tw :: abandon, empoisonnement, problème cardiaque

Fin mai 2023

Depuis plusieurs jours, voire même deux semaines environ, je ne suis pas au mieux de ma forme. Je me sens nauséeuse, j’ai par moment des douleurs au niveau de la poitrine et étrangement, je m’essouffle rapidement. Hier soir, heureusement que j’étais seule pour ne pas alarmer mes colocs, mais j’ai eu un étourdissement. Symptôme qui me revient actuellement. Je m’appuie sur l’ilot central de la cuisine. Mes coudes appuyés, je passe mes mains sur mon visage. Ne me sentant vraiment pas bien, et ayant l’impression qu’on me comprime la cage thoracique, je n’ai pas d’autres choix que de me rendre à l’hôpital. N’ayant pas envie de tomber sur l’un de mes collègues ambulanciers, j’appelle un taxi.

Je ne suis pas du genre à m’alarmer facilement. Au contraire, une personne qui s’inquièterait un peu de sa santé, elle aurait déjà été consultée. Mais, comme d’habitude, je retarde toujours tout. Je me dis tout le temps que ce n’est rien, que ça va passer. Or, mes cours de médecines m’ont quand même appris que les douleurs thoraciques ne sont pas à prendre à la légère.

Durant le trajet jusqu’à l’hôpital, j’en profite pour envoyer un message à mon père, afin qu’il ne s’inquiète pas de ne pas me voir à la caserne aujourd’hui. Bon, pour l’inquiétude, je pense que je n’y échapperais pas, en le connaissant. Je préviens également Noah et le chef de mon absence sans rentrer dans les détails, bien entendu. Après tout, que pourrais-je leur dire, ne sachant pas moi-même ce que j’ai ?

Ma main sur mon cœur, je ferme brièvement les yeux pour essayer de contrôler la douleur que je ressens à cet endroit, mais également dans le dos et le bras. J’en viens même à avoir du mal à respirer, mais je fais au mieux pour réguler ma respiration. Ne pas paniquer, tout va bien se passer. J’ai l’impression de faire comme une crise cardiaque. Ce qui n’a aucun sens. Je suis en bonne santé, je n’ai aucun antécédent. Enfin, normalement… Je ne saurais même pas dire si dans ma famille, il y en a ne sachant pas qui sont mes géniteurs…

Arrivée à destination, je remercie le chauffeur tout en le payant avant de prendre mon sac et de quitter le véhicule. Je me rends à l’accueil des urgences afin d’expliquer mon problème. Ma main droite toujours posée sur la partie gauche de ma poitrine, ma seconde main me permet de me maintenir au comptoir. Me voyant pâle ainsi que d'avoir du mal à tenir debout, l’infirmière me fait passer devant tout le monde, appelant l’un de ses collègues médecins pour une prise en charge immédiate.

- Ça va, vous devez avoir des personnes qui sont dans un état plus grave…
- Non mademoiselle, vos symptômes semblent désigner que vous êtes entrain de faire une crise cardiaque, on vous prend en charge tout de suite. S’exclame le médecin en me faisant assoir dans une chaise roulante pour m’emmener dans une chambre, tandis que j'ai du mal à assimiler les propos qu'il vient de me sortir.

Une demi-heure plus tard, me voilà allongée sur un lit et vêtue d’une blouse affreuse de l’hôpital, des électrodes sur la poitrine. Au moins, je me sens un peu mieux, c’est déjà ça, mais je suis épuisée. Mon téléphone en main, j’évite à envoyer un message à mes amis pour qu’ils ne s’inquiètent pas, mais avec un peu de chance, je serais rentrée ce soir et ainsi, ils n’auront pas besoin d’être au courant. Hm, c’est une meilleure idée. Ainsi, je redépose mon téléphone, avant de poser ma tête sur le coussin et de regarder le plafond. Qu’est-ce qu’il m’arrive encore… ?

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Fin mai 2023

Mon pire cauchemar est en train de se réaliser.
Ma fille est à l’hôpital. Et c’est uniquement ma faute.
Le pire, dans toute cette histoire? C’est qu’au fond, je n’aurais jamais dû le savoir.
Pure coïncidence salvatrice, je venais de quitter relativement tôt ma boutique, encore tourmentée par une missive que j’avais reçue la veille. Le genre de courrier dont j’avais malheureusement l’habitude mais l’angoisse qui me gagnait à chaque fois que j’en découvrais le contenu était un coup de poignard de plus dans le cœur. Mon maître chanteur, ce corbeau qui me fait la vie dure depuis des mois maintenant, menaçait de s’en prendre à la personne que j’aimais le plus au monde dans cet univers: Harper. Ma fille. Et à chaque fois, la même rengaine: je suis torturée, partagée entre l’immense envie d’aller la voir afin de renouer le contact mais d’un autre côté terrifiée, appréhendant cette discussion sans appel qui aurait donc lieu. Après tout, la méchante dans l’histoire, c’est moi. Je le sais pertinemment et je ne cherche pas à m’ôter ce rôle, j’en ai pleinement conscience.
Je n’ai pas de machine à remonter le temps, je ne peux pas changer le passé. Mais une prise sur le présent et un moyen de décider de mon avenir, oui, il y a encore une infime possibilité pour que les choses tournent en notre faveur. À notre famille brisée…
Me cachant dans l’habitacle de mon 4x4 flambant neuf, je roule à allure modérée dans les quartiers de Monterey, réfléchissant surtout silencieusement à un moyen de contrecarrer les plans de mon fameux corbeau. Passant, sans même le réaliser, devant l’hôpital de Monterey, je m’y arrête, songeuse, forcée également à cause d’un feu passant au rouge. Ne pouvant m’empêcher de fixer le bâtiment avec une vive émotion dans le coeur, laissant mes souvenirs terrifiants de la mort de ma mère envahir mon coeur, telle ne fut pas ma surprise de découvrir Harper, descendant d’un taxi et avançant d’un pas faible vers la gigantesque baie vitrée de l’entrée de l’établissement.
Mais que fait-elle ici, enfin?
Une vague traverse ma poitrine, je suis incapable de l’ignorer. Et je peux aisément la qualifier: ça s’appelle l’instinct maternel. Oh, bien entendu, cela faisait des années que je ne l’avais pas ressenti mais quelque chose, à cette seconde précise, me faisait sentir que je ne devais pas partir. Au contraire, j’allais rester, veiller au grain. Après tout, Harper venait peut être simplement rendre visite à un proche… ou bien elle allait vers quelques examens de routine…?
Non. Je ne le sentais pas. Mais mon aspect raisonné de ma personnalité me forçait à gentiment me stationner sur le parking faisant face à l’entrée, d’attendre sa sortie. Sagement.
Mais les minutes s’écoulent pour devenir une heure, puis deux… et toujours pas de trace de l’adorable blonde. Réprimant l’envie de me ronger les ongles, mauvaise habitude que je n’avais pas eu depuis mon adolescence, je prends rapidement ma décision. Claquant la portière du véhicule, j’enfile mes gigantesques lunettes de soleil, vaine tentative de passer inaperçue. Je ne supporterais pas de tomber sur de vieilles connaissances, surtout pas dans ces lieux. Après tout, si je suis ici, à avancer d’une démarche peu assurée vers le bureau d'accueil de l’hôpital, c’est que mille questions me traversent l’esprit.
Mais qu’une seule et unique réponse pourrait réussir à m’apaiser. Même si je sais pertinemment que quelque chose ne va pas, un détail anormal me trotte en tête et j’ai besoin d’en avoir le cœur net. Pour une fois, j’ose agir, frontalement.
Retrouvant de ma superbe, je me racle la gorge et m’annonce, d’une voix presque pompeuse:

