Cette histoire, tu l'as entendu des dizaines de fois. Tu revois encore ta mère te la raconter pour la première fois, cette flamme illuminant ses grands yeux bleus, ce sourire plaqué sur son visage. Et à chaque récit, tu la revois tomber amoureuse. Tu sais aujourd'hui que leur histoire n'a pas été simple, qu'elle a essuyé de nombreuses critiques et qu'elle a subi les foudres d’un certain nombre. À sa façon de te raconter leurs bonheurs et leur combat, tu les imagines comme si les scènes défilaient devant tes yeux. Tu les vois tomber amoureux alors que tout les oppose, la belle et le "Yankee". Tu vois leurs familles respectives, tenter une alliance cordiale, mais bancale pour leurs enfants. Tu vois les regards durs des Grayson, leur mépris pour ce que représentait ton père, un roturier, un sans-le-sous, un parasite. Un amour proscrit au milieu de préjugés dont, eux, n'avaient que faire. Tu trouvais l'histoire plus belle encore quand les yeux de ta mère se remplissaient de larmes en mentionnant le déchirement que le temps passé loin de ton grand-père avait été et quand elle racontait le choix qu'elle avait dû faire de se couper totalement de son monde de faste et de luxure par amour pour ton père. Tu vois ton père se donner corps et âme pour offrir à sa famille un niveau de vie décent, braver les interdictions, slalomer entre les scandales et tu vois ta mère tout abandonner pour lui et reconstruire sa vie dans une ville et un milieu qui, pour elle, était un mystère.

Oui, cette histoire, tu l'as déjà tellement entendu, mais à chaque fois c'est comme si tu la redécouvrais, comme si c'était l'histoire la plus merveilleuse qui te serait jamais donné d'entendre. Elle fait partie de toi et a participé à faire de toi celle que tu es aujourd'hui. Roméo et Juliette peuvent aller se rhabiller et nul doute que ce passé familial n'est pas étranger à tes attentes surréalistes en amour. Après tout, si tes parents ne venaient pas tout juste de fêter leur 35 ans de mariage, peut-être que tu aurais revu à la baisse tes critères en matière d'hommes. Peut-être.




Faut que tu viennes me chercher, elle m'a foutue dehors ... Tu lâches un soupir en regardant le réveil sur ta table de nuit. 4h36. J'arrive. Tu raccroches en pestant, pourquoi fallait-il toujours qu'il se retrouve dans des histoires de merde ? Tu repousses rageusement ta couette avant d'enfiler ton hoodie préféré, un vieux machin gris délavé avec le logo "central perks" à peine visible sur le devant. Depuis quand tu as ce truc d'ailleurs ? Impossible de t'en souvenir. Quinze minutes passent et te voilà garée devant la maison, ou plutôt la villa, de Sookie Valentine. En scrutant la pénombre tu aperçois une ombre s'approcher lentement, la clope au bec et un sourire aux lèvres, ton imbécile de frère te regarde. Tu bouillonnes. Dépêche, papa va pas tarder à se lever. Le trajet retour jusqu'à la maison se fait dans le silence et ce n'est qu'une fois arrivés dans l'allée que, le sermon au bord des lèvres, tu décides de le rompre. C'était quoi cette fois-ci ? Sa réponse ? Un haussement d'épaules et un nouveau sourire désinvolte. Tu soupires. Mikey ... Tu plantes ton regard sur les yeux bruns de ton frère et alors que tu t'apprêtes à lui faire la morale, la lumière du porche s'allume, dévoilant la silhouette imposante de votre père, son café à la main. Il vous fixe de son air indéchiffrable et tu comprends que vous êtes mal barrés. Mikael perd instantanément son sourire et son visage redevient celui d'un enfant apeuré à l'idée de se faire disputer. Tu souris, nostalgique de ce temps d'innocence qui est aujourd'hui bien loin. Heureusement que l'un de nous deux a hérité de l'intelligence de maman. Tu te retournes et attrapes un sachet de bagels sur la banquette arrière. À sa vue, Mikey se met à rire, ce que ça peut être agréable à entendre. Vous sortez tous les deux de la voiture, tentant tant bien que mal de garder contenance en passant devant votre géniteur. Salut 'Pa ! Don't be suspicious. Sur la pointe de tes pieds, tu viens planter un bisou rapide sur sa joue, ce qu'il peut être grand ! [/color][/i]Mikey voulait aller vous acheter des bagels pour le petit-déjeuner alors je l'ai condui.[/color][/i] Tu souris, persuadée que ton père ne gobera pas un mot de ce que tu viens de dire. Après quelques secondes qui semblent une éternité, le voilà qui tourne les talons. Bien, à table dans ce cas. Ta main vient s'écraser discrètement contre celle de ton frère qui te formule des remerciements à peine audibles. Je ne serai pas toujours là. Déjà lancé dans le couloir de l'entrée il s'arrête et se retourne, un grand sourire aux lèvres. Bien sûr que si. Tu lèves les yeux au ciel et ton regard croise celui de ta mère qui, elle aussi, souris. Deux heures plus tard vous vous faisiez passer un savon monumental.





