« On a toujours besoin d'un petit noeilnoeil chez soi. »

ft. @Soraya McKenna & Gregory Sutterlee 
Chez Soraya ; Septembre 2024 ; Monterey. CA.

mise en page made in Psyko

Coincé dans un passé qui n’existe plus, propulsé vers un avenir sans cesse en mouvement.

Tant de bouleversements indicibles inondent ma vie ces derniers temps, j’ai besoin de me reconnecter à mon ancre de toujours: Hailey. Ou plutôt Soraya, cette ambivalence au sujet des prénoms ne me plaît guère mais je n’ai jamais été du style à forcer le destin. Je tente de profiter de l’incroyable privilège de pouvoir compter sur ma petite sœur, peu importe la manière dont je l’interpelle. Croire, oui, cela m’a toujours collé à la peau. Et j’ai de nombreuses raisons désormais d’alimenter ce trait de ma personnalité. La première, essentielle, voir même primordiale, est Sofia. Le mensonge que j’entretenais vis à vis de ma relation amoureuse et fictive avec Martha n’a pas entravé notre histoire naissante et après cette nuit d’amour à Seattle, un changement de taille nous a lié, plus que jamais: elle est enceinte. Je m’apprête à devenir père et je réalise à quel point les rôles s’inversent et que je m’apprête à devenir le socle d’une vie de famille que je n’ai pas réellement désiré mais pour laquelle je me sens prêt.

Oui… Et non?

J’ai toujours laissé la vie décider à ma place et j’ai tenté, au fil des années, de m’adapter à ces rebondissements dignes des histoires pour lesquelles j’ai sacrifié tant de temps. Pour combler un trou infini, pour m’empêcher de trop penser? Sans nul doute. J’ai toujours ressenti un manque difficile à discerner dont j’étais la première victime. Une carence affective que j’ai tenté de combler au gré de mes différentes relations amoureuses, une volonté de trouver l’exceptionnel dans des caractères pourtant très riches. Éternel insatisfait, j’ai pu renouer avec la paix le jour où j’ai compris, dans le regard de Soraya, qu’elle était mon essentielle. Que cette fracture que j’ai connue le jour de sa disparition pouvait enfin devenir une histoire ancienne et que mes plaies allaient être pensées. Enfin. Mais le temps, oui, ne devait pas être ignoré. Il existait, il allait jouer avec notre patience et chaque nouvelle journée était une occasion de faire la paix avec mes démons. D’accepter un avenir prometteur, surprenant, loin d’être prévu mais… ce n’est donc pas cela, la merveille de l’existence? Accepter l’impensable, en faire une force et s’adapter sans cesse face à un bonheur qui nous ouvre volontiers ses bras.

Je nage dans un chaos délicieux, dans une situation propice aux anecdotes les plus rocambolesques, celles dont je me ferais un plaisir de délivrer aux générations futures, accompagnant mes dires par un sourire qui en dit long à travers les rides, méandre d’une vieillesse tant chérie. Mystérieux tout en restant un véritable livre ouvert, mon amour est un cadeau de la vie dont je n’arrive pas à me lasser mais que j’ai envie de partager avec la seule qui pourra sans doute le comprendre. Voilà pourquoi, après un passage nécessaire dans une des boutiques les plus boudées de la ville, j’affronte la porte d’entrée de la demeure de Soraya, que je ne connais que trop bien depuis le temps, et après avoir laissé mon doigt appuyer sur la sonnette, je découvre un visage qui me ravit, pour lequel je dégaine une voix mielleuse, tout en proposant:

J’ai… Euh… Monstre et compagnie, en DVD? Je sais, c’est un peu old school mais…

Ai-je vraiment besoin de terminer ma phrase? Le regard que je lance à Soraya veut tout dire: j’ai besoin de déconnecter de cette vie si mature, si adulte que je mène ces derniers temps. Je ressens l’irrépressible envie de me comporter comme un enfant aux côtés de celle qui, plus jeune, ne voyait que par… moi. Grâce à William, je sais quelle importance elle accorde à ce dessin animé et la symbolique de l’instant n’échappe à personne. Je me comporte comme un homme suppliant, presque pitoyable, mais je n’en ai que faire, j’assume ce comportement. Pire même, j’accentue mes failles, j’abaisse mes lèvres, je cligne frénétiquement des yeux. Mon langage corporel ne pourrait être plus criant.
Être apaisé, c’est tout ce que je demande.
Et je sais que ce souhait est partagé par Soraya. Par ma petite sœur.
En espérant qu’elle cache du pop corn dans ses placards, je dois avouer que j’ai une fringale, tout à coup…

« On a toujours besoin d'un petit noeilnoeil chez soi. »

ft. @Soraya McKenna & @Gregory Sutterlee 
Chez Soraya ; Septembre 2024 ; Monterey. CA.

