La dernière fois qu’elle était entré dans un hôpital, c’était au réveil de sa mère. Mais Luna se souvenait que ce jour-là, elle avait craqué. Elle était redevenue la petite enfant qui avait besoin de son papa, de son amour, de son soutien, malgré ses vingt-trois années et sa grande maturité en général. Mais elle le savait, toute sa vie, son père resterait son père. Son tout, l’homme qui avait toujours été là pour elle ou du moins qui avait tenté de l’être comme il pouvait, malgré les tensions avec sa fille. Luna avait longuement regretté son comportement envers son père. Le réveil de sa mère avait subitement tout résolu, comme si toute la haine qu’il avait pu avoir envers lui avait disparu. Luna n’avait elle-même pas compris comment elle avait pu switcher d’un état à l’autre mais la réalité était simple : elle avait eu besoin de son père et elle avait mal en même temps. Alors, la seule réponse avait été la colère. Une colère sourde, sans communication, qui n’avait fait que nuire à leur relation père-fille. Mais depuis quelques mois, tout allait pour le mieux. Luna se sentait divinement bien. Sa mère s’était réveillée, elle était en couple avec Nathan depuis bientôt six mois officiellement, elle était partie plusieurs fois en voyage avec lui et ils envisageaient même d’habiter ensemble.

Ils étaient en vacances quand elle avait reçu le message de Nyls. Cela devait être une surprise de Nathan, une semaine où les deux tourtereaux se ressourcent avec l’enfant qui était gardé par son père. Mais du jour au lendemain, Luna avait vu son monde s’effondrer. D’abord, Freya n’était simplement pas en forme, d’après ses dires. Luna était devenue tellement stressée qu’elle n’avait pas dormi de la nuit et c’était Nathan qui avait décidé d’écourter le voyage, voyant qu’elle ne se calmerait pas tant qu’elle n’aurait pas vu sa fille. Luna s’était excusée de nombreuses fois, elle savait que Nathan avait mis beaucoup du sien pour ce séjour et s’en voulait cruellement d’être aussi inquiète pour sa fille. Mais si elle était à l’hôpital, Luna ne pouvait pas se permettre d’être absente.

Quand elle entra dans l’hôpital en compagnie de Nathan, Luna sera fort sa main et chercha son regard pour y retrouver du réconfort. Elle poussa un profond soupir d’inquiétude et demanda la chambre de Freya Norwood. Le couple s’y rendit dans le silence, Luna était incapable de placer un mot sans voir son père et sa fille. L’ascenseur retentit en arrivant à l’étage désiré et s’ouvrit beaucoup trop lentement pour Luna qui passa entre les portes qui s’ouvraient, lâchant la main de Nathan. Elle cherchait le numéro correspondant sur les portes, presque au pas de course, la panique dans le regard. Au tournant d’un couloir, elle reconnut la silhouette de son père vers laquelle elle se précipita pour le prendre dans ses bras. « Où est-elle, papa ? Comment va-t-elle ? » Elle ne prit même pas le temps de présenter Nathan, trop inquiète pour la santé de sa fille.  

Faire la connaissance de ma petite fille. Enfin.

Une expérience lambda pour le commun des mortels mais qui relève de l’extraordinaire dans mon cas. Fâché depuis de nombreuses années avec Luna, ma fille chérie, j’ai enfin l’immense plaisir de partager du temps avec Freya, dont je ne connais que le prénom. La chaire de la chaire de ma chaire. Un être que j’ai aimé à la seconde même où j’ai appris son existence et avec lequel j’ai enfin la chance de partager du temps. Tandis que je l’observe, secrètement, dans mon immense salon trop souvent délaissé, en train de jouer grâce à une acquisition toute récente, je me fais une réflexion sans pareille: elle ressemble tant à sa mère. Ma mémoire est si précise quand il s’agit de Luna, je me souviens de chaque instant que j’ai partagé en sa compagnie tant ces privilèges étaient un trésor inestimable à mes yeux. Bien entendu, les remords, les regrets, sont devenus monnaie courante dans mon quotidien et quelque part, je cherche à rattraper le temps perdu en compagnie d’une version miniature de mon enfant adoré. Je me sens si chanceux, si honoré que Luna m’ai confié sa garde, le temps de ses vacances hors de Monterey. Le programme paraît si simple, si fluide: quelques films regardés, un goûter dévoré, des activités en pagaille et même, pourquoi pas, une initiation à mon jeu préféré: les échecs. Je peux apercevoir dans son regard enfantin que son esprit est déjà si vif. Une véritable Norwood dans l’âme et je me fais une joie de poursuivre notre séjour commun, c’est un plaisir de pouvoir organiser, prévoir, planifier, se réjouir.