Bonjour, Eli Hartley, je viens voir… ma fille.

Prononcer ce simple mot pour qualifier Harper me plonge dans un profond désarroi. Et pourtant, je ne mens pas, je n’affabule pas: cette jeune femme blonde qui vient de franchir les portes de l’hôpital est bien mon enfant. Je ne l’ai pas porté durant neuf mois, certes. Mais l’amour qui m’a envahit à la seconde où nous nous sommes rencontrés est sincère, entier et n’a pas faibli, malgré les années et la distance perpétuelle que j’ai cherché à créer.
Mais aujourd’hui, la fuite connaît une fin. Je suis là et je ne compte pas bouger d’ici.
Après quelques minutes d’attente, on m’annonce que Mlle Harper Hartley est dans la chambre 4C. Sans un mot, seul hochement de tête en guise d’au revoir, je me dirige vers les escaliers, refusant le risque de rester coincée dans un ascenseur et finit par trouver la chambre. Plantée devant la porte, j’hésite, un peu. Je prends la plus grande inspiration de ma vie. Et, tremblante, j’ose poser une main fébrile sur la poignée.
Allez, Eli. Il est temps de retrouver ta fille.

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Allongée sur ce lit d’hôpital, la télécommande en main, je zappe les différentes chaînes proposées par la télévision de cet endroit. Rien d'intéressant à cette heure-ci. Je fais de mon mieux pour rassurer mon père par téléphone. Inutile de l'inquiéter alors que je n'ai même pas encore les résultats de mes différents examens. Une infirmière est passée pour vérifier mes constantes. J'ai essayé de savoir quand je pourrais rentrer chez moi, quitte à être appelée pour mes résultats, mais elle ne pouvait pas me dire. De toute façon, le médecin souhaite que je reste tant qu'il ne connaît pas la cause de ma crise cardiaque.

Sérieusement. Une crise cardiaque ? J’ai toujours été en très bonne santé, je ne vois pas pourquoi du jour au lendemain, cela changerait. Bon, il est vrai que depuis quelque temps, je me sens davantage fatiguée et essoufflée. Mais je mets ça sur le compte de la bombe que Soraya m’a lancée l’autre soir, le retour de Sean, et le fait qu’une autre femme m’abandonne.

Instantanément, mon esprit vagabonde pour me ramener dans le passé. Un passé douloureux dont je suis parvenue à me relever. Ce dimanche orageux où celle qui m’avait choisie pour devenir sa fille, qui m’avait promis de toujours m’aimer, est partie. Comme ça. Sans explication. Juste un bisou sur le haut de mon crâne, puis elle a tourné les talons pour ne plus jamais revenir. Le seul signe de vie que j'ai eu en quatorze ans, c'est une montre pour l'un de mes anniversaires. Rien d'autre. Une montre que je n'ai jamais portée, que j'ai même jetée dans la poubelle quand je l'ai reçue. Un bon gros foutage de gueule, ai-je pensé sur le moment, m’ayant rendu amer. Mais durant la nuit qui a suivi, prise d'une nostalgie et d'un brin de curiosité, je suis retournée dans la cuisine pour récupérer le cadeau. Ce dernier ne se trouvait plus dans la poubelle, mais posé dans un coin du plan de travail. Mon père me connaît par cœur. Il a dû s'attendre à ce que je change d'avis, et pour éviter que je ne regrette, il l'a sorti de l'endroit malodorant.

À l’ouverture de la boite, assise sur mon lit, je me souviens des larmes qui ont coulé le long de mes joues.

Enfin un cadeau.
Enfin un objet qui prouve que ma mère adoptive ne m’a pas totalement oubliée.
Enfin un objet concret que je peux toucher et tenir en main.

Mes souvenirs demeurent toujours, mais il m’arrive de me demander si le temps ne les altère pas. J'avais seulement dix ans quand elle est partie. Mes souvenirs peuvent ne plus être très précis.

Cette montre, je ne l’ai jamais portée. La raison ? Je ne sais pas, je l’avoue. Peur de la perdre ou de la casser ? Le sentiment de colère et de douleur qui ne s’est pas estompée comme je me suis efforcée de le croire depuis des années ? Je n'en sais rien.

Perdue dans mes pensées, mes souvenirs, j'entends la porte de la chambre s'ouvrir. Pensant que c'est enfin le médecin avec mes résultats, je me redresse dans mon lit.

- Alors doc’, fausse alerte, j’imagine. Je dois signer quoi pour pouvoir sortir ? demandais-je.

Mon regard se pose alors sur la personne qui vient de rentrer.

- Ma…maman…, ne puis-je m’empêcher de souffler.

Malgré la décennie écoulée, je n’ai pas pu oublier son visage ni ses yeux dans lesquels j’ai toujours aimé me plonger. Je suis en train de rêver. Elle ne peut pas être là. Même lorsque je me suis faite renverser, elle ne s’est pas manifestée. D’aucune façon. Mais, comment aurait-elle pu le savoir après tout ? Dans ce cas, elle ne devrait pas être ici non plus. À part mon chef, Miles et mon père, personne ne sait que je suis ici.

Je serre mes poings, enfonçant mes ongles dans mes paumes, espérant me réveiller. Or, il se trouve que c’est bien réel. Eli Hartley se trouve bien devant moi. Ma mère. Après toutes ces années, elle revient comme une fleur ?

- Je crois que tu t’es trompé de chambre, ne puis-je m’empêcher de lancer sur un ton froid.

En mon fond antérieur, je suis paumée. À la fois émue de la voir, la boule au fond de la gorge, mais également en colère face à la lâcheté dont elle a fait preuve, il y a des années de cela. Me faisant vivre un nouvel abandon. Mon regard posé sur elle, je ne peux m’empêcher de l’observer, de comparer les changements physiques, entre le moment de son départ et aujourd’hui.

