoute qu’à demi-mot. Certains hommes ont cet effet sur moi. Je n’arrive pas pleinement à entendre ce qu’ils me disent. Peut-être une façon de me protéger de la bêtise humaine qui, presque par définition, a été forgée par la gente masculine. Je me concentre sur sa gestuelle. Typique du genre d’homme qu’il est. Rien de très surprenant. Je crois voir qu’il n’est pas très à l’aise. Ravie de savoir que notre rencontre le met dans cet état… bien qu’il ne sache pas que je sois la grande-sœur de Siobhan. Plutôt étonnant qu’il ne se rende compte de rien. La première chose qui saute aux yeux de la grande majorité des gens c’est à quel point Shiv’ et moi nous ressemblons. Peut-être ne fait-il pas assez attention à ma petite-sœur, ce qui est un très, très mauvais point. Comment ne pas admirer cette déesse dont je suis le premier jet - incroyablement réussi, soit dit en passant - ? Ou alors, il est tellement amoureux qu’il ne remarque qu’elle et seulement elle ? Il a intérêt que ça soit la dernière option sous peine de vivre un très mauvais quart d’heure. Enfin, même si c’est très probablement ce qu’il doit subir à l’instant présent. Je ne vais pas cacher que c’est un peu mon objectif.

Alors que je le vois bouger ses lèvres après que je lui ai avoué ma personnalité, faussement vrai ? fausse ? allez savoir, vengeresse, j’entends le bout de phrase « je m’apprête à me marier ». Après quoi, tout mon être se fige. Mon regard se veut fermé. Je suis dans une totale incompréhension. Est-ce qu’il s’apprête à faire sa demande ? Est-ce qu’il l’a déjà fait ? Je ne comprends rien. Je suis perdue. Je le sens, mon regard et mon visage se durcissent. Je ne saurais dire si je suis énervée, déçue, choquée ou déçue. Je ressens un trop plein d'émotions. Je ne sais même plus où me mettre, que dire… Le con m’a bouche-bée !

« Comment ça, vous allez vous marier ? Elle est consentante, au moins ? »

A cette question, je deviens davantage froide. Je ne comprends pas. J’ai l’impression, non pas d’avoir loupé un chapitre, mais d’avoir loupé tout le putain de bouquin. Je me sens trahie. J’ai la sensation qu’on m’a caché quelque chose, que je l’apprends en cours de route par le biais d’une simple erreur. Pourquoi Shiv’ ne m’a rien dit concernant ses fiançailles, son futur mariage ? Est-ce que Oonagh est au courant ou pas ? Est-ce que je suis la seule qu’on a laissée, volontairement, dans l’ignorance ? Est-ce que c’est à cause de mon sale caractère ? C’est vrai que je ne suis pas un cadeau. Suffit de voir comment je réagis avec ce cher Caleb. Une vraie peau de vache mais… purée, me cacher quelque chose comme ça ?

A partir de ce moment-là, je n’écoute même plus l’homme en face de moi. Je m’en fous totalement. Je suis dans la lune, je suis complètement ailleurs. Je me demande à quel moment nous avons atteint ce seuil où il y a si peu de confiance entre nous. Entre Siobhan et moi. D’habitude, on se dit tout… Enfin, elle me dit tout. Elle me raconte sa vie et je fais de mon mieux pour l’aider, lui apporter les meilleurs conseils possibles. A quel moment j’ai pu foirer la chose, à tel point qu’elle ne me dise même plus qu’elle va se marier ? C’est dingue, non ? Je suis quand même sa grande-sœur.

De mes songes, il n’y a que le cognement à la porte qui m’en sort. Je tourne ma tête en direction de la porte où l’on a frappé. Siobhan ! Quand on parle du loup ! Ni une, ni deux, sans même me tourner vers Caleb, je fonce lui ouvrir la porte. Je tombe nez-à-nez avec elle. Elle fait ce regard, le même qu’elle a fait quand elle a cassé le premier rouge-à-lèvres de marque que je m’étais offert à mes dix-sept ans. Je ne doute même pas une seule seconde lui faire le même regard noir.

