a life, a story
1 ∞ J'aurais aimé t'écrire le plus beau des poèmes

Naître avec une cuillère en argent dans la bouche n'implique pas nécessairement de devenir un dédaigneux égoïste. Ma mère disait de moi que j'étais un enfant facile, calme et docile. Ma grand-mère me trouvait des airs de chérubin. Mon père lui, insistait pour que je descende de mon nuage. Pourquoi j'aurais dû ? De là-haut, tout était plus beau. Plus lumineux. J'étais un rêveur. Je me passionnais de tous les petits miracles quotidiens. Les fleurs avaient ma préférence, même si mon cœur se serrait dès que je les voyais se faner. J'en ai pleuré, des heures durant. Si inconsolable que la seule parade, trouvée par ma mère, fut de nous constituer un jardin particulier.

Est-ce qu'on s'est moqué de moi ? Peut-être bien. Je n'y ai jamais prêté attention. La vie me coulait dessus sans m'atteindre. J'étais heureux... Enfin, il me semble. En tout cas, j'étais "ailleurs".

2 ∞ Et construire un empire juste pour ton sourire


Ce n'est que plus tard que les choses se sont "corsées". Enfin, corsées. Je ne me suis jamais senti à ma place nulle part. J'ai peiné à me faire des amis, peiné plus encore à les garder. Un rien m'écorchait. Doté d'une sensibilité plus accrue que la normale, je faisais les frais d'une génération de moins en moins en phase avec la bienveillance. À notre époque, on distribue plus facilement les blâmes que les louanges. Les injustices scolaires me déchiraient le ventre.

Il paraît que 16 ans est le plus bel âge. Pour moi, cela a signé la fin de l'innocence.

3 ∞ Devenir le soleil pour sécher tes sanglots

Je suis responsable de la mort de mon meilleur ami. Rien ne sert de blâmer la Porsche nouvellement acquise pour fêter mon permis de conduire. Inutile de rejeter la faute sur le vendeur de la supérette qui a laissé passer de fausses cartes d'identité. Je suis le seul responsable. Je nous croyais invincibles. Nous ne l'étions pas.

Mon père a versé des sommes astronomiques pour étouffer l'affaire tout en m'évitant la prison. Évidemment, il s'attendait plus ou moins à un retour sur investissement.

4 ∞ Et faire battre le ciel pour un futur plus beau

Alors, j'ai essayé. Je jure que j'ai essayé. J'ai tenté de me fondre à cette prétendue normalité. Malgré les crises d'angoisse à répétition, cette angoisse chevillée au ventre et mes cauchemars. Hanté par le passé, rongé par la culpabilité, j'acceptais sans broncher les sermons paternels sur mes notes médiocres. Ma mère pleurait parfois, dans un silence digne. L'ivresse a été ma bouée de sauvetage. Petit à petit, très progressivement, les mécanismes de l'addiction se sont mis en branle jusqu'à ce que je sois incapable de passer une journée sans boire. Avoir 17 ans et être alcoolique, il n'y a que dans les séries adolescentes et les romans mièvres que cela sonne romantique. Mon besoin de m'anesthésier dépassait le cadre du raisonnable.

N'ont-ils vraiment rien remarqué ? Sont-ils réellement passés à côté de leur bar qui se vidait ? De mes sorties nocturnes ? Des bouteilles vides dans les ordures ménagères ? Ou n'ont ils rien voulu voir ? Rien voulu admettre, par peur que cela ne devienne trop réel. Imaginez... La tâche indélébile que cela aurait été sur leur réputation.

Étrangement, mes notes ont d'abord remonté. Diplôme en poche, l'université s'est dessinée à l'horizon. Loin des diktats familiaux, je me suis retrouvé beaucoup trop libre. Je me suis lié d'amitié avec des artistes, des marginaux, des êtres si éloignés de mon mode de vie qu'ils me paraissaient fabuleux. L'été suivant, mes parents m'imposaient un "stage de perfectionnement en dessin technique". C'est ainsi qu'ils ont appelé ma première cure de désintoxication.

Je n'étais pas prêt. Je suis resté sobre quatre mois. Les examens ont eu raison de ma volonté. Ça a duré comme ça jusqu'à l'obtention pénible de bachelor.