- Qu’est-ce que… qu’est-ce que tu fais ici ?

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Fin mai 2023

Et voilà. Nous y sommes.
La nervosité qui grandit dans ma poitrine, à l’instant même où j'enclenche la poignée de cette porte pour faire mon entrée dans la pièce, tambourine, me rend aveugle et sourde. Pourtant, je sais que je dois conserver les pieds sur Terre, me focaliser sur cet échange dont j’ai rêvé des nuits durant. Que j'ai espéré prendre vie, un jour ou l'autre.
Mon regard qui se pose sur Harper Hartley, le sanglot que je tente d’étouffer, en vain.
Elle est là. Pas seulement un simple souvenir, une image floue dans ma mémoire. Elle est si belle, si vivante. Sa force m’éblouit, son regard me pétrifie.
Je suis heureuse. Je me sens si complète. Mais cet apaisement ne dure guère longtemps.
Brutal retour à la réalité, Eli. Connaître le meilleur avant de mériter le pire…
En une fraction de seconde, je peux voir le visage de ma fille changer de couleur. D’aspect. Quand elle me reconnaît enfin, quand je me permet de faire mon entrée dans cette chambre, dans son intimité, dans sa sphère privée, je sais que je n’ai rien à faire là. Que ma place n’est pas ici.
N’est plus.
Qu’est ce qu’il s’est passé dans ma vie pour que je pense que m’éloigner de mon enfant soit la bonne décision à prendre? Cette question ne cesse de me hanter depuis quatorze ans. C’est un terrible cercle vicieux: sachant pertinemment que le chemin que je souhaite emprunter n’est pas le bon mais qu’il est également la seule option envisageable. Je réalise, en la détaillant avec insistance, que c’est une femme, désormais. Une adulte. L’idée de lui expliquer dans la minute qui suit les raisons de mon départ, à l’époque, me traverse l’esprit mais la réaction que je prends de plein fouet dans la poitrine m’empêche de réfléchir. Interloquée, je répète, d’une voix tout droit sortie d’outre tombe:

Me… me tromper de chambre?

Ça y est, je comprends. Inutile de le nier davantage: Elle me déteste. Ne supporte pas ma présence. Pense que mon retour est une vaste blague. Pourtant, je n’ai qu’une envie: me ruer sur elle, la prendre dans mes bras, la serrer si fort, si longtemps pour ne plus jamais lâcher mon étreinte! Si elle savait à quel point je suis comblée de pouvoir poser mon regard attendrie sur elle.
Me concentrant sur cet échange verbal qui n’a rien à voir avec mes plus secrètes espérances, je continue, tentant d’adopter une voix tendre:

Voyons, mon coeur, je… Je suis venue, dès que j’ai su, je…

Lui expliquer comment j’ai été informé de son état de santé? Bien trop périlleux, nos retrouvailles viennent tout juste de se produire. Inutile d’insuffler un vent de panique en évoquant le fait que je la surveillais, à son insue, effrayée à l’idée que mon maître chanteur finisse par mener à bien ses terrifiantes menaces.
Émue, j’avance à pas mal assurés en direction de son lit d’hôpital, luttant contre l’envie de fondre en larmes et lui demande, la voix étranglée:

Tu vas bien? Qu’est ce qui t’es arrivé? Je…

Mais soudain, je réalise ce qui anime le regard de ma fille.
La colère.
Légitime, certes.
Mais difficile à assimiler.
Eli Hartley, tu es devenue le Diable en personne et ce, aux yeux de ta propre famille…

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Le cœur qui bat fort, la gorge qui se noue, tandis que les larmes menacent de perler le long de mes joues. C’est impossible. Je rêve, je suis dans le coma… Elle ne peut pas être là. Elle ne peut pas revenir comme une fleur après être partie pendant quatorze ans. Je l’ai tant pleuré après son départ, heureusement que papa était là à mes côtés pour sécher chacune de mes larmes salées et me faire sourire à nouveau. Qu’ai-je donc fait de mal ? Cette question n’a cessé de me tourmenter depuis mes dix ans. Personne ne pouvait y répondre, hormis l’intéressée. À quoi bon m’adopter si c’était pour m’abandonner cinq ans plus tard. N’avais-je déjà pas un certain bagage émotionnel avec lequel vivre, sans qu’elle vienne en rajouter ? Abandonnée par deux mamans, deux êtres qui sont censés aimer leurs enfants plus que tout au monde, mais qui, il faut le croire, ne m’aimaient pas assez pour me vouloir dans leur vie. Cette femme qui se dresse devant, cette jolie blonde qui est le sosie de ma mère, c’est une inconnue. Plus d’une décennie s’est écoulée depuis son départ, tout le monde a fini par changer.

Je suis tiraillée par tant de sentiments contradictoires. Je suis en colère, choquée, paumée, mais aussi un soupçon de chaleur s’empare de moi, car je ne peux m’empêcher de me dire : « elle est revenue ». Je m’en veux de ressentir ça, de ressentir encore quelque chose qui s’apparente à de l’amour. Elle ne mérite pas que j’éprouve cela pour elle. Elle nous a abandonnés, sans aucune explication. J’ai vu mon père triste, bien qu’il ait tenté de me préserver de sa douleur, je pouvais le lire dans son regard. N'étions-nous pas les personnes qu’elle était censée vouloir protéger de toute douleur ? Il faut croire que non, car c’est celle qui nous en a le plus causé.

Elle semble surprise par ma déduction. Pourtant, elle aurait dû s’y attendre. Puis, depuis quand est-elle à Monterey ? Depuis quand se cache-t-elle pour éviter que nos chemin se croisent ? Je ne peux pas croire qu’elle soit à l’hôpital pour moi. Comment aurait-elle su que j’étais ici ? Impossible qu’elle connaisse mon boss et que papa le lui ait dit. D'ailleurs, est-ce que papa sait qu'elle est là ?

Face au tendre surnom qu’elle me donne, et à l’inquiétude qui semble accompagner ses paroles, je ne peux m’empêcher de pousser un ricanement nerveux. Elle a perdu le droit de me surnommer de cette façon, de s’inquiéter de ma personne. Si vraiment j’avais compté un temps sois peu dans sa vie, jamais elle ne serait partie. Après tout, je n’ai reçu qu’une lettre et une montre pour un de mes anniversaires. Une lettre et une montre. En quatorze ans. Sûrement un éclat de lucidité où elle s’est rappelé que sur le papier, elle avait une fille. Il faut croire que le fait qu’elle ne m’ait pas mise au monde, ça à dû le lui échapper.

