tw :: décès de la maman

Je suis dans ma voiture, garé devant la maison de Joanne et je me demande ce que je dois faire. Le message qu’elle m’a envoyé il y a trente minutes était plutôt clair, elle m’attend, elle veut que je vienne mais en le relisant pour la centième fois, au moins, je me demande si elle voulait dire maintenant ou plutôt dans les jours à venir. Je me suis peut-être un peu enflammé. Il est vrai que lorsque j’ai reçu son message, je me suis senti tellement bien que je n’ai pas pu faire autrement que de filer sous la douche. J’ai eu plusieurs propositions de soirée pour ce soir, mais je n’avais répondu à aucune comme si j’attendais inconsciemment ce message, comme si j’attendais qu’une seule proposition, celle-ci. Je me suis habillé normalement, je l’avoue je ne sais pas si elle m’a préparé quelque chose… mais non mon gars arrête, reviens sur terre, elle ne t’attend pas du tout tout de suite !! Mais voilà en prenant ma voiture, après m’être préparé, sans avoir répondu à Joanne je n’ai pas imaginé une seule seconde que son message signifiait qu’elle voulait me revoir demain ou après -demain, non moi je l’ai pris au pied de la lettre… et donc maintenant que je suis là, garé devant chez elle, je réalise que je me suis sans doute fourvoyé.

Ma main sur le volant, j’hésite à repartir. Je suis immédiatement renvoyé au moment que nous avons partagé tous les deux à Seattle, quand elle m’a accompagnée pour la sépulture de ma mère. C’était tellement intense, tellement fort. Je suis sûr d’une chose, nous nous aimons tous les deux. Alors bien évidemment vous allez me demander, si je suis persuadé de la sincérité de nos sentiments, pourquoi est-ce que je n’entre pas ? Pourquoi est-ce que nous ne sommes pas ensemble à cet instant ? Et je le reconnais bien volontiers, je n’en sais rien… La vie sans doute ! C’est facile comme réponse me direz-vous et pourtant c’est la triste réalité… la vie a toujours tout fait pour nous séparer et la naissance de son enfant, de cet enfant qui n’est pas de moi est sans doute la goutte d’eau qui fait déborder le vase, l’obstacle de trop, la difficulté insurmontable… enfin soyons honnête, si c’était vraiment le cas, je ne serai pas ici ce soir, au lieu d’être dans un bar avec des amis et amies, qui ne souhaitent qu’une chose me faire passer un merveilleux anniversaire, sans tous les sens du terme !

Je finis par arrêter la voiture, et en sortir. Je ne suis pas là par hasard. Je n’ai pas refusé les invitations de mes amis sans raison. Je relis une dernière fois son message Passe... S'il te plaît. Je t'en supplie, j'ai besoin de toi... Espérons qu’elle parlait bien de ce soir. En avançant sur l’allée, je réalise que je viens les mains vides, mais après tout c’est mon anniversaire. Je sens mon cœur s’emballer. J’ai l’impression, alors qu’il y a bientôt un an que je suis arrivé dans cette ville, que cette soirée va représenter un véritable tournant dans notre relation. J’ai tellement envie d’être avec elle, je crois avoir autant besoin qu’elle de la voir à cet instant. Ma gorge se serre. Mes mains sont moites. Mes jambes flageolent. Et je me mets à penser à ma mère. Je sais que ce n’est pas une bonne idée, pas maintenant, pas tout de suite, alors que j’arrive sous le porche de la maison de Joanne, porche où j’avais déposé un pot de glace pendant qu’elle était enceinte. Mais on ne choisit pas toujours les pensées qui nous envahissent et c’est exactement ce qui m’arrive à cet instant. J’ai tellement de regret vis-à-vis de ma mère… je ne veux pas vivre la même chose avec Joanne. Je ne veux pas attendre plus longtemps alors avec toute la conviction qu’il me reste que ce que je fais est une bonne idée, j’approche ma main de la sonnette…

Mais je ne sonne pas. Je risque de réveiller son bébé. Et si elle dormait. Tout semble si calme chez elle. Je me mords la lèvre inférieure. Je n’aurai pas du venir. Je vais aller rejoindre mes amis, peut-être sont-ils encore au bar où ils m’ont donné rendez-vous. Je m’apprête à faire demi-tour sans même avoir osé sonner, ni frapper. Je réalise que je laisse de nouveau ma chance passée mais j’ai peur. Je fais demi-tour quand le bruit de la porte qui s’ouvre me fait me retourner. Elle est là… Elle passe la tête par la porte. Et immédiatement un sourire vient illuminer mon visage. Mon cœur s’emballe. Et je lâche :

Tu m’as dit de passer, donc me voilà !

tw :: décès de la maman

Un appel au secours.