5 ∞ Mais c'est plus fort que moi, tu vois je n'y peux rien

En 2016, à l'âge de 24 ans, la pression a fini par m'avaler tout entier. Je vous la fais brève : hospitalisation forcée, passage chez les forces de l'ordre (encore étouffé), nouveau "stage de perfectionnement" et retour à la maison. La décision était prise : je rejoindrais les équipes de la société paternelle, en qualité de consultant.

Trois mois. J'ai craqué, cédé, tout abandonné. Je me suis tiré sans papiers d'identité, ni carte de crédit. J'ai tout abandonné derrière moi. Même Héra, mais non sans lui laisser un mot pour la prévenir. Aux heures sombres ont succédé des jours sordides. Une lumière, pourtant, a fini par percer.

Wilma m'a trouvé. Ses excentricités illuminaient mon quotidien. Mon âme a retrouvé un peu de paix, dans ses jardins. Elle m'a offert un toit, un endroit où vivre. Retrouver une certaine stabilité m'a pris du temps. Peut-être même, est-ce encore fragile.

L'association des alcooliques anonymes m'a apporté plus de soutien que ma propre famille. J'ai suivi les étapes du programme à mon rythme. Amusant quand on sait que je ne suis pas réellement croyant. Réparer mes torts a été le plus difficile. Cela m'a laissé un sentiment d'échec, d'insuffisance. C'est ainsi, j'apprends à vivre avec. De simple loisir apaisant visant à m'occuper les mains et la tête, le travail du bois est devenu une passion. Un métier.

6 ∞ Ce monde n'est pas pour moi, ce monde n'est pas le mien

À la fin du mois du septembre 2023, sa route croise celle d’Eden, lors d’une réunion des alcooliques anonymes. Son regard fait trembler ma perception du monde. Tout disparaît autour de lui. Alors, papillon attiré par la flamme, je l’aborde dans l’idée de pouvoir devenir un soutien. Nous passons la soirée ensemble. La fluidité de nos échanges me bouscule. Le regard qu’il porte sur le monde m’émeut. Est-ce que je tombe amoureux ? Est-ce qu’on peut encore croire au coup de foudre à notre époque ? Pourtant, je me refuse à me lancer dans une histoire. Je préfère lui proposer mon amitié. Seulement, mon amitié. C’était naïf de croire que l’on pourrait s’en satisfaire. Cet homme me fascine. Je sens, pourtant, diffusément, que je pourrais me noyer, me perdre, me dissoudre de trop l’aimer. Ai-je vraiment le droit d’être heureux ?

7 ∞ Épitaphe

- Archie n'est pas tatoué, mais percé à l'oreille.
- Il peut se montrer rancunier dès lors que la blessure qui lui ait infligée met à mal sa stabilité émotionnelle
- Il est en quête d'une forme de paix intérieure, médite, et pratique l'auto-hypnose
- Depuis toujours, il se sent mal à l'aise en société. Cela s'est accentué au fil des années. Les fêtes bondées, les foules humaines, lui donne l'impression de ne pas avoir les codes pour se fondre dans la masse.
- Le vague à l'âme collé à la peau, Archie n'a jamais perdu sa capacité à se saisir des fulgurances de beauté dans son quotidien. Il oscille entre la naïveté et une lucidité pragmatique, parfois perdu dans le flou entre les deux.
- Sa pire manie est d'oublier tout ce qui ne fait pas suffisamment sens dans son esprit : les rendez-vous professionnels, le déjeuner programmé avec sa mère il y a trois mois, le jour où il devait se rendre chez le dentiste, les factures à payer. Il oublie. Il zappe. Ça manque de poésie.
- Il a pour habitude de marcher énormément en ville, la nuit. Pour autant, il se réveille à l'aube, ce qui le conduit à pratiquer intensivement la sieste.
- L'équilibre de sa famille s'avère fragile. Il est le fils aîné d'un détenteur d'une chaîne d'hôtels de luxe, et d'une comédienne à la carrière avortée. Son père ne l'a jamais pardonné d'être ce qu'il est et, surtout, de ne pas s'être remis correctement sur pied. Il le contraint pourtant à participer à certaines réunions, sans jamais s'écarter des sujets professionnels. À ses yeux, il est grand temps qu'Archie grandisse, laisse de côté ses rêves et prenne sa place dans la société. Sa mère, de son côté, agit avec une ambivalence folle. Entre la surprotection mielleuse et le silence radio. Elle ne s'opposera jamais directement au diktat paternel. Il a un frère, Auguste, un peu plus jeune que lui. Leurs relations sont délicates et complexes.