- Arrête… S’il te plait, arrête ! lançais-je en serrant les dents et ravalant mes larmes car il est hors de question que je lui montre que son retour me touche. T’as perdu le droit de m’appeler « mon cœur » le jour où tu nous as abandonné papa et moi. Quatorze ans et tu reviens comme une fleur ? Sérieusement ?! Qu’est-ce que ça peut te faire comment je vais ?! Tu t’en es pas souciée une seule seconde après ton départ.

Je suis en colère. En colère et blessée. Après tout ce temps, je n’ai pu m’empêcher de me demander si elle était encore vivante ou pas. J’avais fini par me dire que ça expliquerait pourquoi je n’avais aucun appel d’elle. J’avais fait mon deuil d’avoir une maman. Pendant cinq ans, je l’ai tellement idéalisée, portée sur un piédestal. Intelligente, charismatique, passionnante… Je rêvais de devenir comme elle, d’être la petite fille qu’elle rêverait d’avoir et dont elle pourrait être fière. Autant vous dire que mon monde s’est écroulé quand elle est partie. La chute a été rude, mais j’ai pu compter sur l’amour sans faille de mon père.

- Puis, comment tu sais que je suis ici ? Il n’y a que papa qui est au courant, et mon chef. D’ailleurs, papa sait que t’es ici ? Depuis quand t’es rentr… depuis quand tu es revenu en ville ?

J’essaye de paraitre forte, de ne pas montrer mes failles, mais c’est difficile. J’ai le cœur en vrac de la voir. Tant de souvenirs, mais également de douleurs me submergent. Mon téléphone en main, je le serre, tout en le manipulant nerveusement.

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Étant le premier contact à informer en cas d’urgence et le seul tuteur légal encore présent dans la vie d’Harper, c’est avec rapidité que j’ai été contacté par les médecins concernant l’état critique de ma fille. Signes d’une crise cardiaque ? C’est la seule chose que j’ai réussi à retenir à travers toutes ces informations beaucoup trop superflues. Le reste semblait n’avoir que peu d’importance. Mon bébé fille est dans un état critique. Mais pourtant, Harper est jeune et en pleine forme !? Que s’est-il passé depuis les dernières vingt-quatre heures où nous n'avions pas été ensemble ? Je l’ai vu hier à la caserne et elle semblait être en pleine forme. Mais quel père minable fais-je !? Parfois, je me dis qu’Harper aurait été mieux avec sa mère. Qu’Harper ce serait mieux débrouillée dans la vie si elle avait eu sa mère avec elle. Qu’elle aurait été mieux si Eli avait pris la fuite en l’amenant avec elle. Et après, je me rappelle comment elle nous a lâchement abandonné et je me conforte à l’idée qu’Harper est mieux avec un père qui donne tout de lui et qui est 100% présent, plutôt qu’une mère absente et qui l’aurait forcément abandonné une seconde fois. Et à cet instant, je m’en veux. Je m’en veux de penser de cette façon. Parce que je ne peux m’imaginer sans ma fille à mes côtés. Et surtout, je m’en veux de n’avoir vu aucun signe avant-coureur. Ni une ni deux, je ne me fais pas prier. Je quitte la caserne à la vitesse de l’éclair et direction l’hôpital. Au moins, je me dis qu’elle est en sécurité et entre de bonnes mains.  

Arrivé sur les lieux, je croise une infirmière sur l’étage et lui demande le numéro de la chambre d’Harper Hartley. Avec sa douceur et sa gentillesse, elle m’indique la direction à prendre vers la chambre 4C. Un couloir infini semble me séparer de ma fille. Après seulement quelques pas bien déterminés, je me retrouve enfin devant sa chambre. La surprise fut énorme lorsque je tourne enfin la poignée pour entrer dans la pièce. Une grande inspiration et qui ne vois-je pas ?! Eli Hartley. Mais qu’est-ce qu’elle vient faire là !? Pourquoi est-elle au courant qu’Harper est à l’hôpital et surtout, pourquoi est-elle là avant moi ? Je sens une énorme tension dans la pièce. Le cœur de ma fille est en proie à se retrouver en mille morceaux, je le sais juste à entendre sa voix dépitée. Son expression est tout aussi criante. Elle a mal, mais elle le cache par orgueil. Un défaut qu’elle retient malheureusement d’Eli. Mais je vois bien que ma fille n’est pas du tout à l’aise de la venue de sa prétendue mère. Je ne sais guerre à quoi elle joue en se pointant chez moi et en étant ici, mais Eli n’arrivera pas à faire son retour dans nos vies. C’est hors de question que je ne la laisse, ne serait-ce que, tenter une approche envers Harper. J’ai l’impression d’interrompre un moment, mais aussi d’entrer au bon moment « Comment tu es entrée ici Eli ? Ce n’est que la famille... Tu es bien certaine qu’Harper veut que tu sois là ? » Parce que pense un peu à elle Eli, au lieu de faire l’égoïste et de ne penser juste à toi à cet instant. Harper et moi avons besoin de ce moment, d’être tous les deux entre père et fille. Contournant la blonde qui se tient bien droite et fièrement, je m’approche de ma fille et attrape sa main « Comment tu vas ma puce ? Je suis venue le plus rapidement possible dès que j’ai su. » J’appose une douce caresse rassurante dans ses cheveux et je jette un regard noir vers celle qui prétend être sa mère. Un rôle qui ne lui sied plus depuis des années. Un rôle dont elle a renoncé il y a bien longtemps.  

Et comme par miracle, elle s’attend à ce qu’Harper voudrait qu’elle l’appelle maman et lui saute dans les bras ? C'est mission ratée Eli. Meilleur chance la prochaine fois. Quoi que, tant que je serai dans les parages...  

Il n’y en aura pas de prochaine fois

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Fin mai 2023

Avoir la chance de poser les yeux sur Harper est un bonheur à la saveur douce amer. Après tout, tandis que j'accueille avec plaisir cette satisfaction, je réalise en même temps que je n’aurais jamais dû la ressentir. Si je n’avais pas pris cette fameuse décision qui a non seulement changé ma vie mais aussi celle de ma famille toute entière, je n’aurais pas souffert de cette absence. Cette douleur que j’ai provoqué, cette souffrance que je me suis occupée d’entretenir. Jamais je ne l’aurais connu si je n’étais pas parti. Si je n’avais pas foncé tête baissée en direction d’une solution que je pensais être unique afin de sauver ma mère.
Je suis partie, certes… Mais le plus dur à avaler, pour mes proches mais à mes yeux également, c’est que je ne suis pas revenue.
Ou si, mais bien trop tard. Là, je suis ici. Bien présente. À fixer d’un tendre regard mon bébé qui est devenue une belle et magnifique jeune femme. Je revêts une armure invisible qui ne me protège pas si bien que ça des paroles blessantes mais justifiées qui glissent hors des lèvres de Harper. Je prends de plein fouet chaque pique, qui me brûle, tel un acide. Au prix d’un effroyable effort, je finis par inspirer, les yeux clos et je réponds le plus calmement possible:  

