Quand l'un tombe, l'autre relève

@Stanislas Harlow

Novembre 2024

Le pouce sur la sonnette, j’attends avec impatience que Stan vienne ouvrir. Sérieusement, il mériterait des baffes. Parfois, je me dis que dans l’utérus de notre mère, j’ai dû accaparer toute l’intelligence et ne lui laisser que quelques miettes. Franchement, quel genre de personne annonce à sa famille par WhatsApp que le bébé qu’il pensait être le sien ne l’est pas, avant de s’envoler pour Los Angeles juste après ?! Maintenant qu’il est de retour, j’exige des explications, mais surtout, j’ai besoin de savoir comment il se sent. Même si, au fond, je sais déjà qu’il va mal. Nous sommes connectés, lui et moi. C’est ça qui m’a blessée le plus : le savoir loin de moi sans pouvoir être là pour le soutenir. Bien que je me doute qu'Eli doit être présente pour lui.

En même temps, je n’aurais probablement pas pu être présente plus tôt. Christopher avait besoin de moi. Depuis la prise d’otage au centre commercial, il est en proie à un grand stress. Je remercie le ciel qu’il n’ait pas été avec moi dans le magasin ce jour-là et qu’il ait pu se mettre à l’abri. Malgré cela, il a eu peur pour moi. Même s’il a grandi, je sais que la peur d’être à nouveau abandonné le hante toujours. Ces derniers jours, je les ai donc passés principalement avec lui, jusqu’à réussir à le convaincre de prendre rendez-vous avec un psychologue. Parce que, même si les chevaux l’aident à gérer son anxiété, rien ne remplace un professionnel.

Mais ce n’est pas pour parler de Christopher que je suis là aujourd’hui. Je suis venue pour cette histoire avec Joanne. J’avoue m’être un peu emportée dans le groupe WhatsApp. Apprendre que cette femme a menti pour des raisons que j’ignore m’a fait perdre mon sang-froid. Je sais à quel point Stan était heureux à l’idée de devenir père, et bon sang, il aurait fait un père formidable. Il suffit de le voir avec ses neveux et nièces. Après la mort de Lincoln, il a été d’un soutien indéfectible avec eux. Sans lui, je ne sais pas comment j’aurais réussi à traverser cette épreuve. Et je ne vais pas mentir, je suis en pleine période où je dévore des séries et des documentaires de « true crime ». Mon cerveau doit être un peu détraqué.

Garde la tête froide, Silver.

Peut-être que cette pauvre femme ne savait pas non plus… Mais non, il ne faut pas être conne ! Si elle avait eu le moindre doute sur la paternité, elle aurait fait un test plus tôt. Elle n’aurait pas laissé Stan espérer pour rien. Je sais que je ne devrais pas me mêler de ses histoires de cœur. C’est un adulte, après tout… mais c’est plus fort que moi. Je ne supporte pas de le voir souffrir. Quand il s’agit de lui ou des enfants, je peux devenir féroce. Donc, il vaut mieux pour Joanne que les explications de mon frère ne me donnent pas envie de lui refaire le portrait.

Je cesse de me mordre l’intérieur de la joue lorsque la porte s’ouvre enfin.

- Enfin ! J’allais finir par me transformer en mauvaise herbe, dis-je en le prenant dans mes bras. Comment tu vas ? ajouté-je en posant ma main sur sa joue et le regardant dans les yeux. Stan, tu sais que je suis là pour toi, hm ? Raconte-moi ce qu’il s’est passé…

Quand l'un tombe, l'autre relève

@Silver Harlow

Novembre 2024

Henry n’est pas mon fils.
L’antre de l’univers qui s’ouvre sous mes pieds, j’ai de la difficulté à résister. A ne pas me faire aspirer par les enfers.
Parfois je me dis que c’est tout ce que je mérite; me faire bouffer, manger des claques dans la gueule et me relever, encore et toujours, parce que dans le fond, j’ai toujours encaissé les coups. Même quand on était gamins, avec Sil’ c’est ce que je faisais de mieux. Quand nos parents sont morts, j’ai gardé la tête haute pour ne pas laisser ma soeur toute seule. Quand  Lincoln est mort, j’étais toujours à ses côtés, sans flancher. Jamais. Et j’étais là pour tous ses enfants. Je me considère comme l’homme de la situation. Ouais, toujours mais pas cette fois-ci, putain !!