« Tu vas te marier et j’l’apprends par James Bond de Wish, vraiment, Shiv’ ? »

J’en oublie complètement mon personnage de Jo Reynolds. De toutes les façons, il fallait bien qu’à un moment, Caleb rencontre la grande-sœur surprotectrice, non ?

finally, we meet!
ft. @Caleb Adelson & @Niamh Fitzgerald

Jo Reynolds, je sais que c’est un nom d’emprunt. J’en fais la constatation avec Madame Cooper qui ne voit pas l’entrevue de Caleb comme une bonne affaire. J’ai juste à l’observer quelques instants pour comprendre qu’elle n’est pas dupe. Mais je n’en ai jamais douté. Il ne me faut que quelques minutes pour me rendre compte que c’est ma sœur aînée dans le bureau du détective !! NIAMH FITZGERALD, 2e du nom !! Tout d’abord, je suis étonnée, laisse un hoquet de surprise sortir du fin fond de ma gorge. Je n’arrive pas à savoir pourquoi elle est là, et sous un nom d’emprunt qui plus est. Avait-elle une urgence à traiter ? Mais quoi donc ? On ne se cache rien entre nous… ou presque. Faut dire qu’elle n’a été mise au courant de ma relation avec Caleb, il y a seulement quelques semaines et je ne referais pas la même erreur. On s’est pas mal engueulé à ce sujet, avec Caleb, lorsque nous sommes partis pour un weekend à Las Vegas. Ce fameux weekend où je lui ai demandé de m’épouser ! ça personne ne le sait et ce n’est pas parce que j’ai voulu le cacher. Disons que j’ai surtout voulu profiter de notre bulle à deux, avant d’annoncer la grande nouvelle à mes soeurs, mais étant donné qu’Oonagh n’est toujours pas sortie de prison, on a conclu d’un commun accord avec Caleb que nous le dirions d’abord à Niamh, et qu’on irait ensuite rendre visite à ma petite soeur, au parloir pour le lui annoncer à son tour. C’est pas l’option la plus plaisante qui soit mais nous n’avons pas le choix, après tout. Et je refuse de garder le secret plus longtemps.

Laissant Madeleine aux bons soins de Madame Cooper, je m’avance vers la porte vitrée du bureau de Caleb. Je ne suis pas certaine qu’il m’ouvre, je doute même qu’il sache réellement qui il a en face de lui, à cet instant. Mais avant de tirer des conclusions hâtives, je dois en avoir le cœur net et en savoir d’avantages sur les intentions de ma grande sœur. Je la connais, sur le bout des doigts. Si ce n’est pas pour lui confier une mission de la plus haute importance, c’est parce qu’elle cherche à cuisiner mon pauvre fiancé et je ne sais pas ce qui s’est dit, jusqu’à présent. Et juste ciel, c’est elle qui ouvre la porte, quand elle me remarque derrière celle-ci. Elle se trouve juste à quelques centimètres de mon visage, et je sens que quelque chose ne va pas. Et j’avais raison, elle semble furibonde, après moi, à propos de ce mariage. Je grimace, me mord la lèvre si fortement que j’arrive à me faire mal, putain !

— Hein ? Qu’es… quoi ? Attends, attends, attends…

La façon dont elle vient de nommer mon fiancé clignote dans ma tête comme les warnings de ma voiture. Comment elle a osé l’appeler ??? Je fronce les sourcils :

— James Bond de Wish, vraiment ? Tu y vas un peu fort, tu crois pas ?

J’imagine que la première impression n’est pas bonne. Mais je connais Niv’ elle a toujours été très exigeante quant à mes fréquentations. Et celles d’Oonagh, ne l’oublions pas. Quand je lui ai annoncé que j’allais épouser Conrad, mon supérieur, à l’hôpital de Los Angeles, j’ai cru qu’elle allait faire une syncope. Elle ne l’a jamais porté dans son cœur, je le sais même si elle a toujours fait de nombreux efforts pour l’accepter. Vous savez, un regard, ça ne trompe pas et bien qu’elle ne m’ait jamais rien dit à son sujet de déplacé, elle n’en pensait pas moins. Je l’aime tellement, ma soeur. Elle a un caractère de cochon, c’est vrai, mais elle n’a jamais agit dans le but de nous faire du mal, bien au contraire. Elle cherche simplement à me protéger. À propager Oonagh. Ceci dit, nous faisons nos propres erreurs, et nous apprenons de celles-ci. Je ne ferais pas la même erreur avec Caleb. Je sais au plus profond de moi qu’il est la meilleure chose qui me soit arrivée. Après Madeleine. Je me tortille sur place tout en faisant des mimiques qui vont avec la gestuelle, pour lui dire :

— C’est pas ce que tu crois Niv’. Écoute-moi, je comptais… enfin nous comptions te l’annoncer… vendredi… tu sais dans ce restaurant que tu affectionnes tant ? J’aurais aimé qu’Oonagh soit là pour vous le dire à toutes les deux, mais c’est pas possible comme tu le sais… enfin…

Je jette un coup d’œil à Caleb, qui semble mettre les pièces du puzzle au bon endroit et comprend bien la situation dans laquelle nous nous trouvons. Oui mon amour, il s’agit de ma sœur ! Alors en me mordillant la lèvre inférieur, j’annonce :

— Je ne crois pas que tu aies rencontré officiellement ma sœur aînée. Voici Niamh. Puis, je regarde ma sœur à son tour. Niv’ voici mon fiancé, Caleb.