Non, Harper, ne dis pas ça, je… Bien sûr que j’ai pensé à toi, chaque matin en me levant et chaque soir en me couchant, je…

Bien entendu que la moindre explication que je pourrais fournir sonne affreusement creux. Je le réalise et même si je meurs d’envie de me livrer à ma fille adorée, je préfère me mordre avidement l’intérieur des joues, sentant même quelques gouttes de sang envahir l’intérieur de ma bouche. J’ai tant de choses à lui raconter… Mais je préfère répondre à sa dernière question qui reste la plus simple sur l’interminable liste que grossit à vue d’oeil:

Je… Je suis revenue depuis quelques semaines. Je cherchais le meilleur moyen pour te retrouver, je…

À la vitesse de la lumière, je réfléchis. Pèse le pour et le contre. Après tout… Elle mérite de savoir. De connaître la Vérité. La Vraie, la Seule. Même si elle n’est pas cohérente, elle aurait le mérite d’allumer la lumière au sein de l’obscurité qu’est devenue notre relation. Je fais quelques pas vers son lit, ose même m’imaginer en train de m'asseoir à ses côtés.
Je pensais sincèrement que la situation ne pouvait pas être pire. Que ce malaise que je ressens à quelques centimètres de ma fille était ce qu’il y avait de plus cruel en ce monde.
Jusqu’à ce que j’aperçois Connor du coin de l'œil faire son apparition remarquée dans la chambre de Harper. Le timing n’aurait pas pu être plus mauvais! Juste au moment où je comptais révéler cette histoire de maître chanteur à ma fille. Soupirant, je laisse couler les premières paroles de Connor à mon égard, contractant une fois de plus la mâchoire, tic nerveux qui ne me quitte plus depuis que je suis revenue à Monterey. Affronter les erreurs de son passé n’est pas évident, j’en suis la preuve vivante. Mais je n’abandonne pas l’idée de faire preuve de franchise envers Harper. Quand je décide quelque chose, je ne peux plus revenir en arrière. Et si quelqu’un pouvait le certifier, c’étaient bien les deux personnes présentes dans cette chambre d’hôpital!
Je dévore des yeux la scène qui se déroule sous mes yeux: Connor qui se précipite au chevet de Harper, qui lui tient la main, qui pose sur son visage un regard chargé d’une tendresse infinie. Bien sûr que je comprends que je suis de trop. Que cette relation entre un parent et son enfant ne me concerne plus à la seconde même où j’ai attrapé ma valise et où j’ai décidé de tourner le dos à cette famille dont j’avais la chance de faire partie.
Mais pour le moment, il s’agit de rétorquer face à l’affront de Connor. Une nouvelle fois, je lutte pour ne pas perdre le contrôle de mes émotions et commence par un simple:

Je…

Mais, ô surprise, un autre protagoniste arrive. Sauvée par le gong: le Docteur missionné pour s’occuper de ma fille franchit le pas de la porte, se plante devant le lit de Harper et commence à lui expliquer que sa crise cardiaque n’avait rien de naturel. Complètement pétrifiée, je finis par terminer une phrase qu’il vient de commencer, incapable de battre des cils ni même de reprendre ma respiration:

Elle a été empoisonnée.

Voilà donc la vérité: le maître chanteur a mis ses menaces à exécution. Malgré mon paiement express, malgré ma capacité à me plier à la moindre de ses exigences…
Il l’a fait: il a franchit cette foutue ligne jaune.
Réfléchissant déjà aux représailles, je ne réalise pas que dévoiler cette information risque de susciter de nombreuses questions chez Harper et Connor.
Ma tombe était déjà prête, autant poursuivre en la creusant un peu plus encore…

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Je roule des yeux lorsque maman prétend m'avoir pensé tous les jours. Conneries. Pourquoi serait-elle partie, dans ce cas ? Cela n'a aucun sens. Je reste lucide ; elle n’en a rien eu à foutre de moi en aucune façon. De plus, un petit rire nerveux m'échappe quand elle mentionne qu'elle est en ville depuis plusieurs semaines. La bonne blague ! Elle est à Monterey depuis des semaines, mais daigne seulement venir me voir maintenant ?

- Quel foutage de gueule… ne puis-je m’empêcher de souffler amèrement.

Alors, c'était ça, le mot magique pour faire revenir maman ? « Hôpital » ? Depuis son départ, je n'ai cessé de me demander ce que j'avais pu faire ou dire de mal pour qu'elle décide de partir et de nous abandonner, papa et moi. Je me souviens même d'avoir écrit une lettre à l'âge de dix ans, m'excusant et la suppliant de revenir. Une lettre qui n'est jamais partie, car je n'avais aucune idée d'où elle était partie. Comment aurais-je pu connaître son adresse ? J'ai même essayé de l'appeler secrètement avec le téléphone de papa, mais elle n'a jamais répondu. Abandonnée par ma mère biologique et ensuite par elle, ça m'a dévastée. Cela m'a terrifiée à l'idée que papa pourrait faire la même chose, partir lui aussi. Heureusement, cela a été tout le contraire. Il m'a donné autant d'amour qu'il était possible d'en donner, et j'ai finalement retrouvé le sourire.

Lui et moi contre le monde.
Mon héros, toujours à mes côtés.
Je lui dois tout.

C'est alors que je le vois entrer dans la chambre. Bien que je me sente rassurée et heureuse de le voir, je sais d'avance que l'atmosphère va devenir encore plus électrique et pesante qu'elle ne l'était jusqu'à présent. Inutile d'être devin pour comprendre que papa en veut autant que moi à maman. Elle nous a lâchement abandonnés du jour au lendemain, sans explication. Lorsqu'il s'approche de moi pour prendre ma main et caresser mes cheveux, mon regard se lève vers lui.

- Ça va, ne t’en fais pas. Je ne voulais pas t’inquiéter. Ce n’est sûrement pas grand-chose.

La dernière chose que je souhaite, c'est de l'inquiéter. Pauvre papa, c'est un miracle s'il n'a pas encore de cheveux blancs, compte tenu de toutes les frayeurs que je lui ai causées. Que ce soit en grimpant sur les toits, en sautant entre deux passerelles, sans oublier l'accident de voiture il y a quelques mois... Je ne suis pas la fille la plus calme qui soit.