Certains disent que lorsqu’il arrive malheur à une personne à qui l’on tient particulièrement, on le sent, comme un pressentiment, une désagréable impression, un profond et soudain mal-être totalement inexplicable. Mais la vérité c’est que ce n'est qu’un ramassis de conneries. Ce sont souvent ceux qui en parlent le plus qui en savent le moins, ceux-là n’ont probablement jamais eu à affronter aucune perte, aucun traumatisme, aucune réelle épreuve d’aucune sorte. Toi non plus, à ce moment-là, tu ne sais pas d'ailleurs, comme une conne tu vois rien venir, une fois de plus. T'as pas de pincement au cœur, pas d’estomac qui se tord, pas de crise d’angoisse sortie de nulle part, que dalle, tu continues ta petite vie comme si de rien était, comme si c’était un jour ordinaire, comme si ton petit monde déjà bancal ne vient pas tout juste d’imploser. Tu arrives devant le petit appart miteux que ton frère appel son "chez lui", tu franchis la porte comme tu as déjà dû le faire une centaine de fois, sans te douter que plus rien ne sera jamais plus comme avant. Je suis là ! Tes écouteurs dans les oreilles, tu captes rien. Tu arbores même un large sourire, témoin de la plénitude que tu ressens à l'idée d'être enfin de retour à Monterey pour les vacances. Tu commences par enlever tes chaussures et c'est là que tu le vois, son visage défiguré par la terreur, noyé de larmes et de morve, c'est bien la première fois que tu le vois pleurer. Ce n’est qu’à cet instant que tu l’as ce foutu pressentiment, bien trop tard. Mikey ... Mikey ... il est ... Mikey ... Ton sourire s'envole en une fraction de seconde, ton sang se fige. Sans même réfléchir tu te rues dans la chambre de ton frère, ton petit frère, la personne qui compte le plus à tes yeux, celui pour qui tu ferais n'importe quoi. Cette fois c'est ton corps entier qui cesse de fonctionner : le choc. Mikey est là, allongé au sol en PLS, les yeux ouverts, il est encore là mais semble si loin. Les événements qui suivent te paraissent à la fois passer en un battement de cils et en même temps durer une éternité. Premier réflexe, t'essaye de le ramener : le déni. Parce que, quand notre monde s’écroule on veut tous croire que ce n’est qu’un mauvais rêve et qu’une fois réveillé on aura tout oublié. Mais tu t’es pas réveillé de ce cauchemar ce soir-là. Putain tu lui as donné quoi ?! Tu cris, tu hurles même, sans t'en rendre compte, on pourrait presque croire que le diable lui-même s'est emparé de toi : la colère.  Quelques minutes, qui semblent être des heures, plus tard, l'ambulance arrive et ils l'emmènent. T'as le droit de monter avec lui et la dernière chose que tu vois avant que les portes se ferment c'est le visage de cet enfoiré Je suis désolé.


