we’re getting older, we’re moving on and over

18h30. Je rentre du travail. La maison est calme. Bien trop calme. D’habitude, à cette heure-ci, soit elle sent le cramé parce qu’une de mes filles a loupé la cuisson de sa nourriture, soit j’entends de la musique de l’une de leurs chambres. Là, tout est très calme. Trop calme. C’est suspect. D’abord, j’appelle mes filles. Personne ne s’annonce. Je fais le tour du rez-de-chaussée, directement, dans la cuisine, j’entends Aisling discuter avec quelqu’un au téléphone. Lorsque son regard croise le mien, je vois le désarroi. Elle met fin à la conversation précipitamment en me voyant. Si c’est une fête qu’elle a organisé en pensant, naïvement, que je ne serai pas là ce soir, c’est une grossière erreur. Quand je lui pose la question, elle me rassure en disant que tout va bien. Bien sûr, je n’en crois pas un traître mot. Je la laisse aller dans sa chambre.

Les minutes passent. Tout se passe normalement. Certainement ai-je mal jugé ma fille. Peut-être n’a-t-elle rien prévu, secrètement, sans m’en parler. Il faut dire que je suis assez sévère avec mes filles. Attention, à juste titre, je ne compte plus le nombre de fois où elles ont pratiquement foutu en l’air la maison en faisant des fêtes avec des amis du lycée… voire même une fois avec tout le lycée, même des gens qu’elles ne connaissaient pas. Depuis, je suis devenue dure avec elles. Les fêtes sont chez les autres et, il y a une chance sur quatre que je refuse – étude réellement menée par les trois dernières –.

J’ai conscience de passer pour la Maman reloue qui ne laisse pas la possibilité à ses filles de s’exprimer. J’ai beau leur répéter qu’elles me remercieront plus tard, je n’ai le droit qu’à des yeux levés au ciel, des expressions du visage blasé et gonflé de ma présence. Dure réalité que j’ai, toutefois, accepté, il y a longtemps. De toute façon, le rôle de la maman surprotectrice et bien trop présente, je l’ai depuis toujours. Dès que mes sœurs sont rentrées au lycée, elles m’ont fait comprendre que j’étais encore plus sur leurs côtes que notre propre mère. Après tout, je n’ai fait que reproduire cela avec mes filles.

Une bonne heure est passée depuis que je suis rentrée. Tandis que je fais tranquillement à manger, j’entends la sonnerie retentir. Instinctivement, je regarde l’heure affichée sur le four. Je n’ai pas souvenir d’attendre qui que ce soit. De la cuisine, j’entends ma fille hurler de ne pas aller ouvrir. Alors, bien sûr, dans un esprit de contradiction et parce que je savais parfaitement qu’elle préparait quelque chose, je vais, d’un pas pressé, en direction de la porte. Ma fille descend les escaliers comme une dératée pendant que j’ouvre la porte. Un grand sourire, un brin mesquin, sous le point de découvrir sa nouvelle et énième bêtise !

Je reste sans voix. Certainement inerte. Surprise. Prise de court. De toutes les personnes que je pensais croiser ce soir, il était probablement la dernière… Et pourtant, le voilà, au pied de ma porte. J’ai l’impression aussi étonné que moi. Mes yeux ne réussissent pas à se détacher de lui. L’impression que si je détourne le regard, il repartira aussitôt. C’est à peine si j’ai pris conscience de l’enfant à qui il tenait la main et qui fonce faire un câlin à Aisling. Est-ce que je suis censée dire quelque chose ? Briser le silence qui règne ? Pour l’une des rares fois dans ma vie, je reste bouche-bée, dans l’incapacité de dire quoique ce soit. Inerte. J’ignore si un quelconque son peut sortir de mes lèvres.

C’est finalement Aisling qui prend les devants pour m’avouer qu’elle fait du baby-sitting pour avoir de l’argent de poche et qu’elle était persuadée que je ne serai pas là, que je passerai la soirée avec Shiv’ et Oonagh comme très souvent en fin de semaine. J’ose enfin regarder ailleurs, poser mon regard sur ma fille, lui dire que l’on en reparlera plus tard, que rien ne presse. Avec l’enfant, elles s’en vont, certainement dans le salon. Maintenant, je suis complètement livrée à moi-même, sans savoir quoi dire à l’homme en face de moi. Jayden… Je ne l’ai pas vu depuis un petit bout de temps, maintenant. Je n’ai aucune idée de comment agir. Égoïstement, je pensais ne plus jamais le revoir. Persuadée que Monterey était assez grand pour ne plus jamais le revoir. Manifestement, j’ai eu tort.