Finalement, nous sommes interrompus par le médecin. Je peux voir une inquiétude dans son regard avant qu'il ne m'annonce que ma crise cardiaque n'est pas due à une cause naturelle. Eh bien, je vois le bon côté des choses : je ne suis pas malade et mon cœur n'est pas fragile. Cependant, lorsque maman évoque un empoisonnement, et au ton de sa voix, c'est davantage une affirmation qu'une question, je reste sans voix.

Un empoisonnement ?
Elle a fumé quoi la maman durant son absence ?

- Un empoisonnement à la digitaline. On peut en prescrire en cas d’insuffisance cardiaque, mais lorsqu'on a un cœur en bonne santé, cela peut être mortel, explique-t-il.

Je me sens comme si mes oreilles étaient remplies de coton. Les voix autour de moi semblent lointaines.

J’ai été empoisonnée.
Comment ? Par qui ? Pourquoi ?
Cela n'a aucun sens.

Je finis par revenir à moi lorsque le médecin me parle.

- Savez-vous comment vous auriez pu être exposée à cela ?
- Non. Je n’en ai même jamais vu.
- Y a-t-il quelqu'un qui pourrait vous en vouloir ?
- Pas du tout. Il m’arrive de me prendre la tête avec certaine personne, mais pas au point de vouloir me tuer. Cela n'a pas de sens, dis-je toujours sous le choc de la nouvelle.
- Très bien, nous allons informer la police de la situation. La digitaline peut endommager les reins, nous allons effectuer des examens complémentaires et vous administrer l'antidote. Cependant, étant donné vos résultats, le chemin vers une guérison totale sera long. Vous en avez consommé pendant un certain temps. Heureusement, vous êtes venue à l'hôpital, car vous n’auriez pas passer l’année.

C'est un véritable coup de massue. Je ne comprends pas pourquoi quelqu'un s'en prend à moi. J'ai beau repasser les derniers mois en boucle, je ne vois pas qui pourrait me vouloir autant de mal. Si quelqu'un m'en veut, qu'est-il prêt à me faire ? J'en oublie même que, de manière étrange, maman a deviné ce qui se passait avant même que le médecin ne l'annonce.

Ma main serre fortement celle de papa.
J’ai peur.

tw :: abandon, empoisonnement, problème cardiaque, légère violence physique

Retrouver Harper dans cet état, une seconde fois dans une chambre d'hôpital, est quelque chose auxquels je ne m'étais jamais complètement préparé. Je me souviens de ma première fois ici, juste à ses côtés, à lui tenir fermement la main. N'ayant nul autre option que d'afficher le visage d'un père inquiet. Que pouvais-je faire d'autre ? Harper a toujours eu un don prononcé pour se mettre en danger. Mais cette fois-là, elle avait fait fort en se faisant renverser par une voiture à New-York. Je me souviens encore être allé la chercher directement. Je me souviens être entré dans cette chambre et l'avoir vu la jambe dans le plâtre, le bras en écharpe ainsi que quelques contusions entachant son pauvre corps meurtri par l'impact. Je me souviens aussi des dommages entrainés à la suite de cet accident, celui où ma fille a été forcé de mettre fin non seulement à sa carrière de danseuse, mais du fait même, à l'un de ses plus grands rêves. Voir la flamme s'éteindre doucement de ses yeux, l'espoir complètement s'anéantir de son être pour laisser place à des mois de réhabilitation. Rien n'a été facile pour elle, travaillant toujours d'arrache-pied pour en arriver à cette finalité. Celle de pouvoir retrouver pleinement l'usage de son genou. Et comment puis-je exprimer à quel point je suis le père le plus fier de son bébé aujourd'hui ?

Lorsque j'ose enfin pénétrer dans cette chambre qui parait si froide, me remémorant des souvenirs que je préférerais complètement oublier, je ne m'attendais certainement pas à y retrouver Eli de l'autre côté. Tout simplement, parce qu'elle n'avait rien à y faire. Et qu'elle était tout autant, un souvenir que je souhaitais, du plus profond de mon être, oublier. Juste sa présence me paraissait beaucoup trop douloureuse en cet instant. Le fait qu'elle soit ici, avec nous, était... malsain. Parce qu'elle et moi avions eu une petite altercation quelques jours auparavant et je ne voulais surtout pas imposer cette ambiance plus que palpable à Harper. Elle n'en n'avait nullement besoin. Pour cette raison, je contourne la blonde à mes côtés et je me dirige immédiatement vers le lit de ma fille. Mon instinct protecteur est à son comble. Non seulement, j'ai l'impression de devoir protéger Harper de ce qui lui arrive, mais aussi d'Eli. Pourquoi est-elle là d'ailleurs ? Comment a-t-elle été avertie ? Et surtout avant moi ?
« Pourquoi tu es là Eli ? Qui t'a prévenue pour Harper ? »
Impossible qu'elle ne soit arrivée ici avant moi. Qu'elle ait été prévenue avant moi. Mon regard est rempli d'incompréhension. Alors qu'il se pose sur Harper, je prends doucement sa main que je referme dans la mienne. Elle ne semble pas savoir ce qu'il lui arrive ni être en mesure de me l'expliquer. Il vaut peut-être mieux attendre le médecin pour les explications avant de pouvoir se prononcer.

Alors qu'il entre enfin dans la chambre afin de nous expliquer la situation, j'essaye de me concentrer sur ses paroles, de rester prévenant, juste avant qu'Eli ne l'interrompe. Un empoisonnement ? Mais comment est-ce possible ? Qu'est-ce qu'elle raconte ? Attendons de voir ce qu'en dit le médecin. Alors qu'il confirme qu'Harper a bien été empoisonné à la digitaline, je tombe des nus. Qui pourrait en vouloir à ma douce et tendre fille à ce point ? Et surtout, pourquoi Eli semble être au courant de ce qui est en train de se passer avant même que le médecin n'eussent prononcé une seule parole ? Alors que j'écoute le médecin poser des questions et affirmer le traitement qu'Harper devra suivre, je réalise que ma main est presque en train de broyer celle de ma fille. Les premiers sentiments qui m'envahissent incontrôlablement sont la rage et la colère. Et mon regard, ce sentiment, tout ce qui m'envahit est dirigé vers une seule et même personne : Eli. Celle que je tiens pour seule responsable de toute cette situation. C'est elle qui est venue mettre le fiasco dans notre vie avec son retour. Je ne le sais pas si ce que j'avance est vrai, mais j'en suis convaincu juste à voir son expression et le fait qu'elle était au courant pour l'empoisonnement.

