Un cours de danse de salon ? Vraiment ? Comment suis-je parvenu à me retrouver dans cette pièce, au milieu de toutes ces personnes inconnues, vraiment très, très nombreuses ? Rappelons que je ne suis ni à l’aise en société, ni au milieu de la foule, et que les contacts physiques avec des étrangers me demande toujours une grande énergie psychique. - Vous êtes là pour la remise en forme ? - Ou…Oui. Ou non, pas vraiment. Je ne sais pas ? - Parfait ! Suivez-moi, je vais vous indiquer votre place. Quel est votre prénom, dites-moi ?

C’est ainsi que mon calvaire a débuté. J’ai balbutié mon nom, et l’accueillante m’a collé une grosse étiquette blanche sur la poitrine avec écrit en gros : ARCHIBALD. J’ai regardé, horrifié, ce morceau de papier. Les seuls à utiliser mon prénom dans son intégralité sont mes parents. Il est, à mes yeux, associé à une forme de sévérité aux antipodes de ma personnalité. Dire que je n’ai même pas osé détromper la demoiselle ou demander un correctif. Je ne me suis pas plus autorisée à quitter la salle. En croisant mon propre regard, figé dans la succession de miroirs accrochés au mur, j’ai eu l’impression de voir un petit garçon perdu et penaud. À tous les coups, je me suis trompé de lieu ou de date pour ce rendez-vous.

Trop vite à mon goût, on nous demande de prendre place. Encore plus rapidement, notre professeur se place face à nous pour nous enseigner les premiers pas d’une célèbre chorégraphie de country. Je suis fichu ! Ah, si seulement le sol pouvait s’effondrer sous mes pieds. Je prie pour que la terre m’avale tout entier, qu’elle me cache et me préserve de ce supplice à venir. Bien sûr, rien ne se passe comme mon imagination le propose. Alors, j’essaie, maladroitement de suivre les pas, cachés au fond de la salle. Moi qui me croyais à l’abri, je me sens complètement démuni au moment où d’un “coaster step” difficilement réalisé, je me retrouve tout à droite de l’assemblée des apprentis cowboys.

Le drame survient un tour plus tard. Je m’emmêle les pieds, grignoté par la panique. En perdant tous mes moyens, j’oublie pourquoi je me trouve ici ainsi que tout ce qu’on vient de m’enseigner. Ma tentative, pour reprendre le rythme se solde par un échec. J’ai l’impression qu’ils forment un ensemble cohérent, qu’ils bougent dans un même souffle. Ce pourrait être jolie sans ce grand imbécile brun que je suis, qui finit par gêner le danseur sur le côté, se prendre les pieds dans le sol, et manquer de s’étaler sur sa voisine. Nous nous rattrapons de justesse l’un à l’autre. Je tiens encore ses avants-bras au moment de lui dire : - Par… Pardon ! Toutes mes excuses ! Je suis vraiment navré ! Désolé ! Tout ça, vraiment ? Oui, tout ça ! Je commence à peine à travailler sur le sujet, voyez vous ! En cas de crise, mes mauvaises habitudes ressurgissent. D’un sourire penaud, j’efface ma grimace maladroite. - Je crois que je ne suis pas du tout fait pour la danse. Trop raide. Trop stressé. Trop ailleurs. À bien regarder, le visage de cette jeune femme ne m’est pas inconnu. Je suis persuadé de l’avoir déjà vu quelque part. Mais où ?

HJ: :

Groover ? Le terme me fait doucement sourire, surtout prononcé d’une si jolie façon. Une énergie certaine nimbe ma malencontreuse victime. Une chaleur bienveillante se diffuse tout autour d'elle, qui n’est pas sans me rappeler celle d’une personne chère à mon cœur. Quoi que… Peut-être que j’imagine totalement cette ressemblance juste pour me fournir une excuse digne de ce nom et songer à Eden. Penser à lui me rend tout de suite beaucoup plus courageux. Plus serein aussi… - Peut-être que la country a des vertus qu’on ignore pour aider à se remettre en forme ? Si ce n’était que le ton de ma voix, je serais pris au sérieux ! Mais il y a cette toute petite lueur d’humour dans le fond de mes yeux ainsi qu’un soupçon de malice dans le dessin de mon sourire. - C’était une plaisanterie… Qui aurait eu moins de chance de tomber à l’eau si je ne l’avais pas précisé.