« Est-ce que tu veux rentrer, boire ou manger quelque chose ? Que l’on parle de ta fille ? De toute évidence, je suis celle qui va la garder. », dis-je, me tentant à un sourire – gêné, malgré moi.

w/ @Jayden Prescott

we’re getting older, we’re moving on and over

Devant le miroir, Jayden réajustait sa cravate pour se rendre à une exposition de tableaux en compagnie d’Eli, sa meilleure amie. Là-bas, il espérait trouver quelques opportunités pour son travail de faussaire. L’affaire était délicate, il ne savait pas à quelle heure il allait rentrer et il était hors de question pour lui qu’il laisse sa fille de dix ans seule à la maison. Jayden ne s’occupa pas de ses cheveux rasés, aucune coupe n’était nécessaire quand on avait si peu de cheveux. Il envisagea de mettre un peu de gel et sous les conseils d’Ellie, sa fille, il finit par en mettre.

« Tu en mettais avant. Quand y’avait maman. Tu devrais en mettre encore, ça te va bien. »

Le brun eut un pincement au cœur en repensant à sa femme. Il avait aimé cette personne du plus profond de son être, mais ça n’avait pas suffit pour la laisser dans ce monde. Jayden feignit un sourire en regardant sa fille se coiffer avec sa brosse à cheveux, s’occupant de ses beaux cheveux blonds, qui tombaient jusqu’à ses fesses. Elle possédait une chevelure magnifique, semblable à celle de sa mère. Elle avait son caractère, son regard, ses mimiques. Tout, en elle, lui rappelait sa femme. Jayden portait encore son alliance autour du cou. Il préférait la cacher aux autres, ne la portant donc pas au doigt. Elle était aujourd’hui cachée sous sa chemise.

Le portable de Jayden sonna : c’était la babysittrice d’Ellie. La jeune fille lui rappela son adresse, pour qu’il puisse venir déposer sa petite princesse. Il la savait en sécurité là-bas, de ce qu’il avait vu, Aisling semblait être une demoiselle exemplaire et mature, ce qui l’avait rassuré. Lorsque Jayden raccrocha, il découvrit une Ellie habillée, manteau et chaussure, prête à partir. Elle devait être impatiente, Aisling avait déjà gardé Ellie une fois ou deux, si la mémoire de Jayden était bonne et Ellie l’adorait. Jayden enfila ses chaussures et attrapa une veste ainsi que les clés de l’appartement.

Le trajet fut animé de discussions entre Ellie et son père jusqu’à ce qu’ils arrivent devant la maison de la babysittrice. Jayden toqua, la porte s’ouvrit et son cœur manqua un battement. Sa confiance en lui dégringola, son petit sourire taquin s’envola, pour ne laisser qu’un homme bouche bée. Il n’aurait jamais pensé la recroiser. Encore moins découvrir qu’elle était apparemment la mère d’Aisling. Il était au courant qu’elle avait quatre filles mais il n’aurait jamais pensé que l’une d’entre elles soit la babysittrice d’Ellie. Il resta interdit sans savoir quoi dire. C’est finalement Niamh qui rompt le silence et l’invite à entrer. Jayden se confondit en excuses.

« Je suis désolé, si j’avais su, je … » Qu’aurait-il fait au fond ? Il aurait juste pu la prévenir, mais ça n’aurait rien changé. « Je n’ai pas très faim, mais un café, pourquoi pas … » En vérité, il n’avait pas besoin d’en boire un mais on lui offrait l’hospitalité, alors il n’allait pas refuser. Il revit en flash les moments en compagnie de Niamh, sympathisant et se soutenant alors qu’ils vivaient la même situation. Après ces histoires, Jayden n’était jamais retourné là-bas et ne l’avait donc jamais revu. Il avait grandement apprécié sa compagnie, mais il s’était interdit quoi que ce soit, bien qu’elle soit une femme incroyable autant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Il la suivit à l’intérieur de chez elle, légèrement embarrassé par la situation. « Euh, Ellie n’est pas difficile, elle ne t’embêtera pas. Elle est capable de rester toute seule dans une chambre toute une après-midi, jouant avec ses jouets et je l’entends pas. Une image. J’ai surtout besoin qu’elle ait une présence pendant que je ne suis pas là. »  

w/ @Niamh Fitzgerald