Férocement, j'attrape le bras de la blonde pour la pousser hors de la chambre. Hors de question que je fasse une scène devant notre...ma fille. Agrippant ses poignets avec toute la colère du monde dirigée vers elle, j'ose lui cracher au visage « Tu vas devoir t'expliquer Eli, qu'est-ce que c'est que cette histoire d'empoisonnement ? Hors de question de te défiler et hors de question de me dire que c'est une discussion que tu dois avoir avec Harper. Je te connais Eli... Tu dois tout me dire maintenant. Tu dois me dire si ma fille est en danger ? Pourquoi ? Qui lui en veut ? Harper est trop fragile pour l'entendre en ce moment. »

tw :: abandon, empoisonnement, problème cardiaque

Fin mai 2023


Je vis un cauchemar éveillé.
Et pourtant, mes retrouvailles avec Harper sonnaient plutôt comme un songe parfait, réconfortant et émotionnellement parlant extrêmement chargé. Une douleur que j’étais prête à encaisser, tant l’issue finira, tôt ou tard, par être en ma faveur. C’était un fantasme que j’entretenais depuis plusieurs années, le gain que je pourrais enfin décrocher après une longue course effrénée. Un but utopique à atteindre mais qui motivait pourtant chacune de mes décisions. Oui, j’avais fait un terrible choix, à l’époque. J’avais été soumise à un affreux chantage, que j’avais accepté afin de sauver ma mère, en vain. Dans la bataille, j’avais tout perdu. La confiance de mon mari, l’amour de ma fille. J’avais brisé en mille morceaux la charmante et tendre vie de famille que j’avais tant désiré.
Ce sont nos choix qui déterminent qui nous sommes réellement.
Et le mien a été si terrible, presque cruel. Impossible de revenir en arrière. Je ne possède pas de retourneur de temps, je ne pourrais plus jamais croiser le regard de Connor ou de Harper sans y lire une déception sans nom.
Mais que je mérite amplement.
Mais les remords cohabitent avec les regrets. C’est une double peine effroyable. J’ai la sensation de ne pas être à ma place et pourtant, je suis la pièce maîtresse d’un jeu contre lequel je vais finir perdante. Ma main est désastreuse, je ne peux pas tricher, ni même tenter de passer à l’offensive.
Je n’ai qu’à réaliser, avec effroi, que ma prédiction était la bonne.
J’aurais aimé me tromper. Sur toute la ligne. Mais si la vie m’a appris une bonne leçon, c’est de ne jamais espérer que les choses tournent en la faveur d’un bonheur qui ne connaît aucun trouble.

Les paroles du médecin sont un bourdonnement insupportable. Dans un élan de fureur, j’aimerais lui ordonner de se taire, de ne pas résumer ce triste constat. Ma fille, Harper, a été empoisonnée. Au point de frôler la mort, les dégâts pourraient être irréversibles et sa venue à l’hôpital est un miracle qui lui a permis d’échapper à un terrible sort. Le visage contracté dans une moue effarée, je ne cille plus, respire à peine. J’aimerais tant être ailleurs. Sur un autre continent, dans une temporalité différente.
Mais c’est un couperet qui s’abat sur ma famille… J’en connais l’origine mais ne peut rien faire. Rien. À part subir, abdiquer. Accepter la défaite cuisante qui s’étale sous mes yeux.

C’est un don de connaître l’origine des évènements qui se sont abattus sur ma fille, une malédiction de ne pas avoir prétendu pouvoir cacher plus longtemps mon jeu. Ma gaffe me coûte cher et ce n’est pas peu dire: Harper digère difficilement la cause de son état de santé et son père, lui, a très bien compris que j’en savais suffisamment sur le sujet pour paraître suspecte. Sursautant quand je l’aperçois s’approcher de moi, je gémis et détourne le regard de ma fille, tout en marmonnant:

Connor, lâche mon bras, tu me fais mal…

J’exagère sans doute un petit peu, la douleur physique est loin de m’atteindre. C’est plutôt la fureur qui se dégage de ce geste spontané qui me poignarde directement en plein cœur. Nous quittons précipitamment la chambre pour nous retrouver dans un couloir froid, clinique, inhospitalier au possible. Je ne suis clairement pas à mon aise, arpenter ces lieux me ramènent à une période de ma vie que j’aurais préféré oublier. Ils me rappellent le décès de ma mère et ce que j’ai dû sacrifier pour espérer sauver sa vie…
Mais je n’ai pas le temps de me lamenter. Connor exige des explications, ne tourne pas autour du pot afin de me demander des comptes. Je réfléchis à toute vitesse, commence à prononcer ce mot, afin de gagner du temps:

Je…

Eli, rassemble tes esprits. Tu es au pied du mur, ton mari ne lâchera pas l’affaire. Il suffit de croiser son regard pour savoir. Pour comprendre. Pour y déceler un trait de caractère que j’ai toujours adoré chez lui, auparavant mais qui me fait à présent défaut: la transparence. Alors, plus d'échappatoire, il faut te mettre à table. Vite. Et de manière la plus concise possible. Hors de question de faire tourner en bourrique Connor, il est suffisamment à fleur de peau comme ça.
Allez, Eli. Tu peux y arriver. À détruire encore un peu plus sa vie.
D’une lenteur d’escargot et avec l’assurance d’un panda roux, je finis par articuler, le regard fuyant:

Comment te dire, euh… Depuis des mois, un corbeau me fait chanter. Il… Je ne connais pas son identité mais voilà, il m'envoie des courriers, me demande de fortes sommes d’argent… Et dernièrement, il a menacé de s’en prendre à Harper. C’est… C’est pour ça que je suis revenue à Monterey. Pour mettre la main dessus, pour protéger notre famille…

Eli, tu es maladroite en la matière, et ce n’est pas nouveau.
À quel moment as-tu pû croire que tout allait s’arranger, simplement parce que tu le désires…?
Parfois, on espère si fort, on pense même croire aux miracles.
Jusqu’à ce que la réalité finisse par abattre sa main vengeresse et déchaîne sa colère sur les plus vulnérables.

Harper… Connor…
Pitié, accordez-moi votre miséricorde… J’ai tout fait pour empêcher cela mais…
L’inévitable est arrivé, malgré ma farouche détermination à faire barrage.
Une fois de plus, j’ai échoué, j’ai tout gâché…

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Un empoisonnement ? Vraiment ?
Ma fille vient d’être empoisonnée par la faute de sa mère absente depuis ces dix ans ?
J’essaye tant bien que mal de digérer cette information qui vient de m’assainer comme un grand coup de massue.
La fureur qui prend possession de tout mon être, à cet instant, s’abat sauvagement sur celle que je pourrais qualifier comme étant ma femme, mais qui ne l’est véritablement plus depuis bien longtemps. Lui faisant face, je n’attends d’elle que des explications, que la vérité. Chose dont je n’aurais jamais droit sortant de sa bouche. Avec le temps, j’ai bien compris qu’avec Eli, il est impossible de connaître le fin mot de l’histoire. Toujours des histoires compliquées et bien rocambolesques. Jamais rien n’est de sa faute surtout. Le blâme peut toujours être rejeté sur l’autre. Assumer ses torts ne fait certainement pas partie de ses bonnes volontés. Je n’arrive plus à voir les bons côtés en elle. Ceux que possédait la femme dont je suis tombé amoureux. Mais la vérité est, que je le ne la reconnais plus, cette version d’elle. Même si elle a dû s’armer de bien du courage pour me faire face aujourd’hui, je me laisse grandement influencer par ce qu’elle nous a fait subir c’est certain. Aveuglément, je serais prêt à affirmer qu’elle est de retour pour une toute autre raison que celle qu’elle souhaite bien me divulger. Ultimement, Eli n’est là que pour elle. Égoiste, comme elle l’a toujours été. Penser à elle avant tout.