Et pourtant, rien ne se passe comme prévu.
Pour changer.

Dès le premier réveil, une tension apparaît, un inconfort physique exprimé par Freya, des jérémiades qui me tourmentent aussitôt. Bien entendu, je reste aux aguets et ne quitte pas ma petite fille du regard, jusqu’à l’impossible. Tombant dans les pommes sans crier gare, elle ne se réveille pas malgré mes supplications impossibles, je me résous donc à l’emmener à l’hôpital, de toute urgence. Les évènements s’enchaînent si rapidement que je perds le fil du temps mais je n’oublie pas de prévenir Luna, non sans une once de culpabilité. Après tout, ma fille profite de vacances bien méritées, d’un séjour qui est censé être plaisant. Et voilà que je gâche tout car je ne sais m’occuper de sa fille… Vraiment, je suis irrécupérable.

À quelques centimètres du lit où est installée une Freya au plus mal, je tremble de peur, d’impatience et également d’angoisse sans pareille. Quand la porte de la chambre s’ouvre, laissant place à mon adorée complètement paniquée, je me jette dans ses bras et murmure, ma bouche collée à l’oreille droite de ma fille qui ne quitte du regard sa progéniture:

Elle… C’est grave, Luna…

Très bonne entière en matière, c’est vrai, il n’y a rien d’angoissant dans mes dires. J’ai le chic pour entretenir le suspens, comme on dit… Soupirant, je finis par remarquer la présence d’un jeune homme dans la pièce et me redresse, adopte un ton impérieux afin de me présenter en bon et dûe forme:

Enchanté, Nyls Norwood, le père de Luna. Vous êtes…?

… Son petit ami, de toute évidence? Nyls, tu es tellement vieux jeu et quelque peu sur les dents, tu es si ridicule. Ton visage fermé n’est pas avenant et pourtant, tu ne peux pas t’en empêcher. D’être désagréable, d’être condescendant, d’être… un père et un grand père protecteur et légèrement sur la défensive.

La situation ne pourrait être plus grave.
Je me sens si impuissant et à la fois, si coupable.
Suis-je encore capable de m’occuper des gens que j’aime et qui compte pour moi, ça, je me le demande…

 

Nathan n'a que très peu connu un véritable amour paternel dans sa vie d'enfant puis d'adolescent et que dire de celui d'une mère. Ayant connu la sienne qu'à l'époque du collège, il s'est toujours méfié de l'amour en général mais pourtant, Luna lui a fait croire en quelque chose de sincère. Tenant à la blonde, elle qui est un mélange de confidente, d'amante et de meilleure amie. Si au début de leur relation, il a hésité à vraiment lui avouer ses sentiments, ce qui aurait pu être la fin mais leur voyage ensemble a permis qu'il se dévoile enfin. Une simple phrase prononcée, deux mots et sept lettres qu'il a dit tout naturellement quand il ne s'y attendait pas au moment de prendre l'avion pour Miami.

Un voyage idyllique pourtant bien vite noirci par l'annonce si déchirante que le père de la fille Norwood avait annoncé. Freya était malade. En voyant sa petite amie très attristée par la nouvelle, il n'a pas eu d'autre choix d'écourter le séjour. Prenant le premier vol pour Monterey, il ne lui avait promis de ne pas la laisser seule dans les couloirs froids de l'hôpital. Sa main entrelacée dans la sienne, il se sentait un peu de trop mais gardait la tête haute face à ce qui l'attendait. Qui sait dans quel état sera la petite fille quand ils pénétreront dans sa chambre ? Silencieux, il se contentait de soutenir du regard la jeune maman. Très fier d'elle, il n'a jamais douté de son rôle de mère, particulièrement admiratif de tout ce qu'elle fait pour la jeune enfant. Il aurait aimé avoir connu ce lien si indescriptible avec sa propre mère. Une chance qu'il l'ait quand même retrouvé, tout comme son faux jumeau Naveen. Essayant de chasser ses pensées négatives de son esprit, il suivit donc Luna à travers les couloirs pour rejoindre la chambre où un homme aux cheveux noirs, plutôt froid s'y trouvait.

