15 juin 2024. Ce matin, tu t’étais réveillée la boule au ventre, la gorge serrée. Tu savais que la journée allait être pénible pourtant il fallait le faire. Tu ne te voyais pas te morfondre dans ton lit et passer à côté de la journée de Lana. Il y a quelques semaines encore, elle était venue chez toi pour raconter ses derniers déboires amoureux et ses embrouilles avec son frère. Vous étiez toujours restés très proches, malgré ta rupture avec son cousin, Justus. Sans jamais entraver votre relation l’une et l’autre avec lui, vous aviez su faire la part des choses. Lorsque tu avais appris son décès, tu étais en studio en train d’enregistrer un son pour ton prochain album. Le cœur serré, comme si ton monde s’arrêtait, tu ne l’avais pas cru, avant que l’on t’assure, que ce n’était pas une blague.

Alors te voilà, devant ton miroir, vêtue d’une petite robe noire cintrée, laissant apparaître tes longues jambes fines. Tu avais remonté une partie de tes cheveux dans un petit chignon effet décoiffé, tandis que l’autre partie légèrement ondulée tombée dans ton dos. Tu ne te fatiguais pas trop à te maquiller, un peu de blush et un bon mascara waterproof allaient faire l’affaire. Ton jumeau t’avait appelé une heure plus tôt pour te souhaiter bon courage, mais aussi pour te souhaiter un bon anniversaire. Car en plus d’enterrer une amie chère, tu fêtais aujourd’hui tes 32 ans. Alors, bon anniversaire Marlo.

Tu t’étais faite discrète, ce n’était pas le jour de t’afficher comme la star de la journée. Toi qui aimais rayonner au centre de l’attention, aujourd’hui tu apprenais à te faire toute petite. Le moment au cimetière avait été très dure, des larmes avaient coulé, et après avoir salué ses parents que tu connaissais bien. Tu t’étais rendue à la petite cérémonie intimiste pour lui rendre honneur, dans une maison plutôt chaleureuse et ancienne. Tu avais bien sûr aperçu Justus, mais vos chemins ne s’étaient pas croisés, maintenant que certaines personnes s’étaient évaporés entre l’enterrement et le cocktail organisé en son honneur, peut-être que vous auriez l’occasion de vous parler. Pour le moment, tu avais rejointé cette petite fête, toujours de manière très discrète, tu avais pris une coupette de champagne et déjà un petit four, mais ton estomac te faisait comprendre que tu n’arriverais même pas à manger. Lana n’était plus là, ce n’était vraiment pas une blague.

15 juin 2024.C’est con mais il prend conscience que sa cousine Lana n’est plus là quand il voit sa photographie lors de l’enterrement. Elle est là, à quelques mètres de lui, en train de sourire sur cette photo de vacances et il se demande pourquoi il n’entend pas son rire. Car il se souvient encore de cette photo, du moment auquel cette dernière a été prise. Ils avaient ri. Elle lui avait balancé une remarque sarcastique pour le ramener sur terre … car Lana, elle avait toujours vu Justus comme Justus et non comme la super star que tout le monde s’arrache. Elle le lui rappelait toujours : il était l’idiot qui avait vomi dans ses mains quand il avait seize ans lors de sa première gueule de bois … ce genre d’anecdote, ça vous ramène directement sur terre.

Planqué derrière une épaisse paire de lunettes, il craint que les paparazzis soient là … et d’ailleurs, il sait qu’il y en aura … il y en a toujours et il ne parvient jamais à les ignorer, les éviter … il les sent toujours oppressant, tout autour de lui.

C’est uniquement quand ils se retrouvent dans la maison familiale qu’il peut enfin respirer. Enfin ! seule la famille et les amis proches sont présents, buvant quelques verres tout en partageant des tendres souvenirs. Aujourd’hui, on parle de Lana. Beaucoup. Justus se dit qu’elle aurait détesté être le centre de l’attention à ce point … ou qu’elle aurait fait comme si elle détestait ça mais n’aurait pas arrêté de lui dire le lendemain : t’as entendu ce que truc et bidule ont dit, etc … du Lana tout craché. Un sourire en coin se dessine sur ses lèvres à cette pensée. Elle lui manque déjà.

« Où est-ce que tu vas babe ? », lui demande sa mère en posant une main sur sa joue mal rasée.
« Dehors », souffle-t-il en tendant la joue vers elle pour qu’elle puisse y déposer un baiser car il sait que c’est ce qu’elle voulait faire. Elle lui tapote le dos et voilà qu’ils se retrouvent dans le jardin, se dirigeant d’un pas lourd vers une des balançoires, vestige de l’enfance passée ici. Il relève la tête quand il voit apparaître la silhouette de Marlo. Elle est venue. Elle est là. D’un geste de la main, il lui désigne la seconde balançoire et attend qu’elle vienne s’y installer pour prendre la parole.
« Tu parles d’une fête d’anniversaire … », qu’il souffle, « merci d’être venue pour elle, je veux dire, ça lui aurait fait plaisir, c’est certain … et elle se serait sans doute foutue de toi … de passer cette journée ici … » Un fin sourire se dessine sur ses lèvres alors que son regard rougi par les larmes ne ment pas. Il est blessé.

15 juin 2024. Ce n’était peut-être pas la journée d’anniversaire idéale, mais tu oubliais vite ce détail en réalité. Toi qui adorais être le centre de l’attention, tu savais aussi rester à ta place. Tu savais que tu profiterais mieux demain, et puis un anniversaire c’était tous les ans après tout. Aujourd’hui, tu voulais rendre hommage à Lana, ton amie depuis plus de quinze ans et ça par contre, c’était aujourd’hui et pas un autre jour. Les circonstances qui t’amenaient ici étaient malheureuses, mais tu ne te voyais nulle part ailleurs.

Dans ta petite robe noire, toute simple, tu étais allée te mettre à l’écart de la famille proche, profitant seulement d’un peu de champagne pour te remonter le moral alors que tu te souvenais encore que Lana en eût horreur. Elle préférait déboucher une bouteille de vin rouge pour elle toute seule plutôt que de profiter d’une bonne bouteille de champagne ouverte pour tous. C’était Lana. Le nez dehors, tu pris une grande inspiration et quand tu réouvris les yeux, tu aperçus Justus au loin, qui te faisait signe. C’était le moment d’enterrer la hache de guerre, au moins pour aujourd’hui. De tes petits talons, tu arrivais doucement vers lui pour t’asseoir sur la seconde balançoire. « Tu parles d’une fête d’anniversaire… » Tu tournas la tête vers lui alors qu’il reprit aussitôt « Merci d’être venue pour elle, je veux dire, ça lui aurait fait plaisir, c’est certain… et elle se serait sans doute foutue de toi… de passer cette journée ici… » Tu souris également, ta coupette déjà presque vide. « Je ne me voyais nulle part ailleurs aujourd’hui. » confias-tu d’un ton sincère, ce n’était pas comme la dernière fois, tu ne ressentais aucune amertume. Tu étais dans la compassion, et tu partageais sa tristesse. Tu posas ton regard au loin et repris « C’est si… inattendu. Je n’arrive pas à y croire. » Tu te pinças les lèvres, le regard perdu, perdu dans tes souvenirs.