Et dans un élan de fureur, je me rends à peine compte que je serre son bras avec une telle fermetée que je suis en train de lui faire mal. Plus ma main se reserre autour de son bras et plus je sens la colère m’envahir. Je finis par la lâcher, me reculant légèrement, faisant difficilement face au geste que je viens de commettre. Je ne suis pas de nature violent. Pas du tout même. Mais là, on parle d’Harper et de sa santé. Et Eli semble être celle qui est venue ajouter son grain de sel à toute cette mascarade. La colère que je dirige vers elle me semble donc, tout d’un coup, très légitime.

En écoutant son histoire, je suis pris d’un effroyable fou rire qui sonne même beaucoup trop sarcastique.
Protéger notre famille ?
Il y a bien longtemps qu’elle a perdu ce droit. Qu’elle ne peut plus prétendre au titre de protectrice d’une quelconque personne de cette famille ou même, de quelqu’un qui en a quelque chose à foutre des Hartley. Parce que, ne nous bernons pas, elle n’en a rien à foutre ni même d’Harper, ni même de ma personne. De sa propre fille. De son propre mari...

Et tu avais l’intention de nous protéger comment Eli, dis-moi ? Que j’ose lui demander en la confrontant directement. Je serais prêt à parier qu’elle n’en a strictement aucune fichue idée. Alors, tout ça, c’est de ta faute Eli... je m’approche dangereusement d’elle, mon regard noir ne la lâchant pas une seule seconde Et tu devras vivre avec ça sur la conscience jusqu’à la fin de tes jours. Regarde bien Harper une dernière fois, parce que tu ne la reverras plus. J’y veillerai personnellement. Et crois-moi, elle ne s’y opposera pas. Je crois bien qu’elle n’a aucune envie de te revoir.

Je sais que ce que je suis en train de lui balancer peut paraitre horrible. Mais la vraie coupable dans cette histoire, c’est bel et bien elle. Elle ne peut être que la seule à blâmer... pas vrai ?

HJ : Affreusement désolée pour ce temps de réponse

tw :: abandon, empoisonnement, problème cardiaque

Fin mai 2023

Je ne me suis jamais autant senti mal à l’aise de toute mon existence. Et c’est un euphémisme de le dire. Le cœur au bord des lèvres, la vision troublée par des larmes que je ravale, ma fierté et mon égo restant plus forts que tout. Mon cerveau emmagasine l’information, tente de la digérer, sans succès. Mon bébé est malade, en danger de mort même, et ce n’est pas exagéré d’avancer cette vérité. Je viens de la prendre en plein visage, en réalisant l’état de faiblesse de Harper, allongée dans ce lit d’hôpital. Le médecin a livré un verdict foudroyant, sans appel et le regard jeté par mon mari a été la goutte de trop.
Et tout ceci… par ma faute.
Je le réalise pleinement, je n’ai pas besoin que Connor me le rappelle, celui qui a été un mari dont j’étais follement amoureuse dans le passé mais qui est surtout devenu ma némésis dans ce présent dont j’aimerais m’enfuir à toutes jambes. Mais je ne peux pas non plus ne pas le considérer, cela fait bien trop longtemps que j’agis de la sorte avec lui.
Je dois enfin affronter mes erreurs, dévoiler les choses telles qu’elles sont, lui fournir un niveau d’information acceptable. Afin que nous soyons tous les deux sur la même longueur d’ondes. Enfin.
Mais rien ne se fait sans conséquence et tout a un prix, dans la vie, je le sais mieux que quiconque. Quelque part, je suis heureuse d’être sortie de la chambre de Harper, même si je trouverais toujours trop écourtés les rares instants où je peux poser un regard attendri sur son adorable visage. C'est un véritable crève coeur de la quitter mais la vérité n’attend pas et malgré l’extrême et insupportable tension qui règne entre Connor et moi, cette discussion est inévitable. Armée d’un courage insoupçonné, je lui explique la situation, avec le plus de détails possible. Au fur et à mesure de mes confidences, je réalise la portée de mes propos. Quelle horreur. Quel affront. Mon passé qui revient, tel un boomerang, et qui, de nouveau, affecte ma famille. Celle que j’ai protégé, envers et contre tout. Mais Connor ne l’entend pas de cette oreille, ne veut rien entendre et préfère parler, parler, parler. M'assène des coups imaginaires, enfonce le clou, toujours plus loin. Ma culpabilité n’est pas sans pareil mais je ne peux lui en vouloir. Je reste impassible, les lèvres tremblantes, les mains enfoncées dans les poches de mon trench que je resserre, souhaitant sans doute me protéger de l'abomination que je vois, désormais. Je sens que je n’ai plus rien à faire ici. Ou plutôt, que j’aimerais m’investir à plus de mille pourcents dans ces retrouvailles mais que jamais je ne pourrais en saisir l’opportunité.
Tout est fini. Et même si je suis têtue, je sais aussi quand une situation vire à l’échec. D’une voix éteinte, baissant le regard vers le sol de ce couloir, je finis par abdiquer, murmurant:

J’ai compris, Connor. Je m’en vais. Mais sache que je n’ai jamais voulu ça, jamais… Même si tu ne me crois pas, c’est la simple vérité. Prends bien soin d’elle, mais je sais qu’elle s’en sortira. Notre fille est vraiment une battante.

Je n’ai qu’une envie: fondre en larmes. Pourtant, je pars, sans me retourner. Une nouvelle fois.
Quand cessera de battre dans ma poitrine le coeur d’une femme et d’une maman brisée? Sans doute jamais, Eli Hartley, tu le sais mieux que personne.
Les aiguilles tournent, sur le cadran de ta montre, et tu sais que le temps passé ne pourra jamais être rattrapé. Et que le temps qui s’écoule désormais ne t’appartient plus.
Le soir où tu as décidé de partir, tu as pris une décision irréversible.
Tout acte comporte des conséquences.
Que tu paies aujourd’hui…