Je pourrais regretter de l’avoir lancé et pourtant, en mon fond intérieur, je suis si soulagée. J’ai enfin le sentiment qu’un aspect de ma vie est des plus normales qui soit, que tout a un sens, que tout suit son cours. Je n’ai jamais pu oublier cette date gravée au fer rouge dans ma mémoire et malgré mon emploi du temps plus que chargé ces dernières semaines, j’ai trouvé le temps nécessaire afin de souhaiter un joyeux anniversaire à Eliott. Par message, certes… Un écrit un peu lâche, je le conçois. Je n’ai pas trouvé le courage de presser le bouton d’appel afin d’entendre sa voix. Je suis encore hantée par notre dernière conversation, qui m’a laissé un goût amer en bouche. Et même si ma vie est devenue un tourbillon inqualifiable, je n’ai de cesse de penser à lui et de l’exprimer, même si ma raison me pousse à me retenir. À son contact, je ne sais agir avec sang froid et tandis que je vaque à mes occupations, je ne peux m’empêcher de surveiller mon téléphone, attendant une réponse de sa part.
Mais rien.
Pourtant, je ne me suis pas trompée de date, j’en suis sûre et certaine. Les sourcils froncés, la mine fermée, je termine de nourrir Henry et l’installe confortablement avant de m’attaquer à ma vaisselle. Je surveille Baya, ma staffy, du coin de l'œil, qui trottine gentiment jusqu’à la porte d’entrée, ses adorables pattes claquant doucement contre le parquet. Ensuite, elle s'assoit. Et attends. Finit par couiner, ce qui m’interpelle aussitôt. Il ne faut surtout pas qu’elle réveille Henry, bon sang, je lui ai déjà expliqué! Contrariée, j’observe le perron et comprend aussitôt la raison de son attitude.
Quelqu’un est arrivé.
Un invité que je ne voudrais surtout pas manquer.
Plus jamais.

Ouvrant la porte, j’observe l’homme du jour avec attention et l’écoute se justifier de sa présence. Ce qui est parfaitement inutile, j’aimerais que chaque minute de ma vie se passe à ses côtés. Interdite et profondément heureuse, je m’exclame, tout simplement:

Eliott…

Son sourire inspire le mien. Brutalement, je réalise à quel point il est beau. À quel point mon coeur lui appartient depuis le jour de notre rencontre, à quel point je suis liée à son âme, peu importe les embûches que nous rencontrons depuis bien trop longtemps. Et surtout, à quel point je peux être malicieuse, tandis que je lui demande:

… Seul le jour de ton anniversaire? Je ne peux pas y croire.

Une moquerie? Sérieusement, Joanne, penses-tu que c’est la meilleure attitude à adopter? Pourtant, je ne peux pas m’en empêcher. Car autrefois, être seul n’existait pas dans notre univers. Nous étions toujours l’un avec l’autre face au reste du monde, nous pouvions compter sur le soutien indéfectible de l’être aimé. Il est hors de question que je laisse filer une pareille occasion de partager son temps, surtout en une journée aussi unique. D’un geste théâtral, je lui propose d’entrer. Naturellement, je nous oriente vers la cuisine, d’où s’échappe une odeur signifiant qu’il est temps de sortir mon plat du four. J’enfile mes maniques, je pose le repas fumant sur le plan de travail et me sens obligée de me justifier tandis qu’il reconnaît sans aucun doute la recette:

Je… Oui, enfin, je… Je sais que tu adorais mes lasagnes. Tu m’en demandais tout le temps, pour ton anniversaire. Alors… J’ai pris l’habitude d’en faire tous les ans.