Quarante-huit.
C’est le nombre d’heures que j’ai gardé Circé dans le creux de mes bras.
A lui murmurer des paroles pleines de sagesse, à la couvrir de baisers. A sentir son odeur de bébé afin que je puisse garder le souvenir de ma chair pour l’éternité. Quarante-huit. C’est aussi le nombre d’heures où ma raison et mon cœur se sont battus sans relâche afin de déterminer si oui ou non, je ferais une bonne mère pour elle. La conclusion est que, finalement, je ne pouvais pas lui offrir tout ce qu’elle méritait.

Je n’ai eu que quarante-huit heures avec cette merveilleuse petite fille mais j’ai chéri chaque minute, chaque seconde. Est-ce que je regrette mon choix ? Parfois oui, parfois non. Je suis convaincue que c’était la meilleure chose à faire, lui offrir les meilleures chances dans la vie. J’suis tellement éparpillée mentalement que j’aurais probablement été éparpillée avec elle aussi. J’voulais pas prendre le risque de lui donner une vie médiocre alors que le couple qui a emporté Circé semble être le bon choix de famille pour elle. Ils travaillent tous les deux, gagnent bien leur vie et ont une jolie maison. Leur salon est littéralement tout mon appartement, c’est pour dire. Elle ne manquera pas de place, ni d’amour j’en suis certaine.

Et parfois je regrette ce choix, parce que je voudrais la retrouver dans mes bras, la câliner, l’embrasser. Jouer avec elle. Chaque jour, je pense à elle et je me demande à quoi elle ressemble. Je l’imagine sourire, rire, gesticuler dans tous les sens. Pleurer aussi. Je me demande ce qu’elle est capable de faire, à quatre mois ? Puis, je compte les jours depuis qu’elle est partie et au train où ça va, je continuerai à compter les jours, sans fin. Il n’y a pas de compte à rebours, je ne compte pas les jours qui me rapprochent d’elle mais plutôt les jours qui m’en éloignent. C’est très difficile. Je me suis enfermée dans une bulle, je n’ai plus vraiment le goût de m’amuser, ni même de voir Kassandra. Tout ce que je veux, c’est qu’on me laisse tranquille, qu’on me laisse pleurer, crier, faire tout ce qui me passe par la tête. Je suis aussi devenue plus laxiste sur le ménage même si je me ramasse parfois. Disons que le ménage est devenu secondaire mais Papounet vient me rappeler à l’ordre quand j’exagère un peu trop. Je devrais peut-être engagé une femme de ménage ? Et avec quel argent Soraya ? Tu bosses pas des masses ces temps-ci.

Je devrais être en congé de maternité, profiter de mon bébé mais au lieu de ça, j’suis en arrêt maladie, pour dépression et je ne profite pas de Circé, c’est quelqu’un d’autre qui s’en charge pour moi. J’me demande si sa mère adoptive est en congé maternité ou si elle a déjà repris le travail ? Et c’est tout en me posant ce genre de question que j’entends la sonnette d’entrée. Je suis étonnée, je n’attends personne. J’me lève de mon canapé, ramasse mon carton de pizza de la veille que je jette dans la récupération avant d’aller ouvrir la porte en jogging.

Et quelle surprise de découvrir le grand frère Sutterlee devant mon entrée à agiter un film que j’affectionne tant. Un large sourire se dessine sur mon visage accompagné d’un long soupir de contentement. Je ne sais pas comment il a su mais, Monstres & Cie, c’est le seul dessin animé qui me convienne, surtout quand je vais mal. Je vais quand même pas lui dire que je l’ai dans mon armoire à DVD et que je l’ai regardé pas plus tard que hier…

« … c’est parfait ! »

Je l’invite donc à entrer, sans plus attendre. Je me sens un peu nulle parce que rien n’est vraiment rangé. Bon, ce n’est pas la mort, ça sent pas le rat crevé ni rien, mais y’a un peu de bazar. Gênée, je glisse mes doigts dans ma chevelure avant d’arrêter ma main sur ma nuque et d’avouer :

« Si j’avais su que tu viendrais, j’aurais rangé un peu… »