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Personne ne veut te voir ici. Tes yeux suintent une froideur que tu ne leur as jamais connu, la haine et la colère sont des sentiments bien en dessous de ce que tu ressens actuellement. Je suis désolé. T'es prête à exploser, ses excuses tu les as entendues des dizaines de fois ces cinq derniers jours et si tu es obligée de subir une fois de plus son regard de chien battu et ses mots vident de sens, tu ne sais pas si tu vas pouvoir te contrôler. Arrête Liv, il n'y est pour rien et tu le sais, c'était mon idée de prendre cette merde. Tu te retournes vers Mikey, allongé dans ce lit d'hôpital il a retrouvé son air insouciant et désinvolte qui te met hors de toi. Il te sourit et soudain tu sens les larmes te monter aux yeux. Je vais me chercher un café. Alors que tu passes à côté du déchet humain qui sert de meilleur ami à Mikey, pas le choix pour sortir de la chambre, tu le vois, du coin de l'oeil, tenter de t'agripper le bras et ouvrir la bouche pour parler. Ton regard se fixe au sien pendant une fraction de seconde et il se ravise. La noirceur de tes yeux pourrait, en cet instant, dissuader un ecclésiastique de croire en dieu.

Tu n'as pas le temps d'arriver à la machine à café que tu t'écroules, un mur jauni pour seul soutien, ton corps s'effondre, incapable de tenir debout une seconde de plus. Te voilà donc assise par terre, deux mètres de la machine à café, sanglotant comme jamais, impossible de stopper le torrent de larmes qui déferle sur tes joues : la tristesse. C'est la première fois depuis l'incident que tu te retrouves seule, obligée de faire face aux derniers événements. Pourtant t'es pas du genre à pleurer en public, t'as toujours pensé que c'était un truc de faible. T'es faible. Les souvenirs de la soirée reviennent par bribes et chaque image t'arrache un sanglot plus violent encore que le précédent. Tu revois en particulier ce moment où, dans l'ambulance, il avait brièvement repris connaissance avant de sombrer et t'avais fait promettre de ne parler de tout ça à personne, surtout pas à papa et maman. Alors tu l'as fait, t'as rien dit. T'as essayé d'être forte pour Mikey, de le soutenir et de ne pas craquer mais le fait de devoir affronter tout ça seule commence à te bouffer de l'intérieur. Combien d'années de thérapie ça va te valoir ? Est-ce qu'un jour tu t'en remettras réellement ? Parce oui, tu sais très bien que rien ne sera plus jamais comme avant :La résignation.


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Comment vous sentez-vous à l'idée de retourner à l'université demain ? Les yeux dans le vague, tu fixes un point au-delà du monde réel. Déjà la rentrée. Est-ce que t'es prête ? T'en as aucune foutue idée. Ces deux derniers mois n'avaient été qu'un chaos sans nom, tu n'avais pas eu une seule minute pour penser à toi et ta psy avait raison, retrouver un semblant de vie normale et une routine familière ne pouvait pas te faire mal après tout, si ? L'acceptation. Tes parents n'ont jamais rien su de l'overdose de Mikey, pour eux, sa convalescence et son passage en cure de désintoxication n'avaient été autre que de superbes vacances en Thaïlande. Tu hausses les épaules, incertaine de la réponse attendue par la thérapeute qui se tient en face de toi. À l'idée de laisser Mikey seul à nouveau, ta poitrine se crispe et tu sens l'angoisse monter mais t'as fait une promesse. À sa sortie de cure, vous avez croisé vos petits doigts et t'avais juré que tu continuerais de vivre ta vie, tu lui as promis que t'allais tout déchiré à tes examens, t'as pas le droit de te défiler, plus maintenant. La reconstruction.