J’étire un large sourire en lui présentant ma main gauche devant les yeux. A mon annulaire se trouve ma bague de fiançailles et tout en agitant mes p’tits doigts, je lui dis :

— Surpriiiise !

Je ne sais pas comment je dois me comporter sur le coup. Je me sens tellement ridicule qu’elle ait appris la nouvelle alors qu’on était censé lui dire dans quelques jours.

finally, we meet!
ft. @Siobhan Adelson & @Niamh Fitzgerald  

Y’a des jours où des claques se perdent, mais la violence envers les femmes me répugne tellement que j’occulte cette infâme idée à la seconde où elle est apparue dans mon esprit confus. En réalité, je me contente de battre des cils face à la réflexion lancée par ma cliente, qui adopte un comportement de plus en plus hostile. Désarçonné, ce qui n’est clairement pas dans mes habitudes, je me renfrogne, tourne plus de sept fois ma langue dans ma bouche, ayant la furieuse envie de lui envoyer quelques répliques bien senties… Mais n’en fait rien. Même si elle pique sensiblement mon égo en prétendant que ma future épouse n’est pas consentante. Bon, là, c’est trop, elle se prend pour qui, la brunette, hein? Ici, c’est chez moi, j’suis de bonne composition, j’veux l’aider et elle, elle se permet de dire… Non, mon moi profond, profondément vexé, s’occupe de baragouiner, hésitant:

Bon, ça suffit, là, votre remarque est déplacée et…

Et c’est alors que je suis coupé dans mon élan par la plus belle vision de toute mon existence.
J’crois que je suis tombé dans la quatrième dimension.
Quand je réalise que le boucan perceptible de l’autre côté de la porte est provoqué par Sio, qui fait une entrée remarquable dans mon bureau, je tombe des nues. Bon… Inutile de préciser que je suis toujours ravie de la voir, elle et son visage pour lequel je serais prêt à me damner, mais… Je ne comprends pas. Que fait-elle ici, bon sang?! Et Maddie, où est-elle, elle devait s'en occuper toute la journée, étant donné que je suis coincé au travail, à m'occuper de clientes relativement taciturnes. Je ne semble pas saisir les détails cachés de la scène qui se joue tant ma vue est brouillée, la confusion à son paroxysme. Tel un échange digne d’un match de tennis, je laisse ma tête se pencher tantôt vers la gauche, tantôt vers la droite…
Putain, mais c’est quoi ce bordel, à la fin…?
J’entends les phrases prononcées, ça, aucun problème là dessus. Mais mon cerveau ne s’occupe même plus de les analyser, le débit est trop important, il s’occupe seulement de réagir quand il entend une remarque à mon encontre…

JAMES BOND DE WISH?!
…
C’est quoi, Wish…?

Interdit, je dévisage Sio, attends une explication concrète à son comportement. Et quand enfin elle m’avoue la vérité, à savoir que la femme que je pensais être une cliente est en réalité la grande soeur de ma future femme, tout s’aligne. Sous mes yeux s’étale une vérité bien difficile à avaler, face laquelle je bégaie, pris au dépourvu:

Ah… Euh, ahem, oh, d’accord, je, pardon…

CALEB JAMES PATRICK ADELSON, tu t’excuses pour quoi, au juste, hein? Pour avoir été un professionnel aguerri, ayant conservé ton sang froid en toute circonstance? C’est pas croyable, putain… Elles sont toutes cinglées dans la famille, ou quoi? Je le savais, avec Sio. Je la connais, c’est un électron libre, capable des pires folies.
Mais il semblerait que Nimah Fitzgerald ait été son modèle dans le genre.
Putain, quelle merde.
Pourtant, je ne me dégonfle pas, bien au contraire. Bondissant hors de ma chaise tel un pantin à ressort, je contourne mon bureau tout en lui tendant une main droite loin d’être tremblante, et en engageant une toute nouvelle conversation, que j’espère bâtie sur des fondations plus que sincères:

Enchantée, Caleb Adelson. Le futur mari. Sincèrement ravie de faire votre… Ta connaissance.

Bon, le tutoiement est sans doute un peu précoce, mais après un rapide échange de regard avec Sio, je sens bien que nous sommes au pied du mur. Plus de retour en arrière possible, les grandes présentations, c’est maintenant. Surprise, comme disait Sio il y a quelques secondes…
Incapable de résister à la tentation, je pose une fesse sur le rebord de mon bureau et questionne la grande soeur que je pourrais aisément qualifier de Miss Rusée:

Alors, Jo Reynolds… Suis-je à votre goût? Et surtout capable de faire payer le père de votre enfant, ce pauvre bougre…?

Ok, Caleb, tu joues avec le feu…
Mais on ne peut pas dire que ce soit moi qui ai allumé la flamme, pour une fois!