Cette fois-ci, le coup est bien trop fort, trop violent pour ne pas me mettre à terre en un seul uppercut. Tellement sournois. Je ne m’y attendais pas le moins du monde, et vous savez pourquoi ? Parce que j’ai tellement eu envie de croire que Henry était mon fils que j’ai accepté l’aveu de Joanne sans contrainte. J’ai pas très bien encaissé sur le moment mais je ne me suis pas posé les bonnes questions dès le départ. Pour moi, Henry était le fruit de notre nuit passée ensemble. Mais j’aurais probablement dû agir autrement, je ne sais pas. Je ne sais plus. Tout ce que je retiens maintenant c’est qu’elle me retire la plus précieuse des raisons de vivre.

J’étais son père, bordel. JE SUIS SON PÈRE.
Non, rectification, c’est Eliott son père. Géniteur. Peu importe…
J’ai annoncé la “nouvelle” à ma famille, juste avant de partir pour L.A. J’ai entendu la voix furibonde de Silver dans ma tête mais j’avais besoin de m’éloigner, de digérer les aveux de Joanne, de souffler quelques jours. Me plonger tête la première dans mon travail n’a rien donné, j’pense surtout que ça a fait pire, mais en rentrant chez moi, j’étais au même point. Je me sens tellement trahi, et en colère contre le monde entier, pas seulement contre mon ex-amante et son gigolo à deux balles. Je l’aimais bien, Eliott, quand il était loin de mon petit garçon… (qui n’est pas le tiens, Stan, souviens toi…) ouais ouais…

J’ai même eu envie de demander à Eli si ça lui faisait plaisir, maintenant qu’il n’y a plus Henry entre nous. Savoure-t-elle cette “victoire” dans mon dos ? Bref… je suis de mauvaise foi, j’le sais mais c’est mon état d’esprit en ce moment qui ne collabore plus vraiment dans mon quotidien. Un verre de scotch à la main, j’entends la sonnette de l’entrée depuis mon bureau. J’ai prévenu ma famille de mon retour en ville et je sais que c’est ma sœur, à tous les coups. Je ne me dépêche pas d’aller ouvrir, je peux sentir d’ici, son propre état d’esprit et je peux vous dire qu’elle est en colère, inquiète et… déçue, peut-être ? J’ouvre cette dernière, tandis qu’elle se jette dans mes bras. J’éloigne mon verre d’alcool afin de ne pas gaspiller l’argent que je dépense pour ce malt hors de prix. Sa main qui caresse ma joue, je fixe mon regard dans le sien, et souffle du nez, puis termine mon verre d’une grosse gorgée.

Je sais… Reste pas dehors, viens…

Je ferme la porte derrière elle et dépose mon verre vide sur la console d’entrée. Eli va me massacrer de laisser trainer de la vaisselle mais à l’heure actuelle, c’est le cadet de mes soucis. Je m’avance au salon où j’invite ma jumelle à prendre place sur ce dernier, j’ajoute alors, d’un tous las:

Henry n’est pas mon fils, Sil’, y’a rien d’autre à ajouter. Tu peux le dire que j’suis qu’un abruti, je l’aurai bien cherché.