Et voilà, Joanne, maintenant, il risque de te prendre pour une folle. Une véritable cinglée qui, au fil des années, a entretenu son souvenir comme s’il était mort. Pourtant, j’ai des justifications à apporter: je pensais sincèrement ne plus jamais le revoir et qu’à travers ces rituels, je pourrais le retrouver, d’une manière ou d’une autre. Une futilité à laquelle je me suis vivement accrochée et qui, quelque part, m’a permis de tenir durant tout ce temps. Malgré la douleur, malgré les doutes, malgré l’incompréhension.

Et maintenant qu’il est là, je semble si incertaine. Perturbée, je plonge en direction de ma petite cave à vin, coincée entre deux meubles, sort une bouteille et propose, d’un ton léger:

Un verre de vin?

C’est une fantaisie que je peux me permettre car je n’ai pas choisi d’allaiter Henry. D’ailleurs, en pensant à mon fils…
Je ne peux m’empêcher de pencher la tête en direction du salon, où j’ai installé provisoirement le berceau de mon adorable bébé. Il semble dormir, tout est si calme.
Un silence s’installe, j’aimerais tant le briser.
J’aimerais tant que la légèreté que je ressens au contact d’Eliott gagne ce dernier, que l’onde que je lui envoie avec tant de force l’atteigne.
Mais rien n’est acquis, parfois, il faut se faire violence et… oser.
Une ultime prise de risque, que j’espère s’avérer payante.
Je me tourne, afin de dégoter un paquet dans un des placards de la cuisine, le plus haut, là où Alba n’aurait jamais pu le trouver. Un papier ridicule, avec des oursons bleus dessinés dessus, entoure un présent que je comptais lui offrir, dès que l’occasion se présente. Et c’est maintenant. J’éclate d’un rire silencieux tandis que je tends à Eliott ce qui est…

… Un cadeau. Pour toi. Et je préfère te prévenir: c’est ridicule. Mais j’espère que ça te plaira.

Mordillant ma lèvre inférieure, sentant l’appréhension gagner ma poitrine, je tente de prévoir sa réaction quand il découvrira que j’ai remué ciel et terre pour trouver les places de cinéma du premier film que nous avons vu tous les deux, son préféré. Et c’est un exemplaire original, s’il vous plaît!
Ce n’est pas grand chose.
Mais penser à l’autre n’est jamais vain et tandis que mon cœur tambourine dans ma poitrine, j’ose espérer que tout cela lui plaira. Qu’il compte rester, juste un peu. Qu’il n’est pas attendu ailleurs. Et qu’il me choisisse moi… Pour une fois…

tw :: décès de la maman

J’ai fait tout ce chemin jusqu’à chez Joanne pour me dégonfler à la dernière minute, je me dégoûte parfois. Je suis sûre de moi, je l’aime, je l’aime à un point qu’on ne pourrait imaginer, je l’ai aimé toutes ces années passées loin d’elle et pourtant je m’en vais sans même avoir frappé. Mais voilà le destin semble vouloir nous donner un coup de main et la porte s’ouvre avant que je ne sois parti. C’est elle, c’est Joanne et tout ce que j’arrive à lui dire c’est que je suis là car elle m’a demandé de venir. J’aurai clairement pu trouver mieux, je suis sûre que j’aurai pu trouver beaucoup mieux. Alors il est vrai que je suis prof de maths et pas de littérature donc les longs discours passionnés ce n’est pas forcément ma spécialité mais quand même trouver des excuses au moins acceptables c’est à la portée de tout le monde je crois. Heureusement pour moi, Joanne ne semble pas vraiment faire attention à ce que je viens de dire et m’interpelle simplement par mon prénom. Son sourire, en réponse au mien, me fait chavirer. Le baiser que nous avons échangé dans la cuisine de mes parents me revient à l’esprit et je n’aurai qu’une envie à cet instant, alors qu’elle sourit de toutes ces dents, ce serait de reproduire ce baiser, ce serait de poser à nouveau mes lèvres sur les siennes, ce serait de prendre l’initiative pour une fois, car elle l’a fait déjà à plusieurs reprises lorsque nous étions à Seattle. Mais je ne bouge pas, je reste là, simplement à la regarder et à imaginer ce que pourrait être notre vie ensemble si depuis que je suis revenu, j’avais simplement eu le courage de lui dire que je l’aimais envers et contre tout, que je l’aime malgré tout, que je l’aimerai toujours quelque soit ce que la vie nous réserve.