Un verre de vin à la main tu fixes le mur opposé, perdue dans tes pensées, repassant le film de ta vie sur les trois dernières années, tu fais le point. Ton téléphone se met à sonner, encore le bureau. Tu soupires en rejetant l'appel. Pourtant, c'était ton rêve non ? Devenir avocate, changer le monde, sauver des vies. Quelle douce illusion. T'as travaillé tellement dur pour en arriver là, cinq années à trimer jour et nuit, des sessions d'études interminables aux longues heures de travail en passant par les crises de nerfs, les échecs et les déceptions. T'as tenu ta promesse faite à Mikey, t'es allée jusqu'au bout, tu l'as eu ce fichu diplôme, t'as même réussi à trouver une place dans un cabinet réputé à New-York, tu devrais être comblée, mais tout ce que tu ressens c'est un vide immense et un sentiment d'inachevé. Ton ambition devait te conduire à faire de grandes choses, quelle idiote tu es d'avoir cru en cette chimère. Mais c'est aujourd'hui que tu reprends ta vie en main. Ça fait un bout de temps que tu y penses, mais cette fois c'est la bonne. Tu jettes un oeil rapide sur la lettre de démission qui trône sur ta table basse, t'attendant à accueillir la crise d'angoisse habituelle qui marque chacun des instants cruciaux de ta vie, mais il n'en est rien. Impossible cependant de savoir si ce sentiment de plénitude est dû aux anxiolytiques ou cette impression irrépressible que la voie que tu choisis aujourd'hui est enfin la bonne. Sûrement un mélange des deux.

Joan aurait besoin que tu jettes un oeil sur son article à propos de cette femme battue au Texas et il faudrait que tu valides les photos du shooting de mercredi. Assise à ton bureau, tu fixes la pile de dossier que ton assistante te tend. Tu grimaces, subtil mélange de désespoir et de fatigue. Je ferai ça cet après-midi, j'ai rendez-vous avec ma mère pour le déjeuner. Faith ouvre la bouche pour protester, mais se ravise. D'accord, mais soit de retour à treize heure tapante. Tu souris, elle te connaît un peu trop bien. Parfois tu as même du mal à savoir qui de toi ou d'elle est la supérieure de l'autre. Et n'oublies pas que tu dois te préparer pour la fête de ce soir. Alors qu'elle sort de la pièce en fermant la porte, tu te laisses tomber en arrière, ce que tu peux être fatiguée. Mais pour la première fois de ta vie, tu accueilles cette fatigue comme une vieille amie, tu sais qu'elle n'est là que pour te rappeler qu'enfin tu fais quelque chose qui compte réellement. À travers la baie vitrée qui donne sur l'open-space tu peux apercevoir les dizaines de petites fourmis qui s'affairent, ces collaborateurs que tu as toi-même choisi avec soin et à qui tu fais confiance les yeux fermés. "Cette entreprise est plus qu'une simple entreprise, c'est une famille". Tu n'as jamais pu blairé les patrons qui disent ça, persuadée que cette jolie phrase n'est en fait qu'un leurre pour appâter de pauvres employés qui finiront rapidement par découvrir que la famille tant espérée est en réalité bien dysfonctionnelle. Pourtant, aujourd'hui tu comprends le sens de cette phrase, le véritable sens, car ces hommes et ces femmes sont comme ta famille. Après tout tu passes plus de temps avec eux qu'avec ta famille de sang, ça compte non ? En deux ans tu avais réussi à forger ton propre empire, à la sueur de ton front. Tes yeux se pose un instant sur l'écran de ton ordinateur. Un million. Un million de lecteurs ça se fête non ? Tu ressens une vague de fierté t'envahir, le chemin avait été long et les détracteurs nombreux mais aujourd'hui un million de personnes choisissent d'écouter ces histoires étouffées qui méritent pourtant d'être racontées. Speak the fuck up! avait été ton tremplin pour enfin changer les choses. Ta revanche sur des années de galère, ton bébé. Ta plus grande réussite.