Son père, assurément.

Quelle question, Nate, bien sûr que c'est son père, qu'est-ce que tu peux être con parfois qu'il se murmura intérieurement. Levant les yeux sur cet homme qu'il a l'impression de connaitre, il tendit sa main pour la serrer.

« Bonjour monsieur, je suis Nathan. Nathan Kennedy. » déclarait-t-il sur un ton qui se voulait calme. L'inquiétude qu'il pouvait lire dans les yeux de sa petite copine le figea sur place. Reprenant ensuite la parole, il se sentait un peu de trop dans cette discussion entre un père et sa fille, discutant alors de la santé de Freya. N'étant pas le père de la petite, il ne savait pas trop comment se positionner mais il l'adore et il se soucie bien évidemment de comment elle va. « Est-ce que vous voulez que j'aille vous chercher un café ou quelque chose pendant que vous discutiez tous les deux ? » demanda-t-il, cette fois ci tournée vers Luna.

Après tout, il était sûrement là depuis une bonne partie de la nuit et tout ce qu'il pouvait faire de son côté, c'est se rendre utile et être un soutien pour la femme qu'il aime. Si pour ça, il devait s'éclipser pour revenir plus tard, ainsi soit-il. Il sera là jusqu'au bout s'il le fallait. Pour chacun des Norwood.

Alors que Luna fonçait dans les bras de son père, lui chuchotant que la situation était grave, elle passa son regard derrière les épaules de son père. Et c'est là qu'elle la découvrit. Son enfant, sa petite princesse, son amour. Elle était allongée sur le lit d'hôpital trop grand pour elle. Elle semblait si petite, si frêle ainsi. Endormie, les yeux paisiblement fermés, on aurait dit qu'elle ne souffrait pas. Mais les tubes qui partaient de son nez et de son bras disaient le contraire. Trop de fois Luna avait vu sa mère dans le même état, priant jour et nuit pour qu'elle lui revienne. Sa chance ? C'était que sa mère lui était revenue. Mais après avoir eu sa mère ainsi, elle s'imagina le pire et fondit en larmes, n'écoutant pas son petit ami et son père se présenter l'un à l'autre. « Oh, mon petit ange ... » Les yeux rouges, des larmes coulaient le long de ses joues. Elle s'approcha doucement et prit délicatement la main de sa fille. Elle déposa une de ses mains sur sa bouche pour étouffer ses sanglots. Elle passa une main sur ses cheveux blonds. « Freya, ça va aller ... » Elle finit par se retourner vers Nate et son père, l'un en face de l'autre. Elle perçut la tension de l'air mais préféra l'ignorer : elle avait plus important à gérer.

« Oui, s'il te plaît Nate. Merci. » De ses yeux embués, elle lâcha la main de sa fille pour se blottir dans les bras de Nathan et le laissa partir avant de se tourner vers son père, une forme de colère dans les yeux. « Donc je te laisse ma fille une semaine et t'es pas capable de t'en occuper ? Qu'est-ce qui s'est passé bon dieu pour qu'elle soit comme ça ? » Avant même que les mots ne sortent de sa bouche, elle avait senti qu'ils étaient bien plus violents que ceux qu'elle avait imaginé dans sa tête. Il y avait, dans son intonation, cette lionne protectrice avec son enfant, en fureur. Même si elle contenait une partie de sa colère, l'environnement avait réveillé une peur profonde, monstrueuse qui était en train de faire ressortir cette partie d'elle qu'elle n'aimait pas. Cette partie d'elle qui avait décidé d'en vouloir à son père alors que tout commençait à redevenir meilleur. Cette partie d'elle qu'elle avait toujours essayé de cacher à Nathan, de peur qu'il ne la voit plus de la même manière et qu'il décide de s'en aller. Cette peur de l'abandon, profonde, qui la poussait à repousser les gens avant qu'ils ne se débarrassent d'elle. Les larmes continuaient de rouler sur ses joues, même si elle tentait de les contenir. Je suis désolée, papa.