Joanne me sort de mes pensées en tentant d’être drôle avec cette remarque sur le fait que je sois seul pour mon anniversaire. Je sais que c’est une boutade et qu’elle n’attend pas de réponse et puis soyons honnête, si je n’arrive déjà pas à sonner à sa porte, comment lui avouer que j’ai attendu son message toute la journée, que j’ai refusé toutes les invitations que j’ai eu pour simplement être avec elle, c’est absolument impossible, je le sais, je le sens, je suis incapable de lui avouer cela. Par fierté me direz vous, par arrogance sans doute, par lâcheté c’est une certitude !!

Je la suis dans la cuisine alors que rapidement elle sort du four un plat de lasagnes tout en m’avouant qu’elle a continué à cuisiner ce plat pendant toutes ces années le jour de mon anniversaire. Il y a des choses que je n’arrive pas à lui dire, sans doute aussi par pudeur, par peur de souffrir mais cette fois, je lui réponds très rapidement en repensant à toutes ces années où nous avons été séparés :

Et moi chaque année pour mon anniversaire, je tentais de me refaire ta recette… en vain… à chaque fois ça n’avait pas le goût de celles que tu me faisais… jamais…

Elle se penche pour attraper une bouteille tout en me proposant un verre que j’accepte immédiatement. Alors qu’elle passe une tête dans le salon, je ne peux m’empêcher de l’imiter et d’apercevoir son bébé qui dort. Je me demande alors si c’est bien légitime que je sois là. Non Eliott tu ne vas pas recommencer, tu es là maintenant, tu y restes !! Joanne sort un tire bouchon, et deux verres qu’elle dépose devant moi. Je prends alors le tire bouchon et j’ouvre la bouteille alors que je la vois se percher pour essayer d’attraper quelque chose qui semble très haut. Lorsque j’aperçois le papier cadeau, je réalise qu’en effet j’aurai du venir avec quelque chose. Ca ne se fait pas de débarquer chez une nouvelle maman sans cadeau pour son bébé. Je suis un abruti !! La bouteille est ouverte et je viens de servir les deux verres quand elle me tend le cadeau. Elle me dit que ce n’est pas grand-chose pourtant je suis persuadé du contraire, Joanne a toujours su trouver le cadeau parfait, celui qui te met un coup de poing en pleine tête, celui qui te fait dire qu’elle te connaît bien, celui auquel personne d’autre n’aurait pensé et qui est pourtant exactement ce dont tu avais besoin. Je sens son regard sur moi, elle semble impatiente de voir ma réaction alors je n’attends pas plus longtemps, je ne la fais pas attendre plus longtemps et j’ouvre son cadeau. Au début je ne saisis pas vraiment ce que signifie ces deux places de cinéma, veut-elle qu’on se fasse une soirée ensemble ? Enfin c’est déjà ce qu’on est entrain de faire non ? !! Je regarde alors plus attentivement les tickets et je réalise qu’ils sont datés d’une autre époque et que ce sont exactement les tickets du premiers film que nous sommes allés voir. J’avais été un peu gauche aussi ce jour là, et pourtant à la fin du film nous avons échangé notre premier baiser. A la vue de ces tickets, une larme roule sur ma joue… J’ai gâché tellement de choses dans ma vie… Cette erreur d’enfant m’a pris tellement. Je me souviens parfaitement de ce que j’ai ressenti lors de notre premier baiser, je savais que c’était elle, je savais qu’il n’y aurait plus qu’elle, je savais que plus jamais après Joanne je ne pourrai aimer autant. Me replonger dans ce souvenir aujourd’hui est tellement intense, tellement fort, tellement dur aussi.

Je relève finalement ma tête afin de plonger mon regard dans celui de Joanne. Je murmure un léger :

Merci…

Avant de m’approcher d’elle, et de venir à mon tour, elle l’a fait à plusieurs reprises avant moi, déposer mes lèvres sur les siennes. J’ai envie de la sentir tout contre moi, j’ai envie d’elle, tellement envie d’elle…

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Attendre. C’est si douloureux.