Le truc du j’te l’avais dit, ça sonne pareil. Dire à voix haute que Henry n’est pas mon fils me fait l’effet d’un énorme coup de poignard dans le cœur. Et pour une fois dans ma vie, je ne suis pas celui qui garde la tête froide. Je ne suis pas celui qui garde le contrôle. Je me montre vulnérable devant Silver. Après tout, nous sommes jumeaux et elle ressent exactement ce que je ressens. Les larmes roulant sur mes joues, j’éclate en sanglots :

C’est pas mon fils, putain. C’est pas mon fils…

Quand l'un tombe, l'autre relève

@Stanislas Harlow

Novembre 2024

Il ne va pas bien. Je le vois dans ses yeux, il souffre. Une envie de vengeance me brûle, un désir profond d’envoyer six pieds sous terre la personne qui lui inflige une telle douleur. Mon cœur se serre en le voyant ainsi, brisé. En entrant chez lui, je retire ma veste et l'accroche au porte-manteau, puis je me dirige vers le salon. Je m’assois sur la table basse, juste en face de lui, cherchant son regard avec tendresse et inquiétude. Je sais qu’il aimait cet enfant, qu’il s’était projeté dans un futur avec lui… et tout ça, pour que cette garce lui brise le cœur. Je me demande comment Eli gère cette situation. J’espère de tout cœur qu’elle est là pour le soutenir.

- Henry n’est pas mon fils, Sil’, y’a rien d’autre à ajouter. Tu peux le dire que j’suis qu’un abruti, je l’aurai bien cherché.

Ces mots me percutent, mon sang ne fait qu’un tour. Qu’il se rabaisse ainsi me rend folle. Il n’a rien fait de mal. Il a seulement réagi comme n’importe qui l’aurait fait, en croyant ce qu’elle lui disait. L’abruti ici, c’est Joanne. La garce, c’est elle. Elle a joué avec lui, et ça me rend dingue.

- Stan… je murmure.

Je me penche vers lui et prends doucement son visage entre mes mains, plongeant mes yeux dans les siens pour lui transmettre toute la force que je peux.

- Je t’interdis de te traiter d’abruti. Non, tu n’es pas un imbécile. Loin de là. Elle t’a dit que tu étais le père, et tu l’as crue. Pourquoi aurais-tu douté de ses paroles ? Tu as réagi comme n’importe qui. Tu t’es projeté dans cette vie parce que tu es humain, Stan. Pas un robot.

Quand je vois les larmes glisser sur ses joues, c’est mon cœur de jumelle qui se fissure. Cette souffrance qu’il porte… elle résonne en moi comme une douleur vive, une plaie ouverte. J’ai l’impression qu’on m’arrache les entrailles. Il souffre, et je souffre avec lui.

- C’est pas mon fils, putain. C’est pas mon fils…

Je quitte la table basse et viens m’asseoir à ses côtés. Je le prends dans mes bras, le serre aussi fort que je peux, et je dépose un baiser sur sa tempe, puis sur le haut de sa tête. Mes doigts glissent tendrement dans ses cheveux blonds, tandis qu’une boule se forme dans ma gorge. Je l’ai rarement vu dans un tel état. Lui qui a toujours été un pilier pour les enfants et pour moi, depuis la mort de Lincoln. Aujourd’hui, c’est lui qui vacille, qui sombre… mais je ne le laisserai pas tomber. Je ferai tout pour le maintenir à flot. J’enverrai les enfants lui rendre visite… Je veux qu’il sache qu’il n’est pas seul. Nous serons là, unis, comme toujours.

- Je suis tellement désolée… murmuré-je sans le lâcher. Cette douleur qui te ronge… cette brûlure si vive, je te le promets… elle s’atténuera avec le temps.

Même si ce n’est pas une mort, c’est tout de même un deuil qu’il doit traverser. Le deuil d’un enfant qu’il croyait sien. Malheureusement, je connais trop bien cette douleur qui le consume. J’aurais tant voulu qu’il n’ait plus jamais à ressentir cela après la mort de nos parents. Si je pouvais lui prendre cette peine pour la porter à sa place, je le ferais sans hésiter.

- Je suis là… tes neveux et nièces sont là… t’es pas seul… on va t’aider, te soutenir. Je ne te lâche pas…

Une haine profonde, viscérale, me prend. Je n’ai jamais ressenti une colère aussi féroce contre quelqu’un que celle qui m’envahit en pensant à Prescott. Elle paiera pour ça. Je ne sais pas encore quand, ni comment, mais je jure de lui faire payer. Elle le regrettera.