Les danseurs bougent tous ensemble dans un même mouvement, frappent dans leurs mains en tournant sur eux-mêmes. Je panique totalement en cherchant à reprendre le rythme de la troupe. - Je… Je n’étais pas non plus venu pour ça…Comme si ça n’était pas évident au vu de mes tentatives désespérément maladroites pour me fondre dans le paysage. Essais qui se soldent, bien évidemment par de monumentaux échecs ! - Moi aussi je… Nouveau claquement. Je frappe des mains et tourne avec un temps de retard. Il faut croire que je suis voué à me trouver en décalage avec le reste de l’univers. - Je pensais être là pour un cours de remise en forme. Je… Je m’appelle Archie et… Pour ce nouveau quart de tour, je ne fais même pas semblant d’essayer de suivre. Je me contente de me remettre dans le bon sens en évitant de gêner les mouvements de mes voisins les plus directs.

Je glisse un regard à la jeune femme, désormais juste devant moi. - Je ne voudrais pas paraître impoli, mais j’ai l’impression de vous avoir déjà vu quelque part. Si c’est le cas, je suis vraiment navré de ne pas me remémorer votre prénom… Bien sûr, j’aurais pu le lire sur cette fameuse étiquette, mais… Cela aurait manqué d’honnêteté, non ? Sur un dernier claquement des mains et un quatrième quart de tour, nous voici de nouveau côte à côte. Espérons que ce rythme infernal va se calmer ! - J’ai une très mauvaise mémoire, parfois. Je le précise, de façon à argumenter mes excuses tout en lui faisant sentir qu’elle n’a rien à se reprocher.

@Marlo Bloom

HJ:

Faire demi-tour et se barrer ? Est-ce qu’on peut vraiment ? J’envisage sérieusement de mettre fin à cette séance de torture. Ce n’est pas l’activité en soi qui me dérange, ni même la compagnie de la demoiselle, je suis juste profondément mal à l’aise en présence d’autant de monde. En même temps. Dans une pièce réduite. Pour le presque ermite que je deviens, cela fait beaucoup. Si l’on ajoute en plus le bruit de la musique, couvert par les encouragements dynamiques de notre coach, ainsi que les mouvements répétés et fluides juste à côté de moi, cela devient infernal. Pour moi, j’entends. Mon attention se trouve surchargée par un nombre trop important d’informations. Je subis une sorte de surcharge sensorielle et mentale qui ne m’aide en rien à retrouver mes marques tant je me mets en hypervigilance. Alors, je m’accroche, un peu naïvement, à l’attitude solaire de ma camarade. Puisque je ne peux décemment pas partir - je n’en ai pas le cran - alors, autant s’essayer à ce très étrange exercice.

La pause survient au moment le plus opportun. - Enchanté, Marlo. Oh ! Je suis navré, je… Je ne suis pas beaucoup l’actualité cinématographique. Je n’ai même pas de télé chez moi. J’affiche un air navré, sans savoir si c’est réellement un problème. Je me passionne pour beaucoup de domaines, mais je dois admettre que certains m’échappent totalement, a contrario. Si Eden ne m’avait pas parlé de sa carrière d’acteur, j’aurais pu ne jamais être au courant. - Pourtant, il me semble avoir déjà entendu votre nom de scène… Était-ce dans un journal ou ailleurs ? Pas la peine d’essayer, je n’arriverais pas à m’en rappeler ! J'ai l'art et la manière de retenir, ce qui pour d'autres n'est qu'un détail, et d'oublier tout ce qui a de l'importance pour le commun des mortels. Tout en réfléchissant, je bois quelques petites gorgées d’eau. - Si vous vous enfuyez, emmenez moi, s’il vous plaît ! Un sourire, empreint d’autodérision naît doucement sur mon visage. - Ils ont tous l’air de parfaitement savoir comment s’y prendre. J’ai désespérément besoin de soutien et je crois que je n’oserais jamais partir de cette pièce avant tout le monde. Ma bonne éducation m’en empêche, ou bien le carcan de la politesse. Je ne m’imagine pas contrevenir à la direction générale. J’essaie, tant bien que mal, de me fondre dans la masse. - J'aurais trop peur d'être sanctionné par notre coach. Elle me fait penser à une de mes institutrices quand j'étais enfant. Spoiler : ce n'est pas un compliment. - Est-ce que vous accepteriez de me remontrer les pas ? À nous deux, peut-être qu’on va réussir à s’en sortir pas trop mal ? Quoi que je ne serais pas contre un coup de pouce pour me défiler. Seulement, est-ce que j'oserais ?

@Marlo Bloom