J’en ai fait les frais, durant plus d’une décennie. Mère de toute vertue, oui, enfin, ça, c’est seulement l’adage qui le dit. Quelle monumentale arnaque, quand on y pense. Attendre alors que la vie s’avère si courte et qu’on en dispose d’une seule… C’est une véritable hérésie. Nous en avons fait les frais avec Eliott, lors de notre séjour express à Seattle et plus que jamais, j’ai pris conscience qu’il ne fallait pas regarder nos existences défiler sous nos yeux sans agir… C’est ce que j’estime avoir réalisé, en lui envoyant ce message, en cuisinant ce plat, année après année, en prévoyant un petit cadeau, sans savoir que je pourrais lui donner en main propre et le jour-même! Je n’aurais pas espéré autant et pourtant, il est là. Il est venu, il ne semble avoir rien prévu d’autre afin de fêter son anniversaire. Il est dans cette cuisine, il est juste ici et je me dis que je l’attends, encore et toujours. Que je prends mon temps car le brusquer serait la dernière des choses à faire. J’ai si peur qu’il parte à nouveau et plus jamais l’occasion de le retrouver ne se représente. Quand il m’apprend qu’il tentait, année après année, de reproduire ma recette, je ris, sans aucune volonté de me moquer. Car en réalité, je suis pétrifiée par l’émotion. Alors, il pensait à moi… À sa manière, il cherchait à faire perdurer ce lien invisible qui nous relie depuis l’instant où nous avons posé les yeux l’un sur l’autre. Et le coup de grâce est donné quand j’aperçois une larme couler sur sa joue, tandis qu’il découvre mon cadeau. J’imagine que cette petite attention lui plaît, le touche en plein cœur… Tant mieux, c’était le but. Lui prouver à quel point, depuis son retour, je meurs d’envie d’une chose. Une seule. Que tout soit comme avant. Que ces années s’effacent, d’un simple coup de baguette magique, et que nous retrouvions notre cocon, notre bonheur qui me suffisait. Qui m’a toujours suffit.
À l’image de ce baiser qui est de sa propre initiative. J’en suis si surprise que je pose, aveuglément, mon verre de vin sur le comptoir de la cuisine, n’osant pas enrouler mes bras autour des épaules d’Eliott alors que j’en meurs d’envie. Je fais, une nouvelle fois, preuve de retenue et le pire, dans toute cette histoire? C’est que je ne sais même pas pourquoi je suis aussi tendue. Joanne, il est là, c’est son anniversaire, toutes les planètes sont alignées pour que les choses se déroulent à merveille et tu ériges encore un mur entre vous…? Il n’y a plus de temps à perdre et pourtant, je n’arrive pas à lâcher prise, j’attends, je fais preuve de maturité, de sagesse, croyant dur comme fer que précipiter les choses nous conduirait à une perte certaine.

Mais maintenant, je n’ai plus la patience d’attendre. Encore moins l’envie.
Ou plutôt, elle prend l’ascendant sur tout le reste…

J’ose faufiler ma langue afin qu’elle rejoigne la sienne, pressant ma poitrine contre son torse. Une chaleur se dégage de chaque cellule de mon corps, je réalise à quel point j’avais froid, sans lui. J’avais aussi oublié à quel point il était attirant. Eliott est un homme charismatique, qui m’a fait craqué à la seconde où je l’ai rencontré. Et les années l’ont transformé, comme un bon vin, il s’est bonifié avec le temps. Exaltée par ce baiser qui ne connaît aucune fin, je passe une main fougueuse dans ses cheveux, sentant qu’une autre dynamique emplit la pièce.
Aimantés. Interconnectés.
Impossible de résister…
Reculant de quelques pas, je me retrouve plaquée contre un des meubles de la cuisine. Je profite de cette légère accalmie pour me débarrasser de mon chemisier, arrachant au passage quasiment tous les boutons de ce vêtement qui est pourtant l’un de mes préférés. Mais je n’en ai rien à faire. Rien d’autre ne compte que Eliott. Que lui et moi…
Je suis la première surprise de mon audace tandis que je faufile mes doigts sous son tee-shirt, caressant sa peau, baisant à présent son menton, sa joue, ses paupières. Une bête qui était si longuement tapie dans l’ombre semble s’être réveillée et je ne semble pas avoir envie de la contenir. Alors, entre deux longs et passionnés baisers, je demande à Eliott, croisant les doigts pour ne pas passer pour une folle:

Eliott, nous pourrions fêter ton anniversaire… Rien que tous les deux… Passer au dessert avant de goûter mes lasagnes…

Mon souffle se fait court et durant tout ce temps, j’ai conservé les yeux clos. Effrayée à l’idée qu’il ne soit qu’un simple produit de mon imagination? J’ai tant rêvé de ce moment, où le plaisir charnel pourrait enfin nous réunir, nous placerait dans les cieux, tels les Dieux d’un monde qui nous appartiendrait. À lui, à moi.
Ne me repousse pas… Faisons valser cette barrière invisible… Ensemble…

tw :: décès de la maman

Mes lèvres posées sur celles de Joanne, elle intensifie ce baiser, elle intensifie notre baiser en laissant sa langue venir jouer avec la mienne. Je sens que les quelques millimètres qui nous séparaient n’existent plus, nos corps sont comme attirés l’un vers l’autre, à cet instant plus rien ne compte que de sentir l’autre, que d’être au plus près, que de pouvoir ressentir la puissance du désir de l’autre. Lorsque je suis venu ici, lorsqu’il y a encore quelques instants, j’hésitais à entrer, je n’aurai pu imaginer cela, je n’aurai pu même oser rêver que ce que nous sommes entrain de faire va vraiment arriver. Je nous fais reculer de quelques pas pour la coller contre le mur de la cuisine. Nos lèvres se décollent un instant et je vois Joanne arracher littéralement les boutons de son chemisier pour se retrouver en soutien gorge devant moi. J’ai l’impression d’avoir attendu ce moment si longtemps que je veux en profiter un maximum. Mon regard se pose sur elle, comme si je la voyais pour la première fois. J’ai envie de redécouvrir son corps, son corps tout entier ce soir. Ses lèvres se posent sur différentes parties de mon visage alors que je sens ses mains se faufiler sous mon tee-shirt. Nos lèvres se retrouvent très rapidement alors que le contact de ses mains, de ses doigts sur mon torse nu, me fait littéralement chavirer. J’ai envie de prendre mon temps et en même temps, j’ai envie de la faire mienne à l’instant même. Mes yeux sont de nouveau fermés, alors que nos langues dansent une nouvelle danse endiablée. Mais lorsqu’elle formule à voix haute ce dont je désire depuis que mes lèvres ont touchées les siennes je les rouvre. Elle a les yeux clos de son côté et venant déposer des baisers le long de son cou pour remonter jusqu’à son oreille, je lui susurre au creux de l’oreille :

C’est ce que j’allais te proposer… passons directement au dessert…

Perdre les pédales.

Mais non voyons, le vélo, au fond, ça ne s’oublie pas. Comme mes mains qui parcourent le torse d’Eliott, sa chaleur qui se mélange à celle dégagée par mes paumes, mes lèvres tremblantes et si apeurées à l’idée de ne plus sentir son énergie, de ne plus la côtoyer, telle mon âme qui tutoie les étoiles.
Je dois avouer que je suis effrayée par la suite des évènements tout autant qu’elle m'intrigue. Je me sens comme une exploratrice qui s’avance dans la nuit profonde et qui trouve enfin la source de lumière nécessaire afin de la guider.
Eliott, mon phare dans la nuit.
Celui à qui je n’ai plus rien à prouver mais qui mérite toute mon attention.
Cette voix, ces mots, prononcés si près de mon oreille, ils me font frissonner. Il a toujours eu cet effet sur moi, la paralysie qui s’insurge dans mes veines tandis que je peine à croire à la véracité de l’instant que nous vivons.

Et si c’était un rêve…? Un de plus que je vis nuit après nuit depuis plus d’une décennie…?
Et si rien n’existait autre part que dans mon esprit torturé par son absence…? J’ai passé trop de temps seule, abandonnée, désespérée. La moitié nécrosée d’un tout qui n’existait que dans ma mémoire.
Mais désormais, nous sommes réunis.
Tout ceci est vrai.
Tout ceci existe autre part que dans mon imagination.
Tout ceci ne demande qu’à être poursuivi, jusqu’au bout de la nuit et plus encore…