Tout est si fragile. ; ― / Début de l'été, Monterey, CA.

Rien ne nous prépare à ce que tout bascule dans notre vie.

Je le sais mieux que personne, c’est une leçon que j’ai appris par la force des choses. Moi qui pensais, aux côtés de Jacob, trouver l’amour de ma vie et vivre heureuse jusqu’à la fin des temps… Je me suis fourvoyée. Et lourdement. J’ai cru toucher du doigt le Paradis mais au lieu de ça, j’ai connu un véritable Enfer que j’ai fini par quitter, pour retrouver le havre de paix qu’a toujours été à mes yeux Monterey. Cette ville natale, qui m’a vu grandir, qui m’a choyé et m’apporte aujourd’hui une seconde chance que j’apprends à mériter. La confiance en soi est une denrée rare qui me fait toujours défaut mais renouer petit à petit avec des aspects d’une vie tranquille m’apaise et je ne cesse de m’émerveiller de ces cadeaux improbables. La liste est formidablement longue, qui plus est: de nouvelles amitiés, telles que Sofia et Caron, profondes et tellement belles, renouer avec mon jumeau Jeremy, son récent mariage et l’annonce de sa paternité, mon étrange relation avec Barthelemy, ce mentor musical avec qui j’échange par de longues et intenses lettres et surtout, ma nouvelle carrière qui décolle de manière aussi inattendue que constructive.

Oui, le constat est aussi simple que cela: je suis heureuse.

Et je me complais dans cette nouvelle routine, j’y trouve mon équilibre et une raison de savourer la Vie, tout simplement. Épanouie, je pose le pied à terre, en sortant de ce lit, dans cette chambre, dans cette maison. Un geste tellement généreux de la part de mon jumeau de m’avoir offert un toit sur ma tête, me sortant ainsi de mon appartement minable dans le centre ville. Les finances reprenant progressivement des couleurs, j’envisage de déménager ailleurs mais je suis effrayée à l’idée de vexer mon jumeau. Je lui serais éternellement reconnaissante de m’avoir apporté un foyer et une sécurité dont je manquais cruellement quand je suis revenue en ville mais j’ai besoin de faire les choses seule. De maîtriser chaque aspect de ma nouvelle existence et d’en être profondément fière.

C’est même devenue un élément capital pour ma survie.

Après m’être rapidement préparé, je rejoins mon shop, au cœur d’une rue animée et commerçante de Monterey. Je salue mes quelques voisins avec qui j’ai sympathisé tout en sortant mon trousseau de clés de mon gigantesque sac à main chiné dans une des boutiques de seconde main du centre ville. Mais malheureusement, je n’ai pas besoin de déverrouiller la serrure.
Étant donné qu’elle est déjà fracturée.
Plissant des yeux, je me questionne sur ce détail loin d’être insignifiant. Poussant la porte, je découvre alors un spectacle qui me foudroie le cœur en l’espace d’une demi-seconde. Tout est sens dessus dessous: mon matériel de tatouage est au sol, les meubles ont été jetés par terre, mes croquis déchirés en des milliers de petits morceaux. Estomaquée, je reste perdue, debout au milieu de ce champ de bataille, tournant autour de moi-même, remarquant un élément de plus qui me fait réaliser l’impensable.
Sortant enfin de ma torpeur, j’attrape mon téléphone portable, appuie sur mon contact d’urgence et tombe sur sa messagerie. Je n’hésite pas à lui laisser ce message vocal qui enfonce le clou de cette triste réalité:

JEREMY?! JEREMY… IL FAUT QUE TU VIENNES! MON SALON… IL A ÉTÉ SACCAGÉ!

Je n’arrive pas à ajouter quoi que ce soit de plus, je laisse mon téléphone glisser le long de mon oreille, finissant à genoux face au désastre impossible à corriger.
Et inévitablement, je me mets à pleurer. Me faisant cette affreuse réflexion:
Qu’une fois de plus, tout s’écroule autour de moi…