D’un geste, Eden observe son téléphone. Il le fixe depuis des heures, en réalité. Il n’a aucune nouvelle, plus aucune nouvelle. Ça fait combien de temps, exactement ? 10 jours ? 15 ? Il ne sait plus. Il devrait peut-être compter les jours comme un condamné à mort dans sa cellule, que le temps rapproche toujours plus de sa sentence. Mais lui, où est-ce qu’il va ? Qu’est-ce qu’il a à compter ? Le nombre de jours qui le séparent de la prochaine fois qu’il pourra lui parler ? Mais il n’y aura pas de prochaine fois, il faut qu’il se le rentre dans le crâne, c’est terminé. TERMINE. Archie a été clair. Limpide, même. Il le lui a écrit, il lui a demandé d’arrêter de le contacter. Il a essayé, tellement qu’il aurait dû comprendre de lui-même que les choses ne pourraient pas durer éternellement. Il a été trop lourd, trop insistant. Maintenant, il doit le laisser tranquille, lui donner une chance de l’oublier, d’être heureux sans lui. Ce simple rappel est une pointe douloureuse qui remue au fond de son cœur. Il porte une main à sa poitrine, la sensation devient physique et ne s’en va pas. C’est physiquement douloureux d’être loin du jeune ébéniste.

Alors, un soupir le fait lâcher l’écran. Il doit renoncer à lui écrire, il ne peut pas joindre Riley qui bosse, ce soir. Que lui reste-t-il comme option ? Quand il redresse le regard, le goût amer de l’échec lui remonte le long de la gorge. Voilà, il en est là. Devant ce casino maudit dans lequel il s’était juré de ne jamais remettre les pieds. Absolument jamais. Il ne peut pas y retourner, il sait bien trop tout ce que cela implique. Il se déteste, rien que parce qu’il s’est dirigé consciemment par ici. Ce n’est pas comme si on pouvait tomber sur ce lieu en se baladant en ville. Non, il a garé sa moto et il est à présent adossé contre elle, les yeux fixés vers ce lieu interdit. Le casino, les jeux d’argent, lui ont trop pris, il ne peut pas faire ça. Il n’y a pas un monde où les choses pourraient bien se passer à partir du moment où il y pénètrerait. Il déglutit difficilement, en prise avec cette addiction si tenace.

Là-dedans, il sait qu’il oublierait tout. Il sait qu’il perdrait la notion du temps, qu’il se laisserait entraîner par le son des machines, des joueurs zélées, par le feu du danger, l’excitation de jeu. Il en oublierait tout, à commencer par sa peine immense. Oui, ce serait ça, la solution, pour lui. Une manière de se laisser aller, de tout envoyer bouler, à commencer par ses regrets. Là-dedans, il n’y en a pas, il n’y a pas la place pour ça. La lumière aveuglante les effraie, la musique assourdissante les tapit dans l’ombre. Il a le cœur qui bat la chamade, les émotions au bord des lèvres, il est tenté, beaucoup trop pour réussir à se contrôler. Il va y retourner. Et, armé de cette certitude et d’un dégoût certain de lui-même, il amorce un pas hésitant.

@Justus Hampton    

« Eden ! » Il tourne immédiatement la tête, parce qu’il n’a même pas prêté attention à son environnement extérieur et que d’un coup, il se retrouve particulièrement bête de ne pas avoir remarqué quelqu’un qu’il connaissait. C’est l’illustration parfaite des ravages de l’addiction. Le monde s’éteint autour de lui pour que seul son objectif ne soit visible. Il aurait pu franchir les portes de ce casino sans le moindre problème, sans le moindre remord. Mais il ne l’a pas fait, parce qu’on vient de l’interpeler et il est surpris de se retrouver face à … « Justus ! » Il n’a pas vraiment le temps d’analyser la situation et de comprendre ce qu’il ressent qu’il se retrouve dans les bras du chanteur, interloqué par sa familiarité. Aux dernières nouvelles, ils ne se sont pas revus depuis quelques années. Depuis que… Eden s’entête à essayer d’oublier ses années de gloire, au profit de la réalité qui elle, est restée bien sombre. « Qu’est-ce que tu fous là ?! T’attends quelqu’un ? » Eden secoue légèrement la tête en tournant le visage vers le casino. Sa confusion prend de l’ampleur. « Je… non ». C’est assez inhabituel de la part du jeune homme de manquer de répartie et d’enthousiasme. Mais il y a bien un moment dans sa vie où il se sent affreusement vulnérable et c’est bien dans ce genre de position inconfortable.

« Ça fait un bail que je t’ai pas vu, putain ! T’as le temps cinq minutes ? » Justus désigne un restaurant en face d’eux et un drôle de sentiment s’empare de l’ancien acteur. Il finit par hocher légèrement la tête. « Ouais, j’ai même plus que cinq minutes. » Il a tout son temps, en réalité. Quand il croise de nouveau le regard de son ancien ami, un brin de détresse lui colore l’iris. « Ce serait bien, qu’on s’éloigne de ce truc. » Il désigne, d’un coup du menton, le casino qui leur fait face. Justus n’ignore pas que c’est là-bas qu’Eden a tout perdu, qu’il a également failli perdre la raison et tout sens commun. Le chanteur est probablement une des seules personnes sur terre qui est au courant de ce que le jeu a comme impact sur lui. Le pire qui soit, le plus néfaste du monde. La noirceur des soirées qu’il a passé dans les casinos, il l’a parfois partagé avec lui. Justus est resté égal à lui-même et lui, tout a changé en lui à cause de la célébrité. Alors, depuis, il évite soigneusement ses anciennes connaissances, ceux qui pourraient le juger de voir ce qu’il est devenu. Mais pas Justus, une sorte de confiance s’est progressivement installé. « On y va ? » Il demande, l’air de vouloir déguerpir au plus vite. Il jette un œil en arrière pour remarquer qu’ils ne sont pas seuls. « Tu te balades avec un garde du corps ? C’est que ça marche sacrément, pour toi alors ! » Il lui administre une tape dans le dos, comme pour le féliciter de sa notoriété, d'avoir réussi où il a échoué. Est-ce qu'il en est jaloux ? Peut-être un peu, dans le fond, s'il cherche à analyser ses émotions. Il essaie de ne rien en faire, pour l'instant.

@Justus Hampton